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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 16 mai 2008, n° 06-16533

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sonia Rykiel Création et Diffusion de Modèles (SAS)

Défendeur :

BCBG Max Azria (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Girardet

Conseillers :

Mme Regniez, M. Marcus

Avoués :

SCP Baskal-Chalut-Natal, SCP Monin d'Auriac de Brons

Avocats :

Mes Karsenty Ricard, Andreani

T. com. Paris, du 26 juill. 2006

26 juillet 2006

Il convient de rappeler que la société Sonia Rykiel Création et Diffusion de Modèles soutient avoir construit son identité visuelle autour de rayures multicolores dénommées Multico.

La société Sonia Rykiel a constaté au mois de novembre 2004 la commercialisation dans une boutique à enseigne Alain Manoukian d'un modèle de pull reprenant selon elle des rayures Multico, pull qui était également présenté sur le site Internet de la société Alain Manoukian.

La société Sonia Rykiel a assigné la société Alain Manoukian devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamner pour concurrence déloyale et parasitaire,

C'est ainsi qu'est né le présent litige.

Par jugement contradictoire en date du 26 juillet 2006, le Tribunal de commerce de Paris a:

- débouté la société Sonia Rykiel Création et Diffusion de Modèles de toutes ses demandes,

- condamné la société Sonia Rykiel Création et Diffusion de Modèles à payer à la société Alain Manoukian la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires,

- condamné la société Sonia Rykiel Création et Diffusion de Modèles en tous les dépens.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 20 novembre 2007, la société Sonia Rykiel Création et Diffusion de Modèles, appelante, demande à la cour de:

- infirmer le jugement entrepris,

- dire et juger que la société BCBG Max Azria Group venant aux droits de la société Alain Manoukian s'est rendue coupable de concurrence déloyale et parasitaire en commercialisant des modèles de pulls reproduisant des rayures multicolores emblématiques des créations de la société Sonia Rykiel,

- outre des mesures d'interdiction, de confiscation de destruction sous astreinte et de publication de l'arrêt à intervenir, condamner la société BCBG Max Azria Group venant aux droits de la société Alain Manoukian à payer à la société Sonia Rykiel une somme provisionnelle de 150 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaire.

Dans ses dernières conclusions signifiées en date du 16 janvier 2008, la société BCBG Max Azria venant aux droits de la société Alain Manoukian, intimée, demande à la cour de:

- confirmer le jugement entrepris,

- condamner la société Sonia Rykiel à payer à la société BCBG Max Azria la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur ce, LA COUR,

Considérant que la société Sonia Rykiel Création et diffusion de modèles, ci-après Sonia Rykiel, expose que son action n'est nullement une action en contrefaçon de droits d'auteur ou de dessins et modèles, mais est une action fondée sur les articles 1382 et suivants du Code civil qui tend à voir sanctionner des agissements de concurrence déloyale et parasitaire;

Qu'elle précise utiliser pour ses collections, depuis 1963, "la reproduction de rayures multicolores de même largeur représentées sur un fond noir"; que cet ensemble, dénommé "rayures multico" est décliné comme l'identifiant de ses nombreuses collections vestimentaires pour femmes, hommes ou enfants, mais aussi pour des sacs et des emballages de parfums; qu'elle a développé très largement depuis le début des années 1980 ce style de rayures auquel son nom est inévitablement associé à tel point que Madeleine Chapsal a pu écrire en 1985, à propos de Sonia Rykiel, "sa vraie gloire, à l'égal de celle des peintres, ce sont les rayures"; qu'elle verse aux débats de nombreux articles de presse et des publicités qui rendent compte de la notoriété acquise par les "rayures multico" illustrée encore récemment par la réalisation d'un modèle de véhicule automobile de marque Nissan dont la carrosserie était intégralement habillée de "rayures multico"; que de même en 2003, elle a créé pour l'UNICEF un modèle de poupée habillée de "rayures multico"' et que l'année suivante elle a décoré la bouteille d'alcool de marque "Suze" d'une robe composé de ce même décor;

Qu'elle fait grief à la société BCBG venant aux droits de la société Manoukian, d'avoir "repris sans nécessité sur ses modèles de pulls des éléments fortement évocateurs des "rayures multico" ; que l'impression visuelle d'ensemble est semblable à celle produite par ses propres articles de sorte que le consommateur ne peut que croire être en présence d'articles ayant la même origine;

Que ces agissements portent atteinte aux investissements qu'elle a consacrés depuis de nombreuses années pour concevoir, décliner et promouvoir ces rayures et ont pour effet de dévaloriser son image et celle de ses modèles en les banalisant et en incitant la clientèle à s'en détourner, d'autant que le prix de vente des pulls litigieux, vendus dans la même rue où sont situées ses principales boutiques, rend compte des économies d'investissement qu'elle a réalisées en se plaçant dans son sillage;

Considérant que la société BCBG réplique en substance que la société Sonia Rykiel diffuse des articles et produits qui ne comportent pas la même déclinaison de couleurs, reproduites par séquences successives, si bien qu'il est difficile de savoir quelle séquence de couleurs lui est opposée; qu'elle en déduit que si l'appelante entend les lui opposer toutes, alors elle revendique un droit exclusif sur toute déclinaison de rayures horizontales de couleurs ; que pourtant dans ses écritures, elle soutient ne pas revendiquer toute sorte de rayures horizontales mais uniquement celles qui en établissent la notoriété;

Qu'elle observe qu'aucune des séquences de couleurs reproduites sur les modèles diffusés par la société Sonia Rykiel, n'est reproduite par le modèle incriminé, de sorte que, comme l'ont relevé les premiers juges, le modèle de pull litigieux présente une séquence qui lui est propre et que l'impression d'ensemble qui s'en dégage le distingue des modèles de l'appelante ; qu'elle produit divers articles vestimentaires mis sur le marché par des commerçants pour démontrer que ces rayures horizontales colorées déclinées par séquences successives s'inscrivent dans une tendance de la mode, avant de contester que la diffusion du pull litigieux ait pu porter atteinte à l'image de marque de la société Sonia Rykiel et caractériser un acte de suivisme et plus généralement de parasitisme;

Considérant ceci exposé, qu'il convient de cerner ce que l'appelante revendique comme étant le fruit de ses investissements, dont la notoriété serait telle que son image y serait associée de façon indissociable;

Que tout en se défendant de revendiquer la protection de toute sorte de rayures, elle précise que son nom est attaché à un style caractérisé par une déclinaison de rayures horizontales multicolores de même largeur réparties en alternance avec des rayures de couleur noire avec des coutures apparentes ou "à l'envers";

Qu'ainsi elle revendique non pas telle ou telle déclinaison de couleurs reproduites en séquences identiques, mais toutes sortes de combinaisons multicolores de rayures horizontales de même taille, reproduites sur un fond noir ; qu'elle a d'ailleurs elle même évolué au fil des ans et des collections dans la palette de couleurs déclinées sur ses modèles vestimentaires;

Qu'elle revendique donc un genre dont elle demande la protection sur le fondement mêlé de la concurrence déloyale et du parasitisme commercial ;

Considérant que le parasitisme peut se définir dans une acception large, comme couvrant l'ensemble de comportements par lesquels un agent économique se place dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans bourse délier, de ses investissements et de son savoir-faire ;

Que lorsque, comme en l'espèce, les entreprises sont en situation de concurrence, le comportement parasitaire est une forme de concurrence déloyale dont la caractérisation suppose l'existence dans l'esprit du public d'un risque de confusion;

Que par ailleurs, l'invocation d'actes de parasitisme par une entreprise ne peut avoir pour effet de lui conférer un droit exclusif sur les créations qu'elle commercialise, que le droit d'auteur leur refuserait ou ne leur accorderait plus;

Considérant qu'en l'espèce, il revient donc à la société Sonia Rykiel d'établir non seulement que le public associe ce genre de rayures à son nom, mais encore que la combinaison des rayures reproduites sur le pull litigieux expose le public à un risque de confusion dont l'appréciation tiendra nécessairement compte des articles vestimentaires semblables que d'autres opérateurs peuvent mettre sur le marché;

Considérant sur le premier point, qu'il est n'est pas contesté que l'appelante a très largement diffusé ce genre de rayures et qu'elle l'a décliné sur divers modèles et notamment sur des pulls ; qu'il est pareillement constant qu'elle a consacré d'importants investissements à la promotion publicitaire de ses modèle;

Considérant sur le second point, que le pull litigieux s'il donne à voir une succession de rayures de couleurs vives sur un fond noir, présente par rapport aux pulls commercialisés par l'appelante, des différences bien perceptibles tenant à la largeur des rayures, à leur déclinaison en une seule séquence - alors que les créations de l'appelante comprennent plusieurs séquences identiques - et au choix distinct des couleurs successives qui préviennent d'autant plus un risque de confusion que, comme en justifie l'intimée, le consommateur se voit proposer par d'autre opérateurs sur le marché de la confection et sous diverses marques, des articles vestimentaires qui déclinent des rayures horizontales de mêmes largeurs dans des coloris les plus variés;

Que la situation géographique du magasin qui vendait le pull litigieux - qui n'est d'ailleurs pas à proximité immédiate des boutiques Sonia Rykiel - n'est pas à elle seule de nature à faire naître un risque de confusion pas plus que la présence de coutures apparentes qui est en effet un genre répandu dans la confection;

Que la décision des premiers juges sera en conséquence confirmée;

Sur le caractère prétendument abusif de la présente instance et l'application de l'article 700 du CPC

Considérant que l'appelante a pu se méprendre sur l'exacte portée de ses droits de sorte que la présente instance ne présente pas de caractère abusif, quand bien même les moyens développés devant la cour sont-ils les mêmes que ceux développés devant les premiers juges;

Considérant qu'il convient de condamner la société Sonia Rykiel aux dépens et à verser à la société BCBG la somme de 4 000 euro au titre de frais irrépétibles exposés en cause d'appel;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Rejette la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, Condamne la société Sonia Rykiel à verser à la société BCBG Max Azria la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du CPC et à supporter les entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP Baskal-Chalut-Natal, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code.