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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. B, 25 mars 2008, n° 07-01036

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Best (Sté)

Défendeur :

EAD Aérospace (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Verde de Lisle

Conseillers :

Mme Salmeron, M. Bélières

Avoués :

SCP Boyer Lescat Merlen, SCP Dessart-Sorel-Dessart

Avocats :

SCP Cabinet Camille, Associés, Me Bollet, Associés

T. com. Toulouse, du 22 janv. 2007

22 janvier 2007

La société Best a relevé appel le 20 février 2007 du jugement rendu le 22 janvier 2007 par le Tribunal de commerce de Toulouse qui l'a jugée coupable de concurrence déloyale, qui l'a condamnée à payer à la société EAD Aérospace 10 000 euro à titre de dommages et intérêts et 10 000 euro au titre du préjudice commercial, qui lui a interdit d'utiliser les plans et les documents commerciaux reproduisant ceux de la société EAD Aérospace, qui l'a condamnée à payer 2 500 euro pour frais irrépétibles.

La société EAD Aérospace a été créée en 1998 et elle a essentiellement pour objet des prestations d'ingénierie et de fabrication pour l'aménagement de cabines d'avion ou la fourniture de matériels sur mesure. La société Best a été créée le 1er septembre 2004 avec un objet voisin d'ingénierie et d'études techniques. La société EAD Aérospace s'est plaint que la société Best lui livrait une concurrence déloyale en débauchant ses salariés et en reproduisant ses plans, fichiers et documents commerciaux. Elle a assigné cette société et le jugement déféré a été rendu.

La société Best conteste le débauchage en faisant valoir qu'un salarié a le droit de changer d'employeur et de faire profiter le nouvel employeur de son expérience et de ses connaissances, elle conteste toute déloyauté dans le démarchage des clients au motif que les attributions de marchés se font sur la base d'appels d'offres, elle conteste la copie de plans ou documents au motif que les données proviennent de logiciels communément utilisés dans ce secteur d'activité. En tout état de cause elle réfute la démonstration d'un préjudice. La société Best conclut au débouté des prétentions de la société EAD Aérospace et au paiement de 20 000 euro pour procédure abusive et 5 000 euro pour frais irrépétibles avec distraction des dépens au profit de la SCP Boyer Lescat Merle.

La société EAD Aérospace estime fautif le débauchage de trois de ses salariés qui exercent les mêmes fonctions au service de leur nouvel employeur et qui ont pu détourner de la clientèle et elle détaille ses griefs à l'égard de la société Best. Elle conclut à la confirmation du jugement sauf à augmenter les dommages et intérêts à 90 000 euro pour le préjudice commercial et 30 000 euro pour le préjudice moral et à assortir d'une astreinte l'interdiction faite à fa société Best d'utiliser les plans ou documents commerciaux reproduisant tout ou partie de ses propres documents. Elle sollicite 5 000 euro pour frais irrépétibles et la distraction des dépens au profit de la SCP Dessart Sorel Dessart.

Sur quoi

Attendu que la société Best exerce une activité concurrente de celle de la société EAD Aérospace puisqu'elle propose comme celle-ci des prestations d'aménagement cabine comme l'indique sa plaquette de présentation;

Attendu que la société Best a été créée le 1er septembre 2004; que le 15 octobre suivant elle a embauché M. Rabault, chef de projet dans la société EAD Aérospace, en qualité de "Directeur BE Aménagement Cabine" que celui-ci a notamment élaboré la plaquette de présentation de la société Best; qu'il a déclaré sur sommation interpellative : " Je réponds à des appels d'offres similaires à celles d'EAD d'où les mêmes clients puisque même secteur d'activité "; qu'il exerce donc bien une activité directement concurrente pour laquelle il utilise les compétences acquises au sein de la société EAD Aérospace;

Attendu que M. Hippolito, assistant technique au sein de la société EAD Aérospace, a été recruté par M. Rabault pendant que ce dernier effectuait son préavis et il est entré le 5 novembre 2004 au sein de la société Best; que son départ a considérablement gêné la société EAD Aérospace puisque celle-ci a été contrainte d'obtenir la mise à disposition onéreuse par la société Best de cet ex salarié pour pouvoir terminer un marché;

Attendu enfin que M. Reiter dessinateur industriel pour la société EAD Aérospace a également été démarché par M. Rabault pour être embauché aux mêmes fonctions chez la société Best le 14 février 2005; que sur un effectif de neuf personnes, le départ de deux ou trois d'entre elles spécialisées dans des secteurs très spécifiques provoque incontestablement une désorganisation;

Attendu, sur la similitude des plans et documents que la société Best se retranche derrière la norme EN 9100 ce qui entraîne "même cartouche, même trame, même corps de documents car c'est le client qui veut ça. Seul le logo change..."; que M. Rabault déclare: "Pour la similitude des plans, seuls ceux élaborés à la demande de la société JCB Aéro (client de la société EAD Aérospace) sont apparemment similaires à ceux utilisés par EAD. Depuis, les plans établis à nos autres fournisseurs ont été modifiés de façon à ce qu'il n'y ait aucune confusion possible..."; qu'il résulte de ces propos que la société Best a bien utilisé sans nécessité des plans semblables à ceux de la société EAD Aérospace; que le constat d'huissier du 9 février 2005 et les commentaires de la plaquette Best tant en version anglaise qu'en version française illustrent combien la société Best reproduit à l'identique des éléments propres aux documents EAD;

Attendu en conséquence que la société Best a effectivement pratiqué une concurrence déloyale à l'égard de la société EAD Aérospace tant par le débauchage de salariés que par l'utilisation d'un savoir-faire propre à la société EAD Aérospace;

Attendu, sur le préjudice, que la société EAD Aérospace a perdu, du fait de la société Best, une chance importante d'emporter un marché avec un client habituel la société JCB Aéro; qu'en effet en octobre 2004 M. Rabault avait commencé de préparer ce marché pour EAD et il a ensuite soumissionné pour le compte de la société Best en connaissance de cause des tarifs de la société EAD Aérospace de sorte qu'il détenait un élément d'information essentiel pour remporter ce marché; qu'en décembre 2004, la société EAD Aérospace désorganisée par le départ de deux de ses salariés n'a pu traiter un marché avec un autre client habituel la société AIP; que la perte de ces deux marchés correspond à un préjudice de 30 000 euro et 60 000 euro; que l'indemnisation doit être réduite d'une part en ce qu'il s'agît d'un chiffre d'affaires et non d'un bénéfice et d'autre part en ce qu'il s'agit d'une perte de chance puisqu'il ne peut pas être affirmé que la société EAD Aérospace aurait emporté le marché si elle avait pu soumissionner normalement; que le préjudice économique sera fixé à 30 000 euro;

Attendu, sur le préjudice moral, que la société EAD Aérospace a subi les manœuvres de la société Best dès la création de cette dernière avec des conséquences importantes tant sur le plan des relations d'affaires que sur la bonne marche de l'entreprise; que ce chef de préjudice sera fixé à 15 000 euro;

Attendu que la condamnation de la société Best à cesser de faire une concurrence déloyale à la société EAD Aérospace sera confirmée; que la nécessité d'une astreinte n'est pas établie;

Attendu qu'il sera alloué 5 000 euro pour frais irrépétibles;

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré sauf à fixer le préjudice commercial de la société EAD Aérospace à la somme de trente mille euro (30 000 euro) et le préjudice moral à la somme de quinze mille euro (15 000 euro) Y ajoutant, Condamne la société Best à payer à la société EAD Aérospace cinq mille euro (5 000 euro) pour frais irrépétibles d'appel, Condamne la société Best aux dépens Autorise la SCP Dessart Sorel Dessart à faire application de l'article 699 du Code de procédure civile.