CA Rennes, 2e ch. com., 28 novembre 2006, n° 05-05867
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Daniel Y (SARL)
Défendeur :
Granimond (SARL), Zouari
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Guillanton
Conseillers :
Mmes Cocchiello, Jeannesson
Avoués :
SCP Brebion-Chaudet, SCP d'Aboville, de Moncuit Saint-Hilaire & Le Callonec
Avocats :
Mes Puechavy, Bolimowsky
I - Exposé du litige:
Monsieur Zouari est propriétaire de modèles cinéraires déposés à l'INPI que la SARL Granimond spécialisée dans la vente et la création d'espaces cinéraires installe à la demande des communes dans les cimetières.
Exposant avoir découvert que des modèles de columbarium identiques à deux des modèles déposés par Monsieur Zouari dénommés "prestige 8 familles" de forme octogonale sans colonne centrale avait été installés dans les cimetières de Saint-Guénolé et de Kerity-Penmarc'h par la SARL Daniel Y, Monsieur Zouari et la SARL Granimond ont, par acte du 4 décembre 2003, fait assigner la SARL Daniel Y devant le Tribunal de grande instance de Quimper aux fins de voir constater que la SARL Daniel Y a commis des actes de contrefaçon du modèle déposé à l'INPI le 18 mai 1995 sous le n° 0953014-0411878, d'interdire à la SARL Daniel Y d'effectuer toute fabrication et ou commercialisation du modèle contrefait sous peine d'une astreinte de 10 000 euro par infraction constatée, de condamner la SARL Daniel Y à payer des dommages-intérêts et d'ordonner la publication du jugement.
Par jugement en date du 12 juillet 2005, le Tribunal de grande instance de Quimper a:
- déclaré l'action en contrefaçon de Monsieur Zouari et l'action en concurrence déloyale de la SARL Granimond recevables,
- dit que la SARL Daniel Y a contrefait:
- les modèles de columbarium dénommés "prestige 8 familles" octogonaux, sans pilier, déposés auprès de l'INPI le 31 juillet 1989 sous le n° 895036 et le 18 mai 1995 sous le n° 0953014-0411878 appartenant à Monsieur Zouari et commercialisés par la SARL Granimond,
- le modèle de stèle "flamme jardin du souvenir" enregistré le 26 novembre 1990 sous le n° 907689 avec extension le 28 novembre 2002 sous le n° 02-7302 appartenant à Monsieur Zouari et commercialisé par la SARL Granimond,
- interdit à la SARL Daniel Y de fabriquer et/ou de commercialiser les modèles de columbarium dénommés "prestige 8 familles" octogonaux, sans pilier, déposés auprès de l'INPI le 31 juillet 1989 sous le n° 895036 et le 18 mai 1995 sous le n° 0953014-0411878 et le modèle de stèle "flamme jardin du souvenir" enregistré le 26 novembre 1990 sous le n° 907689 avec extension le 28 novembre 2002 sous le n° 02-7302 et ce sous astreinte de 5 000 euro par infraction constatée à compter de la signification du jugement,
- condamné la SARL Daniel Y à payer à Monsieur Zouari la somme de 4 000 euro à titre de dommages et intérêts et à la SARL Granimond celle de 7 500 euro à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement et capitalisation des intérêts,
- ordonné la publication par extraits de la décision dans deux journaux au choix des requérants et aux frais de la SARL Daniel Y, le coût de chaque insertion étant limité à 3 000 euro,
-ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- condamné la SARL Daniel Y à payer des frais irrépétibles et les dépens.
La SARL Daniel Y a régulièrement interjeté appel de cette décision le 19 août 2005
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées le 29 septembre 2006 pour la SARL Daniel Y et le 4 octobre 2006 pour Monsieur Zouari et la SARL Granimond. L'appelante qui avait sollicité, par conclusions de procédure en date du 16 octobre 2006, le renvoi de l'affaire à la mise en état ne maintient pas sa demande à l'audience de la cour.
II - Motifs:
Sur l'incident de communication de pièces à l'audience:
L'appelante a communiqué à l'audience deux pièces dont il est sollicité le rejet par les intimés. Dès lors que les intimés n'ont pris connaissance qu'à l'audience de la cour de ces pièces qui n'ont pu en conséquence être contradictoirement débattues, il convient de les rejeter en application de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile.
Sur la contrefaçon de la stèle flamme:
Il n'est démontré aucune contrefaçon de la stèle flamme dont le modèle a été déposé à l'INPI le 26 novembre 1990 sous le n° 907689 et publié le 14 mars 2003. En effet, d'une part, le procès-verbal de constat dressé par Maître Morvan,huissier de justice à Pont-L'abbé le 29 avril 2003 ne mentionne aucune stèle au cimetière de Kerity Penmarc'h ni au cimetière de St Guenolé Penmarc'h, d'autre part, le procès-verbal établi par la SCP R. Le Goff et P. Le Goff, huissiers de justice à Quimper, en date du 2 mai 2006, au cimetière de Saint-Guenolé Penmarc'h fait état d'une "pierre en granit gris sur socle. Les deux faces sont polies, la tranche est éclatée ... par son aspect global elle rappelle la forme d'un rocher ou d'un menhir." La photographie jointe n'a effectivement aucun rapport avec une flamme. Par ailleurs, le devis en date du 24 mai 1995 sur lequel se fondent les intimés pour constater la commercialisation de la stèle litigieuse par la SARL Daniel Y mentionne une stèle jardin du souvenir dont le dos et la face sont polis et dont le chant éclaté forme un rocher. Il ne s'agit donc pas d'une flamme. En tout état de cause, à supposer que le dessin technique sur lequel figure une flamme soit susceptible de relever de la contrefaçon, il appartient aux intimés, par application de l'article L. 521-2 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle, de rapporter la preuve de la mauvaise foi de la SARL Daniel Y lors de la réalisation de ce dessin en 1994/1995, ce qu'il ne font pas.
Dans ces conditions, la contrefaçon n'est pas établie et le jugement sera réformé.
Sur la recevabilité de la demande de nullité des enregistrements à l'INPI des modèles "prestige 8 familles":
La SARL Daniel Y sollicite de prononcer la nullité des enregistrements à l'INPI sur le fondement de l'article R. 512-6 du Code de la propriété intellectuelle pour défaut de nouveauté et d'originalité.
C'est à juste titre que les intimés concluent à l'irrecevabilité de la demande de la SARL Daniel Y, ce sur le fondement de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile. En effet, il résulte des écritures de première instance de l'appelante en date du 9 novembre 2004 qu'elle n'a pas sollicité devant les premiers juges la nullité desdits modèles, concluant seulement au débouté des demandes de Monsieur Zouari et de la SARL Granimond en soutenant que les éléments matériel et intentionnel de la contrefaçon n'étaient pas réunis. La SARL Daniel Y n'oppose d'ailleurs aucun moyen aux intimés sur ce point.
La demande de nullité des enregistrements à l'INPI est nouvelle devant la cour et doit être déclarée irrecevable.
Sur l'absence de nouveauté et d'originalité des modèles de Monsieur Zouari sur le fondement du livre I du Code de la propriété intellectuelle:
Il apparaît des conclusions en page 4 de la SARL Daniel Y que pour s'opposer à la demande des intimés fondée également sur les articles L. 111-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, la SARL Daniel Y invoque le défaut de nouveauté et d'originalité des modèles déposés. En l'espèce, il s'agit d'un moyen nouveau devant la cour et non d'une demande nouvelle.
Néanmoins, la SARL Daniel Y n'articule aucun moyen spécifique à la protection par le droit d'auteur et limite ses écritures à la démonstration de l'invalidité des dépôts, notamment par défaut d'antériorité, notion inopérante dans le cadre du droit d'auteur, et conclut seulement que "l'absence de nouveauté et d'originalité s'oppose à la protection des deux dépôts". En conséquence, il n'appartient pas à la cour de rechercher parmi les arguments de la SARL Daniel Y quels sont ceux qui sont susceptibles de relever du droit d'auteur. La SARL Daniel Y sera déboutée de ses demandes sur ce fondement.
Sur la contrefaçon des modèles "prestige 8 familles" de Monsieur Zouari et la concurrence déloyale à l'encontre de la SARL Granimond:
La SARL Daniel Y soutient que les columbariums qu'elle a réalisés ne correspondent ni au premier ni au second dépôt et qu'ils ne sont pas la copie servile des modèles de Monsieur Zouari.
La contrefaçon s'apprécie par les ressemblances et non par les différences. Il n'est pas nécessaire que la reproduction du modèle soit identique, et constitue la contrefaçon la reproduction des éléments essentiels des caractéristiques d'un modèle, ainsi que de son impression d'ensemble, les différences de détail important peu.
Le modèle columbarium octogonal prestige sans pilier central avec huit ouvertures trapézoïdales sur le dessus a été déposé le 31 juillet 1989 et enregistré à l'INPI sous le n° 895036. Une variante de ce modèle, columbarium octogonal prestige 8 familles sans pilier central avec huit ouvertures verticales et dessus chanfreiné en trapèzes a été déposé le 18 mai 1995 et enregistré à l'INPI sous le n° 953014.
Selon le procès-verbal en date du 29 avril 2003, Maître Morvan a constaté au cimetière de Kerity Penmarc'h l'édification d'un columbarium funéraire en granit poli rose de la clarté et au cimetière de Saint-Guénolé Penmarc'h l'édification de deux columbariums funéraires du même type. Il ressort des mentions de ce procès-verbal et des photographies annexées que ces monuments reproduisent les caractéristiques essentielles du modèle déposé le 31 juillet 1989 en ce qui concerne la forme octogonale, la hauteur rapportée au diamètre et l'absence de pilier central, et comportent des ouvertures verticales ainsi qu'un dessus chanfreiné identiques à la variante déposée le 18 mai 1995, étant observé que les modèles déposés sont bien des octogones et non des polygones à seize côtés comme improprement soutenu, et qu'il n'est pas contesté que le matériau, granit rose de la clarté, est identique aux modèles déposés et divulgués par les intimés. Il importe peu que les dimensions ne soient pas "identiques" comme le soutient la SARL Daniel Y dès lors qu'elles ne constituent qu'un détail au regard des éléments primordiaux de ressemblance relevés ci-dessus.
Sans qu'il soit utile de constater une copie servile, la contrefaçon des modèles de Monsieur Zouari est établie, et partant, les actes fautifs de concurrence déloyale exercés à l'encontre de la SARL Granimond.
Sur les sanctions et la réparation des préjudices:
Le jugement sera confirmé à l'exception des dispositions concernant l'interdiction de la stèle "jardin du souvenir" et du préjudice moral de Monsieur Zouari ramené de ce fait à 2 500 euro, le montant de l'astreinte étant suffisant et la cour adoptant expressément les motifs exacts en fait et en droit du premier juge, s'agissant des préjudices de Monsieur Zouari et de la SARL Granimond. La publication sera confirmée en tenant compte de la réformation du jugement.
Il ne paraît pas inéquitable de laisser à chacune des parties qui succombent partiellement les frais qu'elles ont engagés en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Pour les mêmes raisons, il sera fait masse des dépens qui seront partagés entre les parties, à hauteur de 65 % pour la SARL Daniel Y et 35 % pour la SARL Granimond et Monsieur Zouari.
Par ces motifs, Rejette des débats les deux pièces communiquées par la SARL Daniel Y le jour de l'audience de la cour, Réforme le jugement déféré en ce qu'il a : - dit que la SARL Daniel Y a contrefait le modèle de stèle "flamme jardin du souvenir" enregistré le 26 novembre 1990 sous le n° 907689 avec extension le 28 novembre 2002 sous le n° 02-7302 appartenant à Monsieur Zouari et commercialisé par la SARL Granimond, - interdit à la SARL Daniel Y de fabriquer et/ou de commercialiser le modèle de stèle "flamme jardin du souvenir" enregistré le 26 novembre 1990 sous le n° 907689 avec extension le 28 novembre 2002 sous le n° 02-7302, - condamné la SARL Daniel Y à payer à Monsieur Zouari la somme de 4 000 euro à titre de dommages et intérêts, - condamné la SARL Daniel Y à payer à Monsieur Zouari et à la SARL Granimond des frais irrépétibles et l'a condamnée à payer la totalité des dépens, Confirme le jugement pour le surplus, Y ajoutant, Déclare irrecevable, comme nouvelle devant la cour, la demande de nullité des enregistrements à l'INPI des modèles de columbarium "prestige 8 familles", Condamne la SARL Daniel Y à payer à Monsieur Zouari la somme de 2 500 euro à titre de dommages et intérêts, Laisse à chacune des parties les frais exposés en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Fait masse des dépens de l'entière procédure qui seront partagés entre les parties, à hauteur de 65 % pour la SARL Daniel Y et 35 % pour la SARL Granimond et Monsieur Zouari.