Livv
Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 19 décembre 2006, n° 05-06391

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Saint-Nazaire Immobilier (SARL)

Défendeur :

Pichard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Guillanton

Conseillers :

Mmes Cocchiello, Jeannesson

Avoués :

SCP Bazille Genicon, SCP Gauvain & Demidoff

Avocats :

Mes Caron, Catoni

TGI Saint-Nazaire, du 5 sept. 2005

5 septembre 2005

I - Exposé du litige:

Madame Pichard a été engagée le 3 juillet 2000 auprès de la SARL Saint-Nazaire Immobilier en qualité d'agent commercial.

Le 19 août 2002, elle a été avisée par lettre recommandée que son contrat se trouvait résilié avec effet rétroactif au 5 août 2002.

Par acte du 11 avril 2003, Madame Pichard a fait assigner la SARL Saint-Nazaire Immobilier devant le Tribunal de grande instance de Saint-Nazaire aux fins notamment d'obtenir diverses sommes au titre de diverses indemnités et commissions.

Par jugement en date du 5 septembre 2005, le Tribunal de grande instance de Saint-Nazaire a:

- constaté que le contrat d'agence en date du 3 juillet 2000 a été résilié par la SARL Saint-Nazaire Immobilier à compter du 5 août 2002,

- dit que Madame SARL Saint-Nazaire Immobilier n'a commis aucune faute grave,

- débouté la SARL Saint-Nazaire Immobilier de sa demande de dommages et intérêts,

- condamné la SARL Saint-Nazaire Immobilier à payer à Madame Pichard la somme de 6 649,80 euro à titre d'indemnité de préavis, avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2003 et capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil,

- condamné la SARL Saint-Nazaire Immobilier à payer à Madame Pichard la somme de 48 245 euro à titre d'indemnité compensatrice de rupture, avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2003 et capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil,

- condamné la SARL Saint-Nazaire Immobilier à payer à Madame Pichard la somme de 12 543,89 euro à titre d'indemnité complémentaire pour incidence fiscale, avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2003 et capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil,

- débouté Madame Pichard de sa demande en paiement de commissions,

- condamné la SARL Saint-Nazaire Immobilier à payer à Madame Pichard des frais irrépétibles et ordonné l'exécution provisoire du jugement.

La SARL Saint-Nazaire Immobilier a régulièrement interjeté appel de cette décision le 29 septembre 2005.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées le 27 mars 2006 pour la SARL Saint-Nazaire Immobilier et le 24 octobre 2006 pour Madame Pichard.

II - Motifs:

La SARL Saint-Nazaire Immobilier conclut à la réformation du jugement et sollicite de:

- débouter Madame Pichard de ses demandes,

- dire et juger la procédure de Madame Pichard totalement abusive et de la condamner à lui payer la somme de 7 623 euro à titre de dommages et intérêts,

- condamner Madame Pichard à lui payer la somme de 18 896,11 euro au titre des commissions indûment perçues,

- condamner Madame Pichard à lui payer des frais irrépétibles et à payer les dépens,

- subsidiairement,

- réduire dans de très importantes proportions l'indemnité sollicitée par Madame Pichard,

- dire et juger que l'octroi d'une indemnité ne lui donne pas droit à une indemnité de préavis,

- débouter Madame Pichard de sa demande d'indemnité spéciale pour compenser l'incidence fiscale.

Madame Pichard demande de:

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- y ajoutant,

- condamner la SARL Saint-Nazaire Immobilier à lui payer la somme de 2 286,68 euro TTC,

- ordonner la production par la SARL Saint-Nazaire Immobilier des mandats Lanchon et Joseph n° 376,

- condamner la SARL Saint-Nazaire Immobilier à lui payer la somme de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamner la SARL Saint-Nazaire Immobilier aux dépens.

Sur la rupture des relations contractuelles:

La SARL Saint-Nazaire Immobilier soutient que seul le gérant, Monsieur Siar avait qualité pour rompre le contrat et qu'après avoir pris connaissance de la prétendue lettre de rupture, il a indiqué à Madame Pichard que sa collaboration n'était pas interrompue.

Madame Pichard fait valoir que la SARL Saint-Nazaire Immobilier est en fait dirigée et animée par Messieurs Sachot et Grillas ses deux principaux actionnaires et qu'en vertu du mandat apparent, l'initiative de la rupture appartient à la SARL Saint-Nazaire Immobilier.

Les statuts de la SARL Saint-Nazaire Immobilier établis le 28 janvier 2000 et enregistrés le 1er février 2000 font apparaître que deux associés, Messieurs Sachot et Grillas détiennent chacun 749 parts sociales et que Monsieur Siar est propriétaire de deux parts. Monsieur Siar n'est pas nommé gérant statutaire.

Le 3 juillet 2000, la SARL Saint-Nazaire Immobilier "représentée par le gérant, Monsieur Lionel Sagot" a conclu un contrat d'agent commercial avec Madame Angeline Pichard. Monsieur Sagot a signé ce contrat en qualité de gérant de la société.

Il n'est produit aux débats aucune pièce permettant de constater que Monsieur Siar est devenu gérant de la SARL Saint-Nazaire Immobilier. Cependant, Madame Pichard ne conteste pas ce fait. En tout état de cause, le nom de Monsieur Sagot n'apparaît plus postérieurement à la date de signature du contrat.

Il n'est pas discuté par la SARL Saint-Nazaire Immobilier qu'elle est animée par Messieurs Sachot et Grillas et que Monsieur Siar n'y exerce pas d'activité professionnelle, ce qui est avéré par le fait que ce n'est que le 5 novembre 2002 qu'il sera informé par Madame Pichard de la lettre de rupture du 19 août 2002, sans s'être inquiété de l'absence de celle-ci pendant trois mois. En vertu de la théorie du mandat apparent, la lettre de rupture à en-tête de la SARL Saint-Nazaire Immobilier et signée "pour le gérant" de Messieurs Sachot et Grillas pouvait légitimement faire croire à Madame Pichard qu'ils avaient le pouvoir de mettre fin à son contrat puisque Monsieur Sagot qui l'avait embauchée pour la société n'était manifestement plus présent et que les deux associés animaient en fait la société.

La lettre recommandée avec accusé de réception en date du 19 août 2002 prévoit que la résiliation du contrat prend effet au 5 août 2002.

Dans ces conditions, la rupture du contrat est valablement intervenue à l'initiative de la SARL Saint-Nazaire Immobilier au 5 août 2002.

Sur la faute grave de Madame Pichard:

L'article 134-13 du Code de commerce dispose que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent.

La faute grave est celle qui porte atteinte à la finalité commune d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel.

Aux termes de l'article L. 134-3 du Code de commerce, l'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandants. Toutefois, il ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans accord de ce dernier.

Le contrat d'agent commercial signé par Madame Pichard prévoit que l'agent peut travailler sous quelque forme que ce soit pour tout autre établissement, sans avoir à demander l'autorisation, ne relevant pas de l'activité de l'agence SARL Saint-Nazaire Immobilier. Toutefois, il ne peut accepter la représentation d'entreprise concurrente à celle de l'agence SARL Saint-Nazaire Immobilier et traiter pour son compte des opérations d'achat et de vente de biens immobiliers et commerciaux.

Il est également stipulé que l'agent commercial exercera principalement son activité sur Saint-Nazaire, Trignac et Montoir et qu' "En cas de rupture du présent contrat, à quelque époque et pour quelque cause que ce soit, l'agent commercial s'interdit d'exercer des activités similaires soit directement, soit indirectement, pendant une durée de six mois." Cette clause de non-concurrence n'est applicable qu'après la rupture du contrat et concerne, en application de l'article L. 134-14 du Code de commerce, le secteur géographique susmentionné.

Il est avéré, selon attestation faite sur papier à l'en-tête de Cap Océan immobilier, en date du 17 septembre 2003, établie et signée par Madame Virginie Le Barillec, gérante de la société Cap Océan Immobilier, inscrite au RC de Saint-Nazaire sous le numéro B 435 154 521 dont le siège social est 17 avenue Lajarrige à La Baule, que Madame Pichard a été, avec Madame Raffin, sous contrat d'agent commercial de ladite société du 2 septembre 2002 au 7 juin 2003 et qu'avant la signature du contrat et à compter du 26 juin 2002, elle a, avec Madame Raffin, rentré 5 mandats de vente et un mandat de recherche le 31 juillet 2002 qui s'est conclu par une vente. Madame Le Barillec a signé cette attestation "pour valoir ce que de droit" démontrant ainsi sa volonté non équivoque de faire valoir son attestation comme preuve.

Madame Pichard souligne que l'attestation n'est pas conforme à l'article 202 du nouveau Code de procédure civile. Néanmoins, les règles de l'article 202 de ce Code ne sont pas prescrites à peine de nullité et il n'est pas démontré que les irrégularités de l'attestation constituent l'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public faisant de plus grief à l'intimée. Madame Pichard affirme dans ses écritures ne pas avoir travaillé avant le 2 septembre 2002 pour la société Cap Immobilier mais, restée passive relativement à l'attestation de Madame Le Barillec, elle ne démontre aucunement ni même ne tente de démontrer que les faits relatés seraient faux, ne serait-ce que par une protestation écrite faite auprès de Madame Le Barillec ou par une demande de communication à la procédure des mandats rentrés en juin et juillet 2002, ce qui, en l'absence éventuelle de communication de ces pièces, aurait permis à la cour d'en tirer les conséquences. Dans ces conditions, l'attestation doit être retenue.

Madame Pichard a ainsi, sans autorisation de la SARL Saint-Nazaire Immobilier, travaillé à partir de juin 2006 pour le compte d'une agence dont l'activité est directement concurrente de celle de son mandant, la rupture du contrat n'ayant eu lieu que le 5 août 2002, étant observé que les villes de Saint-Nazaire et de La Baule sont sinon limitrophes, à tout le moins dans le même secteur géographique et que la société Cap Océan Immobilier prospecte sur le secteur de Saint-Nazaire ainsi que le démontre une délégation de mandat de celle-ci à la SARL Saint-Nazaire Immobilier en date du 29 mars 2004.

Madame Pichard a, ce faisant, manqué à son obligation de loyauté envers la SARL Saint-Nazaire Immobilier, allant à l'encontre du mandat d'intérêt commun signé entre les parties, et commis une faute grave au sens de l'article L. 134-13 du Code de commerce.

Le mandant peut toujours, même si elle s'est révélée postérieurement à la rupture du contrat, invoquer l'existence d'une faute commise antérieurement. Il ne ressort pas des courriers de Monsieur Siar postérieurs à la lettre du 19 août 2002 que la SARL Saint-Nazaire Immobilier ait eu connaissance antérieurement à cette date ou à cette date de la faute de Madame Pichard. Il ne peut donc être soutenu qu'en ne mentionnant pas la faute de Madame Pichard dans sa lettre de rupture, la SARL Saint-Nazaire Immobilier ait accepté et couvert la faute commise par son mandataire.

L'indemnité prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce n'est pas due, ni l'indemnité pour incidence fiscale et le jugement sera en conséquence réformé.

En application de l'article L. 134-11 dernier alinéa du Code de commerce, l'indemnité de préavis n'est pas due en cas de faute grave de l'une des parties. Madame Pichard sera également déboutée de ce chef de demande.

Sur le paiement des commissions:

Madame Pichard sollicite le paiement de commissions concernant les affaires Lanchon, André et Joseph. La SARL Saint-Nazaire Immobilier soutient qu'elle n'apporte aucune preuve à l'appui de ses demandes.

* affaire Lanchon : il ressort des documents produits que Madame Pichard travaillant avec Madame Raffin a rentré le mandat le 18 avril 2002 et que le bien a été vendu le 19 août 2002. La SARL Saint-Nazaire Immobilier ne discute pas la somme réclamée. Elle sera condamnée à payer à Madame Pichard la somme de 914,69 euro TTC.

* affaire Joseph : le mandat de vente n° 376 a manifestement été rempli par Madame Pichard. La SARL Saint-Nazaire Immobilier ne conteste d'ailleurs pas expressément ce mandat. La somme réclamée soit 1 143,37 euro TTC est due à l'intimée.

* affaire André : le mandat n° 108 n'est pas signé par Madame Pichard ou Madame Raffin. Il n'est pas contesté cependant par la SARL Saint-Nazaire Immobilier que Madame Pichard a rentré les mandats n° 82 et 83 antérieurs au n° 108. En application de l'article L. 134-6 du Code de commerce, la commission réclamée est due, soit 914,69 euro TTC.

La SARL Saint-Nazaire Immobilier sera en conséquence condamnée à payer à Madame Pichard la somme totale de 2 972,75 euro.

Sur les demandes de la SARL Saint-Nazaire Immobilier:

Le non-respect par Madame Pichard de la clause de non-concurrence insérée dans son contrat a nécessairement causé à la SARL Saint-Nazaire Immobilier un préjudice ne serait-ce que la perte de chance de rentrer des mandats pour son compte et non pour celui de la société Cap Immobilier. Il lui sera alloué la somme de 3 000 euro à ce titre.

S'agissant de la demande au titre des commissions trop perçues, la cour adopte expressément les motifs exacts en fait et en droit du premier juge et répondant en tous points aux conclusions des parties.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SARL Saint-Nazaire Immobilier les frais irrépétibles qu'elle a engagés pour faire valoir ses droits. Madame Pichard sera condamnée à lui payer la somme de 2 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Madame Pichard qui succombe à titre principal sera également condamnée aux dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement déféré, Dit que la rupture du contrat est valablement intervenue à l'initiative de la SARL Saint-Nazaire Immobilier au 5 août 2002, Dit que Madame Pichard a commis une faute grave justifiant le débouté de ses demandes d'indemnité de rupture, d'incidence fiscale et de préavis, Condamne la SARL Saint-Nazaire Immobilier à payer à Madame Pichard la somme de 2 972,75 euro au titre des commissions dues, Condamne Madame Pichard à payer à la SARL Saint-Nazaire Immobilier la somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts, Déboute la SARL Saint-Nazaire Immobilier de sa demande en répétition de l'indu, Condamne Madame Pichard à payer à la SARL Saint-Nazaire Immobilier la somme de 2 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne Madame Pichard aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.