Cass. 1re civ., 27 novembre 2008, n° 07-15.066
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Rue du Commerce (SA)
Défendeur :
DABS Centre de Puisanton (Sté), Omnisoft Multimédia (Sté), Nierle Media GmbH (Sté), Megamatic (Sté), CD Rohling-Up GmbH, CD Folie EG (Sté), Nierle Media GmbH et Co. Kg. (Sté), Ketta Limited, DABS Com Plc (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bargue
Rapporteur :
Mme Marais
Avocat général :
M. Sarcelet
Avocats :
Me Balat, SCP Piwnica, Molinié, SCP Waquet, Farge, Hazan
LA COUR : - Attendu que la société Rue du Commerce, entreprise de commerce électronique, distribue, entre autres produits, par internet, des supports d'enregistrement (CD ou DVD) vierges dont la vente ou l'acquisition est subordonnée en France au paiement de la rémunération dite "pour copie privée" ; que, prétendant que différentes sociétés concurrentes établies dans d'autres Etats membres de l'Union européenne, qui ne connaissent pas l'exception de copie privée ou la soumette à une rémunération de faible importance, proposaient à la vente sur internet aux consommateurs français des supports vierges en occultant le fait que les prix qu'elles pratiquent ne comportent pas la rémunération pour copie privée due ou restant due en France, la société Rue du Commerce les a assignées en concurrence déloyale, sollicitant, outre leur condamnation à des dommages-intérêts, qu'il leur soit fait injonction d'intégrer, à destination des consommateurs français le montant de la rémunération pour copie privée dont ils sont redevables ou, à tout le moins, d'informer précisément ces consommateurs de l'incidence de la rémunération française sur les prix pratiqués ;
Sur le premier moyen : - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable l'appel en intervention forcée de la société DABS France, alors, selon le moyen, que la modification en cause d'appel de la position d'une partie ou de l'appréhension juridique des faits constitue à elle seule un élément nouveau provoquant une évolution du litige rendant recevable l'appel en intervention forcée devant la cour ; qu'en déduisant l'absence d'évolution du litige de la seule circonstance que l'existence de la société DABS France était connue avant la délivrance de l'assignation, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à établir que la société-mère DABS Com n'avait pas modifié sa position en cause d'appel quant au rôle dévolu à sa filiale française DABS dans la commercialisation de ses produits, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 555 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'au sens de l'article 555 du Code de procédure civile, l'évolution du litige impliquant la mise en cause d'un tiers devant la cour d'appel n'est caractérisée que par la révélation d'une circonstance de fait ou de droit née du jugement ou postérieurement à celui-ci et modifiant ses données juridiques ; qu'ayant constaté que l'existence de la société DABS France avait été révélée à la société Rue du Commerce par la mention explicite qui en était faite dans le bon de livraison de juillet 2004 sous la rubrique "siège social", antérieur à l'assignation, la cour d'appel en a exactement déduit qu'aucune circonstance nouvelle ne modifiait les données juridiques du litige impliquant la mise en cause de cette société devant elle et par ce seul motif a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Rue du Commerce reproche à l'arrêt de l'avoir déboutée de ses demandes, alors, selon le moyen : 1°) que la rémunération pour copie privée des auteurs et artistes interprètes des œuvres fixées sur phonogrammes et vidéogrammes est versée par le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisition intracommunautaire ; que toute personne proposant, par voie électronique, la fourniture de biens ou de services est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat ; qu'il en résulte que la rémunération pour copie privée doit être versée par tout vendeur répondant de la mise en circulation en France des supports vierges d'enregistrement destinés à la reproduction à usage privé d'œuvres sans distinguer selon son lieu d'établissement ou sa nationalité ; qu'en décidant que les sociétés mises en cause domiciliées dans un autre Etat membre de l'Union européenne n'étaient pas, contrairement à celles établies en France, redevables de la "taxe SACEM" bien qu'elles fussent responsables de plein droit de tous les actes accomplis jusqu'à la livraison effective de ces produits au consommateur français et par conséquent de leur mise en circulation sur le territoire national, la cour d'appel a violé les articles L. 311-4 du Code de la propriété intellectuelle, 15 de la loi pour la confiance de l'économie numérique et L. 121-20-3 du Code de la consommation, ensemble les articles 28 et 30 du traité CE et 5 b) de la Directive 2001-29-CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ; 2°) que la réglementation nationale n'est compatible avec la liberté de circulation des marchandise reconnue en droit communautaire qu'à la condition qu'elle affecte de la même manière en droit comme en fait la commercialisation de produits nationaux et ceux d'autres Etats membres ; qu'en décidant que les cybercommerçants établis dans d'autres Etats de l'Union européenne n'étaient pas, contrairement à leurs concurrents français, tenus d'intégrer le montant de la "taxes SACEM" dans leurs prix de revente, après avoir constaté que ce traitement différent n'était pas sans incidence sur les prix des supports d'enregistrement proposés aux consommateurs, la cour d'appel a violé les articles 28 et 30 du traité CE ; 3°) que la rémunération pour copie privée des auteurs et artistes interprètes des œuvres fixées sur phonogrammes et vidéogrammes est versée par le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires ; que toute personne proposant, par voie électronique, la fourniture de biens ou de services est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d'autres prestataires de services ; qu'en décidant que les sociétés mises en cause domiciliées dans un autre Etat membre de l'Union européenne n'étaient pas redevables de la "taxe SACEM" après avoir constaté que certaines livraison de la société DAB COM étaient assurés par sa filiale française, ce dont il résultait qu'elle répondait en toute hypothèse de plein droit à la collecte de la taxe à la commande et du paiement de celle-ci dès la mise en circulation des produits en France, quand bien même cette taxe aurait dû être versée par sa filiale, la cour d'appel a violé les articles L. 311-4 du Code de la propriété intellectuelle, 5 b) de la Directive 2001-29-CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, 15 de la loi pour la confiance de l'économie numérique et L. 121-20-3 du Code de la consommation ; 4°) que la rémunération pour copie privée des auteurs et artistes interprètes des œuvres fixées sur phonogrammes et vidéogrammes est versée par le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires ; qu'est considérée comme une acquisition intracommunautaire l'obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d'un bien meuble corporel expédié ou transporté en France par le vendeur, par l'acquéreur ou pour leur compte à destination de l'acquéreur à partir d'un autre Etat membre de la Communauté européenne ; qu'ainsi un distributeur situé dans un Etat membre qui se fournit dans un autre Etat membre avant de livrer un consommateur français doit être regardé comme acquéreur intracommunautaire ; qu'en se bornant à affirmer que les sociétés mises en cause domiciliées dans un autre Etat membre n'avaient pas la qualité d'acquéreur communautaire, sans vérifier comme elle y avait été invitée, dans quels pays les cybercommerçants s'étaient approvisionnés avant de revendre les supports d'enregistrement à des consommateurs français, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 311-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 5°) que la faculté de copie privée reconnue dans certains Etats membre de l'Union européenne doit toujours être subordonnées au paiement préalable d'une rémunération équitable à tout titulaire du droit d'auteur ; qu'en décidant que les cybercommerçants établis dans d'autres Etats membres de l'Union européenne n'étaient pas tenus de collecter la "taxe SACEM" tout en constatant qu'une telle solution était utilisée par certains consommateurs français pour échapper au paiement de cette taxe dont ils demeuraient in fine redevables, privant ainsi les auteurs et artistes interprètes d'une partie de la rémunération qui leur est due, la cour d'appel a violé l'article 5 b) de la directive 2001-29-CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ;
Mais attendu qu'après avoir constaté qu'en vertu des dispositions de l'article L. 311-4 du Code de la propriété intellectuelle, ne sont tenus au versement de la rémunération pour copie privée due par le consommateur français que le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires au sens du 3° du I de l'article 256 du Code général des impôts, la cour d'appel, qui a retenu à bon droit que les sociétés venderesses ne revêtaient aucune de ces trois qualités, n'a pu qu'en déduire qu'aucune faute de ce chef ne pouvait leur être reprochée ; que par ce seul motif, elle a légalement justifié sa décision ;
Mais sur le troisième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour débouter la société Rue du Commerce de sa demande visant à imposer, sur le fondement de la concurrence déloyale, aux sociétés mises en cause l'insertion dans leurs conditions générales de vente d'une information à destination de la clientèle française sur les incidences de la rémunération pour copie privée due à l'occasion des acquisitions intracommunautaires, l'arrêt énonce que dans leur activité de vente à distance, ces sociétés ne sont pas soumises à une obligation légale d'information de leur client sur les incidences de cette "taxe" sur les prix pratiqués ainsi que sur la nécessité de la payer ;
Qu'en considérant ainsi que l'absence de toute mention rappelant au consommateur français son impérieuse obligation de payer la rémunération pour copie privée, dont il est redevable, n'était pas fautive, tout en constatant que cette rémunération n'était pas sans incidence sur le prix de vente des produits en cause, ce dont le consommateur devait nécessairement être tenu informé, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations relativement à la captation de la clientèle de la société Rue du Commerce et, partant, a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, mais seulement en ces dispositions relatives au défaut d'information, l'arrêt rendu le 22 mars 2007, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.