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Décisions

CA Rennes, 5e ch. prud'homale, 24 octobre 2006, n° 05-06510

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Maugendre

Défendeur :

Satas (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Ploux

Conseillers :

Mmes Citray, Legeard

Avocats :

Mes Alexandre, Bardavid

Cons. prud'h. Fougères, du 14 sept. 2005

14 septembre 2005

Par acte du 5 octobre 2005, Monsieur Maugendre interjetait appel d'un jugement rendu le 14 septembre 2005 par le Conseil de prud'hommes de Fougères qui, dans le litige l'opposant à la société SA Satas, le déboutait de l'ensemble de ses demandes tendant à imputer la rupture de son contrat de travail à la faute de l'employeur, à obtenir réparation de ses préjudices, dont celui résultant de son statut de salarié protégé.

Il soutient avoir été l'objet de la part de son employeur d'un comportement fautif et discriminatoire, ce qui l'a contraint à rompre son contrat de travail, fait valoir que la procédure de licenciement est nulle pour ne pas avoir eu l'autorisation de l'inspection du travail. Il conclut à l'infirmation du jugement et réclame la somme de 230 040 euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour nullité du licenciement, les indemnités de rupture et à titre subsidiaire réclame à la société la somme de 34 080 euro en cas de démission outre la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Satas maintient que les griefs invoqués par le salarié à l'appui de la rupture de son contrat de travail ne sont pas justifiés, alors qu'elle résulte de sa démission. Elle sollicite la confirmation du jugement et conclut au débouté de l'ensemble de ses demandes.

Pour un exposé plus complet de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère au jugement déféré et aux très complètes conclusions régulièrement communiquées à l'adversaire qui ont été développées à l'audience des plaidoiries puis versées dans les pièces de procédure à l'issue des débats.

Motifs de la décision

Rappel sommaire des faits

Monsieur Maugendre a été embauché le 21 août 1978 en qualité de VRP par la société Satas spécialisée dans la location de machines à affranchir et timbrer le courrier. Au mois de mars et avril 2002, il était désigné délégué syndical CFDT et représentant syndical auprès du Comité d'Entreprise, puis élu en janvier 2003 conseiller prud'homal du Conseil de prud'hommes de Fougères et membre du CHSCT et du CE. A la suite d'une réorganisation de ses services en 2003, la société lui proposait, ainsi qu'à tous les VRP, de renoncer à son statut de VRP pour devenir cadre salarié. Il refusait de changer de statut. Invoquant une discrimination, il saisissait le 5 octobre 2004 le Conseil de prud'hommes de Fougères pour faire sanctionner le comportement fautif de son employeur et obtenir réparation de ses préjudices. Il était débouté de toutes ses demandes, mais alors qu'il venait d'interjeter appel de la décision du conseil de prud'hommes, par courrier du 30 janvier 2006 il prenait acte de la rupture de son contrat de travail.

Sur la rupture du contrat de travail

Considérant que Monsieur Maugendre, ayant pris l'initiative, en cours de procédure, de prendre acte de la rupture de son contrat de travail par courrier du 30 janvier 2006 avec effet immédiat sans respect du préavis, il lui appartient de rapporter la preuve que les faits qu'il invoque à l'encontre de son employeur pour justifier sa décision sont réels et sérieux et constituent une faute suffisamment grave pour imputer à la société cette rupture avec toutes les conséquences de droit.

Modifications des commissionnements

Considérant que Monsieur Maugendre n'ayant pas choisi d'abandonner en janvier 2003 son statut de VRP au profit de celui de cadre commercial, il ne peut reprocher à son employeur une quelconque discrimination salariale par rapport à ses 46 collègues anciens VRP qui ont accepté ce changement alors que leur situation est désormais différente et même, au dire de l'employeur, plus avantageuse (salaire fixe plus élevé, augmentation plus rapide de la partie variable du fait de versement de primes trimestrielles et annuelles sur les objectifs réalisés...) mais il ne peut que s'en prendre qu'à lui même quant à ce choix.

Considérant que, selon son statut VRP Satas article VII et son contrat de travail, la rémunération des VRP est composée d'une partie fixe et d'un pourcentage sur le chiffre d'affaire réalisé par le salarié, selon le type d'appareil vendu.

Considérant que Monsieur Maugendre ne justifie pas que, par rapport à ses quatre collègues, qui ont choisi de rester VRP, sa situation ait été plus défavorable, alors que l'employeur a appliqué à ces cinq VRP les mêmes conditions de travail, les mêmes modalités de rémunération et les mêmes taux de commission sur les appareils vendus.

Considérant qu'il n'appartient pas au salarié, quelle que soit sa compétence et son expérience professionnelle de se substituer à l'employeur dans son pouvoir de direction et ses choix en matière de stratégie commerciale, la décision de la société pour renforcer sa force de vente, s'adapter aux nouvelles règles du marché et lutter contre une concurrence mondiale de plus en plus agressive, d'appliquer sur des nouveaux produits dernière génération des taux de commissions différents 4,5 % (appareils Carat XS et Carat Sigmats) que ceux prévus pour les modèles anciens 6,5 % (Minipic Trio et Carat S), ne constitue pas une modification du contrat de travail, alors que le statut des représentants article VI prévoit:

"L'entreprise est libre d'inclure ou non les nouveaux produits dans le portefeuille confié au représentant... de cesser la commercialisation d'un produit".

Considérant que la nouvelle politique commerciale de l'entreprise, adoptée en 2003 avec la création d'une Filière Vente, ayant pour but de trouver de nouveaux clients, alors que le monopole de fait dont bénéficiait jusqu'à cette date la société Satas dans le domaine des appareils à affranchir ne pouvait plus perdurer, imposait la mise sur le marché de nouveaux produits plus chers mais plus performants et donc l'adaptation chaque année des PRV à tous les commerciaux, VRP ou pas, Monsieur Maugendre ne peut donc soutenir qu'il a été l'objet d'une discrimination par rapport à ses collègues de la force de vente.

Considérant, enfin, que Monsieur Maugendre s'abstient prudemment de produire aux débats ses déclarations fiscales de revenus au titre des années 2003 à 2005, documents qui permettraient de vérifier que ses revenus résultant de son activité de VRP ont notablement baissé à la suite de la politique de l'entreprise adoptée au titre des années 2005 et 2006.

Mise en place d'une équipe de télévendeur

Considérant que la décision de la société de mettre en place une équipe de télévendeurs avait pour objet non pas de concurrencer les VRP sur leur secteur de prospection mais de fidéliser les clients qui envisageraient de résilier leur contrat d'abonnement pour aller à la concurrence et donc de maintenir le parc existant, en compensation il était prévu de verser au commercial du secteur 50 % de la prime de reprise de résiliation, en plus le VRP n'ayant pas l'exclusivité de la représentation sur leur secteur article V des statuts, la société avait la possibilité de charger un autre agent de la représenter sur le secteur, donc d'implanter des télévendeurs.

Mise en place d'une équipe

Considérant qu'à la suite d'un contrôle de la DGCCRF (Direction de la Concurrence et de la Répression des Fraudes) qui avait constaté des irrégularités quant au taux constant des loyers sur certains produits, la société SATAS a été mise en demeure de modifier ses tarifs de location qui devaient désormais être dégressifs, il en résulte que nécessairement le taux de commissionnement des commerciaux devaient également être revus à la baisse, ce qui a été réalisé en 2006, cette modification s'imposant à la société et à l'ensemble des commerciaux.

Plans de Rémunération Variables 2005 et 2006

Considérant que Monsieur Maugendre, alors qu'il venait de saisir le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation de son contrat de travail en octobre 2004, n'a pas vraiment contesté le PRV qui lui a été proposé quelque semaines avant pour la période du 1er septembre au 31 décembre 2004, si après avoir signé l'avenant à son contrat de travail le 30 juillet 2004 qui fixait le taux de commission pour les nouveaux appareils Carat XS et Carat Sygma à 4,5 %, il y a apposé une clause de style émettant des réserves sur sa capacité à réaliser les objectifs, il ne justifie pas ne pas les avoir effectués; son argument ne peut qu'être rejeté.

Que s'agissant du PRV 2005, qui n'a pas été signé ni approuvé par ce VRP, il convient de constater que les conditions et les objectifs retenus par la société étaient les mêmes que ceux de 2004; qu'en outre, pendant toute l'année 2005, Monsieur Maugendre a poursuivi son activité sans manifester la moindre réserve et son employeur ne lui a pas reproché une insuffisance de résultat ou la non-réalisation des objectifs.

Considérant que les conditions du PRV 2006 n'ayant pas encore été soumis à l'approbation de Monsieur Maugendre à la date où il a démissionné de l'entreprise (31 octobre 2006), il ne peut soutenir que c'est pour ce motif qu'il a quitté l'entreprise.

Atteinte à son statut de salarié protégé

Considérant que Monsieur Maugendre, qui cumulait plusieurs mandats représentatifs avec la fonction de Conseiller Prud'homal au Conseil de prud'hommes de Rennes, étant donc particulièrement averti de ses droits et de la protection spécifique dont il jouissait, jusqu'à la fin de son contrat de travail résultant de sa décision de prendre sa retraite le 31 janvier 2006, n'a jamais saisi l'inspection du travail pour se plaindre de l'attitude de son employeur et faire constater qu'il était victime d'une discrimination salariale en relation avec ses mandats ou d'une entrave à leur exercice, alors qu'à sa demande pour lui permettre d'exercer pleinement ses mandats par avenant accepté le 30 juillet 2004, l'employeur a réduit son secteur et ses objectifs, il n'y a pas eu atteinte aux dispositions de l'article L. 514-1 du Code du travail et violation de la procédure de licenciement, puisque la rupture résulte d'une démission.

Sur les pratiques commerciales illicites de la société

Considérant qu'il n'appartient pas à Monsieur Maugendre de faire éventuellement sanctionner par une juridiction prud'homale le comportement qu'il qualifie "d'illicite" de la société Satas qui n'aurait pas respecté les règles de la concurrence commerciale en pratiquant des ventes forcées, compétence de l'Administration (DGCCRF) et éventuellement des juridictions commerciales ou pénales.

Considérant qu'en prenant l'initiative de saisir en octobre 2004 le Conseil de prud'hommes de Fougères en résiliation judiciaire de son contrat, Monsieur Maugendre estimait ne plus pouvoir poursuivre sa relation de travail avec la société Satas; or, il a poursuivi son activité de VRP jusqu'au 31 janvier 2006, date où il pouvait prétendre faire valoir ses droits à la retraite à taux plein.

Qu'en réalité, le 31 janvier 2006, Monsieur Maugendre a décidé d'arrêter son activité professionnelle pour prendre sa retraite dès le 1er février 2006, ainsi que cela est vérifié par les documents versés aux débats par l'employeur; qu'en saisissant le conseil de prud'hommes puis la cour, il entendait cumuler ses droits résultant de ce choix et l'éventuel bénéfice d'une rupture pour faute de l'employeur pour laquelle il réclame la somme non négligeable de 230 040 euro.

En conséquence, il sera débouté de sa demande tendant à faire juger que sa démission est imputable à la faute de son employeur.

Sur l'indemnité de non-concurrence

Considérant que la cour, comme le conseil de prud'hommes, ayant rejeté la demande du salarié tendant à imputer la rupture du contrat de travail à la faute de l'employeur, Monsieur Maugendre ayant décidé de prendre sa retraite, ce qui constitue une démission, il lui est désormais interdit d'exercer une activité professionnelle rémunérée et ne peut prétendre au versement d'une indemnité de non-concurrence, dont l'objet est de réparer le préjudice résultant de la perte ou de la difficulté à retrouver un emploi pour l'avenir du fait d'un licenciement, ce qui n'est pas le cas.

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, Dit que la rupture du contrat de travail de Monsieur Maugendre résulte de sa démission du 31 janvier 2006 et de sa mise à la retraite du 1er février 2006 ; Le déboute de toutes ses demandes ; Confirme le jugement du 14 septembre 2005 dans toutes ses dispositions ; Condamne Monsieur Maugendre aux dépens.