Conseil Conc., 3 décembre 2008, n° 08-D-29
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques relevées dans le secteur des marchés publics d'entretien de menuiserie métallerie serrurerie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Vaury, par Mme Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mme Behar-Touchais, MM. Combe, Piot, Ripotot, membres.
Le Conseil de la concurrence (Section IV),
Vu la lettre enregistrée le 11 août 2006, sous le numéro 06/0057 F, par laquelle le ministre de l'Economie de l'Industrie et des Finances a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Girod Père et Fils et SMAB dans le secteur des marchés publics d'entretien de menuiserie métallerie serrurerie, susceptibles d'être visées par l'article L. 420-1 du Code de commerce ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu la décision du président du Conseil de la concurrence en date du 24 juillet 2008, prise en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce, qui dispose que l'affaire fera l'objet d'une décision du Conseil sans établissement préalable d'un rapport ; Vu le procès-verbal du 29 septembre 2008, par lequel la rapporteure générale adjointe du Conseil de la concurrence s'est engagée à proposer au Conseil d'accorder à la société Girod Père et Fils le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu le procès-verbal du 29 septembre 2008, par lequel la rapporteure générale adjointe du Conseil de la concurrence s'est engagée à proposer au Conseil d'accorder à la société SMAB le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Girod Père et Fils et SMAB le 10 octobre 2008 ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement le 1er septembre et le 10 octobre 2008 ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Girod Père et Fils et de la société de métallerie d'art et de bâtiment (SMAB) entendus lors de la séance du 4 novembre 2008 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
1. Le 11 août 2006, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées dans le secteur des marchés publics d'entretien de menuiserie métallerie serrurerie à l'encontre de la Société de Métallerie d'Art et de Bâtiment (SMAB) et de la société Girod Père et Fils (Girod).
2. L'enquête de la DDCCRF du Val de Marne, qui fonde la saisine, a révélé, à partir de l'analyse de vingt-trois marchés franciliens auxquels les deux sociétés ont soumissionné entre 2002 et 2005, des faits susceptibles de constituer une entente entre ces deux sociétés :
les sociétés SMAB et Girod, qui entretiennent des liens personnels, capitalistiques et techniques étroits, ont soumissionné de manière coordonnée à plusieurs marchés sans en informer les acheteurs publics, ce qui peut s'analyser comme une concertation de nature à tromper l'acheteur public sur la réalité de la concurrence sur les marchés en cause ;
la structure des rabais sur les prix proposés par les deux soumissionnaires avait vocation à faire apparaître ce dispositif comme particulièrement avantageux pour les collectivités acheteuses.
3. L'enquête avait pour origine un rappel de réglementation qui avait été notifié par les services de la DDCCRF le 18 avril 2000 à M. X..., alors dirigeant des deux sociétés, pour ne pas avoir fait connaître au maître d'ouvrage les liens qui les unissaient, à l'occasion de leur participation à deux appels d'offres lancés en 1999 par l'OPAC de Paris. C'est la persistance de ce comportement, également constaté à l'occasion de la passation en 2003 par la ville de Rueil-Malmaison d'un appel d'offres relatif à un marché de " travaux d'aménagement, de grosses réparations et d'entretien ", qui a motivé l'enquête confiée par l'administration centrale à la DDCCRF du Val de Marne.
A. ENTREPRISES ET MARCHÉS CONCERNÉS
1. UN " GROUPE D'ENTREPRISES " FORTEMENT INTEGRÉES FAVORISANT UNE ETROITE COORDINATION DES SOUMISSIONS AUX MARCHÉS PUBLICS
4. Au cours de la période des pratiques, les sociétés Girod et SMAB constituaient un groupe d'entreprises, en raison de l'unicité de contrôle et de direction des deux sociétés par M. X.... La société SMAB est détenue quasi exclusivement par M. X... (99,9 %). La société Girod est détenue majoritairement (67 %) par celui-ci, directement et au travers de ses participations dans la société SALGI. En outre, les deux entreprises exercent une activité identique dans le secteur de la menuiserie, métallerie et serrurerie ainsi que dans le domaine de l'entretien des installations, principalement au profit d'opérateurs publics. Les marchés publics représentent aussi plus de 80 % du chiffre d'affaires des deux sociétés.
5. L'intégration des moyens et de l'organisation des deux entreprises est caractérisée par :
des locaux communs donnés en location à SMAB par Girod, qui en est le propriétaire. Ils font l'objet d'une répartition de l'espace par fonction économique (administration, production, stockage) et non par entité. Par ailleurs leur disposition permet de domicilier les sièges sociaux à des adresses distinctes, accréditant, parmi d'autres facteurs, l'apparence d'autonomie des soumissions aux appels d'offres ;
la mise à disposition de SMAB par Girod, des ressources administratives et commerciales qui lui font défaut par convention à titre onéreux du 3 janvier 2003 (cadres, employés, techniciens et agents de maîtrise administratifs et commerciaux). SMAB ne dispose en effet ni d'une structure d'encadrement technique et administratif suffisante, ni de service commercial. Dans ce dernier domaine, l'intégration est d'autant plus nette que les techniciens de chantier en charge du portefeuille de clients SMAB sont exclusivement des salariés de Girod ;
l'utilisation par SMAB dans ses documents commerciaux du numéro des lignes téléphoniques fixes correspondant à des abonnements de la société Girod.
6. En terme de logistique et d'organisation, SMAB ne dispose donc des ressources nécessaires à la réalisation de son activité qu'en recourant aux ressources d'encadrement, aux structures administrative, technique et de gestion ainsi qu'aux locaux appartenant à Girod Père et Fils.
2. LES MARCHES PUBLICS DE MENUISERIE METALLERIE SERRURERIE D'ILE DE-FRANCE
7. Les marchés analysés consistent en 24 marchés publics d'entretien de menuiserie, métallerie et serrurerie passés par Girod et SMAB entre 2002 et 2005, lancés par quatre départements (Paris, Val-de-Marne, Seine-Saint-Denis, Hauts-de-Seine), par six communes (Paris, Argenteuil, Versailles, Massy, Athis-Mons, Rueil-Malmaison), par trois hôpitaux publics (Centre hospitalier national d'ophtalmologie des Quinze-Vingt, hôpitaux Esquirol et Saint-Maurice) et par l'office public d'HLM des Hauts-de-Seine. Ils ont été sélectionnés par les services de la DDCCRF du Val de Marne parmi 54 marchés attribués à Girod (37) ou à SMAB (17), pour lesquels ces sociétés ont présenté des offres simultanément ou successivement.
8. Il s'agit de marchés à bons de commande allotis comportant généralement des lots géographiques ou sectoriels par corps de métier.
9. L'allotissement prévu par l'article 10 du Code des marchés publics pour " susciter la plus large concurrence ", est utilisé lorsque l'importance des travaux à réaliser risque de dépasser les capacités techniques ou financières d'une seule entreprise, chaque lot, d'importance moindre, pouvant être exécuté par des entreprises petites ou moyennes. Il en est de même dans le cas où une seule entreprise ne peut tenir des délais d'exécution extrêmement courts qu'en adoptant un rythme de travail nécessitant des dépenses supplémentaires qui grèvent d'autant le coût des prestations.
10. Pour ces marchés, l'acheteur public peut interdire aux candidats de soumissionner à plusieurs lots ou accepter une soumission pour l'ensemble des lots, leur imposant alors de proposer un ordre de priorité, ou encore limiter l'attribution à un lot. Pour l'évaluation des offres, les entreprises doivent pour certains marchés présenter leur offre de prix sous forme d'un rabais appliqué à un bordereau de prix de référence ou d'un devis type.
11. On distinguera les marchés pour lesquels Girod et SMAB ont cherché à optimiser les potentialités des règlements de consultation de ceux obéissant à une stratégie de différenciation des offres respectives.
a) Les marchés pour lesquels les entreprises ont optimisé les potentialités des règlements de consultation
Les marchés de la ville et du département de Paris
12. La ville de Paris dispose d'un statut particulier au regard du Code général des collectivités locales, le conseil de Paris se réunissant en conseil général. Les marchés passés par le département de Paris sont donc attribués concomitamment à ceux de la ville et souvent dans des conditions identiques. Ainsi, la commission d'appel d'offres et les services de maîtrise d'ouvrage sont les mêmes. La seule différence concerne les bâtiments qui relèvent du budget départemental ou du budget de la ville.
13. Les marchés lancés par la ville et par le département de Paris, pour 2002 à 2004 puis pour 2005, présentent des caractéristiques identiques.
Les marchés passés pour les années 2002 à 2004
14. La direction du patrimoine et de l'architecture (DPA) de la ville de Paris a lancé, le 26 octobre 2001 dans le cadre d'un appel d'offres ouvert européen des marchés à bon de commande pour les travaux de maintenance et d'aménagement dans les équipements publics et les locaux relevant de la ville de Paris. Les prestations sont découpées en 28 lots séparés, faisant chacun l'objet d'un marché distinct. Ces 28 lots concernent 4 corps d'état, dont le corps d'état " serrurerie " (F), réparti en 4 secteurs géographiques d'intervention (F1, F2, F3, F4). Chaque secteur étant lui-même divisé en 2 lots équivalents, le corps d'état serrurerie fait donc l'objet d'une division en 8 lots correspondant chacun à un marché distinct : F1.1, F1.2, F2.1, F2.2, F3.1, F3.2, F4.1, F4.2.
15. Le règlement de consultation prévoit que chaque candidat peut présenter une offre pour chacun des 28 lots, mais qu'il ne pourra se voir attribuer qu'un lot par corps d'état. En cas de pluralité d'offres d'un même candidat pour un même corps d'état, c'est le maître d'ouvrage qui décidera du lot qui lui sera attribué.
16. S'agissant du corps d'état " serrurerie ", le marché a donné lieu à 4 appels d'offres successifs.
17. A l'occasion du premier appel d'offres, les sociétés SMAB et Girod ont présenté simultanément des offres pour quatre lots (F1.2, F3.2, F4.1 et F4.2), Girod en présentant séparément pour d'autres (F1.1, F2.2, F3.2). Cinq autres entreprises soumissionnaient chacune pour l'ensemble des lots " serrurerie ". La société SMAB ayant été écartée pour non conformité ainsi qu'un autre candidat, la commission d'appel d'offres décide, en application de la règle d'attribution d'un lot par corps d'état, d'affecter le premier lot de chaque secteur géographique à l'entreprise la mieux disante et n'ayant pas encore de lot. La société Girod obtient le lot F1.1, quatre autres sociétés se voyant attribuer respectivement les lots F1.2, F2.1, F3.1 et F4.1. La consultation est relancée dans les mêmes conditions s'agissant des lots non attribués, déclarés infructueux (F2.2, F3.2 et F4.2).
18. A l'occasion du deuxième appel d'offres lancé par la ville de Paris le 22 février 2002, le règlement de consultation est modifié afin de rendre compatible la règle d'attribution d'un lot par corps d'état avec les attributions déjà effectuées. En conséquence, les entreprises déjà attributaires d'un lot à la suite de la première consultation ne pourront se voir attribuer un deuxième lot d'un même corps d'état. Les soumissions se limitent aux sociétés Girod et SMAB, chacune étant candidate aux trois lots offerts. La commission décide de retenir l'offre SMAB pour le lot F2.2, les deux lots restants étant déclarés infructueux (F3.2, F4.2) et la consultation relancée.
19. Le troisième appel d'offres lancé, le 19 juillet 2002, donne lieu à une légère adaptation du règlement de consultation : les entrepreneurs souhaitant soumissionner et étant déjà attributaires d'un lot à la suite des deux premières consultations ne pouvaient être attributaires d'un nouveau lot d'un même corps d'état. L'offre unique de la société Girod pour les deux lots n'est pas étudiée dans la mesure où elle est détentrice du lot F1.1, attribué lors du premier appel d'offres.
Le marché est déclaré infructueux et relancé s'agissant des lots F3.2 et F4.2.
20. Le quatrième appel d'offres lancé, le 11 juillet 2003, a donné lieu à un assouplissement de la règle d'attribution. Un même candidat pourra être attributaire des deux lots proposés à condition de posséder les moyens humains et techniques suffisants. Toutefois, les entreprises déjà attributaires d'un lot à la suite des trois précédentes consultations ne pourront se voir attribuer un second lot qu'à condition que ce lot ne soit pas le second du même secteur géographique. Quatre entreprises ont soumissionné pour les deux lots, dont Girod, qui obtient le lot F4.2, grâce à la mesure d'assouplissement.
21. A l'issue des quatre consultations, les 8 lots du corps d'état serrurerie, correspondant chacun à un marché distinct, sont attribués dans les conditions suivantes, Girod Père et Fils obtenant les lots F1.1 et F4.2, SMAB le lot F2.2.
Tableau 1 : ville de Paris (marchés lancés entre 2001 et 2003 pour les années 2002 à 2004)
<emplacement tableau>
22. La direction du patrimoine et de l'architecture de la ville de Paris (DPA) a lancé, le 26 octobre 2001, dans le cadre d'un appel d'offres ouvert européen, des marchés à bon de commande pour les travaux de maintenance et d'aménagement dans les équipements publics et les locaux relevant du département de Paris. La division du marché en 28 lots distincts obéit au même type de découpage que celui des marchés de la ville. Le corps d'état serrurerie (N) fait donc l'objet d'une division en 8 lots correspondant chacun à un marché distinct : N1.1, N1.2, N2.1, N2.2, N3.1, N3.2, N4.1, N4.2. Le règlement de consultation présente les mêmes caractéristiques que celui des marchés de la ville de Paris.
23. S'agissant du corps d'état " serrurerie ", le marché a également donné lieu à quatre appels d'offres successifs, lancés aux mêmes dates que celles des marchés de la ville de Paris.
24. A l'occasion du premier appel d'offres, les sociétés SMAB et Girod ont présenté simultanément des offres pour deux lots (N3.1, N3.2), Girod étant aussi candidat pour les six autres. Trois autres entreprises soumissionnaient chacune pour l'ensemble des lots " serrurerie " et une quatrième pour une partie des lots. Les offres de quatre des six soumissionnaires ont été écartées : l'offre SMAB est écartée pour absence d'enveloppe de candidature et celle de Girod pour absence de pièces obligatoires, tandis que celles de deux autres candidats le sont en raison de références insuffisantes. La commission attribue les lots N1.1 et N3.1 aux entreprises encore en lice et déclare infructueux les six autres lots, la consultation étant relancée.
25. Le deuxième appel d'offres, qui porte sur les lots non attribués à la suite du premier donne lieu à une adaptation du règlement de consultation. Girod et SMAB soumissionnent simultanément pour les six lots, au même titre que deux autres candidats. La commission attribue les lots N2.1 et N1.2 respectivement aux sociétés Girod et SMAB et le lot N4.1 à une autre entreprise. Elle déclare la consultation infructueuse s'agissant des lots N2.2, N3.2 et N4.2 et la relance dans des conditions comparables.
26. Le troisième appel d'offres est déclaré infructueux en raison de l'absence de candidature puis relancé.
27. S'agissant du quatrième appel d'offres, le règlement est assoupli, un candidat pouvant se voir attribuer les trois lots restants et une entreprise déjà attributaire ne pouvant se voir attribuer un ou plusieurs nouveaux lots que sous réserve que chaque lot ne soit pas le second d'un même secteur géographique (N1, N2, N3 ou N4). Girod et SMAB ont soumissionné aux trois lots, une autre candidature étant reçue. La commission décide d'attribuer le lot N4.2 à Girod, qui bénéficie de la mesure d'assouplissement et les deux autres lots à l'autre candidat.
28. Au terme des quatre consultations lancées par le département de Paris, les huit lots du corps d'état serrurerie sont attribués dans les conditions suivantes, Girod obtenant les lots N2.1et N4.2 et SMAB le lot N1.2.
Tableau 2 : département de Paris (marchés lancés entre 2001 et 2003 pour les années 2002 à 2004)
<emplacement tableau>
Les marchés passés pour l'année 2005
29. Les 28 marchés passés par la direction du patrimoine et de l'architecture (DPA) de la ville de Paris venant à échéance à la fin 2004, il a été procédé à leur renouvellement. La ville a lancé, le 23 avril 2004, dans le cadre d'un appel d'offres ouvert européen, des marchés à bon de commande pour les travaux de maintenance et d'aménagement dans les équipements publics et les locaux relevant du budget municipal.
30. La DPA ayant été désignée dans le cadre des nouvelles règles en matière d'achats publics, en qualité de direction responsable des marchés correspondant pour l'ensemble des directions de la ville, il a fallu élargir les nouveaux marchés, les dimensionner et les allotir afin de les adapter aux besoins nouveaux de la collectivité parisienne.
<emplacement tableau>
31. Il en résulte les modifications suivantes :
le corps d'état de serrurerie est qualifié " métallerie-serrurerie " ;
le double allotissement par secteur géographique, avec alternance par quinzaine, n'est pas maintenu ;
l'allotissement est modifié afin d'obtenir pour chaque corps d'état des secteurs identiques par nature de prestations et équivalents en volume financier. Le nombre de secteurs est augmenté, passant de 4 à 6 pour le corps d'état métallerie-serrurerie : F1, F2, F3, F4, F5 et F6;
l'accroissement du nombre de secteurs devait permettre un accès plus large des PME à ce type de marché;
une même entreprise peut être titulaire de plusieurs lots si ses capacités sont adaptées.
32. Pour l'attribution des lots, le règlement de consultation indique que " pour un même corps d'état, un candidat pourra être attributaire de plusieurs lots à condition qu'il présente les moyens humains et matériels compatibles avec le volume des travaux à réaliser ... Chaque candidat dont l'offre est classée se verra d'abord attribuer un premier lot, puis dans le cas où le nombre de candidats classés serait inférieur au nombre de lots à attribuer, les candidats pourront se voir attribuer un second lot et ainsi de suite jusqu'à l'attribution de tous les lots ".
33. Parmi les critères de jugement des offres, figure le montant d'une facture type décomposée en opérations standard. L'estimation effectuée par l'administration pour les factures type ayant été faite sur la base des valeurs les plus élevées des marchés actuels, il a été décidé que les offres dont le montant de la facture type dépasse de 10 % l'estimation sont écartées.
34. Girod et SMAB se sont portés candidats aux 6 lots proposés, 10 autres candidats ayant soumissionné à tout ou partie des lots. La commission n'a pas ouvert les offres de deux sociétés qui ne présentaient pas des moyens techniques et humains adaptés au volume des travaux. Après avoir écarté l'offre SMAB, dont la facture type dépassait de plus de 10 % celle de l'administration, elle a attribué le lot F6 à Girod et les 5 autres lots dans les conditions suivantes :
<emplacement tableau>
35. La DPA de la ville de Paris a lancé, le 23 avril 2004, dans le cadre d'un appel d'offres ouvert européen des marchés à bon de commande pour les travaux de maintenance et d'aménagement dans les équipements publics et les locaux relevant du budget départemental.
36. Les modifications apportées aux marchés de la ville de Paris sont reprises dans leur intégralité pour les marchés départementaux. Le nombre de secteurs passe de 4 à 5 s'agissant de la métallerie-serrurerie (N1, N2, N3, N4 et N5), ce qui doit " permettre un plus large accès aux PME à ce type de marché". Par ailleurs les critères d'attribution et de jugement des offres sont identiques.
37. Girod et SMAB ont chacune soumissionné à l'ensemble des lots. Huit autres entreprises ont soumissionné à l'ensemble des lots et une à deux lots. L'offre SMAB est jugée inacceptable par rapport au critère financier, en raison d'une facture type excédant de plus de 10 % l'évaluation administrative. Deux autres offres non conformes ont été écartées. Deux offres n'ont pas été ouvertes pour insuffisance de moyens. La commission a attribué le lot N5 à la société Girod et les autres lots dans les conditions suivantes :
<emplacement tableau>
Les autres marchés départementaux
Les marchés du conseil général de Seine-Saint-Denis
38. La direction des bâtiments départementaux du conseil général de Seine Saint-Denis a lancé, le 15 septembre 2003, dans le cadre d'un appel d'offres restreint, un marché à bon de commande pour les dépannages, petites réparations, petits travaux de sécurité, rénovation à réaliser dans les bâtiments départementaux. Le corps d'état serrurerie a fait l'objet de deux marchés (lots 1 et 2) et le corps " menuiserie aluminium " d'un marché unique.
39. Les candidats ont la possibilité de présenter une offre pour un lot, une offre pour plusieurs lots ou encore une offre pour l'ensemble des lots. Le règlement de consultation précise qu' " une entreprise ne pourra être titulaire que d'un seul lot ".
40. Girod et SMAB ont chacune soumissionné aux trois marchés et ont présenté des " hypothèses d'école " différenciées avec un positionnement plus favorable de Girod.
41. La commission d'appel d'offres a attribué les marchés de serrurerie à Girod (lot 1) et à SMAB (lot 2), qui étaient les mieux classées s'agissant de l'hypothèse d'école.
Les marchés du conseil général du Val de Marne
42. La direction des bâtiments départementaux du conseil général du Val de Marne a lancé en 2003, dans le cadre d'appels d'offres restreints, sept marchés à bon de commande pour des travaux de dépannage, d'entretien, de remise en état et de maintenance courante à réaliser dans les bâtiments départementaux. Ces sept marchés correspondent à différents corps d'état allotis par secteur géographique. Le corps d'état " menuiserie aluminium " est scindé en 4 lots géographiques (est 1, est 2, ouest 1 et ouest 2).
43. Le règlement de consultation précise qu'un même prestataire ne peut être titulaire que d'un seul lot mais que les entreprises peuvent soumissionner à plusieurs lots sous réserve de fixer l'ordre de priorité des lots.
44. SMAB a présenté une offre pour les lots est-1 et est-2, Girod se portant sur les lots du secteur ouest. L'offre Girod est écartée en raison d'un système d'astreinte non conforme au marché.
45. La commission a attribué le lot " est 2 " à la société SMAB et les autres lots à trois autres sociétés, en fonction du niveau de rabais proposé sur le bordereau de prix Bâtiprix.
Les marchés de la ville d'Argenteuil
46. La ville d'Argenteuil a lancé, le 31 décembre 2003, un appel d'offres ouvert pour la réalisation de travaux d'entretien, d'aménagement ou de création dans les bâtiments du patrimoine municipal. L'appel d'offres distingue le secteur scolaire (secteur A) qui regroupe les écoles élémentaires et maternelles et un secteur couvrant les autres bâtiments (secteur B). Chacun des corps d'état dont le corps de la menuiserie alu-PVC (lot 6) et celui de la serrurerie- métallerie (lot 9) fait l'objet d'un découpage sectoriel, conduisant à identifier quatre lots : 6A, 6B, 9A et 9B.
47. Les candidats peuvent soumissionner à un, plusieurs ou la totalité des lots, sur l'un ou l'autre des secteurs, mais en aucun cas sur les deux secteurs.
48. Girod et SMAB se sont portés candidats à des lots de secteurs différents, couvrant de cette manière l'ensemble du marché (Girod : 6A et 9A ; SMAB : 6B et 9B). Pour chacun des lots, les autres soumissions ont été limitées à une entreprise (6A, 9A et 9B). SMAB était l'unique candidate pour le lot 6B.
49. Les offres Girod et SMAB n'ont pas été retenues s'agissant des lots 6A, 9A et 9B en raison d'une analyse technique et économique insatisfaisante. Les lots 9A et 9B ont été classés sans suite pour défaut de concurrence, l'autre candidature ayant été écartée, pour cause de non respect du cahier des charges. La commission d'appel d'offres attribue le lot 6B à SMAB et le lot 6A à un autre candidat. Les lots non attribués ont été relancés, mais SMAB et Girod n'ont pas postulé.
b) Les marchés obéissant principalement à une stratégie de différenciation des offres
Les marchés des communes de Versailles, d'Athis-Mons et de Rueil-Malmaison
Les marchés de Versailles
50. Dans le cadre du renouvellement de son marché d'entretien des bâtiments communaux, la direction de la commande publique de la ville de Versailles lance le 29 août 2002 un appel d'offres ouvert, sous la forme de marchés à bons de commande. L'appel d'offres comporte 11 lots correspondant à différents corps d'état, dont le lot 2, " métallerie, serrurerie, charpente métallique, menuiserie aluminium ".
51. Les critères de jugement des offres sont constitués par une offre de prix sous forme de rabais appliqués au bordereau de prix Bâtiprix 2002 et par la valeur technique de l'offre, au vu d'un mémoire technique.
52. Les sociétés Girod et SMAB ont présenté des offres pour le lot 2 et ont différencié leur proposition de rabais faisant apparaître Girod comme mieux-disante. Trois autres offres ont été remises, dont l'une n'a pas été classée en l'absence de mémoire technique. La commission d'appel d'offres retient l'offre Girod, dont le rabais est le plus élevé.
Les marchés d'Athis-Mons
53. La ville d'Athis-Mons a lancé, le 4 juillet 2003, un marché de gros entretien et de rénovation des bâtiments communaux. Le marché comprend 8 lots correspondant aux différents corps d'état, dont le lot n° 8, serrurerie-métallerie.
54. Les entreprises sont appelées à remettre une offre sous la forme d'une remise sur les tarifs Bâtiprix. Il est rappelé que les prix sont ensuite basés sur le bordereau de prix unitaires de l'année en cours de Bâtiprix, auxquels s'applique le rabais consenti figurant à l'acte d'engagement.
55. S'agissant du lot 8, quatre entreprises dont Girod et SMAB ont remis une offre, avec une remise différenciée, positionnant plus favorablement Girod. Cette dernière, qui propose le taux de remise le plus avantageux, obtient le marché.
Les marchés de Rueil-Malmaison
56. La direction générale des services techniques de Rueil-Malmaison a lancé, le 7 février 2003, dans le cadre d'un appel d'offres ouvert, un marché à bon de commande relatif à des travaux d'aménagement, grosses réparations et entretien dans les bâtiments communaux. Le marché portait sur le corps d'état de charpente métallique-métallerie (n°2) et plus particulièrement sur le lot unique A, afférent au secteur nord de la ville.
57. Les soumissionnaires devaient remettre leur proposition sous la forme d'un rabais sur le bordereau de prix Bâtiprix 2001.
58. Quatre entreprises ont soumissionné, dont Girod et SMAB, qui présentent des rabais différenciés, avec un positionnement plus favorable de Girod. La commission d'appel d'offres retient l'offre de prix la mieux-disante de la société Girod, qui se voit attribuer le lot 2A.
Les marchés hospitaliers
Les marchés de l'hôpital Esquirol et de l'hôpital national de Saint-Maurice (94)
59. Les deux hôpitaux sont implantés sur le même site et font l'objet d'une gestion commune avec une mutualisation des services économiques et techniques.
60. Ils ont lancé simultanément le 3 février 2004, dans le cadre d'un appel d'offres ouvert, des marchés à bon de commande relatifs au lot n° 2, " métallerie menuiserie aluminium, cloisons amovibles, charpentes, couverture métallique ". Pour analyser les offres, il était demandé aux candidats de produire une simulation de devis selon un devis type de travaux. Le lot 2 de chaque hôpital a intéressé les seules entreprises Girod et SMAB, qui ont différencié leurs offres de prix de telle sorte que Girod apparaisse comme la mieux-disante (devis-type et bordereau de prix sur 3 ans). Les commissions d'appel d'offres respectives des deux hôpitaux ont retenu l'entreprise Girod pour chacun des marchés.
61. L'hôpital Esquirol a lancé le 23 juillet 2004 dans le cadre d'un appel d'offres ouvert un marché de travaux consistant à restructurer les locaux de l'ancien garage de l'hôpital Esquirol pour y installer la future pharmacie. Le marché est réparti en 10 lots, dont le lot n°3, " menuiseries extérieures métallerie ". Trente-cinq entreprises ont remis une offre, dont seulement deux pour le lot 3, celles de Girod et de SMAB. Ce lot ayant été déclaré infructueux, la consultation a été relancée, Girod et SMAB se portant à nouveau candidat. Le lot est en définitive attribué à une autre société.
Les marchés du centre hospitalier national d'ophtalmologie des Quinze-Vingt (75)
62. Le centre hospitalier des Quinze-Vingt a lancé, le 5 février 2003, dans le cadre d'un appel d'offres ouvert, des marchés à bon de commande, relatifs aux travaux d'entretien, d'adaptation et de modernisation des bâtiments du centre hospitalier.
63. Les marchés sont allotis par corps d'état en 5 lots, dont le lot métallerie (n° 8).
64. Les soumissionnaires doivent proposer un rabais sur le bordereau de prix Bâtiprix 2003 ainsi que des évaluations pour les travaux hors bordereau.
65. Girod et SMAB ont soumissionné au lot 8 en différenciant leur offre de prix (rabais) de telle sorte que Girod ait le meilleur positionnement. Trois autres offres ont été analysées.
66. Bien que le règlement de consultation prévoit trois critères d'attribution (des références équivalentes de moins de 3 ans, la valeur technique des prestations, le prix des prestations), c'est le critère de prix qui a été déterminant dans l'attribution du marché, la valeur technique des offres étant jugée équivalente. La commission d'appel d'offres attribue le lot 8 à Girod, qui présente l'offre la mieux-disante. Il est précisé que Girod était le titulaire du précédent marché et qu'elle avait alors présenté des offres plus avantageuses.
Les marchés de l'OPDHLM des Hauts-de-Seine
67. L'office public départemental d'HLM des Hauts-de-Seine a lancé le 9 février 2004 dans le cadre d'un appel d'offres ouvert, des marchés fractionnés à bon de commande concernant des travaux relatifs à l'entretien, aux réparations courantes et au remplacement des installations de métallerie, menuiserie PVC et occultation des immeubles du patrimoine de l'office. Les marchés du corps d'état "métallerie, menuiserie PVC, occultation" sont allotis en trois secteurs géographiques correspondant aux différentes délégations de l'office (lots 1 à 3).
68. Pour l'analyse des offres, il est notamment tenu compte du montant d'un devis estimatif type des interventions.
69. S'agissant du lot 1, 7 offres ont été présentées, dont celles de Girod et SMAB, mais 3 des autres offres sont déclarées non conformes en l'absence de mémoire technique. Girod a postulé pour les lots 2 et 3, la société SMAB s'abstenant. S'agissant des lots 2 et 3, d'autres offres ont été remises (respectivement quatre et trois), dont deux par marché sont déclarées non conformes. Les devis estimatifs de Girod et SMAB présentés pour le lot 1 ont été différenciés, avec un positionnement mieux-disant de SMAB. L'offre SMAB a été retenue pour le lot 1, les offres Girod pour les lots 2 et 3.
B. LES PRATIQUES RELEVÉES
70. Le processus de réponse aux appels d'offres adopté par les entreprises en cause, qui assure la transparence des offres au stade de leur conception, a donné aux opérateurs publics l'apparence d'une dualité des entreprises et des offres (point 1).
71. Dans le cadre d'une stratégie définie par le dirigeant des deux sociétés, ce processus a favorisé la conquête et la sélection des marchés, par une " optimisation " des potentialités des règlements de consultation (point 2) ainsi que par une pratique systématique d'offres de couverture (point 3).
1. LA DUALITÉ APPARENTE DES ENTREPRISES GIROD ET SMAB ET DE LEURS OFFRES
72. L'analyse des marchés litigieux a permis d'identifier des pratiques récurrentes tendant à simuler artificiellement une situation de concurrence : elles ont consisté principalement pour Girod et SMAB à soumissionner aux mêmes marchés sans informer le maître d'ouvrage des liens qui les unissent (a) et à différencier formellement leurs actes de soumission (b).
a) Soumission aux mêmes marchés sans informer les opérateurs publics Réglementation de l'information des acheteurs publics
73. Les actes de soumission aux marchés publics permettent d'informer l'entité adjudicatrice des liens qui unissent l'entreprise candidate à d'autres soumissionnaires ainsi que du caractère indépendant ou non de son offre. Ainsi, le cadre H du volet 2 de la déclaration du candidat (DC6/98) permet à l'entreprise de signaler ses liens avec d'autres entreprises, notamment ses actionnaires et les entreprises dans lesquelles elle possède une participation. De même, le cadre B de la lettre de candidature (DC4/99) permet au candidat de préciser s'il se présente seul à l'ensemble du marché ou à des lots particuliers.
74. Le rappel de réglementation du 18 avril 2000 (paragraphe 3) avait pour objet de signifier aux entreprises cette obligation d'information relative aux liens unissant les sociétés Girod et SMAB.
Le défaut d'information des opérateurs en cas de soumission concomitante
75. Il ressort des marchés analysés que Girod et SMAB ont persisté à soumissionner aux mêmes marchés sans informer les entités adjudicatrices de leurs liens capitalistiques et de leurs soumissions conjointes. Cette pratique est constante et délibérée, dès lors qu'elle intervient malgré le rappel à l'ordre de la DGCCRF et qu'elle s'appuie aussi sur un formalisme qui accrédite l'apparence d'autonomie des offres.
76. Cette absence d'information relative aux liens entre Girod et SMAB dans les documents de marché est aussi relevée par certains représentants des entités adjudicatrices : l'ingénieur en chef, chargé des services techniques des hôpitaux Saint-Maurice et Esquirol " précise que le responsable des établissements Girod et SMAB, M. C., n'a jamais informé les hôpitaux des liens qui unissaient ces deux sociétés " (lettre du 17 février 2005 adressée à la DDCCRF 94).
77. Aucune des déclarations de candidature de Girod et de SMAB relatives aux marchés analysés et figurant au dossier ne fait état des liens unissant les deux sociétés. De même, lorsqu'ils présentent des offres pour le même marché, les deux candidats déclarent toujours se présenter seuls.
78. En définitive, par son caractère systématique, en cas de candidature simultanée de Girod et SMAB, l'absence d'informations des acheteurs publics vise délibérément à les tromper quant à l'intensité de la concurrence entre les entités du groupe. Il ne peut s'agir d'une omission involontaire, dès lors que le rappel de réglementation est contemporain des pratiques et que la présentation d'une candidature autonome fait l'objet d'une mention sur la lettre de candidature.
b) Différenciation formelle des actes de soumission
79. Afin de présenter des offres en apparence autonomes, les actes de soumission élaborés par Girod et SMAB sont différenciés de telle sorte que les signataires des offres ainsi que les sièges sociaux apparaissent comme distincts. Par ailleurs, les anomalies parfois constatées dans les offres des deux sociétés attestent les difficultés inhérentes à la mise en œuvre de ce procédé.
La mention d'une domiciliation distincte
80. Les deux entreprises font état de sièges sociaux distincts situés à Ivry-sur-Seine. En réalité, les locaux, qui appartiennent à la société Girod, sont des locaux communs disposant d'un double accès par des rues parallèles, chacun correspondant au siège social d'une des deux sociétés. Ces adresses différentes des sièges situés dans des locaux communs sont utilisées dans les appels d'offres pour conforter l'apparence d'autonomie des deux sociétés Girod et SMAB. Son caractère artificiel est souligné par la volonté contradictoire d'unifier les sièges sociaux, exprimée lors de la signature du bail entre Girod et SMAB : " afin de permettre à la SMAB de transférer son siège social et son activité à la même adresse (il s'agit de l'adresse du siège de Girod), la société Girod Père et Fils a accepté de lui donner à bail une partie des locaux dont elle se trouve propriétaire ".
La signature des actes de marchés
81. En cas de soumissions simultanées à un même marché, les signataires des offres sont en principe distincts, M. X... n'apparaissant comme signataire et comme représentant de la société que dans les documents de Girod. M. Y..., qui est directeur salarié de cette société et qui n'a pas de fonction dans SMAB, est alors l'unique signataire des actes de soumission de cette société. Présentée comme exceptionnelle par M. X..., cette représentation de SMAB par M. Y... est cependant la règle s'agissant des marchés attribués à Girod ou à SMAB, pour lesquels une soumission simultanée a été effectuée. L'objectif de cette substitution, conçue pour donner l'apparence d'offres autonomes, est d'ailleurs admis par M. X... lui-même à propos du marché de Rueil-Malmaison: " concernant le DC5 et l'acte d'engagement de Rueil-Malmaison (marché 2003), j'ai signé pour Girod Père et Fils et M. Y... pour SMAB. Je ne souhaitais pas apparaître en tant que responsable des deux entreprises (cf. incendie de 1989) ".
Les difficultés inhérentes à la formalisation d'offres apparemment concurrentes
82. Grâce à la répétition des procédés d'un marché public à l'autre, un certain nombre d'anomalies peuvent être mises en évidence dans la simulation formelle de la concurrence entre les deux sociétés. Elles affectent en particulier les conditions de représentation des deux sociétés dans le cadre de la signature des actes de soumission aux marchés. Les situations suivantes ont été observées :
La signature de M. Y..., directeur de Girod, dépourvu de toute fonction dans SMAB est apposée sur le tampon intitulé : " SMAB, le Président directeur général " ;
Des certificats administratifs, établis au nom de Girod et signés par M. X... en qualité de PDG de cette société, sont attestés par une mention de conformité de la copie par rapport à l'original, élaborée pour SMAB (" Je soussigné, M. X..., agissant au nom de la société des établissements SMAB atteste sur l'honneur que la présente photocopie est conforme à l'original ") ;
Les bordereaux de prix et les factures type de Girod et de SMAB présentent dans certains cas des similitudes formelles qui leur sont propres (données chiffrées des bordereaux de prix mentionnées en centimes d'euro pour les mêmes nomenclatures, mêmes anomalies typographiques sur les devis-type). Outre ces similitudes, l'annotation manuscrite en marge d'un bordereau de prix SMAB, de cinq données du BPU de Girod, illustre aussi le mode unifié de réponse aux appels d'offres (Marché ville de Paris 2001) ;
Les ressources d'encadrement de SMAB font parfois référence, notamment s'agissant des mémoires des clauses techniques, aux ressources de Girod, permettant ainsi de valoriser artificiellement l'offre SMAB. Cette présentation est semble-t-il destinée à satisfaire aux critères techniques de certains marchés comme le montre a contrario le classement défavorable de la candidature de SMAB au marché du département de Paris pour 2005, en raison de l'absence d'une " structure d'encadrement spécifique dédiée au suivi des prestations du marché ".
83. Ces anomalies montrent, au travers d'une confusion formelle des actes de soumission, la difficulté qu'il peut y avoir à simuler la concurrence dans le cadre du processus centralisé de réponse aux appels d'offres.
2. UN PROCESSUS DE SOUMISSION QUI OPTIMISE LES POTENTIALITÉS DES RÈGLEMENTS DE CONSULTATIONS
84. Les sociétés Girod et SMAB ont recouru à des pratiques d'optimisation des règlements de consultation, consistant à contourner la règle récurrente d'attribution d'un marché unique par entreprise et par corps de métier et à tirer parti de son assouplissement en cas d'appels d'offres successifs relatifs à un même marché.
a) Contournement et valorisation de la règle d'attribution d'un marché unique par entreprise d'un même corps d'état
Les règles d'attribution des marchés
85. Les règlements de consultation de la plupart des marchés analysés prévoient qu'une même entreprise ne pourra se voir attribuer qu'un lot par corps d'état, quand bien même les candidats seraient autorisés à soumissionner à plusieurs lots ou à définir un ordre de priorité des lots en cas d'offres multiples. Cette règle limite les possibilités d'obtention de lots supplémentaires en cas d'appels d'offres successifs, dès lors que les attributions ultérieures tiennent compte des lots déjà attribués. Cette règle d'attribution peut faire l'objet d'une variante sectorielle, la possibilité de soumissionner à plusieurs lots pouvant être limitée à un type de bâtiments (secteurs des bâtiments scolaires et des autres bâtiments pour le marché de la ville d'Argenteuil).
86. La règle d'attribution du lot unique par corps d'état ne souffre d'exception que dans les cas d'assouplissement du règlement de consultation aux fins de réduire le nombre de consultations ou de favoriser l'attribution de lots non encore affectés. Ces situations se rencontrent en cas d'appels d'offres successifs ou en phase de renouvellement de marché.
Contournement et valorisation des règles par Girod et SMAB
87. En présentant des offres dissociées et en apparence indépendantes, les sociétés Girod et SMAB se sont mises délibérément en situation de contourner ces règles d'attribution, en maximisant les possibilités d'attribution ou en emportant un nombre de lots supérieur à celui autorisé par le règlement.
88. Dans le cas des marchés de la ville et du département de Paris, la stratégie de dissociation des offres, commune à Girod et à SMAB, a permis non seulement d'accroître artificiellement la possibilité d'obtenir des lots, mais a également rendu possible le contournement effectif de la règle d'attribution en attribuant au stade du deuxième appel d'offres un lot qui n'aurait pas été affecté à ces sociétés dans le contexte d'une offre groupée (lot F 2.2 attribué à Girod pour le marché de la ville de Paris ; lot N 1.2 attribué à SMAB dans le cadre du marché départemental) (paragraphes 14 et suivant). Ce n'est qu'au stade du quatrième appel d'offres du marché de la ville de Paris que la pratique relevée est neutralisée sous l'effet conjugué de la possibilité d'attribution de plusieurs lots et de l'absence de candidature de SMAB.
89. S'agissant du marché du conseil général de Seine-Saint-Denis (paragraphe 38), la stratégie de dissociation des offres a permis à Girod et SMAB de se voir attribuer un lot supplémentaire en contournant la règle du lot unique. Dans l'hypothèse d'une offre groupée, le lot 1 ou le lot 2 n'aurait pas été attribué à Girod ou à SMAB, dès lors qu'il constituait un second lot et non le premier comme le laissait supposer la présentation des offres.
90. En ce qui concerne les marchés du conseil général du Val de Marne (paragraphe 42), les deux sociétés ont réparti leurs offres entre les quatre lots du marché (deux lots par société). Cette stratégie permettait à Girod et à SMAB de prétendre à deux lots, en contravention à la règle d'attribution. La présentation d'une offre groupée aurait limité les possibilités d'attribution à un lot.
91. Ce procédé de dédoublement des offres du groupe Girod-SMAB à l'insu des entités adjudicatrices, outre qu'il abuse les maîtres d'ouvrage sur l'intensité réelle de la concurrence et qu'il permet aux sociétés de desserrer les contraintes des règlements de consultation, va également à l'encontre des objectifs pro-concurrentiels assignés par le législateur à l'allotissement des marchés.
b) Optimisation dans le cadre de l'assouplissement des règles d'attribution
L'assouplissement des règles d'attribution
92. L'assouplissement des règles d'attribution est intervenu à l'initiative des entités adjudicatrices, afin de faciliter l'attribution des lots non encore affectés dans le cadre d'appels d'offres successifs ou de favoriser un renouvellement à l'échéance du marché précédent ou parfois comme mode d'attribution primaire.
93. L'assouplissement porte sur le nombre de lots attribuables à une même entreprise, qui n'est plus contraint par la limite d'attribution d'un lot par candidat et par corps d'état. Les possibilités d'attribution portent alors sur une pluralité de lots, voire sur la totalité des lots restant à attribuer.
94. Les règlements de consultation restreignent toutefois les possibilités d'attribution supplémentaires en soumettant les entreprises à des conditions de moyens ou en contingentant l'attribution de lots supplémentaires appartenant à un même secteur ou encore en prévoyant parfois un mode de répartition des marchés. Dans le second cas, la règle du lot unique devient applicable par secteur, permettant ainsi de desserrer la contrainte intersectorielle. Optimisation par Girod et SMAB de l'assouplissement des règles d'attribution
95. Les sociétés Girod et SMAB ont optimisé les règles d'attribution assouplies et ont tenté de desserrer les nouvelles contraintes introduites par les acheteurs publics, en présentant des offres en apparence séparées.
96. Dans le cadre du marché lancé par la ville de Paris en 2001, au stade du quatrième appel d'offres, Girod s'est vu attribuer un second lot, profitant de l'assouplissement du règlement de consultation et n'étant pas concerné par la contrainte sectorielle du fait de l'attribution précédente. Les lots qui ont été attribués à Girod et SMAB lors des trois tours antérieurs l'ont été dans des secteurs distincts (F1 et F2) de ceux pour lesquels des lots restaient à affecter au 4ème tour (F3 et F4). Le quatrième appel d'offres du marché lancé en 2001 par le département de Paris présente pour les deux soumissionnaires une configuration nettement moins favorable imputable à l'application de la contrainte sectorielle à la candidature de Girod dans le secteur 2 : Girod étant déjà attributaire du lot N 2.1 ne pouvait prétendre à un second lot dans le secteur (lot N 2.2), ses chances restant intactes s'agissant des secteurs 3 et 4. Les chances de SMAB d'obtenir un des 3 lots (N 2.2, N3.2, N 4.2) n'étant pas affectées par l'attribution antérieure du lot N1.2 lui ouvraient la possibilité d'obtenir un second lot dans le secteur 2, nonobstant l'affectation à Girod du lot N2.1. Potentiellement donc, le groupement pouvait par construction des offres par lot prétendre à deux lots dans le secteur 2 en contravention au règlement. L'issue du marché a été différente, SMAB ayant été écartée pour non conformité.
97. Dans le cas des marchés lancés en 2004 par la ville et le département de Paris, la possibilité d'obtenir plusieurs lots a été contrebalancée par une forme de répartition du marché par l'acheteur public, consistant à attribuer un premier lot aux candidats dont l'offre est classée, puis à attribuer le cas échéant un second lot dans le cas où le nombre de candidats classés serait inférieur au nombre de lots à attribuer et ainsi de suite. Cette dernière disposition, contraire aux dispositions de l'alinéa 3 de l'article 10 du Code des marchés publics, qui prévoit un examen des offres par lot, a été également jugée " contraire au droit de la concurrence, puisqu'elle devait conduire à une répartition de fait des marchés entre les entreprises " (courriel de J. Z... de la DDCCRF de Paris à C. A... de la Préfecture de Paris). Dans ce contexte de répartition du marché du fait du règlement, le dépôt d'offres séparées par Girod et SMAB a permis de positionner favorablement l'offre Girod, adaptant la stratégie à un règlement peu favorable à l'attribution d'un lot supplémentaire, en raison d'un nombre de candidatures supérieur au nombre de lots.
98. Le marché de la ville d'Argenteuil ouvre la possibilité d'obtenir plusieurs lots, soit dans le secteur des bâtiments scolaires soit dans celui des autres bâtiments mais en aucun cas dans les deux. La stratégie a consisté à organiser la soumission de Girod et de SMAB chacun sur un secteur particulier afin d'optimiser les chances d'obtention d'un ou plusieurs lots par secteur. Une soumission groupée n'aurait évidemment pas permis une telle optimisation. M. X... a donc faussé le jeu de la concurrence en répartissant préalablement les lots potentiels entre ses sociétés à l'insu de l'acheteur public. Cette pratique a été d'autant plus dommageable que les candidats étaient en nombre très restreint et que seul le groupe Girod-SMAB a été en mesure de couvrir l'ensemble des lots du marché.
99. En définitive, quel que soit le cadre réglementaire des marchés analysés, la stratégie de dissociation des offres Girod et SMAB, a permis de maximiser les possibilités d'obtention des lots par rapport à la remise d'offres groupées. S'opérant à l'insu des acheteurs publics et en amont du dépôt des offres, elle a faussé le processus de sélection des offres au détriment des autres candidats et a abusé les maîtres d'ouvrage quant à l'intensité concurrentielle.
3. UN PROCESSUS CONDUISANT À LA GÉNÉRALISATION D'OFFRES DE COUVERTURE
100. Le processus centralisé de soumission aux appels d'offres par Girod et SMAB a permis de présenter aux maîtres d'ouvrage des offres artificiellement différenciées en cas de réponses concomitantes.
101. Les entreprises ont recouru de manière systématique soit à une différenciation formelle des offres, notamment par le dépôt d'offres non conformes, soit à la différenciation du prix des offres. Ces différenciations sont artificielles dans la mesure où leur élaboration concomitante, à partir d'un processus et de ressources communs, ne peut conduire qu'à des distorsions fictives, destinées à égarer les acheteurs publics quant au degré de concurrence réel entre Girod et SMAB. Elles conduisent en effet à abuser le maître d'ouvrage et à fausser la sélection des offres, d'une part en accréditant la présence d'offres concurrentes et d'autre part en favorisant un positionnement des offres à géométrie variable, dépendant de l'opportunité pour chacune des sociétés Girod et SMAB d'emporter un marché particulier, en fonction de leur plan de charge respectif.
102. Cette différenciation des offres Girod et SMAB caractérise le dépôt d'offres de couverture dès lors qu'elle résulte d'un processus de concertation généralisée, préalable à la remise des offres, amenant à désigner à l'avance l'entreprise la mieux-disante. La différenciation formelle des offres par le dépôt d'une offre non conforme, assimilable à l'abstention volontaire de l'entreprise, dès lors qu'elle est concertée dans le cadre du même processus, est illicite au même titre1que l'offre de couverture.
a) Offres de couverture par différenciation formelle des offres
103. Girod et SMAB ont recouru pour certains marchés à une différenciation formelle de leurs offres, l'une des deux sociétés déposant une offre non conforme ou insuffisamment référencée et écartée de ce fait de l'analyse des offres : différenciation par défaut d'enveloppe intérieur de la candidature SMAB (1er appel d'offres ville de Paris 2001), par la présentation d'un système d'astreinte non conforme par Girod (conseil général du Val de Marne) ou par l'ancienneté ou l'insuffisance des références (Girod : OPHLM 92, SMAB : conseil général 92). Ce procédé caractérise une abstention volontaire, pleinement concertée avec la société désignée pour rester en lice, qui présente une offre conforme. Cette absence de conformité ou de référencement, spécifique à l'une ou l'autre des deux sociétés, ne peut être fortuite, dès lors que le processus de construction des offres est centralisé, supervisé par le dirigeant des deux sociétés et qu'il relève de sociétés au fait des procédures de marchés publics qui réalisent plus de 80 % de leur chiffre d'affaires annuel avec des acheteurs publics. Cette absence de caractère fortuit tient aussi à la répétition de cette différenciation formelle, SMAB ou Girod pouvant chacune à leur tour être affectées par la non conformité ou le non référencement de leurs offres. Ce procédé traduit bien une volonté délibérée de positionner les offres et de simuler des offres concurrentes.
b) Offres de couverture par différenciation du prix des offres
104. La différenciation du prix des offres concerne les marchés dont les offres sont remises sous la forme d'un rabais appliqué à un bordereau de prix standard (marchés des villes de Versailles, Athis-Mons, Rueil-Malmaison, de l'hôpital national des Quinze-Vingt) et les marchés qui font l'objet d'un devis ou d'une facture type, éventuellement complété par un bordereau de prix.
La différenciation par les rabais sur bordereau de prix
105. La différenciation des offres Girod et SMAB par les rabais sur bordereau de prix standard, consiste à positionner les offres respectives en proposant pour chacune d'elles un rabais plus ou moins attractif, l'écart entre ces rabais n'ayant aucune justification rationnelle, s'agissant d'entreprises mobilisant des moyens communs, rendant des prestations comparables et relevant d'une stratégie commerciale unique. Le système de rabais différenciés consiste à assortir l'offre positionnée le plus favorablement d'un rabais particulièrement attractif, et l'offre secondaire d'un rabais moins intéressant, mais qui se révèle toutefois supérieur à celui proposé par les autres candidats.
La différenciation par les factures ou devis type
106. La différenciation par les factures ou devis type présente les mêmes caractéristiques et objectifs que celle par les rabais sur bordereau de prix. Elle a concerné les marchés de la ville et du département de Paris (2001 et 2004), du conseil général du 93, de l'OPHLM 92 et des hôpitaux Esquirol et Saint-Maurice. Elle privilégie en général la société Girod, mais SMAB a été également favorisée dans le cas du marché de l'OPHLM 92.
107. En définitive, la différenciation du prix des offres, sous ses deux formes, permet à la fois à Girod et SMAB de simuler la concurrence et de positionner leurs offres. Sur les 17 marchés concernés par la différenciation des offres, 14 sont caractérisés par un positionnement plus favorable de Girod et 3 par une situation inverse. On peut en conclure que la règle de construction des offres privilégie en principe les offres Girod et que lorsque c'est l'offre SMAB qui doit être positionnée plus favorablement, c'est la différenciation formelle qui est mise en œuvre, car elle discrimine sans équivoque l'offre Girod. L'avantage comparatif ainsi donné à Girod se révèle tout à fait conforme à la stratégie visant à favoriser l'entreprise dont les moyens sont les plus importants et les plus développés, notamment en terme d'encadrement et d'ingénierie des marchés publics.
C. LE GRIEF NOTIFIÉ
108. Sur la base des constatations qui précèdent, un grief a été notifié le 21 juillet 2008 aux sociétés Girod et SMAB, sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce, " pour avoir déposé des offres dont l'indépendance n'était qu'apparente, dès lors qu'elles résultaient d'un processus d'élaboration centralisé dans l'une des deux sociétés, assurant un échange généralisé d'informations ; pour avoir simulé la concurrence entre elles en dissimulant leurs liens au stade de leur candidature, en usant des procédés de représentation et de domiciliation des sociétés et en différenciant artificiellement leurs offres l'une par rapport à l'autre ; pour avoir faussé la concurrence entre les candidats et trompé les acheteurs publics, en contournant et en desserrant les contraintes des règlements de consultation par le procédé d'offres artificiellement indépendantes, pour avoir systématisé, sous différentes formes, le dépôt d'offres de couverture réciproques ".
D. LA MISE EN OEUVRE DU III DE L'ARTICLE L. 464-2 DU CODE DE COMMERCE
109. Les sociétés Girod et SMAB ont décidé de ne pas contester le grief et ont sollicité le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, selon lesquelles : " lorsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés et s'engage à modifier ses comportements pour l'avenir, le rapporteur général peut proposer au Conseil de la concurrence qui entend les parties et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I en tenant compte de l'absence de contestation. Dans ce cas, le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié ".
110. La mise en œuvre de ces dispositions a donné lieu à deux procès-verbaux (un par société) dressés le 29 septembre 2008.
111. En raison du recours à la procédure simplifiée et du choix des mis en cause de ne pas contester le grief, aucun rapport n'a été établi.
112. Pour la mise en œuvre du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, les deux sociétés ont souscrit, dans des termes similaires, par procès-verbal du 29 septembre 2008, les engagements suivants :
Engagements de la société Girod Père et Fils
1. La société Girod Père et Fils s'engage à poursuivre à l'avenir la politique mise en œuvre depuis son changement de contrôle consistant à ne présenter qu'une seule soumission au nom de l'une ou l'autre des deux sociétés Girod Père et Fils ou SMAB aux appels d'offres auxquels elles sont susceptibles de répondre.
Si, dans le cadre d'une soumission, l'une des sociétés intervenait comme sous traitante de l'autre, chacune des sociétés Girod Père et Fils et SMAB s'engage à porter clairement à la connaissance de l'autorité adjudicatrice l'existence des liens les unissant.
2. La société Girod Père et Fils s'engage à renforcer le contrôle hiérarchique sur les modalités d'élaboration et de soumission de ses réponses aux appels d'offres afin de garantir le respect de cette politique.
A cet effet, le Président de la société Girod Père et Fils adressera à l'ensemble des personnels qui participe à l'élaboration des réponses aux appels d'offres et notamment aux métreurs salariés de chacune des sociétés, une lettre d'instruction leur rappelant l'engagement de ne pas soumissionner au même appel d'offres.
Dans le même objectif, les soumissions de la société Girod Père et Fils devront être signées par son Président qui s'assurera du respect de cette règle.
3. Au-delà de cette directive relative au grief qui lui a été notifié, la société Girod Père et Fils s'engage à remettre à l'ensemble de son personnel en charge de l'élaboration des réponses aux appels d'offres, ainsi qu'à tout nouveau salarié qui intégrerait ses équipes, une note rappelant les règles de droit de la concurrence applicables de façon générale à l'élaboration des réponses à des appels d'offres portant sur des marchés publics et la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence en la matière.
4. Enfin, la société Girod Père et Fils s'engage à tenir à jour un registre des appels d'offres portant sur des marchés publics auxquels elle aura soumissionné. Le registre permettra notamment d'identifier les appels d'offres auxquels l'une ou l'autre des sociétés Girod Père et Fils ou SMAB sera intervenue comme sous traitante de l'autre.
La société Girod Père et Fils conservera pendant une durée de 3 ans l'ensemble des dossiers de candidature déposés dans ce cadre. Passé ce délai de 3 ans, seuls les dossiers pour lesquels sa candidature aura été retenue seront conservés.
Copie du registre sera adressée semestriellement aux autorités de la concurrence pendant une durée de 3 ans.
Le registre et la copie des soumissions seront tenus à la disposition des services compétents de la DGCCRF.
113. Pour tenir compte de la non contestation des griefs et des engagements souscrits par la société Girod Père et Fils, la rapporteure générale adjointe a proposé que la sanction éventuellement encourue soit réduite dans une proportion allant de 10 à 20 % du montant qui aurait été normalement infligé.
Engagements de la société SMAB
1. La société SMAB s'engage à poursuivre à l'avenir la politique mise en œuvre depuis son changement de contrôle consistant à ne présenter qu'une seule soumission au nom de l'une ou l'autre des deux sociétés Girod Père et Fils ou SMAB aux appels d'offres auxquels elles sont susceptibles de répondre. Si, dans le cadre d'une soumission, l'une des sociétés intervenait comme sous traitante de l'autre, chacune des sociétés Girod Père et Fils et SMAB s'engage à porter clairement à la connaissance de l'autorité adjudicatrice l'existence des liens les unissant.
2. La société SMAB s'engage à renforcer le contrôle hiérarchique sur les modalités d'élaboration et de soumission de ses réponses aux appels d'offres afin de garantir le respect de cette politique.
A cet effet, le Président de la société SMAB adressera à l'ensemble des personnels qui participe à l'élaboration des réponses aux appels d'offres et notamment aux métreurs salariés de chacune des sociétés, une lettre d'instruction leur rappelant l'engagement de ne pas soumissionner au même appel d'offres.
Dans le même objectif, les soumissions de la société SMAB devront être signées par son Président qui s'assurera du respect de cette règle.
3. Au-delà de cette directive relative au grief qui lui a été notifié, la société SMAB s'engage à remettre à l'ensemble de son personnel en charge de l'élaboration des réponses aux appels d'offres, ainsi qu'à tout nouveau salarié qui intégrerait ses équipes, une note rappelant les règles de droit de la concurrence applicables de façon générale à l'élaboration des réponses à des appels d'offres portant sur des marchés publics et la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence en la matière.
4. Enfin, la société SMAB s'engage à tenir à jour un registre des appels d'offres portant sur des marchés publics auxquels elle aura soumissionné. Le registre permettra notamment d'identifier les appels d'offres auxquels l'une ou l'autre des sociétés Girod Père et Fils ou SMAB sera intervenue comme sous traitante de l'autre.
La société SMAB conservera pendant une durée de 3 ans l'ensemble des dossiers de candidature déposés dans ce cadre. Passé ce délai de 3 ans, seuls les dossiers pour lesquels sa candidature aura été retenue seront conservés.
Copie du registre sera adressée semestriellement aux autorités de la concurrence pendant une durée de 3 ans.
Le registre et la copie des soumissions seront tenus à la disposition des services compétents de la DGCCRF.
114. Pour tenir compte de la non contestation des griefs et des engagements souscrits par la société SMAB, la rapporteure générale adjointe a proposé que la sanction éventuellement encourue soit réduite dans une proportion allant de 10 à 20 % du montant qui aurait été normalement infligé.
II. Discussion
A. SUR LES PRATIQUES
115. Selon une jurisprudence constante, les dispositions prohibant les ententes illicites ne s'appliquent pas aux accords intragroupes, dès lors que les filiales ne disposent pas d'une autonomie commerciale.
116. Le Conseil de la concurrence en a tiré la conséquence que si des entreprises ayant entre elles des liens juridiques ou financiers mais disposant d'une autonomie commerciale, déposent plusieurs offres, la pluralité de ces offres manifeste l'autonomie commerciale des entreprises qui les présentent et l'indépendance de ces offres.
117. Mais si ces offres multiples ont été établies en concertation ou après que les entreprises ont communiqué entre elles, ces offres ne sont plus indépendantes.
118. Dès lors, les présenter comme telles trompe le responsable du marché sur la nature, la portée, l'étendue ou l'intensité de la concurrence et cette pratique a en conséquence un objet ou, potentiellement, un effet anticoncurrentiel.
119. Par un arrêt du 9 novembre 2004 (SEE Camille Bayol), la Cour d'appel de Paris a sanctionné quatre entreprises pour s'être concertées et avoir présenté des offres faussement concurrentes, soulignant "qu'il est loisible à des entreprises, ayant entre elles des liens juridiques et financiers mais disposant d'une autonomie commerciale, de présenter des offres distinctes et concurrentes, à la condition de ne pas se concerter avant le dépôt des offres et, en cas de concertation de n'en déposer qu'une seule ". Par ailleurs, dans un arrêt du 24 mai 2005, la Cour d'appel de Paris (SARL Imagin et autres) a jugé que " les quatre sociétés du groupe Imagin ne peuvent valablement se prévaloir du caractère prétendument transparent de leur démarche et de leur bonne foi alors que, en déposant des offres séparées, elles ont manifesté leur autonomie commerciale et ont choisi de se présenter, dans le cadre de l'appel d'offres, comme des entreprises concurrentes ; qu'elles devaient, par conséquent, respecter les règles de la concurrence auxquelles elles s'étaient soumises et s'interdire de présenter des offres dont l'indépendance n'était qu'apparente ; que la connaissance des liens unissant ces sociétés, que pouvaient avoir les services de la préfecture, est inopérante au regard des développements qui précèdent ".
120. En l'espèce, il est établi que les sociétés Girod et SMAB, qui ont des liens juridiques et financiers (§4) ont, en déposant des offres concomitantes mais distinctes dans le cadre des marchés analysés, manifesté leur autonomie commerciale et l'indépendance de leurs offres.
121. Ces offres ayant été élaborées en concertation de manière centralisée (paragraphes 72 et suivants), elles n'étaient plus indépendantes.
122. La présentation par Girod et SMAB d'offres fictivement indépendantes par recours à divers procédés simulant l'autonomie des offres et des entreprises a abusé les acheteurs publics dans le cadre des différents marchés. Ceux-ci ont été trompés sur l'intensité réelle de la concurrence comme l'attestent la réduction du taux d'intensité concurrentielle, le recours à des procédés visant à contourner ou à desserrer les contraintes des règlements de consultation et le dépôt d'offres de couverture réciproques.
123. Ces pratiques ont eu un objet et un effet anticoncurrentiel.
124. Ces faits, dont ni la matérialité ni la qualification ou l'imputabilité ne sont contestées par les entreprises en cause, constituent une entente prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
B. SUR LES SANCTIONS
125. Aux termes du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le Conseil de la concurrence " peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions soit en cas de non-respect des engagements qu'il a acceptés. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre".
1. EN CE QUI CONCERNE LA GRAVITÉ DES PRATIQUES
126. Ainsi que le rappelle le Conseil dans sa pratique décisionnelle, les ententes commises à l'occasion d'appels d'offres sont d'une nature particulièrement grave puisqu'elles limitent l'intensité de la pression concurrentielle à laquelle auraient été soumises les entreprises, si elles s'étaient déterminées de manière indépendante. Il souligne, que seul le respect des règles de concurrence dans ce domaine garantit à l'acheteur public la sincérité de l'appel d'offres et la bonne utilisation de l'argent public. Les pratiques d'échanges d'informations et de dépôt d'offres de couverture en vue de la répartition de marchés comptent parmi les pratiques les plus graves.
127. Au cas d'espèce, le processus d'élaboration centralisé des offres Girod et SMAB a favorisé la généralisation d'offres de couverture et a systématiquement faussé le fonctionnement de la concurrence. Ces pratiques généralisées sont d'autant plus graves qu'une véritable stratégie de dissimulation a été mise en œuvre pour simuler la concurrence entre les offres des deux sociétés. Elles ont été l'œuvre du dirigeant de ces entreprises dont l'activité essentielle était d'exécuter les travaux de métallerie serrurerie des marchés publics d'Ile de France remportés. M. X..., par sa longue fréquentation des marchés publics, était parfaitement informé des règles de concurrence applicables qu'il a sciemment méconnues.
128. En outre, les sociétés mises en cause ont continué ces pratiques en toute connaissance de cause de 2001 à 2006 en dépit d'un rappel à l'ordre particulièrement clair que leur avait adressé l'administration.
2. EN CE QUI CONCERNE LE DOMMAGE À L'ÉCONOMIE
a) Sur l'importance du dommage
129. Il convient d'abord de relever que l'article L. 464-2 du Code de commerce énonce, parmi les critères de la sanction, l'" importance " du dommage causé à l'économie : il n'en n'exige pas une évaluation précise. La Cour de cassation a d'ailleurs admis que l'existence d'un dommage à l'économie puisse être inférée de l'atteinte à la concurrence portée par la pratique. Par exemple, dans un arrêt du 10 janvier 1995, société SOGEA, la Cour de cassation a approuvé la Cour d'appel de Paris d'avoir rappelé que " le dommage à l'économie est présumé par la loi dès lors que l'existence d'une entente est établie ".
130. Plus récemment, s'agissant de l'appréciation des sanctions encourues par les entreprises ayant participé à une entente lors de soumissions à des appels d'offres pour la construction des ouvrages d'art pour la réalisation de l'autoroute A84 (arrêt du 7 mars 2006), la cour d'appel a, à nouveau, considéré que " le dommage causé à l'économie, qui est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage est établi, ne serait-ce qu'en raison de l'entrave portée au jeu normal de la concurrence entre les compétiteurs sélectionnés par la DDE de la Manche, de la tromperie qui en est résultée sur la réalité de cette concurrence, de la durée des pratiques relevée par le Conseil, qui se sont poursuivies plus d'un an, une telle action concertée étant répréhensible du seul fait de son existence ".
131. Au cas d'espèce, le dommage causé à l'économie existe, dès lors que l'entente entre les sociétés Girod et SMAB, qui a entravé le jeu normal de la concurrence entre les compétiteurs et qui a trompé le maître d'ouvrage sur la réalité de la concurrence, est démontrée.
132. L'importance du dommage peut notamment être appréciée au travers de la durée des pratiques et de leur répétition. En l'espèce, la durée des pratiques est significative, dans la mesure où elles ne se limitent pas à la constitution de l'entente préalablement au dépôt des offres, mais incluent aussi les effets qui en résultent pendant la durée du marché. La période des pratiques qui coïncide avec la durée primitive ou reconduite des marchés passés pour les exercices 2002 à 2006 (lancés entre 2001 et 2004 pour des durées comprises entre 1 et 3 ans) est considérée comme significative par la jurisprudence et majore arithmétiquement le dommage à l'économie. Les pratiques se sont répétées aux tours successifs des appels d'offres de mêmes marchés et entre marchés distincts. Elles concernent vingt-trois marchés, représentant 37 % des marchés échantillonnés.
133. La valeur des marchés affectés constitue aussi un élément d'appréciation du dommage à l'économie. En l'espèce, elle équivaut sur la période de référence à environ une année de chiffre d'affaires de la société SMAB et à 135 % du chiffre d'affaires annuel de Girod Père et Fils.
134. Enfin, il convient de prendre en compte la réduction de la pression concurrentielle résultant des pratiques.
135. Pour chaque marché et le cas échéant pour les appels d'offres successifs d'un même marché, l'intensité de la pression concurrentielle a été calculée à partir du nombre d'offres concurrentes présentées, rapporté à la totalité des offres.
136. Il ressort de cette évaluation que les pratiques ont réduit en moyenne de plus de 30 % l'intensité de la pression concurrentielle sur les marchés concernés. Pour certains appels d'offres, l'intensité concurrentielle est nulle, en raison de la seule candidature des entreprises Girod et SMAB. Les situations pour lesquelles l'intensité concurrentielle ne semble pas affectée (ratio de 100 %) masquent en réalité un partage des lots (marchés du conseil général du Val de Marne et de la ville d'Argenteuil) qui n'est pas pris en compte par le mode de calcul du ratio d'intensité concurrentielle, mais qui perturbe néanmoins le jeu concurrentiel. Cet indicateur ne recense en effet comme atteinte à la concurrence que les candidatures simultanées de Girod et de SMAB aux mêmes marchés, dans l'hypothèse où le maître d'ouvrage n'est pas informé des liens les unissant. Le nombre souvent réduit de candidatures aux lots de " menuiserie, métallerie, serrurerie " amplifie l'effet de réduction d'intensité concurrentielle.
137. Au vu de ces éléments, il convient de considérer que les pratiques anticoncurrentielles constatées ont causé un dommage important à l'économie.
b) Sur la contestation de l'effet des pratiques par " l'absence " de dommage causé aux acheteurs publics
138. Les sociétés Girod et SMAB contestent que " le dommage à l'économie (soit) présumé du fait de l'existence de l'infraction, sans qu'il soit nécessaire de s'intéresser au dommage éventuellement causé aux acheteurs publics qui ont passé les marchés en cause ". Elles considèrent que " dans le secteur des appels d'offre, la détermination d'une sanction se doit d'analyser et de prendre en considération l'existence ou l'absence d'un dommage causé aux acheteurs publics ".
139. Les sociétés mises en cause se fondent sur la pratique décisionnelle du Conseil et sur la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris en matière d'appels d'offres, commentées dans les rapports annuels du Conseil, pour établir une relation de causalité entre le surcoût supporté par l'acheteur public du fait des pratiques (surcoût dû en substance à un prix supérieur à celui qui aurait résulté du libre jeu de la concurrence ou aux pertes subies du fait de l'échec de l'appel d'offre) et le dommage causé à l'économie. Ils estiment qu'en l'absence d'un tel surcoût, le dommage à l'économie serait limité.
140. Enfin, elles invoquent un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 décembre 2005, société Appia Revillon, dont il ressortirait que la sanction doit être déterminée en regardant si le déroulement et l'attribution des marchés auraient pu connaître une issue différente dans l'hypothèse d'un fonctionnement normal du jeu de la concurrence. Elles en déduisent que dans l'hypothèse où les pratiques n'auraient pas affecté l'attribution nominative des marchés en cause, le dommage à l'économie serait limité.
141. Les sociétés en cause distinguent les marchés pour lesquels Girod et SMAB restent les mieux- disant ou ceux pour lesquels les résultats de la consultation sont identiques à ceux résultant du jeu normal de la concurrence, de ceux pour lesquels les pratiques auraient permis à Girod et SMAB d'obtenir des lots qu'elles n'auraient pas eus dans le cadre d'un jeu concurrentiel normal ou qui auraient été déclarés infructueux si les liens entre les deux sociétés avaient été révélés. Dans le premier cas, l'absence de renchérissement des marchés et la stabilité des attributions induiraient que les pratiques n'ont pas causé de dommage aux acheteurs publics. Dans le second, le dommage serait caractérisé.
142. Il convient de rappeler qu'en matière d'entente dans le cadre d'appels d'offres, " le dommage causé à l'économie est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence " (Cour d'appel de Paris 13 janvier 1998, Fougerolle Ballot). Dans un arrêt récent du 8 octobre 2008, société SNEF, la Cour d'appel de Paris a rappelé que " le dommage à l'économie visé par les dispositions ci-dessus rappelées de l'article L. 462-4 du Code de commerce ne se réduit pas au préjudice éventuellement subi par le maître d'ouvrage et s'apprécie en fonction de la perturbation générale apportée au fonctionnement normal des marchés par les pratiques en cause, laquelle est caractérisée, en l'espèce, par le désordre résultant de la découverte de deux offres identiques présentées par des sociétés concurrentes seulement en apparence ".
143. La réduction du dommage à l'économie au seul dommage causé aux acheteurs publics n'est ni conforme à la pratique décisionnelle du Conseil ni à la jurisprudence des juridictions de contrôle, qui affirment clairement la distinction de ces deux notions. Par ailleurs, la jurisprudence a clairement sanctionné, dans des cas où le niveau du prix de marché n'était pas a priori de nature à causer un dommage aux acheteurs publics (prix proches voir inférieurs à l'estimation administrative par exemple), des pratiques ayant causé un dommage à l'économie en raison d'entraves au libre jeu de la concurrence et de l'atteinte qui en est résultée pour l'ordre public économique.
144. Ainsi qu'il a été souligné dans la décision n° 07-D-15 du Conseil, " les entreprises ne peuvent pas soutenir pour leur défense que dans de nombreux cas, l'offre retenue correspondait à l'estimation de l'administration ou était contenue par le maître d'ouvrage ", " seul le fonctionnement normal de la concurrence et l'incertitude sur le montant des offres proposées par les concurrents (étant) de nature à garantir l'obtention du juste prix ".
145. Enfin, il ne peut être excipé de l'arrêt Appia Revillon cité dans le rapport 2005, " qu'en matière d'appel d'offres, la sanction doit être déterminée en regardant si le déroulement et l'attribution des marchés en cause auraient pu connaître une issue différente dans l'hypothèse d'un fonctionnement normal du jeu de la concurrence ". Dans cet arrêt d'espèce, la Cour d'appel de Paris a estimé que le dommage à l'économie était limité, dans la mesure où le marché n'excédait pas 83 000 euro et où aucune des entreprises sanctionnées n'a été finalement attributaire, leurs offres étant plus élevées que celles de l'entreprise moins-disante. Il ne signifie nullement que si une des entreprises sanctionnées avait été la moins-disante, ce positionnement aurait effacé d'une certaine manière les effets de la pratique et limité de fait le dommage à l'économie. L'offre, même moins-disante, est toujours le résultat de la collusion des entreprises soumissionnaires et en aucun cas le prix issu du libre jeu de la concurrence.
3. SUR LES ÉLÉMENTS D'INDIVIDUALISATION DES SANCTIONS
a) La cessation des pratiques
146. Les sociétés mises en cause font valoir que les pratiques litigieuses auraient probablement cessé depuis 2005, aux termes des allégations de l'ancien dirigeant rapportées par son successeur, et avec certitude depuis avril 2007, période à partir de laquelle les sociétés Girod et SMAB n'ont plus soumissionné de manière concomitante aux appels d'offres publics. Cette période coïncide avec le changement de direction et d'actionnariat des sociétés Girod et SMAB, qui ont été cédées, le 6 avril 2007, par M. X... à la société Silver Compagnie Développement, M. B... devenant le dirigeant des deux sociétés.
147. Sous l'impulsion de la nouvelle direction, a été " mise en œuvre (sa) propre politique commerciale de réponse aux appels d'offre qui est conforme aux règles de concurrence ". Les deux sociétés n'ont depuis lors " à aucun moment présenté des soumissions en réponse aux mêmes appels d'offre ". Le tableau récapitulatif des appels d'offres enregistrés entre avril 2007 et septembre 2008 met en évidence sur une base de 258 marchés, une soumission au nom de la seule société Girod dans la quasi totalité des cas et une soumission au titre de SMAB dans deux cas. Pour 58 appels d'offres, aucune des sociétés n'a soumissionné.
148. Cette mise en conformité serait autonome dans la mesure où elle serait intervenue avant que la nouvelle direction ait pris connaissance de l'enquête conduite par la DGCCRF, qui n'aurait pas été révélée à l'occasion du changement simultané d'actionnaires et de dirigeants.
149. Si le changement de politique de soumission traduit bien une cessation des pratiques litigieuses à compter d'avril 2007, en revanche aucun élément ne permet d'entériner que cette cessation serait plus précoce et remonterait à l'année 2005, et ce, d'autant plus que les marchés analysés passés entre 2002 et 2005 continuent à affecter les exercices 2005 et 2006, comme cela ressort du tableau des facturations.
150. En toute hypothèse, la cessation de la participation d'une entreprise à une entente, si elle est prise en compte au titre de l'appréciation de la durée de cette dernière, ne constitue pas une circonstance qui atténue par elle-même la gravité de l'infraction.
b) La proportionnalité de la sanction à la situation des entreprises
151. Les sociétés en cause, se référant à la disposition selon laquelle les sanctions prononcées doivent être proportionnées à la situation de l'entreprise sanctionnée, font valoir que l'application d'une sanction fixée au taux plafond de la sanction de base (5 %) avec une hypothèse de réfaction de 20 %, aboutirait à une sanction disproportionnée par rapport à leurs résultats (en substance la sanction représenterait 40 % du bénéfice de Girod et 50 % de celui de SMAB). Elle compromettrait " gravement et immédiatement la situation financière des entreprises " tout en causant un préjudice aux nouveaux dirigeants-actionnaires, alors qu'ils n'ont aucune responsabilité dans la mise en œuvre des pratiques poursuivies.
152. Mais les données comptables communiquées pour l'exercice 2007 ne permettent pas d'établir que les sanctions susceptibles d'être appliquées par le Conseil, compromettraient la situation financière des entreprises. Les ratios financiers les plus significatifs (besoin en fonds de roulement et besoin de trésorerie) qui semblent satisfaisants, ne seraient d'ailleurs pas, par construction, affectés par le niveau de la sanction. En outre, le niveau des disponibilités des deux sociétés couvre largement leurs sanctions respectives calculées au taux plafond.
153. Il convient de tenir compte du changement de comportement des sociétés dû au changement d'actionnaires et de dirigeants. Les mesures prises par M. B... dès son arrivée pour assurer la conformité du comportement du groupe avec les règles de la concurrence justifient la prise en compte, pour le calcul des sanctions encourues, du chiffre d'affaires de l'année 2006, dernière année de mise en œuvre des pratiques par les anciens dirigeants du groupe.
4. EN CE QUI CONCERNE LA PORTEE DES ENGAGEMENTS
154. Lorsqu'est mise en œuvre la procédure prévue au III de l'article L. 464.2 du Code de commerce, le Conseil qui examine la position du rapporteur général relative à l'aménagement de la sanction pécuniaire encourue tient compte à la fois de la non contestation des griefs et des engagements pris.
155. Toutefois, la simple renonciation à contester les griefs, qui a principalement pour effet d'alléger et d'accélérer le travail de l'instruction en dispensant de la rédaction du rapport, notamment lorsqu'elle est choisie par l'ensemble des mis en cause, ne peut conduire à accorder aux entreprises en cause qu'une réduction forfaitaire et relativement limitée de la sanction encourue. C'est la qualité des engagements qui peut permettre d'accorder des contreparties plus substantielles dans le cadre de cette procédure, comme l'a indiqué le Conseil dans sa décision n° 04-D-65 du 30 novembre 2004 : " Dans certaines situations de marché, les engagements pris (...) peuvent avoir, pour le respect des règles du jeu concurrentiel, une plus grande efficacité que les sanctions, en particulier si ces engagements traduisent une modification substantielle des pratiques de cette entreprise et si les autorités de concurrence sont mises en mesure d'en vérifier l'application effective ".
156. L'engagement n° 1, visant à ne présenter qu'une seule soumission (Girod ou SMAB) aux appels d'offres lancés par les opérateurs publics est de nature à mettre un terme aux pratiques qui ont fondé le grief. L'engagement corollaire visant, dans les cas de sous-traitance de l'une par l'autre, à porter à la connaissance de l'entité adjudicatrice l'existence des liens les unissant, permet d'éviter le contournement de l'engagement principal.
157. Les engagements n° 2 et n° 3 replacent dans un processus hiérarchique l'ensemble des personnels intervenant dans le cadre des réponses aux appels d'offres, auxquels est transmise une directive rappelant le principe d'unicité de soumission au sein du groupe, complétée par une note précisant les règles de concurrence et la jurisprudence, applicables aux marchés publics. L'implication du président de chacune des sociétés au travers du visa systématique des soumissions, crédibilise ces engagements. Ce renforcement du contrôle hiérarchique sur le processus de réponse aux marchés publics s'avère d'autant plus nécessaire que les différents échelons ont été impliqués dans la mise en œuvre des pratiques litigieuses et que certains des personnels concernés sont toujours en fonction.
158. L'engagement n° 4 consistant à tenir un registre des soumissions transmis semestriellement aux autorités de concurrence pendant trois ans, puis consultable, assure potentiellement le contrôle externe de la mise en œuvre de l'engagement principal. La conservation des documents de marché pendant une durée de trois ans, quel que soit le sort réservé à la candidature, puis au- delà de ce délai, des seuls documents des marchés obtenus, doit permettre d'effectuer tout recoupement des informations figurant dans le registre.
159. Les engagements proposés doivent être regardés comme crédibles, vérifiables et susceptibles de prévenir en particulier les pratiques litigieuses de même nature que celle que le Conseil sanctionne en l'espèce. Ils justifient une réduction de la sanction qui aurait dû être normalement infligée aux sociétés Girod père et fils et SMAB.
5. SUR LE PLAFOND DES SANCTIONS
160. Le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 15 mai 2001 dispose : " Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euro. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante".
161. L'article L. 464-5 du Code de commerce dispose : " Le Conseil lorsqu'il statue selon la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3, peut prononcer les mesures prévues au I de l'article L. 464-2. Toutefois, la sanction pécuniaire ne peut excéder 750 000 euro pour chacun des auteurs de pratiques prohibées ".
162. Le III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, prévoit que lorsqu'il est recouru à la procédure de non contestation des griefs suivie d'engagements, " le montant maximum encouru est réduit de moitié ".
163. Le chiffre d'affaires le plus élevé à prendre en compte correspond au chiffre d'affaires de l'exercice 2007 pour Girod et au chiffre d'affaires de 2005 pour SMAB, soit respectivement 7 058 971 euro HT et 2 470 583 euro HT.
164. En application du III de l'article L. 464-2, le plafond légal de la sanction applicable est ramené à 5 % de ces chiffres d'affaires, soit 352 949 euro pour Girod et 123 529 euro pour SMAB.
6. SUR LE MONTANT DES SANCTIONS
165. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils ont été appréciés, le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société Girod Père et Fils, sur la base du chiffre d'affaires réalisé en 2006, soit 5 009 518 euro (voir paragraphe 162), aurait été de 100 000 euro. Pour tenir compte de l'absence de contestation des griefs et des engagements pris, ce montant est ramené à 90 000 euro.
166. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils ont été appréciés et notamment de la cessation des pratiques à compter d'avril 2007, le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société SMAB, sur la base du chiffre d'affaires réalisé en 2006, soit 2 412 261 euro (voir paragraphe 162), aurait été de 48 500 euro. Pour tenir compte de l'absence de contestation des griefs et des engagements pris, ce montant est ramené à 43 600 euro.
7. SUR LES SUITES À DONNER
167. Les faits révélés par le déroulement des appels d'offres décrits plus haut, tels qu'ils sont décrits aux paragraphes 70 à 107, sont susceptibles de recevoir une qualification pénale en vertu des dispositions de l'article L. 420-6 du Code de commerce qui réprime les infractions commises par les personnes physiques qui prennent une part personnelle, déterminante et frauduleuse dans la commission de pratiques anticoncurrentielles. C'est pourquoi l'ensemble du dossier sera transmis au procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Créteil.
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que les sociétés Girod Père et Fils et SMAB ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 2 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
à la société Girod Père et Fils une sanction de 90 000 euro ;
à la société SMAB une sanction de 43 600 euro ;
Article 3 : Le dossier est transmis au Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Créteil en application de l'article L. 420-6 du Code de commerce.
Note
1 Décision n° 97-D-11 Aménagement des bords de Seine.