Cass. com., 2 décembre 2008, n° 07-17.521
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Idefi Gestion (SAS), Belhassen-Poiteaux (ès qual.), Peptide Immune Ligands Pil (SA)
Défendeur :
Gras
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Tric (faisant fonction)
Rapporteur :
Mme Michel-Amsellem
Avocat général :
M. Raysséguier
Avocats :
SCP Choucroy, Gadiou, Chevallier, SCP Thomas-Raquin, Bénabent
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 15 mai 2007), que la société Peptide Immune Ligands (la société PIL), qui comptait parmi ses actionnaires M. et Mme Gras, a conclu le 6 août 1998 avec l'INSERM, l'Institut Pasteur de Lille (l'IPL) et le CNRS un contrat dit de collaboration-licence portant sur cinq demandes de brevets ; que ces brevets portaient sur une technologie dans le domaine des peptides et dérivés peptidiques en vue de réaliser des médicaments à but thérapeutiques ou prophylactiques pour les pathologies infectieuses tumorales et auto-immunes ; que la société Biovector Thérapeutics (la société Biovector) ayant acquis 80 % du capital de la société PIL, celle-ci lui a cédé, le 13 octobre 1998, une sous licence du contrat de collaboration-licence du 6 août 1998 ; que dans ce contexte, Mme Gras, consultante de la société PIL, a signé un avenant de résiliation de son contrat et conclu, le 20 novembre 1998, avec la société Biovector un contrat de consultant portant sur le transfert du savoir-faire ; que ce contrat comportait une clause de non-concurrence par laquelle Mme Gras s'engageait à ne pas apporter son concours directement ou par personne interposée dans le domaine scientifique à des entreprises concurrentes ou susceptibles de concurrencer Biovector, pendant toute la durée du contrat et dans les douze mois suivant son expiration ; que le 26 janvier 2001, le CNRS et l'IPL ont octroyé à la Société d'études et de développement des antigènes combinatoires (la société Sedac), dont M. et Mme Gras étaient actionnaires, une licence exclusive portant sur des demandes de brevets relatifs à différentes techniques de ligation des peptides lesquelles étaient issues des recherches de Mme Gras ; que, soutenant que celle-ci avait violé la clause de non-concurrence figurant au contrat du 20 novembre 1998, les sociétés PIL et Biovector l'ont poursuivie en réparation ; que la société Biovector ayant été mise en liquidation amiable, son liquidateur a repris l'instance, laquelle a, à la suite de la clôture de la liquidation, été reprise par la société Idefi Gestion, en qualité d'indivisaire de l'indivision résultant de la liquidation de la société Biovector ; que la société PIL ayant été mise en liquidation judiciaire, Mme Belhassen-Poiteaux, mandataire-liquidateur, a repris l'instance ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Idefi Gestion, ès qualités, et Mme Belhassen-Poiteaux, ès qualités, font grief à l'arrêt d'avoir débouté les sociétés PIL et Idefi Gestion, ès qualités, de leur action en responsabilité civile dirigée à l'encontre de Mme Gras et fondée sur la violation par cette dernière de son obligation de non-concurrence, alors, selon le moyen, qu'en retenant que "la participation des époux Gras au capital de la société Sedac ne saurait être retenue à l'encontre de Mme Gras comme une violation de la clause de non-concurrence" après avoir constaté que la clause de non-concurrence figurant dans le contrat conclu le 20 novembre 1998 entre la société Biovector et Mme Gras faisait obligation à cette dernière de ne pas apporter "son concours directement ou par personne interposée dans le domaine scientifique à des entreprises concurrentes susceptibles de concurrencer la société Biovector" ; que cette clause de non-concurrence était "applicable du 1er juin 1998 au 1er juin 2002" ; que le mari de Mme Gras entrait à hauteur de cinq cent vingt-quatre actions au capital de la société Sedac créée le 1er octobre 1999, que Mme Gras avait participé à hauteur de sept cents actions à l'augmentation du capital de cette société effectué en décembre 2000, si bien qu'elle et son mari détenaient alors 9,2 % du capital social ; que la société Sedac et la société Biovector, qui ont un domaine scientifique commun, sont donc "concurrentes", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la clause de non-concurrence interdisait à Mme Gras d'apporter son concours directement ou par personne interposée dans le domaine scientifique à des entreprises susceptibles de concurrencer la société Biovector, la cour d'appel a interprété souverainement les termes ambigus de cette clause en considérant que le seul fait de devenir actionnaire de la société Sedac ne constituait pas, en lui-même et compte tenu du contexte dans lequel il était intervenu, une violation de la clause de non-concurrence ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches : - Attendu que la société Idefi Gestion, ès qualités, et Mme Belhassen-Poiteaux, ès qualités, font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) qu'en cas d'inexécution contractuelle, les dommages-intérêts comprennent nécessairement tout ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention ; en l'espèce, ainsi que la cour d'appel l'a elle-même constaté, c'est la violation par Mme Gras de son obligation de non-concurrence qui a permis à la société Sedac - concurrente directe des sociétés PIL et Biovector - de se voir octroyer par le CNRS la licence exclusive des brevets "ligation" que les exposantes tentaient également d'obtenir afin de pouvoir conclure un accord avec la société Aventis pour le développement de la technologie des lipopeptides ; que le contrat projeté avec cette société, expressément subordonné à la condition d'obtention de la licence desdits brevets, a donc dû être abandonné ; qu'en décidant cependant que la perte du contrat Aventis n'était pas imputable à faute à Mme Gras, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et ainsi violé les articles 1147 et 1151 du Code civil ; 2°) qu'en cas d'inexécution contractuelle, les dommages-intérêts comprennent nécessairement tout ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention ; qu'en décidant en l'espèce que l'échec des négociations avec la société Sedac était la cause de la perte du contrat Aventis mais que les causes de l'échec des négociations avec Sedac n'étant pas déterminées, la perte du contrat Aventis n'était pas imputable à faute à Mme Gras, sans rechercher si ce n'était pas l'attribution à la société Sedac de la licence exclusive des brevets "ligation" grâce à l'intervention illicite de Mme Gras qui avait contraint les sociétés PIL et Biovector à engager en désespoir de cause des négociations (que tout vouait à l'échec) avec leur principale concurrente et qui constituait en conséquence la cause adéquate du dommage résultant de la perte du contrat, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1151 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève qu'informée par Mme Gras des travaux relatifs au procédé de ligation ayant abouti aux demandes de brevets, la société Biovector s'en est désintéressée et n'a répondu que tardivement à la lettre circulaire adressée par la société Fist, mandatée par le CNRS et proposant de prendre connaissance de ces demandes de brevets ; qu'il relève encore que la cause de l'échec des pourparlers entre les sociétés Sedac et Biovector relatifs à l'exploitation des lipopeptides demeure indéterminée ; qu'en l'état de ces constatations et observations qui relèvent de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuves produits et dont il résulte que l'échec des négociations entre les sociétés Biovector et Aventis n'avait pas été causé par la violation de la clause de non-concurrence de Mme Gras, la cour d'appel, sans avoir à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Attendu que le deuxième moyen, pris en sa première branche, ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Et attendu que par suite du rejet du pourvoi principal, le pourvoi incident éventuel relevé par Mme Gras est devenu sans objet ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel : Rejette le pourvoi.