CE, 1re et 6e sous-sect. réunies, 21 mai 2008, n° 291115
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Société nouvelle de remorquage du Havre (Sté), Société de remorquage maritime de Rouen
Défendeur :
Ministre des Transports, de l'Equipement, du Tourisme et de la Mer et du ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Delarue
Commissaire du gouvernement :
Mlle Courrèges
Rapporteur :
M. Boulanger
Avocats :
SCP Vier, Barthelemy, Matuchansky, SCP Peignot, Garreau, Le Prado, Odent
LE CONSEIL : - Vu 1°), sous le n° 291115, la requête sommaire, le mémoire rectificatif et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 mars, 13 mars et 10 juillet 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Société nouvelle de remorquage du Havre (SNRH), dont le siège est Quai Johannès Couvert, Hangar 17, au Havre (76600), représentée par ses représentants légaux en exercice ; la SNRH demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'arrêté du 6 janvier 2006 du ministre des Transports, de l'Equipement, du Tourisme et de la Mer et du ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, portant extension d'un accord conclu dans le cadre de la convention collective nationale des personnels navigants officiers des entreprises de remorquage maritime et, d'autre part, l'arrêté du 6 janvier 2006 du ministre des Transports, de l'Equipement, du Tourisme et de la Mer et du ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, portant extension d'un accord conclu dans le cadre de la convention collective nationale des personnels navigants d'exécution des entreprises de remorquage maritime ; 2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 500 euro au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; Vu 2°), sous le n° 291210, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 mars et 13 juillet 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Société de remorquage maritime de Rouen (SORMAR), dont le siège est boulevard Ferdinand de Lesseps à Rouen (76000) représentée par ses représentants légaux en exercice ; la SORMAR demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 6 janvier 2006 du ministre des Transports, de l'Equipement, du Tourisme et de la Mer et du ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, portant extension d'un accord conclu dans le cadre de la convention collective nationale des personnels navigants d'exécution des entreprises de remorquage maritime ; 2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euro au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; Vu 3°), sous le n° 291247, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 mars et 13 juillet 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Société de remorquage maritime de Rouen (SORMAR), dont le siège est boulevard Ferdinand de Lesseps à Rouen (76000), représentée par ses représentants légaux en exercice ; la SORMAR demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 6 janvier 2006 du ministre des Transports, de l'Equipement, du Tourisme et de la Mer et du ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, portant extension d'un accord conclu dans le cadre de la convention collective nationale des personnels navigants officiers des entreprises de remorquage maritime ; 2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euro au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; Vu les autres pièces des dossiers ; Vu, dans l'affaire visée sus le n° 291115, la note en délibéré, enregistrée le 16 avril 2008, présentée pour le SNRH ; elle soutient qu'un éventuel sursis à statuer par le Conseil d'Etat jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur les questions préjudicielles soulevées serait dommageable tant pour le requérant que pour l'ensemble du secteur économique concerné ; Vu le traité instituant la Communauté européenne ; Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; Vu le Code de commerce, notamment ses articles L. 420-1 à L. 420-4 ; Vu le Code du travail ; Vu le Code du travail maritime ; Vu le Code des ports maritimes ; Vu le décret n° 2005-305 du 31 mars 2005 ; Vu le décret n° 2005-660 du 9 juin 2005 ; Vu le décret n° 2005-670 du 16 juin 2005 ; Vu le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ; Vu le Code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique :- le rapport de M. Alain Boulanger, chargé des fonctions de Maître des requêtes, - les observations de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de la Société nouvelle de remorquage du Havre, de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de la Société de remorquage maritime de Rouen, de la SCP Peignot, Garreau, avocat de la société Les Abeilles Le Havre, de Me Le Prado, avocat de la Fédération nationale des syndicats maritimes et autres et de Me Odent, avocat de l'association professionnelle des entreprises de remorquage maritime, - les conclusions de Mlle Anne Courrèges, Commissaire du Gouvernement ;
Considérant que les requêtes de la Société nouvelle de remorquage du Havre (SNRH) et de la Société de remorquage maritime de Rouen (SORMAR) présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par les ministres aux requêtes n° 291210 et n° 291247 :
Considérant que ces requêtes contiennent chacune des indications propres à identifier l'acte dont elles demandent l'annulation ainsi que l'exposé des faits et moyens présentés au soutien de ces conclusions ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par les ministres doit être écartée ;
Sur l'intervention de la société Les Abeilles Le Havre :
Considérant que la société Les Abeilles Le Havre est membre de l'association professionnelle des entreprises de remorquage maritime (APERMA), signataire des deux accords étendus par les arrêtés attaqués ; que cette société a ainsi intérêt au maintien des actes attaqués ; que son intervention en défense est dès lors recevable ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation des arrêtés du 6 janvier 2006 : - Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 24 du Code du travail maritime : " Les durées légales hebdomadaire et quotidienne du travail effectif des marins sont celles qui sont fixées par l'article L. 212-1 du Code du travail (...) sauf dérogation à la durée quotidienne du travail dans des conditions fixées par décret " ; que, selon l'article 25 du même Code, " des décrets en conseil des ministres déterminent, le cas échéant, par genre de navigation ou catégorie de personnel les modalités d'application de l'article 24 " ; que ces décrets fixent notamment l'aménagement et la répartition des horaires de travail dans la semaine ou dans une période de temps autre que la semaine, pour tenir compte de la continuité de l'activité du navire, des contraintes portuaires et des nécessités de la sauvegarde de la sécurité des biens et des personnes en mer et aux ports ; que toutefois, en vertu du même article 25, il peut être dérogé par convention ou accord collectif étendus ou par accord collectif d'entreprise ou d'établissement à celles des dispositions de ces décrets qui sont relatives à l'aménagement et à la répartition des horaires de travail pour tenir compte des contraintes propres aux diverses activités maritimes ; que, s'agissant du remorquage portuaire, il résulte de l'article 6 du décret du 31 mars 2005 relatif à la durée du travail des gens de mer, qu'il peut être dérogé à la durée maximale quotidienne de travail prévue à cet article pour la porter à quatorze heures par une convention ou un accord collectif ou bien, sous conditions, pour la porter à seize heures par un accord national ou une convention collective de branche étendue ; qu'en vertu des articles 9 et 10 du même décret il peut être dérogé pour cette même activité aux dispositions de l'article 8 de ce décret relatives au fractionnement du repos quotidien, par convention collective ou accord collectif étendus ;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 133-8 et L. 742-2 du Code du travail, ainsi que de l'article R. 742-2 du même Code, que les stipulations d'une convention ou d'un accord professionnel applicable au personnel navigant de la marine marchande sont étendues par arrêté du ministre chargé de la Marine marchande et du ministre chargé du Travail et ainsi rendues applicables à tous les armateurs et tous les personnels navigants compris dans le champ d'application de la convention ou de l'accord collectif ;
Considérant qu'en application de ces dispositions, le ministre des Transports, de l'Equipement, du Tourisme et de la Mer et le ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, ont, par les arrêtés attaqués du 6 janvier 2006, procédé à l'extension de chacun des deux accords du 2 décembre 2005 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail, conclus respectivement dans le cadre de la Convention collective nationale des personnels navigants officiers des entreprises de remorquage maritime du 31 janvier 1950 modifiée et dans le cadre de la Convention collective nationale des personnels navigants d'exécution des entreprises de remorquage maritime du 31 janvier 1950 ;
En ce qui concerne la compétence des signataires des arrêtés attaqués : - Considérant, d'une part, que le ministre des Transports, de l'Equipement, du Tourisme et de la Mer et le ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, respectivement chargés de la marine marchande et du travail, étaient compétents pour prendre les arrêtés attaqués en application des dispositions des articles L. 133-8, L. 742-2 et R. 742-2 du Code du travail ; que, d'autre part, il résulte des dispositions du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement que le directeur des affaires maritimes et le directeur des relations du travail, dont les actes de nomination ont été publiés au Journal officiel de la République française respectivement les 21 mai 2005 et 26 janvier 2001, avaient de ce fait qualité pour signer les arrêtés attaqués au nom des ministres compétents ; que le moyen tiré de l'incompétence des signataires des arrêtés attaqués doit, par suite, être écarté ;
En ce qui concerne l'avis préalable à l'extension : - Considérant qu'aux termes de l'article L. 133-14 du Code du travail : " L'arrêté d'extension ou d'élargissement est précédé de la publication au Journal officiel d'un avis relatif à l'extension ou à l'élargissement envisagé, invitant les organisations et personnes intéressées à faire connaître leurs observations " ; que le ministre des Transports, de l'Equipement, du Tourisme et de la Mer a fait publier les avis relatifs à l'extension des accords en cause au Journal officiel du 9 décembre 2005 ; que si l'article L. 742-2 du Code du travail prévoit qu'en matière de conventions ou d'accords collectifs relatifs au travail maritime, les attributions du ministre chargé du Travail sont exercées par le ministre chargé de la Marine marchande en accord avec le ministre chargé du Travail, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose que la demande de publication de l'avis préalable à l'extension d'un accord soit signée de ces deux ministres ou encore que cette publication soit soumise à l'approbation préalable du ministre chargé du Travail ; qu'il s'ensuit que le moyen tiré de l'irrégularité de la publication des avis préalables à l'extension des accords ne peut qu'être écarté ;
En ce qui concerne l'avis de la commission nationale de la négociation collective de la marine marchande : - Considérant qu'en vertu de l'article R. 742-2 du Code du travail, les stipulations d'une convention ou d'un accord collectif relatif au travail des marins peuvent être rendues obligatoires pour tous les armateurs et tous les personnels navigants compris dans le champ d'application de la convention ou de l'accord collectif, après avis motivé de la commission nationale de la négociation collective de la marine marchande mentionnée à l'article R. 742-5 du même Code ; que cette motivation doit faire apparaître les éléments de fait et de droit de nature à éclairer la décision à prendre par les ministres ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'avis de la commission nationale de la négociation collective de la marine marchande, régulièrement réunie le 3 janvier 2006 afin d'examiner les accords du 2 décembre 2005 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dont l'extension était envisagée, consigné dans le procès-verbal de la séance, fait mention de motifs justifiant l'extension ainsi que des réserves d'une organisation professionnelle du secteur du transport maritime ; que, dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'avis de la commission nationale de la négociation collective de la marine marchande serait insuffisamment motivé ; qu'ils ne sauraient utilement se prévaloir de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales pour soutenir que cet avis aurait dû être communiqué aux entreprises du secteur avant l'intervention des arrêtés attaqués ;
En ce qui concerne la représentativité et l'indépendance de l'organisation d'employeurs signataire des accords étendus :
Considérant que l'article L. 133-1 du Code du travail, applicable au personnel navigant de la marine marchande en vertu des articles L. 742-2 et R. 742-1 à R. 742-6 du même Code, dispose que " la convention de branche ou l'accord professionnel ou interprofessionnel, leurs avenants ou annexes doivent, pour pouvoir être étendus, avoir été négociés et conclus en commission composée des représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives dans le champ d'application considéré " ;
Considérant que si l'article L. 133-2 du Code du travail mentionne, parmi les critères de représentativité des organisations syndicales, celui de leur indépendance, ce critère ne vise que l'indépendance des syndicats de salariés par rapport aux employeurs et ne saurait, par suite, s'appliquer aux organisations d'employeurs ; que la circonstance que les entreprises du groupe Les Abeilles, membres de l'association professionnelle des entreprises de remorquages maritime ci-après dénommée APERMA, signataire des accords, emploient la majorité des salariés et assurent la majorité du chiffre d'affaires du secteur en France, loin de faire obstacle à la représentativité de l'APERMA, en est un élément déterminant ; que, dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les ministres ont méconnu l'article L. 133-1 du Code du travail en estimant que l'APERMA est l'organisation syndicale d'employeurs représentative dans le secteur du remorquage maritime ;
En ce qui concerne les moyens tirés de ce que les accords méconnaîtraient, tout à la fois, la compétence des autorités en charge de l'organisation du service public de remorquage portuaire, les dispositions des articles L. 131-1 et L. 132-1 du Code du travail et l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme :
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 302-6, R. 351-1 et R. 351-2 du Code des ports maritimes et du dernier alinéa de l'article 10 du règlement général de police des ports maritimes de commerce et de pêche, annexé à ce Code, que les conditions d'exercice du remorquage des bâtiments sont fixées par des règlements particuliers pris par l'autorité investie du pouvoir de police portuaire ; qu'il appartient à ce titre à cette autorité de fixer, dans les conditions prévues par ces textes, les règles de l'organisation du service public de remorquage dans les ports et à leurs approches ; qu'aux nombres de ces règles peuvent figurer celles relatives à la disponibilité des remorqueurs au cours de périodes données ;
Considérant que le titre III des deux accords, relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail, fixe le cadre général de l'organisation du travail " selon les modes d'organisation (...) du service en vigueur ", dans les cas où il est dérogé aux règles générales relatives à la durée maximale quotidienne du travail ou aux règles relatives au fractionnement du repos quotidien exposées au titre II des accords ; que si les accords décrivent, d'une part, un régime de " service discontinu au port ", d'autre part, un régime de " service continu au port ", il en ressort clairement qu'ils se bornent, ainsi qu'ils le devaient, à déterminer les règles de l'aménagement du temps de travail susceptibles de s'appliquer aux équipages de chaque navire de remorquage portuaire selon les modes d'organisation du service de remorquage portuaire qui peuvent, le cas échéant, découler des exigences de disponibilité définies par l'autorité investie du pouvoir de police portuaire ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les accords étendus auraient empiété sur les compétences de cette autorité ne peut qu'être écarté ;
Considérant que, dès lors que les accords ont la portée qui vient d'être dite, le moyen tiré de ce qu'ils violeraient les dispositions des articles L. 131-1 et L. 132-1 du Code du travail en ce qu'ils excéderaient leur compétence, limitée à la détermination des conditions d'emplois, de formation et de travail des salariés et de leur garanties sociales, ne peut qu'être écarté ;
Considérant que, comme il a été dit, les accords déterminent les règles de l'aménagement du temps de travail susceptibles de s'appliquer aux équipages de chaque navire de remorquage portuaire selon les modes d'organisation du service de remorquage portuaire qui peuvent, le cas échéant, découler des exigences de disponibilité définies par l'autorité investie du pouvoir de police portuaire ; que ces exigences de disponibilité peuvent conduire les entreprises de remorquage à faire le choix de l'un des modes d'organisation du travail particuliers exposés au titre III des accords et propres soit à un régime dit de " service discontinu au port " soit à un régime dit de " service continu au port " ; que les descriptions faites par les accords de ces modes d'organisation et de leurs conditions de mise en œuvre sont suffisamment claires et de nature à permettre aux entreprises de remorquage de déterminer, en fonction des exigences de disponibilité de leurs navires, les règles de durée du travail qu'elles peuvent choisir d'appliquer à leurs équipages par dérogation aux règles générales exposées au titre II des accords ; que, par suite, doit être écarté le moyen tiré de la violation de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme ;
En ce qui concerne le moyen tiré de l'atteinte à la liberté d'établissement : - Considérant qu'en vertu des articles 43 et 48 du traité instituant la Communauté européenne sont interdites les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants, y compris les sociétés, d'un Etat membre sur le territoire d'un autre Etat membre, cette interdiction s'étendant aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d'un Etat membre sur le territoire d'un autre Etat membre ;
Considérant que, comme il vient d'être dit, d'une part, les accords étendus par les arrêtés attaqués ne modifient en rien l'organisation du service de remorquage portuaire que les autorités investies du pouvoir de police portuaire ont seules compétence pour définir, mais se bornent à fixer des modes d'organisation du travail susceptibles de s'appliquer aux équipages de chaque navire de remorquage portuaire en fonction du service ainsi défini et, d'autre part, contrairement à ce que soutient la SNRH, les accords n'ont pas pour objet d'imposer aux entreprises de remorquage un régime particulier d'organisation du travail ; qu'il en résulte qu'ils n'ont pas davantage pour effet d'imposer un tel régime qui serait susceptible de faire obstacle à l'établissement de la SNRH, filiale de la société néerlandaise Kotug BV, dans le port du Havre, en contrariété avec les stipulations du traité relatives à la liberté d'établissement ; que, dès lors, cette société n'est pas fondée à soutenir que les accords étendus et leurs effets méconnaîtraient les articles 43 et 48 du traité instituant la Communauté européenne ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la violation du droit de la concurrence : - Considérant que l'article 82 du traité instituant la Communauté européenne dispose que : " Est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables (...) " ; que l'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe " lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à (...) limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises (ou) faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse " ; qu'en vertu de l'article L. 420-2 du même Code " Est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. (...) " ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que si les conventions de branche ou les accords professionnels ou interprofessionnels et leurs avenants, négociés et conclus par les représentants d'organisations syndicales d'employeurs et de salariés, répondant à l'objet de l'article L. 131-1 du Code du travail relatif à la détermination des relations collectives entre employeurs et salariés, de leurs conditions d'emploi et de travail et de leurs garanties sociales, ne sont pas, en eux-mêmes, des " conventions " ou des " ententes " au sens de l'article L. 420-1, leurs stipulations ne doivent pas avoir pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment en limitant l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ou en faisant obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ; qu'à ce titre, il incombe aux ministres d'opérer, dans l'usage qu'ils font des dispositions de l'article R. 742-2 du Code du travail, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, une conciliation entre, d'une part, les objectifs d'ordre social, au nombre desquels figurent l'aménagement et la réduction du temps de travail, qui sont de nature à justifier que les règles définies par les signataires d'une convention ou d'un accord collectif soient rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs du secteur et, d'autre part, les impératifs tenant à la préservation ou au développement de la libre concurrence dans le secteur en cause ;
Considérant, en premier lieu, que les accords étendus par les arrêtés attaqués, en accordant des avantages aux salariés sous la forme notamment d'une durée et de modalité du repos quotidien et d'une durée maximale de travail effectif hebdomadaire plus favorables que les normes fixées par le décret du 31 mars 2005, tout en subordonnant le recours à d'éventuelles dérogations, assorties de compensations pour les salariés, à la mise en œuvre de régimes de travail précisément définis, sont susceptibles d'avoir notamment pour effet d'augmenter le prix des prestations réalisées par les entreprises de remorquage portuaire et de leur imposer des contraintes supplémentaires quant à l'organisation du travail ; que, toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces accords auraient excédé par leur contenu les objectifs d'ordre social assignés à la négociation collective ni qu'ils auraient porté une atteinte disproportionnée à la libre concurrence ;
Considérant, en second lieu, que les accords, en leurs paragraphes III-1, stipulent que le régime de travail dit de " service discontinu au port ", qui se caractérise par l'alternance de périodes de travail et d'inaction et impose aux salariés des sujétions particulières, notamment en ce qu'ils peuvent être rappelés au service du navire pendant leurs périodes de repos, " doit faire l'objet d'accords collectifs d'entreprise ou d'établissements, qui doivent en préciser les modalités (...) notamment les conditions dans lesquelles le salarié peut refuser les dates et les horaires de travail qui lui sont proposés par l'employeur " ; que cette exigence d'un accord collectif préalable, eu égard aux garanties et aux compensations que celui-ci offre aux salariés, relève, en l'espèce, de l'objectif d'ordre social de protection des travailleurs ;
Considérant que, selon les requérants, les entreprises comptant moins de cinquante salariés ainsi que celles nouvellement créées ne disposant pas encore d'institution représentative du personnel, ne pourraient négocier et conclure de tels accords collectifs de travail, et ne pourraient en conséquence recourir à l'organisation du travail propre au régime dit de " service discontinu au port " et ainsi bénéficier des possibilités de dérogation offertes dans ce cadre par les accords, ce qui les soumettrait de fait à des contraintes d'organisation du travail que ne subissent pas les entreprises en place ; que toutefois, d'une part, s'agissant des entreprises nouvellement créées, si le seuil de cinquante salariés conduisant à la désignation de délégués syndicaux s'apprécie, en vertu de l'article L. 412-11 du Code du travail, sur une période minimale de douze mois, les requérants ne fournissent pas d'indication suffisante quant au coût économique supplémentaire que représenterait cette contrainte inhérente à la première année d'activité de toute entreprise ; que, d'autre part, s'agissant des entreprises comptant moins de cinquante salariés, il résulte des dispositions du quatrième alinéa du même article que celles de ces entreprises qui ne disposent pas de délégués syndicaux peuvent, à défaut, conclure des accords collectifs avec des délégués du personnel désignés à cet effet ; qu'ainsi, à supposer que l'exigence de la signature d'accord préalable puisse constituer un obstacle à l'entrée sur le marché du remorquage portuaire à l'encontre tant des entreprises nouvellement créées que des entreprises de moins de cinquante salariés, il ne ressort pas du dossier que cette exigence, qui relève comme il a été dit d'un objectif d'ordre social, porterait une atteinte disproportionnée au principe de la libre concurrence ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de la méconnaissance des règles de concurrence fixées par le traité instituant la Communauté européenne et par le Code de commerce ne peuvent qu'être écartés ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la violation des règles relatives à la durée maximale quotidienne de travail et au repos quotidien des gens de mer : - Considérant qu'en application des dispositions de l'article 8 du décret du 31 mars 2005, la durée minimale du repos quotidien est de dix heures par période de vingt-quatre heures, et ce repos ne peut être scindé en plus de deux périodes dont l'une doit être d'au moins six heures consécutives, tandis que l'intervalle entre deux périodes consécutives de repos ne peut dépasser quatorze heures ; que toutefois, comme il a été dit, en vertu des articles 9 et 10 de ce décret, des accords étendus peuvent prévoir, pour le remorquage portuaire, que la durée minimale de repos de six heures peut être scindée en deux périodes distinctes dont la plus courte n'est pas inférieure à deux heures ;
Considérant, en premier lieu, que si les accords en cause prévoient en leur titre II-3 un repos quotidien d'une durée de onze heures pendant lesquelles les marins et officiers ne peuvent être appelés ou contraints de séjourner sur le lieu de travail, ils prévoient une dérogation à cette règle générale s'agissant de la durée maximale quotidienne de travail et du fractionnement du repos quotidien ; que dès lors le moyen tiré de ce que les accords méconnaîtraient les règles relatives au lieu dans lequel le repos quotidien est pris ou de ce qu'ils seraient entachés de contradiction doit être écarté ;
Considérant, en second lieu, que si les accords indiquent, en leur point B du titre III, que l'organisation du service public de remorquage dite de " service continu au port " " requiert une mobilisation permanente des moyens de remorquage et se caractérise par un service ininterrompu ou continu du remorqueur, qui implique la présence permanente d'un équipage à bord ", une telle organisation ne requiert la mobilisation permanente que d'un nombre de remorqueurs portuaires déterminé par l'autorité en charge de l'organisation de ce service public ; qu'il appartient aux entreprises armant ces remorqueurs d'organiser le service en alternance de leurs différents navires et d'en maintenir en service un nombre suffisant de façon à répondre, le cas échéant à tout moment, aux exigences du service public, tout en assurant l'application des règles applicables en matière de durée maximale quotidienne de travail et de repos quotidien des équipages y compris dans l'hypothèse d'un " armement cyclique à un équipage à bord " ; que, dès lors, le moyen tiré de ce qu'une telle organisation du travail serait par nature contraire aux règles relatives au repos quotidien et à la durée maximale quotidienne de travail doit être écarté ;
En ce qui concerne les autres moyens : - Considérant, en premier lieu, que les accords litigieux stipulent, d'une part, en leur titre II-3 que le repos quotidien minimal de 11 heures peut être " pris immédiatement à l'issue de la période de travail, ou de façon différée ", ce qui le qualifie de " repos de cycle " ; que, d'autre part, si les accords rappellent, en leur titre III-2.2 relatif à l'" armement cyclique à un équipage à bord " dans le cadre du " service continu au port ", que la durée maximale quotidienne de travail peut être portée à quatorze heures en vertu de l'article 6 du décret du 31 mars 2005, par convention ou accord collectif dérogeant à l'article 24 du Code du travail maritime et à l'article 4 de ce décret, ils stipulent que " la durée quotidienne de présence sur le lieu de travail (...) peut être portée à vingt quatre (...) heures sous réserve que (les personnels) puissent bénéficier (...) d'un repos de 6 heures au moins " et que " à l'issue de la vacation journalière, (le personnel dispose) d'une période de repos/congé continu de cycle de (...) 48 heures consécutives minimum " ; que les requérants soutiennent que les accords litigieux auraient pour effet d'autoriser le report de tout ou partie du repos quotidien au-delà de la période de vingt-quatre heures considérée en violation des dispositions de l'article 8 du décret du 31 mars 2005 relatives au repos quotidien, selon lesquelles la durée minimale de repos est de dix heurs par période de vingt-quatre heures ; que pour apprécier le bien-fondé du moyen soulevé par les requérants, il convient de déterminer si ces stipulations des accords, relatives à " l'armement cyclique à un équipage à bord ", sont conformes aux dispositions du décret du 31 mars 2005 relatives à la durée minimale du repos quotidien ; que ce moyen soulève une difficulté sérieuse ;
Considérant, en deuxième lieu, que, dans les matières relevant d'un accord obligatoirement étendu, les ministres ne sauraient, sans méconnaître les pouvoirs qu'ils tiennent des articles L. 133-8, L. 742-2 et R. 742-2 du Code du travail, étendre des clauses d'une convention ou d'un accord renvoyant à un accord collectif ultérieur, dont ils ne sont pas en mesure d'apprécier, comme il leur appartient de le faire avant de signer l'arrêté d'extension, la conformité avec les textes législatifs et réglementaires en vigueur ;
Considérant que les accords litigieux, en leur paragraphe III-1 relatif à l'organisation du travail propre au régime dit de " service discontinu au port ", stipulent que " l'armateur programme les périodes de repos et de travail ", que " pendant les périodes de repos (le personnel) peut être rappelé au service du navire " et que, comme il a été dit, cette organisation doit faire l'objet d'accords collectifs d'entreprise ou d'établissement qui doivent en préciser les modalités ; que la SORMAR soutient que les ministres ont méconnu l'office dont ils sont investis par l'article L. 133-8 du Code du travail en étendant un accord procédant à un tel renvoi ; que, pour apprécier la portée du moyen ainsi soulevé, il convient de déterminer si les parties signataires des accords ont entendu, par ces stipulations prévoyant la possibilité de rappel au service du navire durant les périodes de repos, autoriser les employeurs à déroger aux dispositions relatives au fractionnement du repos quotidien fixées à l'article 8 du décret du 31 mars 2005 en application des articles 9 et 10 de ce même décret, alors que de telles dérogations ne peuvent relever que d'un accord étendu ; que ce moyen soulève une difficulté sérieuse ;
Considérant enfin que, pour apprécier l'incidence de ces moyens sur la légalité des arrêtés attaqués, il convient de déterminer si les stipulations des accords relatives, d'une part, à " l'armement cyclique à un équipage à bord ", d'autre part, à la possibilité de rappel au service du navire durant les périodes de repos dans le cadre du " service discontinu au port ", sont divisibles des autres stipulations des accords du 2 décembre 2005 ; que cette question soulève également une difficulté sérieuse ;
Considérant que les réponses à ces questions sont déterminantes pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d'Etat ; qu'ainsi qu'il a été dit, elles présentent une difficulté sérieuse ; que lorsqu'une contestation sérieuse s'élève sur la validité ou l'interprétation d'un accord collectif, la juridiction administrative, compétemment saisie d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'arrêté ministériel d'extension est, eu égard au caractère de contrat de droit privé que présente l'accord, tenue de renvoyer à l'autorité judiciaire l'examen de ces questions préjudicielles ; qu'il y a lieu, dès lors, pour le Conseil d'Etat, de surseoir à statuer sur les requêtes jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur ces questions ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative : - Considérant que les conclusions présentées à ce titre par la société Les Abeilles Le Havre qui n'a, en tant qu'intervenante, pas la qualité de partie à la présente instance au sens des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative, ne peuvent pour ce motif qu'être rejetées ; que, s'agissant des conclusions présentées au même titre par les parties, il y a lieu de les réserver pour y statuer en fin d'instance ;
Décide :
Article 1er : L'intervention de la société Les Abeilles Le Havre est admise.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Les Abeilles Le Havre au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Il est sursis à statuer sur les requêtes de la Société nouvelle de remorquage du Havre et de la Société de remorquage maritime de Rouen dirigées contre les arrêtés du 6 janvier 2006 portant extension de chacun des accords conclus, le 2 décembre 2005, d'une part, dans le cadre de la convention collective nationale des personnels navigants officiers des entreprises de remorquage maritime et, d'autre part, dans le cadre de la convention collective nationale des personnels navigants d'exécution des entreprises de remorquage maritime jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée, sur les questions suivantes :
1°) Les stipulations des accords relatives à " l'armement cyclique à un équipage à bord " sont-elles conformes aux dispositions du décret du 31 mars 2005 relatives à la durée minimale du repos quotidien
2°) Les parties signataires des accords ont-elles entendu, par les stipulations relatives au " service discontinu au port ", autoriser les employeurs à déroger aux dispositions relatives au fractionnement du repos quotidien fixées à l'article 8 du décret du 31 mars 2005 en application des articles 9 et 10 de ce même décret
3°) Ces stipulations sont-elles divisibles des autres stipulations des accords du 2 décembre 2005
Article 4 : La Société nouvelle de remorquage du Havre et la Société de remorquage maritime de Rouen devront justifier, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, de leur diligence à saisir de cette question la juridiction compétente.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Société nouvelle de remorquage du Havre, à la Société de remorquage maritime de Rouen, à l'Association professionnelle des entreprises de remorquage maritime, à la Fédération nationale des syndicats maritimes (CGT), à la Fédération des officiers de la marine marchande (UGICT-CGT), à l'Union fédérale maritime CFDT, au Syndicat national des cadres navigants de la marine marchande (CGC), à la société Les Abeilles Le Havre, au ministre d'Etat, ministre de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire et au ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité.