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Décisions

Cass. com., 2 décembre 2008, n° 08-10.732

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Brico-Dépôt (SAS)

Défendeur :

Tomécanic-Bénetière (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

M. Jenny

Avocat général :

Mme Batut

Avocats :

SCP Delaporte, Briard, Trichet, SCP Thomas-Raquin, Bénabent

T. com. Lille, du 12 juill. 2007

12 juillet 2007

LA COUR : - Attendu selon l'arrêt déféré (Douai, 20 novembre 2007) que la société Tomécanic-Bénetière (ci-après Tomécanic) fabrique des outillages spécialisés pour le bâtiment, qu'elle commercialise auprès d'une clientèle principalement constituée de réseaux de revendeurs pour le bricolage et de professionnels du bâtiment ; que, jusqu'au début de l'année 2006, elle a réalisé plus de 41 % de son chiffre d'affaires global avec les sociétés Castorama et Brico-Dépôt, dont 16 % avec cette dernière ; que par lettre du 12 juillet 2005, la société Brico-Dépôt l'a informée de sa décision de mettre en place, à partir du 15 août 2005, une procédure d'appel d'offres pour la fourniture des produits jusque-là vendus par elle, qu'elle serait invitée à participer à l'appel d'offres et que dans l'hypothèse où elle ne serait pas retenue, les accords commerciaux existants seraient susceptibles d'être résiliés avec un préavis de six mois prenant fin le 31 janvier 2006 ; que par courrier du 18 juillet 2005, la société Tomécanic a contesté la légitimité du préavis tant sur sa forme que sur sa durée ; que par lettre du 8 août 2005, la société Brico-Dépôt a indiqué à la société Tomécanic que sa lettre du 12 juillet 2005 devait être considérée comme une lettre de déréférencement marquant le début d'un préavis de six mois ; que le 30 septembre 2005, la société Brico-Dépôt a transmis un appel d'offres à la société Tomécanic qui lui a demandé de lui préciser un certain nombre de points importants concernant le cahier des charges ; que la société Brico-Dépôt n'a pas répondu à cette demande de la société Tomécanic ; que par lettre du 4 novembre 2005, la société Tomécanic a transmis son offre à la société Brico-Dépôt ; que le 23 novembre 2005, la société Brico-Dépôt a laissé entendre à la société Tomécanic qu'elle pourrait réviser le délai de préavis accordé, en s'engageant à faire connaître sa décision dans les huit jours ; que le 14 décembre 2005, la société Brico-Dépôt est revenue sur sa proposition de révision de la durée du préavis, a confirmé sa décision de rompre ses relations commerciales avec effet au 31 janvier 2006 et n'a plus passé que quelques commandes limitées dans les semaines suivantes ; que la société Tomécanic l'a assigné afin d'obtenir réparation du préjudice lui ayant été causé par la rupture brutale et abusive des relations commerciales établies avec sa cocontractante ;

Sur le troisième et le cinquième moyens : - Attendu que ces moyens ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre premières branches, et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche : - Attendu que la société Brico-Dépôt fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'elle avait rompu sans préavis suffisant ses relations commerciales avec la société Tomécanic-Bénetière et de l'avoir condamnée en réparation à payer diverses sommes à cette dernière, alors, selon le moyen : 1°) qu'en vertu de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la rupture d'une relation commerciale établie ne peut intervenir sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ; que le délai de préavis fixé par l'accord interprofessionnel qui tient compte de l'ancienneté des relations commerciales, s'impose au juge, qui ne peut refuser de l'appliquer au motif qu'il serait insuffisant ; que dès lors, en décidant que l'existence d'un accord interprofessionnel ne dispense pas le juge du pouvoir d'apprécier si le délai est suffisant, et en décidant que les préavis accordés, pourtant conformes à l'accord interprofessionnel FMB-Unibal, étaient insuffisants la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et l'accord FMB-Unibal ; 2°) qu'en décidant que les délais de préavis prévus par l'accord interprofessionnel FMB-Unibal étaient tous des délais minima s'imposant aux signataires, alors que l'accord prévoit des fourchettes de délais, ce qui exclut que la fourchette haute puisse être un délai minimum, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et l'accord FMB-Unibal ; 3°) que, la durée des relations antérieures est le seul critère à prendre en compte pour apprécier si le préavis est suffisant, depuis la modification de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce par la loi NRE du 15 mai 2001 ; qu'en décidant que le délai maximal de l'accord interprofessionnel FMB-Unibal pouvait être dépassé, compte tenu de la dépendance économique de la société Tomécanic à l'égard de la société Castorama et de la société Brico-Dépôt, et des investissements réalisés par la société Tomécanic au cours de ses relations avec la société Brico-Dépôt pour tenir compte des demandes spécifiques de cette dernière, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 4°) que l'état de dépendance économique se définit comme la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses distributeurs un ou plusieurs distributeurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ; qu'en l'espèce, tenant compte du chiffre d'affaires fait par la société Tomécanic auprès de la société Castorama et de la société Brico-Dépôt, la cour d'appel a relevé qu'il représentait début 2006, 41 % de l'activité totale de la société Tomécanic ; que tenant compte d'un avis du Conseil de la concurrence du 21 janvier 1997, fondé sur le marché en 1996, elle en a déduit que Castorama, Brico-Dépôt, et Leroy-Merlin étaient les trois premières enseignes sur le marché français et qu'il n'y avait donc pour la société Tomécanic pas de source alternative comparable sur le marché ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher comme elle y était invitée si le fournisseur ne disposait pas en 2006, et non en 1996, de solutions alternatives qu'il n'avait pas mises en œuvre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Mais attendu qu'abstraction faite du motif surabondant visé par la quatrième branche, l'arrêt retient exactement que l'existence d'un accord interprofessionnel ne dispense pas la juridiction d'examiner si le préavis, qui respecte le délai minimal fixé par cet accord, tient compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances de l'espèce ; que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa quatrième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Brico-Dépôt fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Tomécanic les sommes de 765 451,50 euro à titre de perte de marge brute du fait du non-respect du préavis, 30 000 euro en réparation du préjudice de reconversion, et 20 000 euro en réparation du préjudice d'image, alors, selon le moyen : 1°) qu'en fixant le point de départ du déréférencement au 8 août 2005, date à laquelle la volonté de la société Brico-Dépôt serait devenue certaine, alors que la notification par la société Brico-Dépôt le 12 juillet 2005 de son recours à un appel d'offres pour choisir ses fournisseurs manifestait son intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles dans les conditions antérieures et faisait ainsi courir le délai de préavis, la cour d'appel a violé les articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et 1382 du Code civil ; 2°) qu'en fixant le point de départ du préavis au 31 janvier 2006 parce que les commandes auraient diminué en février 2006 (100 000 euro) et en mars 2006 (70 000 euro au lieu de 160 000 euro en mars 2005) alors que toute relation commerciale n'avait pas cessé entre les parties, la cour d'appel a violé les articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et 1382 du Code civil ; 3°) que le préjudice causé par la rupture brutale de relations commerciales établies s'entend uniquement de la perte de marge pendant le préavis qui n'a pas été exécuté ; qu'il ne peut en aucun cas être le préjudice dû au principe même de la cessation des relations contractuelles ; que dès lors en l'espèce, en indemnisant le préjudice de reconversion et le préjudice de perte d'image de la société Tomécanic, la cour d'appel a violé les articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et 1382 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant constaté qu'aux termes de l'accord FMB/Unibal l'annonce de toute rupture des relations commerciales devait être précédée d'une rencontre provoquée par la partie ayant pris cette décision afin d'en exposer les raisons à l'autre partie, que cet entretien devait être suivi de l'envoi d'une lettre recommandée confirmant les raisons de la rupture et marquant le point de départ du délai de préavis et que la société Brico-Dépôt ne justifiait pas avoir respecté les formes requises par cet accord, plus protectrices que les dispositions de l'article L. 442-6, 5 du Code de commerce, préalablement à l'envoi de la lettre du 12 juillet 2005, la cour d'appel a pu en déduire qu'il ne faisait pas courir le délai de préavis ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant constaté que les commandes passées par la société Brico-Dépôt auprès de la société Tomécanic après le 31 janvier 2006 étaient sans commune mesure avec les commandes antérieures, qu'elles relevaient du simple dépannage, n'avaient pas été prévues et n'avaient pas pour but de poursuivre les relations commerciales avec la société Tomécanic mais de pallier un retard ou une défaillance dans la nouvelle source d'approvisionnement de la société Brico-Dépôt, la cour d'appel a pu en déduire que c'est à cette date qu'est intervenue la rupture des relations commerciales entre ces deux sociétés ;

Et attendu, enfin, que, contrairement à ce qui est soutenu, la cour d'appel n'a pas réparé des préjudices tirés de la cessation des relations contractuelles entre les sociétés Tomécanic et Brico-Dépôt, mais a, après avoir constaté que la société Tomécanic avait consenti des investissements pour adapter son outil industriel aux demandes de la société Brico-Dépôt et que la distribution de ses produits dans les magasins de la société Brico-Dépôt leur conférait une notoriété auprès de particuliers sensibles à la marque et à l'origine française des produits, souverainement apprécié les préjudices résultant de l'obligation pour la société Tomécanic de se reconvertir afin de rechercher de nouveaux marchés et d'y adapter son outil de production dans l'urgence en raison de la brutalité de la rupture de ses relations commerciales avec la société Brico-Dépôt ; d'ou il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa septième branche, et sur le quatrième moyen, pris en sa quatrième branche : - Vu les articles L. 442-6, I, 5° et L. 442-6-I, 2 b) du Code de commerce ; - Attendu que pour dire que la société Tomécanic était dans une situation de dépendance économique importante à l'égard de Brico-Dépôt et Castorama, enseignes faisant partie du "groupe Castorama France", et prendre en compte cette situation pour le calcul du délai de préavis, l'arrêt retient que les deux sociétés étaient juridiquement distinctes, que leurs activités étaient identiques mais destinées à des clientèles différentes, le bricoleur dans le cas de la société Castorama et les professionnels dans le cas de la société Brico-Dépôt, que la société Tomécanic est en droit de faire valoir, pour l'examen de la dépendance comme pour l'évaluation des conséquences de la rupture, la gémellité des deux entités Brico-Dépôt et Castorama, que le poids de la société Brico-Dépôt dans le chiffre d'affaires de Tomécanic devait être mesuré en prenant en considération le poids de l'ensemble Castorama + Brico-Dépôt, que cet ensemble pesait jusqu'au début 2006 41 % de l'activité totale de Tomécanic ; que Castorama et Brico-Dépôt représentaient la première enseigne du marché français du bricolage, avec une part de marché s'élevant en 2006 à plus de 35 % dans le circuit de la grande distribution, lequel était largement prédominant représentant 67 % du marché total et que les sociétés Castorama et Brico-Dépôt faisaient partie des trois premières enseignes sur le marché français ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à établir que les sociétés Brico-Dépôt et Castorama n'étaient pas autonomes dans leurs relations commerciales avec la société Tomécanic ou qu'elles avaient agi de concert, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a dit que la société Brico-Dépôt a rompu brutalement ses relations commerciales avec la société Tomécanic-Bénetière, qu'elle a abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle la société Tomécanic-Bénetière se trouvait à son égard et l'a en conséquence condamnée à payer les sommes de 765 451,50 euro à titre de perte de marge brute du fait du non-respect du préavis et 25 000 euro en réparation du préjudice subi du fait des pratiques constitutives d'abus de dépendance économique et de manquement à l'obligation de renégocier de bonne foi les tarifs, l'arrêt rendu le 20 novembre 2007, entre les parties, par la Cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Douai, autrement composée.