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Décisions

Cass. com., 2 décembre 2008, n° 08-10.731

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Castorama France (SAS)

Défendeur :

Tomécanic-Benetière (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

M. Jenny

Avocat général :

Mme Batut

Avocats :

SCP Delaporte, Briard, Trichet, SCP Thomas-Raquin, Bénabent

T. com. Lille, du 12 juill. 2007

12 juillet 2007

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Douai, 20 novembre 2007), tel que rectifié, que la société Tomécanic-Benetière (ci-après Tomécanic), fabrique des outillages spécialisés pour le bâtiment, qu'elle commercialise auprès d'une clientèle principalement constituée de réseaux de revendeurs pour le bricolage et de professionnels du bâtiment ; que la société Castorama, qui fait partie du groupe Kingfisher au même titre que la société Brico-Dépôt, est spécialisée dans la distribution en France d'articles de bricolage et de décoration dans des magasins à enseigne " Castorama" ; que depuis plus de trente ans, la société Tomécanic fournissait à la société Castorama des outils et accessoires pour la pose de carrelage et sanitaires ; qu'au début de l'année 2006, la société Tomécanic réalisait 25 % de son chiffre d'affaires avec la société Castorama ; que par lettre du 28 juin 2005, la société Castorama a annoncé à la société Tomécanic son intention de lancer un appel d'offres aux fins d'actualisation de sa gamme "outillage carrelage" et a invité la société Tomécanic à soumissionner d'ici le 30 juillet 2005 ce qu'elle a fait ; que le 18 novembre 2005, la société Castorama a annoncé à la société Tomécanic, sa décision de déréférencer sa gamme d'outillage à mains à compter du 1er septembre 2006 ; que par courrier du 2 mars 2006, la société Castorama a informé la société Tomécanic que la totalité de ses produits, y compris ceux vendus sous la marque Castorama, cesseraient d'être référencés à compter du 2 mars 2007 ; qu'après avoir dénoncé le caractère brutal du déréférencement opéré par la société Castorama, à la suite de celui qui lui avait déjà été infligé par la société Brico-Dépôt, la société Tomécanic a assigné la société Castorama en réparation du préjudice lui ayant été causé par la rupture brutale et abusive des relations commerciales établies avec sa cocontractante ;

Sur le quatrième moyen : - Attendu que ce moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches : - Attendu que la société Castorama fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'elle avait rompu sans préavis suffisant ses relations commerciales avec la société Tomécanic-Benetière et de l'avoir condamnée en réparation à payer diverses sommes à cette dernière, alors, selon le moyen : 1°) qu'en vertu de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la rupture d'une relation commerciale établie ne peut intervenir sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ; que le délai de préavis fixé par l'accord interprofessionnel qui tient compte de l'ancienneté des relations commerciales, s'impose au juge, qui ne peut refuser de l'appliquer au motif qu'il serait insuffisant ; que dès lors, en décidant que l'existence d'un accord interprofessionnel ne dispense pas le juge du pouvoir d'apprécier si le délai est suffisant, et en décidant que les préavis accordés, pourtant conformes à l'accord interprofessionnel FMB Unibal, étaient insuffisants la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et l'accord FMB Unibal ; 2°) qu'en décidant que les délais de préavis prévus par l'accord interprofessionnel FMB Unibal étaient tous des délais minima s'imposant aux signataires, alors que l'accord prévoit des fourchettes de délais, ce qui exclut que la fourchette haute puisse être un délai minimum, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et l'accord FMB Unibal ; 3°) que, la durée des relations antérieures est le seul critère à prendre en compte pour apprécier si le préavis est suffisant, depuis la modification de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce par la loi NRE du 15 mai 2001 ; qu'en décidant que le délai maximal de l'accord interprofessionnel FMB Unibal pouvait être dépassé, compte tenu de la dépendance économique de Tomécanic à l'égard de Castorama et de Brico-Dépôt, et des investissements réalisés par Tomécanic au cours de ses relations avec Castorama pour tenir compte des demandes spécifiques de cette dernière, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Mais attendu que l'arrêt retient exactement que l'existence d'un accord interprofessionnel ne dispense pas la juridiction d'examiner si le préavis, qui respecte le délai minimal fixé par cet accord, tient compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances de l'espèce ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa septième branche et sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche : - Vu les articles L. 442-6, I, 5° et L. 442-6 I, 2 b) du Code de commerce ; - Attendu que pour dire que la société Tomécanic était dans une situation de dépendance économique à l'égard des sociétés Brico-Dépôt et Castorama, enseignes faisant partie du " groupe Castorama France", et prendre en compte cette situation pour le calcul du délai de préavis, l'arrêt retient que les deux sociétés sont juridiquement distinctes, que leurs activités sont identiques mais destinées à des clientèles différentes, le bricoleur dans le cas de la société Castorama et les professionnels dans le cas de la société Brico-Dépôt, que la société Tomécanic est en droit de faire valoir, pour l'examen de la dépendance comme pour l'évaluation des conséquences de la rupture, la gémellité des deux entités Brico-Dépôt et Castorama, que le poids de la société Castorama dans le chiffre d'affaires de la société Tomécanic doit être mesuré en prenant en considération le poids de l'ensemble des sociétés Castorama + Brico-Dépôt, que cet ensemble pesait jusqu'au début 2006 41 % de l'activité totale de la société Tomécanic ; que Castorama et Brico-Dépôt représentaient la première enseigne du marché français du bricolage, avec une part de marché s'élevant en 2006 à plus de 35 % dans le circuit de la grande distribution, lequel était largement prédominant représentant 67 % du marché total et que les sociétés Castorama et Brico-Dépôt faisaient partie des trois premières enseignes sur le marché français ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à établir que les sociétés Brico-Dépôt et Castorama n'étaient pas autonomes dans leur relations commerciales avec la société Tomécanic ou qu'elles avaient agi de concert, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a dit que la société Castorama France a rompu brutalement ses relations commerciales avec la société Tomécanic-Benetière et qu'elle a abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle cette dernière société se trouvait à son égard, l'arrêt rendu le 20 novembre 2007, rectifié par arrêt du 11 décembre 2007, entre les parties, par la Cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Douai, autrement composée.