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Décisions

TPICE, président, 14 novembre 2008, n° T-401/08 R

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Säveltäjäin Tekijänoikeustoimisto Teosto ry

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat :

Me Pokela

TPICE n° T-401/08 R

14 novembre 2008

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Antécédents et objet du litige

1 Par la présente demande en référé, la requérante, Säveltäjäin Tekijänoikeustoimisto Teosto ry, une société finlandaise de gestion collective de droits d'auteur, cherche à obtenir le sursis à l'exécution partielle de la décision C (2008) 3435 final de la Commission, du 16 juillet 2008, relative à une procédure d'application de l'article 81 CE et de l'article 53 de l'accord EEE (affaire COMP/C2/38.698 - CISAC) (ci-après la " décision attaquée ").

2 La décision attaquée concerne les conditions de gestion des droits d'exécution publique des œuvres musicales ainsi que d'octroi des licences correspondantes. Elle est adressée aux 24 sociétés de gestion collective établies dans l'Espace économique européen (EEE) qui sont membres de la Confédération internationale des sociétés d'auteurs et compositeurs (CISAC), parmi lesquelles figure la requérante.

3 Les sociétés de gestion collective membres de la CISAC et établies dans l'EEE (ci-après les " sociétés de gestion ") gèrent les droits que détiennent les auteurs (compositeurs, paroliers et arrangeurs) sur les œuvres musicales qu'ils ont créées. Ces droits comportent généralement le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire l'exploitation des œuvres protégées. C'est notamment le cas en ce qui concerne les droits d'exécution publique. Une société de gestion acquiert ces droits soit par cession directe des ayants droit originaux, soit par transmission de la part d'une autre société de gestion gérant les mêmes catégories de droits dans un autre pays de l'EEE, et concède au nom de ses membres (auteurs et éditeurs) des licences d'exploitation aux utilisateurs commerciaux, tels que les entreprises de radiodiffusion ou les organisateurs de spectacles.

4 La gestion des droits d'auteur implique pour chaque société de s'assurer que chaque ayant droit reçoive la rémunération qui lui est due pour les exploitations faites de ses œuvres, quel que soit le territoire sur lequel ces exploitations ont lieu, et de surveiller qu'aucune exploitation non autorisée d'œuvres protégées n'ait lieu. Le coût d'une telle surveillance est tel que les sociétés de gestion ont conclu entre elles des accords de représentation par lesquels elles se confient, sur une base réciproque, la gestion de leur répertoire sur leurs territoires d'exercice respectifs, afin d'éviter la multiplication des moyens de contrôle mis en place sur chaque territoire.

5 Dans ce contexte, la CISAC a élaboré un contrat type non contraignant dont la version initiale remonte à 1936 et qui doit être complété par les sociétés de gestion contractantes, notamment en ce qui concerne la définition du territoire d'exercice. Sur la base de ce contrat type, les sociétés de gestion ont constitué un réseau d'accords de représentation réciproque par lesquels elles s'accordent mutuellement le droit de concéder des licences. Ces accords couvrent non seulement l'exercice des droits pour les applications traditionnelles dites " off-line " (concerts, radio, discothèques, etc.), mais également l'exploitation par Internet, le satellite ou la retransmission par câble.

6 Du fait de ce réseau d'accords de représentation réciproque, chaque société de gestion collective est en mesure de concéder, sur son territoire d'exercice, les licences d'exécution publique d'œuvres musicales non seulement sur le répertoire de ses propres membres, mais également sur le répertoire de toutes les autres sociétés de gestion faisant partie du réseau (licences dites " multi-répertoires mono-territoriales "). Grâce au réseau créé par la conclusion de l'ensemble des accords de représentation réciproque, chaque société de gestion peut donc offrir un portefeuille global d'œuvres musicales aux utilisateurs commerciaux. Cela permet auxdits utilisateurs de bénéficier d'un accès à tous les répertoires auprès de la même société de gestion, à savoir la société établie dans le pays où les répertoires sont destinés à être exploités, sans avoir à solliciter une autorisation auprès de chaque société de gestion dont le répertoire est concerné par l'utilisation envisagée (" guichet unique ").

7 Lorsque les sociétés de gestion se font concéder par leurs auteurs membres le droit de gestion mondiale des droits d'utilisation et à condition qu'elles ne se cèdent pas leur répertoire de façon exclusive dans le cadre de leurs accords de représentation réciproque, elles sont habilitées, en dépit du réseau d'accords de représentation réciproque, à gérer elles-mêmes le répertoire de leurs propres membres également en dehors de leur propre territoire d'exercice (licences dites " mono-répertoires multi-territoriales ").

8 À cet égard, il ressort de la décision attaquée (considérant 193) que les sociétés de gestion du Royaume-Uni et allemande, la Performing Right Society (PRS) et la Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte (GEMA), ont créé une entreprise commune destinée à servir de " guichet unique " à l'échelle paneuropéenne pour concéder aux utilisateurs commerciaux établis dans tout pays de l'EEE des licences multi-territoriales sur les droits dits " on-line " et " mobiles " en ce qui concerne le répertoire anglo-américain de la société Electric & Musical Industries (EMI).

9 En 2000, RTL Group SA, un groupe de radio- et télédiffusion, a déposé auprès de la Commission une plainte contre une société de gestion membre de la CISAC pour dénoncer le refus par celle-ci de lui accorder, pour ses activités de radiodiffusion musicale, une licence à l'échelle communautaire. En 2003, Music Choice Europe Ltd, qui fournit des services de radiodiffusion et de télévision sur Internet, a déposé une seconde plainte, dirigée contre la CISAC et visant le contrat type de cette dernière. Ces plaintes ont amené la Commission à ouvrir une procédure d'application des règles communautaires de concurrence, qui a été close par l'adoption de la décision attaquée.

10 Dans la décision attaquée, la Commission conteste la légalité de certaines clauses contenues dans les accords de représentation réciproque, à savoir la clause d'affiliation des auteurs membres et la clause d'exclusivité, ainsi que celle de la pratique concertée des sociétés de gestion en ce qui concerne la délimitation territoriale du mandat d'octroi des licences, ayant comme résultat une exclusivité territoriale. Selon la Commission, ces clauses et cette pratique concertée sont contraires à l'article 81 CE.

11 S'agissant de la clause d'affiliation, l'article 11, paragraphe 2, du contrat type de la CISAC prévoit que les sociétés de gestion ne peuvent accepter comme membre un auteur déjà affilié à une autre société de gestion ou ayant la nationalité de l'un des pays dans lesquels une autre société de gestion exerçait son activité que sous certaines conditions. Selon la décision attaquée, un certain nombre de contrats bilatéraux contiennent toujours une telle clause, qui restreint la possibilité pour un auteur de devenir membre de la société de gestion de son choix ou d'être simultanément membre de plusieurs sociétés de gestion opérant au sein de l'EEE pour la gestion de ses droits dans différents territoires.

12 En ce qui concerne la clause d'exclusivité, l'article 1er, paragraphe 1, du contrat type de la CISAC prévoit que l'une des sociétés de gestion confère à l'autre le droit exclusif, sur les territoires où cette dernière opère, d'octroyer les autorisations nécessaires pour toute exécution publique. Selon la décision attaquée, cette clause - par laquelle les sociétés de gestion se garantiraient réciproquement un monopole sur leurs marchés nationaux pour l'octroi de licences " multi-répertoires " aux exploitants commerciaux - est encore présente dans les accords bilatéraux signés par 17 sociétés de gestion.

13 Il ressort de la décision attaquée que la CISAC et l'ensemble des sociétés de gestion auraient reconnu, lors de la procédure administrative devant la Commission, que ces deux clauses étaient anticoncurrentielles et injustifiées.

14 Quant à la prétendue pratique concertée relative à la délimitation territoriale, il ressort de la décision attaquée que chaque société de gestion limiterait, dans ses accords bilatéraux, le droit de délivrer des licences couvrant son répertoire au seul territoire national de l'autre société de gestion contractante. Dans la mesure où toutes les sociétés de gestion ont conclu des accords réciproques entre elles, chaque société de gestion aurait un portefeuille global d'œuvres et octroierait des licences couvrant l'utilisation de ce portefeuille global uniquement dans son propre pays.

15 Dans la décision attaquée, la Commission conteste la légalité de cette pratique concertée uniquement en ce qui concerne les modes d'exploitation par Internet, le satellite et la retransmission par câble, tandis que les modes d'exploitation dits " off-line " (concerts, radio, discothèques, bars, etc.) ne font pas l'objet de la décision attaquée. La Commission estime que, en raison de la pratique concertée, la concurrence est restreinte à deux niveaux : sur le marché des services d'administration que les sociétés de gestion s'offrent mutuellement et sur le marché de l'octroi des licences.

16 Selon la décision attaquée, ladite pratique concertée entraîne une délimitation systématique du territoire au niveau national, qui aurait été précédée de contacts et ne pourrait être expliquée par un prétendu besoin de proximité géographique entre la société de gestion qui délivre la licence et l'utilisateur commercial, car une présence locale ne serait pas nécessaire pour vérifier l'utilisation qui est faite de la licence dans le cadre d'une exploitation par Internet, le satellite ou la retransmission par câble. La pratique concertée ne serait pas davantage objectivement nécessaire pour assurer que les sociétés de gestion se donnent des mandats réciproques.

17 La Commission se limite à constater, dans le dispositif de la décision attaquée, les infractions décrites ci-dessus, sans infliger des amendes. Ce dispositif se lit comme suit :

" Article premier

Les [24] entreprises suivantes ont enfreint l'article 81 [CE] et l'article 53 de l'accord EEE en utilisant, dans leurs accords de représentation réciproque, les restrictions d'affiliation contenues à l'article 11 (II) du contrat type de la [CISAC] ('le contrat type de la CISAC') ou en appliquant de facto ces restrictions d'affiliation :

[...]

TEOSTO

[...]

Article 2

Les dix-sept entreprises suivantes ont enfreint l'article 81 [CE] et l'article 53 de l'accord EEE en conférant, dans leurs contrats de représentation réciproque, des droits exclusifs comme prévu à l'article 1[er] (I) et (II) du contrat type de la CISAC :

[...]

TEOSTO

[...]

Article 3

Les [24] entreprises suivantes ont enfreint l'article 81 [CE] et l'article 53 de l'accord EEE en coordonnant les délimitations territoriales de manière à restreindre la portée d'une licence au territoire national de chaque société de gestion collective :

[...]

TEOSTO

[...]

Article 4

1. Les entreprises visées aux articles 1er et 2 mettent immédiatement fin, si elles ne l'ont pas déjà fait, aux infractions visées auxdits articles et informent la Commission de toutes les mesures qu'elles ont prises à cette fin.

2. Les entreprises visées à l'article 3 mettent fin, dans un délai de cent vingt jours à compter de la date de notification de la présente décision, à l'infraction visée audit article et informent la Commission, dans le même délai, de toutes les mesures qu'elles ont prises à cette fin.

En particulier, les entreprises visées à l'article 3 devront revoir de manière bilatérale avec les autres entreprises visées à l'article 3 la portée territoriale de leurs mandats en ce qui concerne la retransmission par satellite et par câble et l'utilisation sur Internet dans chacun de leurs accords de représentation réciproque, et fournir à la Commission des copies des accords réexaminés.

3. Les destinataires de la présente décision s'abstiennent dorénavant de tout acte ou comportement décrit aux articles 1er, 2 et 3, ainsi que de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire.

Article 5

La Commission peut, à sa seule discrétion sur la base d'une demande raisonnée faite dans les temps par une ou plusieurs entreprises mentionnées à l'article 3, accorder une extension du délai prévu à l'article 4, paragraphe 2.

[...] "

Procédure et conclusions des parties

18 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 septembre 2008, la requérante a introduit un recours visant à l'annulation de la décision attaquée dans son intégralité.

19 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu'il plaise au président du Tribunal de surseoir à l'exécution des dispositions combinées de l'article 3 et de l'article 4, paragraphes 2 et 3, de la décision attaquée, en ce qu'elles s'appliquent à elle, jusqu'à ce que le Tribunal se soit prononcé sur le recours au principal.

20 Dans ses observations écrites sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 21 octobre 2008, la Commission conclut à ce qu'il plaise au président du Tribunal :

- rejeter la demande en référé ;

- condamner la requérante aux dépens.

En droit

21 En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE, d'une part, et de l'article 225, paragraphe 1, CE, d'autre part, le juge des référés peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution d'un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

22 L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes de mesures provisoires doivent spécifier l'objet du litige, les circonstances établissant l'urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s'il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu'ils sont urgents en ce sens qu'il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu'ils soient édictés et sortent leurs effets dès avant la décision au principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l'une d'elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C-268-96 P(R), Rec. p. I-4971, point 30].

23 En outre, dans le cadre de cet examen d'ensemble, le juge des référés dispose d'un large pouvoir d'appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l'espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l'ordre de cet examen, dès lors qu'aucune règle de droit communautaire ne lui impose un schéma d'analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C-149-95 P(R), Rec. p. I-2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C-459-06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

24 Enfin, il importe de souligner que l'article 242 CE pose le principe du caractère non suspensif des recours (ordonnance du président de la Cour du 25 juillet 2000, Pays-Bas/Parlement et Conseil, C-377-98 R, Rec. p. I-6229, point 44, et ordonnance du président du Tribunal du 28 juin 2000, Cho Yang Shipping/Commission, T-191-98 R II, Rec. p. II-2551, point 42). Ce n'est donc qu'à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l'exécution d'un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires.

25 Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu'il dispose de toutes les informations nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu'il soit utile d'entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

26 Dans les circonstances du cas d'espèce, il convient d'examiner d'abord si la condition de l'urgence est remplie.

Arguments des parties

27 La requérante fait valoir que la décision attaquée, en lui imposant une renégociation des délimitations territoriales de ses mandats, exige qu'elle adopte des mesures qui sont susceptibles de lui causer très vraisemblablement un préjudice irréversible, à elle comme à ses clients.

28 Elle estime que, dans la mesure où le recours au principal doit manifestement être déclaré fondé, la Commission ne peut pas l'obliger à procéder à la renégociation des délimitations territoriales de ses mandats dans le cadre de tous ses accords bilatéraux et à les modifier dans le sens qu'elle veut, dès lors que cela engendrerait un résultat contraire à celui inhérent à la logique du marché.

29 Si la délimitation territoriale des mandats était modifiée, des changements interviendraient en ce qui concerne la situation du marché, qui seraient très difficiles à modifier, voire irréversibles, et ce même si le Tribunal faisait droit au recours au principal et annulait la décision attaquée. Dans un tel cas, les clients de la requérante et les utilisateurs de musique subiraient un préjudice.

30 Selon la requérante, il y a urgence, car la Commission a exigé que les sociétés de gestion adoptent les mesures imposées dans un délai de 120 jours. Ce délai serait beaucoup trop court pour réaliser de grandes négociations contractuelles. En outre, de telles négociations engendreraient des coûts considérables à la charge de la requérante, lesquels seraient inutiles si la décision attaquée était ultérieurement annulée.

31 Dans la partie de la demande en référé consacrée au fumus boni juris, la requérante soutient encore que la décision attaquée peut également mettre en péril la préservation de la diversité culturelle sur le marché de la musique. En effet, si - après la désagrégation du système actuel des accords de représentation réciproque - les sociétés de gestion aspiraient à s'étendre dans la zone géographique la plus grande possible, elles viseraient vraisemblablement une sélection d'œuvres qui inclurait de la musique destinée au public le plus large possible et qui serait attrayante d'un point de vue commercial (catalogue shopping). Dans un tel cas, une musique plus originale et d'audience plus confidentielle, telle que la musique finlandaise, resterait vraisemblablement en dehors de la sélection. Selon la requérante, la rupture des chaînes de distribution de la musique finlandaise engendrerait des pertes financières pour elle et pour ses clients. La requérante ne ferait même plus son chiffre d'affaires actuel d'environ [confidentiel] (1) euro à l'étranger. Ceux qui souffriraient considérablement de la détérioration de la rentabilité générale de la requérante et de l'augmentation des prix des services seraient les auteurs finlandais composant de la musique destinée à un public restreint.

32 Dans ce contexte, la requérante fait valoir que sa position de " guichet unique ", offrant un répertoire multiple, se désagrègerait vraisemblablement si les autres sociétés de gestion s'octroyaient les unes aux autres des droits de donner en licence leurs répertoires sur le territoire finlandais également. Si les autres sociétés de gestion pouvaient diffuser leurs répertoires en Finlande sans conclure d'accord de représentation réciproque avec la requérante et si le répertoire de celle-ci, qui comporte principalement de la musique finlandaise, n'était pas un produit intéressant d'un point de vue commercial, les autres sociétés de gestion n'auraient aucun intérêt à conclure un accord de représentation réciproque avec elle. En l'absence d'accords de représentation réciproque, la requérante n'aurait pas le répertoire nécessaire pour servir de " guichet unique " et sa sélection serait restreinte à la musique finlandaise.

33 La Commission répond, en substance, que l'argumentation de la requérante repose sur une lecture erronée du dispositif de la décision attaquée. En tout état de cause, le préjudice invoqué serait de nature purement hypothétique et n'aurait aucunement été établi avec une probabilité suffisante. De plus, ce préjudice ne saurait être considéré comme irréparable, étant donné que rien n'empêcherait la requérante de prévoir, dans ses relations contractuelles avec d'autres sociétés de gestion, un retour à la situation censurée dans la décision attaquée, en cas d'annulation de celle-ci dans le cadre du litige au principal.

Appréciation du juge des référés

34 Selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d'une demande en référé doit s'apprécier par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement, afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. C'est à cette dernière qu'il appartient d'apporter la preuve qu'elle ne saurait attendre l'issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice de cette nature (voir ordonnance du président du Tribunal du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T-151-01 R, Rec. p. II-3295, point 187, et la jurisprudence citée).

35 En outre, le préjudice allégué doit être certain ou, à tout le moins, établi avec une probabilité suffisante, étant précisé que la partie requérante demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective de ce préjudice. Un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu'il est basé sur la survenance d'événements futurs et incertains, ne saurait justifier l'octroi des mesures provisoires [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C-335-99 P(R), Rec. p. I-8705, point 67 ; ordonnances du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Le Canne/Commission, T-241-00 R, Rec. p. II-37, point 37, et du 19 décembre 2001, Government of Gibraltar/Commission, T-195-01 R et T-207-01 R, Rec. p. II-3915, point 101].

36 En tout état de cause, la violation éventuelle du droit communautaire par un acte ne saurait suffire à établir, par elle-même, la gravité et le caractère irréparable d'un éventuel préjudice causé par cette violation [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 25 juin 1998, Antilles néerlandaises/Conseil, C-159-98 P(R), Rec. p. I-4147, point 62, et du 25 juillet 2000, Pays-Bas/Parlement et Conseil, C-377-98 R, Rec. p. I-6229, point 45].

37 Par conséquent, il ne suffit pas pour la requérante d'alléguer que son recours au principal est manifestement fondé en raison d'une violation flagrante du droit communautaire qu'aurait commise la Commission dans la décision attaquée pour établir la réunion des conditions de l'urgence, à savoir le caractère grave et irréparable du préjudice qui pourrait découler de cette violation, mais elle est tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d'un tel préjudice [voir, en ce sens, ordonnance HFB e.a./Commission, point 35 supra, point 67 ; ordonnances du président du Tribunal du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T-151-01 R, Rec. p. II-3295, point 188 ; du 25 juin 2002, B/Commission, T-34-02 R, Rec. p. II-2803, point 86, et du 7 juin 2007, IMS/Commission, T-346-06 R, Rec. p. II-1781, point 123, et la jurisprudence citée].

38 Dans la mesure où la requérante soutient que les dispositions incriminées risquent d'engendrer pour elle des coûts considérables ainsi que des pertes financières pour elle et pour ses clients, en ajoutant qu'elle ne ferait même plus son chiffre d'affaires actuel d'environ [confidentiel] euro à l'étranger, il suffit de constater qu'il s'agit là de simples suppositions qui ne sont étayées par aucune donnée chiffrée pertinente.

39 En effet, les seuls chiffres présentés par la requérante concernent le nombre de ses clients titulaires de droits d'auteur, à savoir environ 19 600, parmi lesquels environ 0,9 % d'auteurs étrangers, et environ deux millions de titulaires de droits étrangers par le biais des droits de concession de licences. La requérante ajoute que, en 2007, ses recettes perçues au titre des droits de représentation se sont élevées à [confidentiel] euro ([confidentiel] %), les recettes à l'étranger s'étant élevées à [confidentiel] euro ([confidentiel] %), sans toutefois fournir de précisions quant à la quote-part respective des activités dites " off-line " et " on-line ".

40 Ces chiffres ne sont pas de nature à établir le caractère grave du préjudice financier invoqué, puisqu'ils ne permettent pas d'évaluer l'étendue des pertes et des coûts appréhendés par la requérante en ce qui concerne ses activités dites " on-line " par rapport à son chiffre d'affaires global, toutes activités confondues. Au demeurant, il est de jurisprudence bien établie qu'un préjudice d'ordre financier ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu'il peut normalement faire l'objet d'une compensation financière ultérieure [ordonnance du président de la Cour du 11 avril 2001, Commission/Cambridge Healthcare Supplies, C-471-00 P(R), Rec. p. I-2865, point 113 ; ordonnance du président du Tribunal du 15 juin 2001, Bactria/Commission, T-339-00 R, Rec. p. II-1721, point 94].

41 L'argument tiré de la brièveté excessive du délai de révision fixé dans les dispositions incriminées ne saurait non plus être retenu. En effet, à l'article 5 de la décision attaquée, la Commission permet aux destinataires de celle-ci, en cas de difficulté, de lui demander une extension du délai de révision de 120 jours. Or, la requérante n'a pas fait valoir que la Commission avait rejeté une telle demande de sa part ou refusé de dialoguer avec elle en vue de résoudre d'éventuels problèmes d'exécution de son obligation de révision.

42 Si la requérante craint que la révision de ses accords de représentation réciproque, telle qu'imposée dans les dispositions incriminées, puisse conduire à des changements si profonds que sa propre position de " guichet unique " comme celle de la musique finlandaise, une musique originale et d'audience confidentielle, seraient compromises, au point de nuire à la diversité culturelle en soi, il y a lieu de constater que ces prévisions catastrophistes ne trouvent apparemment aucun fondement dans les dispositions incriminées.

43 À cet égard, il y a lieu de rappeler que les dispositions incriminées ne concernent les accords de représentation réciproque que dans la mesure où ces derniers visent la retransmission par le satellite et le câble ainsi que l'utilisation sur Internet. Or, selon la Commission, la requérante avait elle-même exposé, dans le cadre de la procédure administrative, que ces modes d'exploitation ne représentaient que [confidentiel] % de ses revenus globaux.

44 La requérante n'a, pour sa part, fourni aucune donnée chiffrée soit pour corriger, soit pour actualiser lesdites indications de la Commission, soit encore pour démontrer autrement la gravité du préjudice financier allégué. Si elle exprime la crainte de ne plus générer " son chiffre d'affaires actuel d'environ [confidentiel] euro à l'étranger ", elle a omis de préciser quelle était la quote-part correspondant à ses activités dites " on-line " dans cette somme et d'établir que ce dernier domaine d'activités représentait la très grande majorité de ses revenus. Cependant, une telle précision chiffrée, qui était du ressort de la requérante, aurait déjà dû figurer dans la demande en référé elle-même (ordonnances du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Stauner e.a./Parlement et Commission, T-236-00 R, Rec. p. II-15, point 34, et du 23 mai 2005, Dimos Ano Liosion e.a./Commission, T-85-05 R, Rec. p. II-1721, point 37).

45 De plus, la requérante a souligné que ce n'était nullement une pratique concertée, contrairement à ce que la Commission a considéré dans la décision attaquée, mais des considérations objectives légitimes liées à ses intérêts commerciaux qui l'avaient conduite à limiter le mandat conféré aux autres sociétés de gestion à leurs territoires nationaux respectifs. Or, dans la mesure où elle affirme ainsi que son comportement reposait non sur une concertation, mais sur son choix autonome exercé en fonction de ses intérêts économiques, il s'ensuit nécessairement que l'application immédiate de l'interdiction de la pratique concertée, au titre de l'article 4 de la décision attaquée, ne saurait avoir à cet égard l'impact catastrophique allégué.

46 Par ailleurs, s'agissant du résultat redouté de la révision des accords imposée à l'article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée, force est de constater que la Commission n'est pas habilitée à adopter des injonctions spécifiques en imposant aux sociétés de gestion un choix déterminé parmi plusieurs possibilités de conduite licites en ce qui concerne la révision en cause, comme par exemple l'abandon total ou la modification ponctuelle des accords de représentation réciproque (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T-24-90, Rec. p. II-2223, points 51 à 53). Il n'appartient donc pas à la Commission de décider de quelle façon ces accords doivent être libellés après leur révision.

47 Par conséquent, la requérante dispose, comme d'ailleurs chacune des autres sociétés de gestion, d'une liberté certaine en ce qui concerne la révision des accords en cause.

48 À cet égard, la Commission a indiqué, dans la décision attaquée, dont le dispositif doit être interprété à la lumière de ses considérants (arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission, C-91-01, Rec. p. I-4355, point 49), que cette dernière offrait aux sociétés de gestion la possibilité d'adapter le système des accords de représentation réciproque aux besoins de l'environnement dit " on-line " et, ce faisant, de le rendre plus attractif pour les ayants droit et les utilisateurs. La Commission a souligné, dans la décision attaquée, qu'elle n'interdisait pas le système de ces accords en tant que tel ni n'empêchait les sociétés de gestion de pratiquer certaines limitations territoriales, mais qu'elle contestait le caractère coordonné de l'approche adoptée à cet effet par l'ensemble de ces sociétés. Ainsi, selon la décision attaquée, la concession d'une licence limitée à un territoire donné ne restreint pas, en soi, la concurrence, le donneur de licence pouvant limiter celle-ci à un territoire déterminé sans violer l'article 81, paragraphe 1, CE (voir, notamment, les considérants 95, 201 et 215).

49 C'est donc à juste titre que la Commission soutient que la révision des accords de représentations réciproque peut impliquer des modifications importantes ou non dans la délimitation territoriale du mandat, la décision attaquée laissant en grande partie aux entreprises le choix de la manière de mettre fin à l'infraction.

50 Au demeurant, la requérante a souligné que chaque société de gestion était plus à même de gérer convenablement ses droits sur le territoire où elle était établie, compte tenu du fait qu'elle nouait les liens les plus étroits possibles avec les utilisateurs de musique, et ce en précisant que de nombreuses autres sociétés de gestion étaient parvenues à la même conclusion. En effet, la logique du marché dans l'environnement dit " on-line " serait telle que les opérateurs qui destinent un contenu à une zone linguistique et culturelle déterminée s'adresseraient d'abord à une société de gestion qui se trouve dans leur pays. Selon la requérante, il s'agit là de l'alternative la plus logique, qui garantit le mieux les intérêts des titulaires de droits, de sorte qu'il est " naturel que les autres sociétés de gestion [...] soient parvenues à la même conclusion par elles-mêmes sans avoir effectué la moindre coordination ".

51 Or, cette argumentation de la requérante est manifestement en contradiction avec sa thèse selon laquelle la révision des accords de représentation réciproque conduirait inévitablement à son exclusion et à celle de la musique qu'elle représente.

52 Il s'ensuit que, à défaut d'éléments concrets apportés par la requérante, la simple assertion relative à la désagrégation de sa position de " guichet unique " et de celle de la musique finlandaise tout entière, qui porterait atteinte à la diversité culturelle, pas plus que son allégation tenant au préjudice financier grave en résultant, ne justifie pas de suspendre l'exécution de la décision attaquée.

53 À titre surabondant, il n'est pas sans intérêt d'observer que, à la date du 14 novembre 2008, c'est-à-dire une semaine avant l'expiration du délai de 120 jours fixé à l'article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée, la majorité des 24 sociétés de gestion destinataires de la décision attaquée - parmi lesquelles se trouvent des sociétés qui, tout comme la requérante, représentent une musique nationale originale et d'audience confidentielle - n'avaient pas saisi le juge des référés, ce qui semble également remettre en cause les prévisions catastrophistes décrites par la requérante dans l'hypothèse où la présente demande en référé serait rejetée.

54 Enfin, dans la mesure où la requérante estime que le préjudice invoqué serait irréparable, au motif que la modification imposée des accords de représentation réciproque serait contraire à la logique du marché et entraînerait des changements irréversibles même en cas d'annulation de la décision attaquée par le juge du fond, force est de constater que ces affirmations ne sont étayées par aucun élément de preuve.

55 En particulier, la requérante n'a pas précisé, et encore moins démontré, pour quelle raison il lui serait impossible, à la suite de l'annulation de la décision attaquée, de modifier à nouveau ses accords révisés de représentation réciproque ou de prévoir, d'ores et déjà, une telle modification. Elle s'est, notamment, abstenue d'expliquer pourquoi les autres sociétés de gestion s'opposeraient à son éventuelle demande de réintroduction du système actuel. En fondant ainsi son argumentation sur une interprétation anticipée de la réaction de ses cocontractants, la requérante invoque un préjudice purement hypothétique, qui ne saurait justifier l'octroi du sursis à exécution demandé (voir, en ce sens, ordonnance Government of Gibraltar/Commission, point 35 supra, point 101).

56 Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée pour défaut d'urgence, sans qu'il soit besoin d'examiner si les autres conditions d'octroi du sursis à exécution sollicité, notamment celle de l'éventuelle existence d'un fumus boni juris, sont remplies.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1) La demande en référé est rejetée.

2) Les dépens sont réservés.