CA Paris, 1re ch. H, 26 novembre 2008, n° 2008-00508
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique
Défendeur :
Laboratoire GlaxoSmithKline France (SAS), Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, Président du Conseil de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carre-Pierrat
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Mouillard
Avoués :
SCP Fisselier Chiloux Boulay, Me Teytaud
Avocats :
Me Fourgoux, Hénin
Les médicaments sont commercialisés par les laboratoires pharmaceutiques, auprès des pharmacies, essentiellement par l'intermédiaire de grossistes-répartiteurs (88 %), accessoirement de dépositaires (12 %), qui sont rémunérés par des commissions et ne sont pas propriétaires de la marchandise.
Les grossistes-répartiteurs sont assujettis à des obligations de service public prévues au Code de la santé publique, actuellement à l'article R. 5124-59 modifié par le décret n° 2008-834 du 22 août 2008. Notamment ils doivent, sur le territoire où ils exploitent un établissement, disposer d'un assortiment de médicaments comportant au moins les neuf-dixièmes des présentations effectivement exploitées en France, être en mesure de satisfaire à tout moment la consommation de leur clientèle pour une période de deux semaines au moins et livrer dans les 24 heures toute officine qui en fait la demande. Ils n'ont donc pas le choix de leurs fournisseurs (collection imposée, impossibilité de substituer un produit à un autre) ni de leurs clients (obligation de livraison). En outre, leur rémunération est fixée par arrêté et encadrée par trois dispositifs réglementaires, l'un qui limite leur taux de marge en fonction du prix, l'autre qui plafonne le taux des remises qu'ils peuvent accorder aux pharmaciens, le troisième qui fixe leur contribution en faveur de la sécurité sociale (contribution ACOSS) en fonction de leur chiffre d'affaires annuel. En revanche, ils sont autorisés à exporter les médicaments qu'ils vendent en dehors du territoire national (article R. 5124-4).
La distribution des médicaments est relativement concentrée, les sociétés OCP répartition, Alliance Santé et les trois CERP (Rouen, Rhin-Rhône-Méditerranée, et Lorraine) détenant 95 % du marché, étant observé qu'hormis les CERP, qui sont des coopératives de pharmaciens, la distribution est dominée par deux sociétés qui contrôlent une grande partie du marché européen.
De leur côté, les laboratoires sont également soumis à des contraintes financières visant à limiter le volume des médicaments vendus, notamment par le biais de conventions passées avec le CEPS (comité économique des produits de santé) qui prévoient des pénalités, sous forme de ristourne sur chiffre d'affaires ou de baisse de prix, à l'encontre de ceux d'entre eux qui dépassent les objectifs de vente.
On peut donc distinguer au sein de cette activité de distribution de médicaments le marché (amont) de l'approvisionnement des grossistes-répartiteurs pour l'ensemble de la gamme de chaque laboratoire commercialisée auprès des usagers via le circuit officinal, et le marché (aval) des services d'approvisionnement des officines par les grossistes-répartiteurs.
Le 5 avril 2002 et le 20 octobre 2003, la Chambre syndicale de répartition pharmaceutique (ci-après la CSRP), syndicat de grossistes-répartiteurs, et l'un de ses adhérents, la société Phoenix Pharma qui présentait simultanément une demande de mesures conservatoires, ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les principaux laboratoires pharmaceutiques, en dénonçant des mesures de contingentement de nature à les empêcher de satisfaire leurs obligations de service public et caractérisant selon elles une entente entre ces laboratoires et l'exploitation abusive de leur position dominante sur certains marchés de médicaments. Les médicaments contingentés représentent, pour les grossistes-répartiteurs, la majeure partie des ventes de médicaments en provenance de ces laboratoires (environ 65 %) et les ventes de ces médicaments représentent pour ces laboratoires entre 20 et 22 % des achats de l'ensemble des médicaments achetés par les grossistes-répartiteurs.
Par décision du 24 février 2004, le Conseil de la concurrence, qui avait joint les saisines, a rejeté la demande de mesures conservatoires présentée par la société Phoenix Pharma, aux motifs que la saisine n'était pas assortie d'éléments suffisamment probants pour ce qui était de l'entente invoquée ni pour ce qui était de l'abus de position dominante reproché, notamment, à la société GSK ; qu'il n'était toutefois pas exclu que les systèmes de contingentement mis en place par les société Lilly France, Sanofi Aventis France, Boehringer-Ingelheim, Merck-Sharp & Dohme-Chibret soient de nature à restreindre le jeu de la concurrence sur le marché de l'approvisionnement en gros de médicaments, notamment en créant une barrière à l'entrée, contrevenant aux dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce, mais que les conditions justifiant le prononcé de mesures conservatoires n'étaient pas réunies.
Ayant procédé à l'évaluation préliminaire des pratiques alléguées, le rapporteur a identifié des préoccupations de concurrence qu'il a notifiées aux sociétés Lily France, Merck-Sharp & Dohme-Chibret, Boehringer-Ingelheim France, Sanofi Aventis France, Pfizer et GSK entre le 22 décembre 2006 et le 2 janvier 2007.
Seules les sociétés Lilly France, Merck-Sharp & Dohme-Chibret, Boehringer-Ingelheim France et Sanofi Aventis France ayant proposé des engagements dans le délai imparti, le rapporteur général a disjoint de l'instruction les dossiers concernant les sociétés Pfizer et GSK.
Puis la société GSK a souhaité bénéficier de la procédure d'engagements et c'est dans ces conditions qu'après avoir consulté le marché et la CSRP, le Conseil de la concurrence a, par décision n° 07-D-46 du 13 décembre 2007, accepté les engagements présentés par la société GSK, leur a donné force obligatoire en précisant qu'ils devraient entrer en vigueur au plus tard le 1er mars 2008 et faire l'objet d'une information auprès des grossistes-répartiteurs opérant sur le marché national, ainsi qu'à tout nouvel entrant sur le marché de la répartition pharmaceutique, et a déclaré la saisine close.
LA COUR,
Vu le recours formé par la CSRP le 16 janvier 2008, tendant à l'annulation de cette décision, subsidiairement à sa réformation, et au renvoi de l'affaire devant le Conseil de la concurrence;
Vu la déclaration de jonction à l'instance de la société GSK déposée le 18 février 2008, aux fins de confirmation de la décision et de condamnation de la CSRP au paiement d'une somme de 30 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;
Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence en date du 19 juin 2008;
Vu le courrier du 1er juillet 2008 par lequel le ministre chargé de l'Economie informe la cour que, partageant l'analyse du Conseil, il n'entend pas user de la faculté que lui réservent les articles R. 464-18 et R. 464-19 du Code de commerce de déposer des observations écrites et orales;
Vu les observations écrites du ministère public, mises à la disposition des parties avant l'audience;
Ouï à l'audience publique du 21 octobre 2008, en leurs observations orales, le conseil de la requérante et celui de la société GSK qui ont été mis en mesure de répliquer, ainsi que le représentant du Conseil de la concurrence et le Ministère public;
Sur ce :
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 463-1 et L. 463-4 du Code de commerce que l'instruction et la procédure devant le Conseil de la concurrence sont pleinement contradictoires sauf lorsque des pièces mettent en jeu le secret des affaires ; qu'il s'ensuit que, lorsqu'une procédure d'engagements est mise en œuvre, les parties à la procédure doivent, sous réserve du traitement au titre du secret des affaires, avoir accès à l'intégralité des documents sur lesquels s'est fondé le rapporteur pour établir l'évaluation préliminaire ainsi qu'à l'intégralité de ceux sur lesquels s'est fondé le Conseil pour statuer sur les engagements;
Considérant qu'il résulte des explications concordantes de la requérante et du Conseil de la concurrence que ni le rapport administratif d'enquête, ni ses annexes, sur lesquels le rapporteur s'est fondé pour établir l'évaluation préliminaire et dont il n'est pas allégué qu'ils mettaient en jeu le secret des affaires, n'ont été soumis aux parties ; qu'il suit de là que c'est à juste titre que la requérante se prévaut d'une atteinte au principe de la contradiction; que la décision doit donc être annulée et le dossier renvoyé au Conseil pour reprise de l'instruction;
Et considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application en la cause des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile;
Par ces motifs, Annule la décision n° 07-D-46 rendue par le Conseil de la concurrence le 13 décembre 2007; Renvoie l'affaire au Conseil de la concurrence; Rejette la demande de la société GSK fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile; Met les dépens de la présente instance à la charge du Trésor Public.