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Décisions

CJCE, gr. ch., 9 décembre 2008, n° C-442/07

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Verein Radetzky-Orden

Défendeur :

Bundesvereinigung Kameradschaft "Feldmarschall Radetzky"

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Skouris

Présidents de chambre :

MM. Jann, Timmermans, Rosas, Lenaerts, Ilešic, Caoimh

Avocat général :

M. Mazák

Juges :

MM. Arestis, Borg Barthet, Malenovský, Lõhmus, Levits, Bay Larsen

Avocats :

Mes Fichtenbauer, Krebs, Ferrante

CJCE n° C-442/07

9 décembre 2008

LA COUR (grande chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la "directive").

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant le Verein Radetzky-Orden (ci-après le "Radetzky-Orden") à la Bundesvereinigung Kameradschaft "Feldmarschall Radetzky" (ci-après la "BKFR") au sujet de la déchéance pour défaut d'usage sérieux de marques dont cette dernière, une association à but non lucratif, est titulaire.

Le cadre juridique

3 Aux termes de l'article 12, paragraphe 1, de la directive:

"Le titulaire d'une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n'a pas fait l'objet d'un usage sérieux dans l'État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu'il n'existe pas de justes motifs pour le non-usage; [...]"

4 Le douzième considérant de la directive énonce que "tous les États membres de la Communauté sont liés par la [convention pour la protection de la propriété industrielle, signée à Paris le 20 mars 1883, révisée en dernier lieu à Stockholm le 14 juillet 1967 et modifiée le 28 septembre 1979 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 828, n° 11851, p. 305, ci-après la "convention de Paris")]; qu'il est nécessaire que les dispositions de la présente directive soient en harmonie complète avec celles de la convention de Paris [...]".

5 En droit autrichien, l'article 10a de la loi de 1970 sur la protection des marques (Markenschutzgesetz 1970, BGBl. 260-1970, ci-après le "MSchG") est libellé comme suit:

"L'usage d'un signe désignant un produit ou un service vise notamment le fait:

1. d'apposer le signe sur les produits, sur leur conditionnement ou sur les objets pour lesquels le service est fourni ou devrait être fourni;

2. d'offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d'offrir ou de fournir des services sous le signe;

3. d'importer ou d'exporter les produits sous le signe;

4. d'utiliser le signe dans les papiers d'affaires, les communications ou la publicité."

6 L'article 33a, paragraphe 1, du MSchG dispose:

"Toute personne peut demander la radiation d'une marque enregistrée depuis cinq ans au moins en Autriche ou bénéficiant d'une protection en Autriche en vertu de l'article 2, paragraphe 2, si cette marque n'a pas fait l'objet en Autriche d'un usage sérieux se rapportant aux produits ou aux services pour lesquels elle a été enregistrée (article 10a), pendant les cinq années qui précèdent le jour du dépôt de la requête de radiation, ni par le propriétaire ni par un tiers avec son consentement à moins que le titulaire de la marque ne puisse justifier du défaut d'usage."

Le litige au principal et la question préjudicielle

7 La BKFR se consacre, d'une part, au maintien de traditions militaires, telles que les fêtes à la mémoire des morts au combat, l'organisation de messes commémoratives, les rencontres de soldats et l'entretien de monuments aux morts, ainsi que, d'autre part, à des œuvres caritatives, telles que la collecte de dons en nature et en espèces et leur distribution aux personnes dans le besoin.

8 Elle est titulaire de marques figuratives et verbales, représentant pour l'essentiel des insignes d'honneur. Ces marques ont été enregistrées dans le registre des marques de l'Office des brevets autrichien. Leur protection a débuté le 8 janvier 1996. Chacune d'elles a été enregistrée pour les classes 37, portant notamment sur des services d'entretien, 41, relative entre autres aux activités culturelles, et 42 (devenue 45), portant notamment sur des services sociaux, au sens de l'arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l'enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

9 La BKFR décerne des décorations et des distinctions honorifiques qui correspondent aux marques en cause au principal. En outre, certains des membres de la BKFR portent ces décorations et distinctions honorifiques lors de manifestations et à l'occasion de la collecte et de la distribution de dons. Enfin, lesdites marques sont imprimées sur les invitations aux manifestations, sur le papier à lettres ainsi que sur la correspondance de l'association.

10 Le 17 août 2004, le Radetzky-Orden a sollicité l'annulation desdites marques pour défaut d'usage au sens de l'article 33a du MSchG. À l'appui de cette demande, il a invoqué le fait que la BKFR n'avait pas utilisé les marques dans le commerce au cours des cinq dernières années.

11 La division d'annulation de l'Office des brevets autrichien a accueilli la demande du Radetzky-Orden. La BKFR s'est pourvue en appel contre cette décision devant l'Oberster Patent- und Markensenat.

12 C'est dans ces circonstances que l'Oberster Patent- und Markensenat a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"L'article 12, paragraphe 1, de la [directive] doit-il être interprété en ce sens qu'une marque fait l'objet d'un usage (sérieux) pour différencier les produits et services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises lorsqu'une association à but non lucratif l'utilise pour annoncer des manifestations, dans ses papiers d'affaires ainsi que sur son matériel publicitaire et que ses membres l'arborent sur des insignes qu'ils portent lors de la collecte et de la distribution de dons?"

Sur la question préjudicielle

13 La notion d'"usage sérieux" au sens de l'article 12, paragraphe 1, de la directive doit s'entendre d'un usage qui n'est pas effectué à titre symbolique, aux seules fins du maintien des droits conférés par la marque. Il doit s'agir d'un usage effectif, conforme à la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine d'un produit ou d'un service, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance (arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C-40-01, Rec. p. I-2439, points 35 et 36).

14 Ainsi que la Cour l'a précisé, il résulte de cette notion d'"usage sérieux" de la marque que le titulaire de celle-ci doit l'utiliser sur le marché des produits ou des services protégés par la marque et pas seulement au sein de l'entreprise concernée. La protection de la marque et les effets que son enregistrement rend opposables aux tiers ne sauraient perdurer si la marque perdait sa raison d'être commerciale, consistant à créer ou à conserver un débouché pour les produits ou les services portant le signe qui la constitue, par rapport aux produits ou aux services provenant d'autres entreprises (arrêt Ansul, précité, point 37).

15 La connotation économique des marques et de leur usage ressort, au demeurant, de la convention de Paris, dans laquelle les marques sont désignées par le terme "marques de fabrique ou de commerce". Ainsi qu'il ressort du douzième considérant de la directive, celle-ci doit être interprétée en conformité avec ladite convention.

16 S'agissant de la question de savoir si une association à but non lucratif, exerçant des activités telles que celles décrites aux points 7 et 9 du présent arrêt, peut être considérée comme faisant un usage sérieux d'une marque au sens de l'arrêt Ansul, précité, il convient de relever que la circonstance que l'offre de produits ou de services est faite sans but lucratif n'est pas déterminante.

17 En effet, la circonstance qu'une association caritative ne poursuit pas un but lucratif n'exclut pas qu'elle puisse avoir pour objectif de créer et, par la suite, de conserver un débouché pour ses produits ou ses services.

18 En outre, ainsi que l'a admis le Radetzky-Orden dans ses observations écrites devant la Cour, il existe des services de bienfaisance rémunérés. En effet, dans la société moderne, divers types d'associations à but non lucratif sont apparus qui, de prime abord, fournissent gratuitement leurs services, mais qui, en réalité, sont financés par des subventions ou perçoivent des rémunérations sous diverses formes.

19 Il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas exclu que les marques enregistrées par une association à but non lucratif aient une raison d'être en ce qu'elles sont susceptibles de protéger l'association contre l'usage éventuel, dans la vie des affaires, de signes identiques ou similaires par des tiers.

20 Tant que l'association en question utilise les marques dont elle est titulaire pour identifier et promouvoir les produits ou services pour lesquels celles-ci sont enregistrées, elle en fait un usage effectif qui constitue un "usage sérieux" au sens de l'article 12, paragraphe 1, de la directive.

21 En effet, lorsque des associations à but non lucratif ont fait enregistrer en tant que marques les signes qu'elles utilisent pour identifier leurs produits ou leurs services, il ne saurait être reproché à ces mêmes associations de ne pas faire un usage effectif de ces marques, alors même qu'elles les utilisent pour lesdits produits ou services.

22 En tout état de cause, conformément à ce que la Cour a jugé au point 37 de l'arrêt Ansul, précité, et ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 30 de ses conclusions, l'utilisation de la marque par une association à but non lucratif durant des manifestations purement privées, ou pour annoncer ou promouvoir celles-ci, constitue un usage interne de la marque et non un "usage sérieux" au sens de l'article 12, paragraphe 1, de la directive.

23 Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la BKFR a fait usage des marques dont elle est titulaire pour identifier et promouvoir ses produits ou ses services auprès du grand public ou si elle s'est, au contraire, limitée à un usage interne de celles-ci.

24 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l'article 12, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens qu'une marque fait l'objet d'un usage sérieux lorsqu'une association à but non lucratif l'utilise, dans ses relations avec le public, pour annoncer des manifestations, dans ses papiers d'affaires ainsi que sur son matériel publicitaire et que ses membres l'arborent sur des insignes qu'ils portent lors de la collecte et de la distribution de dons.

Sur les dépens

25 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, LA COUR (grande chambre) dit pour droit:

L'article 12, paragraphe 1, de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens qu'une marque fait l'objet d'un usage sérieux lorsqu'une association à but non lucratif l'utilise, dans ses relations avec le public, pour annoncer des manifestations, dans ses papiers d'affaires ainsi que sur son matériel publicitaire et que ses membres l'arborent sur des insignes qu'ils portent lors de la collecte et de la distribution de dons.