Cass. com., 2 décembre 2008, n° 07-17.539
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
ITM Entreprises (SA), ITM Sud Est (SA)
Défendeur :
Prodim (Sté), Ulade (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Tric (faisant fonction)
Rapporteur :
Mme Maitrepierre
Avocat général :
M. Raysséguier
Avocats :
Me Odent, SCP Delaporte, Briard, Trichet
LA COUR : - Joint les pourvois, n° 07-17.539, formé par les sociétés ITM Entreprises et ITM Sud Est, et n° 07-19.201, formé par la société Ulade, qui attaquent le même arrêt ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 30 avril 2007), que, le 6 juin 1996, la société Prodim Grand Est, aux droits de laquelle vient la société Prodim, a conclu avec la société Sodi La Gaude (la société Sodi), qui exploitait alors un fonds de commerce à La Gaude, deux contrats d'affiliation et d'approvisionnement, d'une durée de quatre ans, ayant pour terme le 15 mars 2000, avec possibilité de renouvellement par tacite reconduction ; que, se plaignant de la mauvaise exécution de ces contrats, la société Sodi a, par courrier du 25 février 1999, indiqué à la société Prodim qu'elle les rompait, et ce à compter du 1er mai suivant ; que, le 14 mai 1999, M. Sappa, son épouse et leur fille (les consorts Sappa), qui, avec une autre société, avaient constitué la société Sodi, ont vendu la totalité de leurs parts dans le capital de cette dernière à la société ITM Sud Est, et ce avec effet depuis le 1er mai précédent ; que, le 21 mai 1999, la société Sodi a vendu son fonds de commerce, avec effet à compter du 1er mai précédent, à la société Ulade, constituée un mois auparavant, le 15 avril de la même année, avec pour objectif exclusif l'exploitation d'un fonds de commerce de type supermarché à La Gaude sous l'enseigne Intermarché, et à laquelle sont associées les sociétés ITM Sud Est et ITM Entreprises ; que, le 2 septembre de la même année, l'enseigne Codec du magasin a été remplacée par l'enseigne Intermarché ; qu'estimant que la société Sodi avait manqué à ses obligations contractuelles, d'une part, en rompant avant le terme convenu les deux contrats d'affiliation et d'approvisionnement et, d'autre part, en violant le pacte de préférence stipulé en sa faveur dans le contrat d'affiliation, la société Prodim a engagé, à l'encontre de la société Sodi, une procédure d'arbitrage, en application des clauses compromissoires figurant dans les deux contrats ; que, par une sentence du 21 mai 2002, le tribunal arbitral a prononcé la résolution des deux contrats aux torts exclusifs de la société Sodi, a dit que cette dernière avait violé le pacte de préférence et, en conséquence, l'a condamnée à payer à la société Prodim diverses sommes, notamment à titre de dommages-intérêts ; qu'estimant que les sociétés ITM Entreprises, ITM Sud Est et Ulade s'étaient rendues complices des manquements de la société Sodi à ses obligations contractuelles, la société Prodim a assigné ces trois premières sociétés, en indemnisation de son préjudice ;
Sur le premier moyen des deux pourvois : - Attendu que les sociétés ITM Entreprises, ITM Sud Est et Ulade font grief à l'arrêt de les avoir condamnées à payer à la société Prodim certaines sommes au titre de la violation du contrat d'approvisionnement et de celle du pacte de préférence et de la clause de non-réaffiliation, stipulés dans le contrat d'affiliation, alors, selon le moyen : 1°) que la responsabilité délictuelle du tiers complice de la violation d'une obligation contractuelle n'est engagée que s'il est établi que le tiers connaissait les obligations contractuelles prétendument violées ; que par ailleurs, la bonne foi se présume ; que dès lors, en condamnant en l'espèce les sociétés ITM Entreprises, ITM Sud Est et Ulade à payer diverses sommes à Prodim, sans constater la connaissance effective par les premières de l'obligation d'approvisionnement, du pacte de préférence et de la clause de non-réaffiliation profitant à Prodim, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 2268 du Code civil ; 2°) qu'en tout état de cause, le tiers complice de la violation d'une obligation contractuelle, n'est responsable que du préjudice qu'il a causé par sa faute ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Sodi avait rompu le contrat avec la SNC Prodim le 25 février 1999 avec effet au 30 avril 1999, que les sociétés ITM Entreprises et ITM Sud Est n'ont racheté les parts de la société Sodi que le 14 mai 1999 et que le fonds de commerce de Sodi a été vendu à la SA Ulade le 21 mai 1999, ce dont il résultait que la rupture du contrat avec la SNC Prodim était consommée avant les actes prétendus de tierce complicité, et que le prétendu tiers complice ne pouvait en aucun cas être considéré comme cause de la rupture intervenue en dehors de lui ; qu'en condamnant néanmoins les sociétés ITM Entreprises, ITM Sud Est et Ulade, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 3°) qu'en tout état de cause, à supposer même qu'un professionnel ait l'obligation de se renseigner sur le respect des clauses qu'il est d'usage d'insérer dans le type de contrat en cause, la cour d'appel ne pouvait pas condamner les sociétés ITM Entreprises, ITM Sud Est et Ulade sans constater qu'il est d'usage d'insérer un pacte de préférence dans un contrat d'enseigne ; qu'en statuant ainsi, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 2268 du Code civil ; 4°) que la violation d'une clause nulle comme portant atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie ne peut engager la responsabilité du tiers complice ; que la cour d'appel a relevé que la clause de non-réaffiliation de l'article 6, alinéa 6 du contrat prévoyait en cas de rupture de la convention, l'obligation pour l'affilié pendant un an de ne pas utiliser une enseigne de renommée nationale ou locale dans un rayon de 5 km de son magasin Codec, ce dont il résultait que le franchisé était ainsi mis dans l'impossibilité de continuer d'exploiter son commerce ; qu'en décidant que les sociétés ITM Entreprises, ITM Sud Est et Ulade s'étaient rendues complices de la violation de cette clause, manifestement nulle comme portant atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, en violation de l'article 1382 du Code civil ;
Mais, attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que l'achat par les sociétés ITM Entreprises, ITM Sud Est et Ulade des parts et du fonds de commerce de la société Sodi avait pris effet le 1er mai 1999, c'est-à-dire exactement le lendemain de la prise d'effet de la rupture par cette société des contrats d'affiliation et d'approvisionnement la liant à la société Prodim, l'arrêt en déduit que la juxtaposition de ces deux opérations n'est pas l'effet du hasard mais a été soigneusement étudiée et préparée ; qu'ayant ainsi fait ressortir que les sociétés ITM Entreprises, ITM Sud Est et Ulade connaissaient les obligations contractuelles auxquelles la société Sodi était tenue envers la société Prodim, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, non critiqués, légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, que la clause litigieuse, dont la validité a déjà été reconnue par la sentence arbitrale, interdit uniquement, pendant une durée limitée à un an à compter de la date de résiliation du contrat d'affiliation, l'usage, dans un rayon de cinq kilomètres du magasin, d'une enseigne de renommée nationale ou régionale et la vente de produits liés, de sorte que cette clause ne s'oppose pas à la poursuite d'une activité commerciale identique dans ce magasin, sous une autre enseigne, pendant cette durée, et, par la suite, sous une enseigne renommée concurrente ; d'où il suit que le moyen, inopérant en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le second moyen des deux pourvois : - Vu l'article 1351 du Code civil, ensemble l'article 1476 du Code de procédure civile ; - Attendu que, pour condamner in solidum les sociétés ITM Entreprises, ITM Sud Est et Ulade à payer à la société Prodim certaines sommes à titre de dommages-intérêts, qui s'ajoutent à celles au paiement desquelles la société Sodi a été condamnée, pour les mêmes chefs de préjudice, par la sentence arbitrale prononcée antérieurement, l'arrêt retient que les arbitres ont statué en équité, en tant qu'amiables compositeurs, alors qu'il leur appartenait de juger exclusivement en droit ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'une sentence arbitrale est opposable aux tiers, même lorsque les arbitres, en tant qu'amiables compositeurs, ont statué en équité, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les textes susvisés ;
Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné les sociétés ITM Entreprises, ITM Sud Est et Ulade in solidum à payer à la société Prodim la somme de 19 488,41 euro au titre de la violation du contrat d'approvisionnement et celle de 100 000 euro au titre de la violation du pacte de préférence et de la clause de non-réaffiliation, l'arrêt rendu le 30 avril 2007, entre les parties, par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit les renvoie devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.