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Décisions

Conseil Conc., 20 novembre 2008, n° 08-D-27

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre par la société Total France, sur le marché de la commercialisation de produits pétroliers raffinés dans le Sud de la France

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Mac Namara, par Mme Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mme Mader-Saussaye, M. Combe, membres.

Conseil Conc. n° 08-D-27

20 novembre 2008

Le Conseil de la concurrence (section IV),

Vu la lettre enregistrée le 22 avril 2003, sous le numéro 03/0031 F, par laquelle la société Dyneff a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Total France ; Vu l'article 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les observations présentées par les sociétés Dyneff, Total France et par le commissaire du Gouvernement ; Vu la décision n° 03-D-41 du 4 août 2003 du Conseil de la Concurrence ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Dyneff et Total France entendus lors de la séance du 14 octobre 2008 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

1. DYNEFF

1. Créée en 1958, la société Dyneff est une société spécialisée dans la commercialisation de produits pétroliers dans le Sud de la France. Elle est le premier opérateur indépendant dans la distribution de ces produits et réalise un chiffre d'affaires annuel d'environ 2,3 milliards d'euro.

2. La société Dyneff a été rachetée en 2006 par le groupe néerlandais Rompetrol, groupe pétrolier indépendant originaire de Roumanie, principalement actif dans les domaines du raffinage, du trading et de la distribution de produits pétroliers. Le groupe Rompetrol réalisait en 2006 un chiffre d'affaires d'environ 5 milliards d'euro.

3. En août 2007, 75 % des actions de la société Rompetrol ont été rachetés pour 2,7 milliards de dollars par la société KazMunayGaz, société originaire du Kazakhstan.

4. Dyneff est propriétaire sur la zone de Port la Nouvelle (11210 - Aude) d'un dépôt de 28 000 m3. Elle détient également, via sa filiale DPPLN qu'elle contrôle à 100 %, un dépôt de 133 000 m3. Ces dépôts ont été acquis en 2000 et 2001 à la suite des opérations de concentration Total France/Fina et Total France-Fina/Elf, Total France puis Total France-Fina s'étant engagées auprès de la Commission Européenne1 à céder deux dépôts de stockage sur le port de Port la Nouvelle afin de remédier aux effets anticoncurrentiels de ces opérations de concentration sur le marché du stockage dans cette zone.

2. TOTAL FRANCE

5. Total France est la filiale française de la branche Raffinage Marketing du groupe Total, lequel exerce ses activités dans les domaines de la production de pétrole et de gaz, du raffinage, de la distribution de produits pétroliers, de la pétrochimie et de la chimie de spécialités.

6. Total France est présente à Port la Nouvelle via la société SARAM, filiale à 100 % de Total France et propriétaire du sea-line. Le sea-line est une plateforme en mer située à deux kilomètres des côtes reliée par pipe aux dépôts de stockage de Port La Nouvelle depuis 1968. Elle exploite cette infrastructure dans le cadre d'une autorisation administrative.

7. Le 1er août 2005, Total France a prononcé la dissolution anticipée de la société SARAM dont elle était l'unique actionnaire, avec transmission universelle de son patrimoine. Total France vient donc aux droits et obligations de SARAM depuis cette date.

8. Total France est, en outre, propriétaire et exploitante à Port la Nouvelle d'un dépôt de produits pétroliers raffinés d'une capacité de 136 000 m3.

9. Suivant l'extrait d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés du 12 octobre 2008, Total France a modifié sa dénomination sociale. Elle se dénomme " Total Raffinage Marketing ".

B. LES PRATIQUES DENONCÉES

10. Le 22 avril 2003, la société Dyneff, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par Total France et certaines de ses filiales dont les sociétés SARAM, DPA et SPBA, sur divers marchés afférents à la commercialisation de produits pétroliers raffinés sur les zones de Bordeaux et Port La Nouvelle, et qu'elle estimait anticoncurrentielles au regard de l'article L. 420-2 1° du Code de commerce et de l'article 82 du traité instituant la Communauté européenne.

11. Sur la zone de Bordeaux, Dyneff estimait que Total France, via ses filiales SPBA et DPA, avait refusé, de manière abusive, de lui louer des capacités de stockage sans raison objective et dans le seul but de l'écarter du marché du stockage et des marchés aval de la distribution sur la zone de Bordeaux, afin de protéger la situation concurrentielle de Total France. En outre, Dyneff reprochait à DPA de persister dans son refus de lui louer des capacités de stockage de fioul lourd depuis le 6 janvier 2003 et demandait donc au Conseil de la concurrence de prendre une mesure conservatoire afin de contraindre DPA à lui louer des capacités de stockage de fioul lourd.

12. Sur la zone de Port la Nouvelle, la société Dyneff a acquis en 2000 et 2001 deux dépôts de stockage. Ces dépôts de stockage sont approvisionnés par voie d'importation en utilisant soit une darse pétrolière sur laquelle peuvent accoster des barges de faible tonnage (13 000 tonnes), soit un sea-line sur lequel peuvent accoster des bateaux de fort tonnage (30 000 tonnes). Ce sea-line créé en 1968 par la société des Carburants Sud Ouest, filiale à 100 % du groupe ELF, exige pour être exploité une autorisation d'outillage privé avec obligation de service public (AOP-OSP) accordée par le préfet de l'Aude. Cette AOP-OSP a permis à cette société d'utiliser le sea-line pour ses propres besoins sous réserve de le mettre à disposition du public lorsqu'elle n'en faisait pas usage elle-même dans les conditions fixées par un cahier des charges. Renouvelée plusieurs fois, l'autorisation a été transférée à la SARAM, autre filiale à 100 % d'Elf le 17 mars 1993.

13. Souhaitant pérenniser son accès au sea-line, Dyneff a engagé dès novembre 2000 des négociations avec Total France France, SARAM, le service maritime de navigation du Languedoc-Roussillon (SMNLR), le préfet de l'Aude et la DGCCRF. Il a été convenu que ces sociétés concluraient un accord visant à créer une structure commune Total France/Dyneff chargée d'exploiter le sea-line de Port La Nouvelle.

14. Mais les négociations n'ont pas abouti de sorte que le préfet de l'Aude n'a pas renouvelé l'AOP-OSP dont bénéficiait SARAM : le sea-line a été fermé le 1er juillet 2002. Il a été rouvert en novembre 2005 après qu'une nouvelle AOP-OSP d'une durée renouvelable de douze ans a été accordée à SARAM le 15 décembre 2004 et après l'exécution des travaux imposés par le cahier des charges annexé à cette autorisation.

15. Dyneff a dénoncé dans sa saisine des manœuvres dilatoires de Total France pour bloquer les négociations relatives à la reprise conjointe du sea-line de Port la Nouvelle. Elle estimait par ailleurs avoir été privée d'une infrastructure essentielle à son activité que représentait le sea-line de Port la Nouvelle, dans la mesure où elle n'avait pu, à compter du 1er juillet 2002, procéder à des importations de produits pétroliers (en particulier des distillats) au moyen de bateaux de fort tonnage ce qui représentait, pour la saisissante un surcoût de 5 euro par tonne importée et la désavantageait considérablement par rapport à Total France qui disposait de la possibilité de s'approvisionner par bateaux de fort tonnage grâce à son dépôt de Sète, situé à quelques kilomètres de Port la Nouvelle.

16. Par décision n° 03-D-41 du 4 août 2003, le Conseil de la concurrence a rejeté les mesures conservatoires demandées par Dyneff ainsi que sa saisine au fond en tant qu'elle visait des refus de louer des capacités de stockage pour le fioul lourd et les distillats sur la zone de Bordeaux.

17. S'agissant des pratiques mises en œuvre sur la zone de Port la Nouvelle, le Conseil a fait une distinction entre d'une part, les manœuvres dilatoires concernant la reprise conjointe du sea-line de Port la Nouvelle et d'autre part, le refus d'accès à une infrastructure essentielle, le sea-line de Port la Nouvelle.

18. Sur le deuxième point, le Conseil n'a pas considéré que le sea-line de Port la Nouvelle constituait une infrastructure essentielle. Le Conseil a en effet observé2 que " la fermeture du sea-line en 2002 n'a pas empêché Dyneff de trouver une solution alternative à son approvisionnement par voie d'importation malgré le surcoût éventuel qu'implique l'utilisation de barges de faible tonnage accostant sur la darse pétrolière de Port La Nouvelle. En tout état de cause, la diminution des importations sur le second semestre 2002 est de l'ordre de 6,4 %, de sorte que Dyneff n'apporte pas suffisamment d'éléments probants de nature à démontrer que le sea-line de Port La Nouvelle est une infrastructure essentielle et qu'elle ne dispose d'aucun autre moyen alternatif de s'approvisionner par voie d'importation. Dans ces conditions, Dyneff ne saurait valablement invoquer l'argument selon lequel Total France et SARAM l'ont empêchée d'accéder à une infrastructure essentielle avant comme après le 1e juillet 2002 ".

19. Sur le premier point, le Conseil a estimé nécessaire l'instruction au fond des pratiques relatives aux prétendues manœuvres dilatoires de Total France portant sur la reprise conjointe du sea-line de Port la Nouvelle : " Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il n'est pas exclu que Total France et SARAM aient adopté une attitude dilatoire qui, sous réserve d'une instruction au fond, puisse être constitutive d'un abus de position dominante sur le marché du stockage de produits pétroliers ou sur le marché plus restreint du stockage de produits pétroliers importés sur la zone de Port La Nouvelle au sens de l'article L. 420-2 1° du Code de commerce et de l'article 82 du traité de Rome. La saisine de Dyneff relative aux pratiques relevées sur la zone de Port La Nouvelle doit être déclarée recevable ".

20. Dans sa saisine, Dyneff reprochait à Total France, d'avoir, via SARAM, fait obstacle par des procédés dilatoires à la reprise conjointe du sea-line de Port La Nouvelle, alors que le préfet de l'Aude avait conditionné le renouvellement de l'AOP-OSP concernant le sea-line à la création de cette structure commune aux deux entreprises, ce qui a entraîné la fermeture de l'installation, principal moyen d'approvisionnement de Dyneff en produits importés.

21. Dyneff dénonçait également les conditions dans lesquelles Total France et SARAM ont refusé le 27 mars 2002 l'accès au sea-line de Port La Nouvelle au bateau MT Mercure affrété par Dyneff au motif que ce refus d'accès était dû au " vetting " Total France, c'est-à-dire à la procédure de vérification et d'acceptation des bateaux accostant sur les infrastructures gérées par Total France et SARAM. Malgré les demandes de Dyneff en vue d'obtenir des informations sur les critères appliqués par Total France ou encore une liste actualisée des bateaux pouvant être affrétés par Dyneff, Total France a maintenu son refus d'expliciter ses critères de " vetting ", de sorte qu'elle pouvait ainsi choisir les fournisseurs de son principal concurrent de manière potentiellement discriminatoire. Par la suite, la société Dyneff a complété son grief en dénonçant le refus de déchargement d'un de ses navires, le M/T Mersk Rugen, que lui a opposé Total France en janvier 2006.

22. La société Dyneff, n'a pas présenté d'observations écrites ou orales en réponse à la proposition de non-lieu que lui a adressé la rapporteure.

II. Discussion

23. Aux termes de l'article L. 464-6 du Code de commerce " Lorsque aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure ".

A. SUR LE REFUS D'ACCUEILLIR LE MT MERCURE ET LE MT MAERSK RUGEN

24. Dans le cadre de l'enquête menée par les services de la DGCCRF, le commandant du port de Port la Nouvelle a défini la notion de " vetting " et précisé les usages en la matière : " Le vetting, c'est un contrôle interne effectué pour le compte de la société. Cela fait suite aux différents accidents pétroliers. Les sociétés font des inspections de vetting sur les navires. La société admet ensuite le bateau dans son vetting. Ils utilisent également les bases de données internationales. Total France va au delà de la réglementation dans certains cas. Le vetting est quelque chose de spécifique aux pétroliers. "

25. Le rapport d'enquête ajoute que : " le vetting est un contrôle interne à chaque opérateur pétrolier, dont l'appréciation est confidentielle et qui se superpose aux diverses réglementations internationales. Le pouvoir d'accès au port appartient au Commandant du port, mais un problème de responsabilité peut se poser s'il accepte un navire refusé par le vetting de l'opérateur pétrolier. La difficulté du vetting vient de son caractère confidentiel et propre à chaque compagnie. Ainsi, un même navire peut être accepté par le vetting d'une compagnie et refusé par celui d'une autre. "

26. Interrogée au cours de l'instruction devant le Conseil, Total France n'a pas souhaité dévoiler ses critères de vetting à la rapporteure : " aucun des majors ne donne ses règles de vetting car l'acceptation d'un navire est personnelle et engage la responsabilité de l'entreprise ". Total France justifie l'application de son " vetting " sur le sea-line de Port la Nouvelle par le fait qu'elle dispose seule de l'AOP-OSP et assume l'entière responsabilité si un accident se produit lorsqu'elle a donné l'accès à un pétrolier.

27. Ces éléments ont été confirmés par BP puisque son représentant a déclaré lors d'une audition par la rapporteure que : " la profession nous reconnaît comme étant les plus stricts dans l'application des règles d'inspection et d'acceptation des navires (...) BP ne met pas à disposition ses différents questionnaires [de vetting] (...) En tout état de cause, il n'existe aucune obligation de mettre à disposition ces informations qui peuvent rester confidentielles et qui dépendent des exigences de sécurité de chacun des opérateurs pétroliers. BP ne connaît pas les règles de vetting des autres pétroliers. Les résultats des inspections sont envoyés dans une base de données internationale : SIRE. Toutefois, les détails des inspections, des autorisations ou des refus ne sont pas communiqués. "

28. Enfin, les représentants de la société Dyneff sont informés par le règlement d'exploitation du sea-line établi par le SMNLR des caractéristiques auxquelles doivent répondre les navires pour accéder au poste d'amarrage et de la procédure de vetting applicable ainsi décrite :

" Pour obtenir l'accord d'accoster un navire au sea-line, nous avons à faire à un double vetting : celui de Total et celui de l'autorité portuaire de Port La Nouvelle. Lorsque nous avons un navire à nommer, il faut dans un premier temps faire une demande de vetting à Total et une nomination de navire à Total et à la Capitainerie de Port La Nouvelle. Nous envoyons donc une demande de vetting par fax au dépôt SARAM de Port La Nouvelle avec les informations suivantes :

Nom du navire / Pavillon / Année de construction / N° IMO / Port en Lourd / Port de chargement / Port de déchargement / Laycan de chargement / Laycan de déchargement / Type de cargaison / Type de contrat / Quantité.

Le dépôt SARAM rentre ces éléments dans un système interne à Total et attend une réponse du département vetting de Genève. Cette réponse nous est communiquée par fax et est également envoyée à la Capitainerie de Port La Nouvelle.

La Capitainerie de Port La Nouvelle attend la réponse du vetting de Total pour donner son feu vert pour le navire. Elle répond également par fax. "

29. Interrogés sur des refus éventuels, les représentants de la société Dyneff ont ensuite déclaré que plusieurs cas de figure avaient été rencontrés depuis la réouverture du sea-line. S'agissant du M/T Sealing, pour lequel une demande de " vetting " a été adressée à Total France le 30 novembre 2005 à 14 h 35, Dyneff a obtenu l'accord de Total France le même jour à 17 h 16. En revanche, Dyneff n'a obtenu l'accord de la capitainerie pour ce navire que le 2 décembre 2005. Ainsi, en décembre 2005, le M/T Sealing, qui avait été affrété par Dyneff a été admis presque immédiatement par Total France, alors que la capitainerie a refusé d'accueillir ce navire, le temps qu'elle obtienne des informations supplémentaires sur le navire.

30. S'agissant ensuite du M/T Maersk Rugen, Dyneff a adressé à Total France une demande de vetting le 12 janvier 2006. Plusieurs refus lui ont été opposés alors que la capitainerie avait donné son accord dès le 20 janvier 2006. Le navire a finalement été autorisé à décharger au sea-line le 20 février 2006 après l'intervention d'un vetteur neutre.

31. Cet incident reste néanmoins unique depuis la réouverture du sea-line. Présentées avant 16 h, les demandes de vetting ont toujours été accordées à Dyneff en moins de 6 heures : 2 h 41 pour le Sealing le 30 novembre 2005 ; 3 h15 pour le Iran Faez le 6 mars 2006 ; 33 minutes pour le Charente le 15 mai 2006 ; 5 h 10 pour le Castillo de Monterreal le 6 juin 2006. Présentées après 16 heures, les réponses de Total France sont transmises le lendemain matin vers 10 heures.

32. Ainsi, les éléments réunis au cours de l'enquête et de l'instruction ne permettent pas d'établir que le refus de Total France aurait été discriminatoire.

33. En effet, l'instruction a établi qu'il était d'usage que les compagnies pétrolières ne dévoilent pas leurs règles de " vetting " pour des raisons de sécurité et a souligné que les conditions d'acceptation des différents navires étaient propres à chaque compagnie.

34. Par ailleurs, il a été observé que, depuis la réouverture du sea-line, aucun incident nouveau n'a été signalé sachant que le sea-line est pour l'essentiel utilisé par Dyneff.

35. Replacés dans le contexte des usages des compagnies pétrolières ou du comportement même de la capitainerie de Port la Nouvelle, les refus temporaires de Total France n'apparaissent donc pas comme revêtant un caractère discriminatoire.

B. SUR LES CONDITIONS DE NÉGOCIATION RELATIVES AU RENOUVELLEMENT DE L'AOP-OSP DU SEA-LINE DE PORT LA NOUVELLE

36. Dans sa saisine, Dyneff reprochait à Total France, via SARAM, d'être à l'origine de manœuvres pour retarder la négociation relative à la reprise conjointe par Dyneff et Total France du sea-line de Port La Nouvelle.

37. Elle invoquait en particulier le délai mis pour répondre à la proposition de statuts pour une SAS formulée par Dyneff le 16 janvier 2001. Elle a fait valoir également que la réponse proposait que la société commune à créer confie un mandat d'exploitation du sea-line à SARAM ;

38. La saisissante critiquait en outre le fait :

- d'avoir retardé la réalisation d'un audit technique du sea-line indispensable pour définir les travaux à entreprendre et les conditions dans lesquelles il pourrait être cédé à la structure commune ainsi que d'avoir caché à Dyneff l'existence d'une grave avarie du sea-line survenue en 1989 ;

- d'avoir fait réaliser une contre-expertise technique par la société A HAK sous-traitant de la société ayant réalisé l'audit technique sans en avoir informé Dyneff ;

- d'avoir refusé de communiquer les données économiques permettant d'évaluer la valeur des immobilisations corporelles relatives aux installations du sea-line ;

- d'avoir informé le préfet de l'Aude, le 6 février 2003, de son intention de démonter les installations du sea-line si SARAM, seule, ne bénéficiait pas d'une nouvelle AOP-OSP.

39. Concomitamment au litige porté devant le Conseil, la société Dyneff a saisi en avril 2003 le tribunal de commerce de Narbonne d'une demande dirigée contre les sociétés Total France et SARAM tendant à la réparation du préjudice né de ces manœuvres qui avaient, selon elle, causé l'échec des négociations et constituaient un abus de position dominante de leur part.

40. Dans un jugement du 28 septembre 2005, le tribunal de commerce de Narbonne a jugé que l'abus dénoncé était constitué. Le tribunal a rejeté la demande de dommages et intérêts pour perte de chance de commercialisation de distillats de 2001 à 2005 mais condamné Total France et SARAM in solidum au paiement d'une somme de 300 000 € au titre des frais de négociations engagés en pure perte et ordonné une expertise pour la détermination du préjudice né de la " perte de chance de l'activité de stockage ".

41. Par un arrêt rendu le 24 avril 2007, la cour d'appel de Montpellier après avoir examiné les différents aspects de l'abus dénoncé a infirmé ce jugement et débouté Dyneff de sa demande.

42. L'autorité de la chose jugée par la cour d'appel ne peut pas être opposée dans la présente procédure car, pour qu'elle puisse être invoquée, il faut que la demande soit formée entre les mêmes parties, qu'elle ait le même fondement juridique et qu'elle ait le même objet. Or, les actions de la nature de celle introduite par la société Dyneff devant les instances judiciaires ont pour objet de trancher des litiges entre particuliers alors que les saisines du Conseil de la Concurrence ont pour but de qualifier des pratiques au regard des règles qui définissent l'ordre public économique et de sanctionner, le cas échéant, les atteintes à cet ordre public.

43. Cependant, il est loisible au Conseil de retenir des faits et constatations utilisés par la cour d'appel pour fonder sa décision et les apprécier au regard de la pratique dénoncée dans la présente procédure.

44. Ainsi, au terme d'une procédure contradictoire à laquelle ont été soumises les prétentions des parties, la cour d'appel a d'abord mis en évidence en reprenant la chronologie des différentes étapes de la négociation que, loin d'établir des atermoiements coupables de la part de Total France pendant une longue période, les discussions ont été menées globalement et relevé que Total France comme Dyneff ont pris des initiatives et formalisé leurs points de vue à l'intention soit l'une de l'autre, soit des autorités administratives. Elle a ensuite pris position sur les différents procédés dilatoires invoqués par Dyneff.

45. En premier lieu, le projet de statuts de la société commune transmis par Dyneff à l'autorité administrative n'a pas été laissé sans réponse par Total France qui a exigé notamment la reprise des investissements dans des conditions équitables et un délai de négociation suffisant et qui n'a pu se voir reprocher de ne pas avoir donné un aval inconditionnel à un projet qui a nécessité de nombreuses consultations au sein de l'administration en raison de la complexité du statut du sea-line et de l'installation. Par ailleurs, en proposant que dans la société commune, SARAM se voit conférer l'exploitation effective du sea-line, Total France se recommandait de l'expérience de cette dernière dans le domaine de la gestion et de la sécurité.

46. En deuxième lieu, l'examen des circonstances dans lesquelles il a été procédé à l'expertise technique puis au complément d'expertise n'a révélé aucune pression de la part de Total France qui, si elle n'a pas agi avec toute la transparence souhaitable lorsqu'elle a fait procéder au complément d'expertise, a permis de remettre en cause les conclusions initiales quant à la nécessité de changer intégralement une importante portion du sea-line. Par ailleurs, l'absence de révélation de la cause d'une première opération de remplacement d'un tronçon du sea-line est indifférente puisqu'il suffisait d'interroger l'expert sur l'existence de risques particuliers de détérioration ou de corrosion que les rapports déposés n'ont pas mis en évidence.

47. En troisième lieu, les renseignements réclamés par Dyneff pour apprécier la valeur de la " chose vendue " avaient peu d'utilité pour la détermination de la valeur vénale de l'installation que ne pouvait refléter la valeur comptable. Il était évident que la valeur vénale était fonction de la valeur à neuf, du montant des travaux à engager et de la durée de vie prévisible du sea-line réparé, tous éléments qui ne pouvaient être appréhendés qu'après l'aboutissement de l'audit technique.

48. En quatrième lieu, l'évocation du démontage du sea-line comme alternative à l'abandon des installations prévue par l'AOP-OSP n'a pas été une menace illégitime lorsque sont apparues les difficultés pour parvenir au renouvellement de l'AOP-OSP. Total France a d'ailleurs immédiatement informé l'administration de la rupture des négociations. Cette dernière a ensuite participé activement à la procédure de délivrance d'une nouvelle AOP-OSP qui ne lui a accordé aucune faveur caractérisée.

49. En conclusion, selon l'arrêt de la cour d'appel, aucune faute ou abus n'a été établi à l'encontre de Total France qui " s'est évertuée à laisser le sea-line ouvert le plus longtemps possible en sollicitant le renouvellement de l'AOP-OSP ".

50. En l'espèce, l'instruction menée par les services du Conseil n'a pas permis de réunir d'autres éléments à l'appui des pratiques dénoncées par la société saisissante.

51. Dans ses observations devant le Conseil, Total France a justifié les pratiques dénoncées par Dyneff en se référant aux constatations faites par la cour d'appel. De son côté, Dyneff n'a fait état d'aucun élément autre que ceux mentionnés dans sa saisine ni présenté d'observations sur le bien fondé de sa saisine au vu des constatations faites par la cour d'appel.

52. Il résulte de ce qui précède que les manœuvres dilatoires invoquées par la société Dyneff comme ayant fait obstacle à son principal moyen d'approvisionnement en produits importés ne sont pas démontrées. Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la nature des marchés affectés et sur l'éventuelle dominance de la société Total France sur ces marchés, l'abus de position dominante allégué n'est donc pas établi. Il y a lieu par conséquent, de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce.

Décision

Article unique : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.

1 aff. COMP/M1628 et COMP/M.1464.

2 Paragraphe 77 de la décision n° 03-D-41 du 4 août 2003.