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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 3 juillet 2008, n° 06-20432

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Au Forum du Bâtiment (SA)

Défendeur :

Vachette (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Deurbergue

Conseillers :

Mme Le Bail, M. Picque

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, Me Hanine

Avocats :

Mes Valluis, Vitoux

CA Paris n° 06-20432

3 juillet 2008

Vu l'appel interjeté par la société Au Forum du Bâtiment du jugement prononcé le 15 septembre 2006 par le Tribunal de commerce de Paris qui l'a déboutée de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Vachette la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens;

Vu les dernières écritures signifiées le 28 février 2008 par la SA Au Forum du Bâtiment, ci-après AFDB, qui demande à la cour d'infirmer le jugement, sauf en ce qu'il a débouté la société Vachette de ses prétentions indemnitaires, de dire que le refus d'agrément de la SA AFDB est constitutif d'une pratique discriminatoire, d'ordonner à la société Vachette d'agréer la société AFDB en tant que distributeur du réseau SEV à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte, et de condamner la société Vachette au paiement de 700 000 euro à titre de dommages et intérêts, de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;

Vu les dernières écritures signifiées le 26 juillet 2007 par la société Vachette, qui demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société AFDB de toutes ses demandes, de l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts, et faisant droit à celle-ci, de condamner la société AFDB au paiement de 70 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et atteinte portée à son image de marque ainsi qu'à l'organisation de son réseau, 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;

Sur ce :

Considérant que la société Au Forum du Bâtiment, ci-après AFDB, est un distributeur d'équipements et de fournitures pour le bâtiment, spécialisé dans la serrurerie-quincaillerie, la plomberie sanitaire, le chauffage ; qu'elle exerce une activité de grossiste auprès des professionnels du bâtiment;

Considérant que la société Vachette est un fabricant de serrures, qui a mis en place dans la région Île-de-France, depuis 2002, un réseau de distribution sélective " Service Expert Vachette ", ci-après dénommé SEV, composé de deux distributeurs agréés, Darmon et Cogeferm et de prestataires de services agréés;

Considérant qu'AFDB a manifesté sa volonté d'être agréé en tant que distributeur du réseau SEV ; que Vachette a rejeté sa demande au motif que les dispositions des contrats limiteraient le nombre de distributeurs sélectifs agréés envisageables au sein du réseau SEV, afin d'en assurer la viabilité et la cohérence;

Considérant que, s'estimant victime de pratiques discriminatoires, AFDB, par acte du 11 avril 2005, a fait assigner la société Vachette devant le Tribunal de commerce de Paris, au visa de l'article L. 442-6-I-1° du Code de commerce afin d'entendre :

- ordonner à la société Vachette d'agréer la société AFDB en tant que distributeur du réseau SEV à compter de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard;

- condamner la société Vachette à verser la somme de 700 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par AFDB et 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens;

Que la société Vachette a conclu au débouté des prétentions d'AFDB, et demandé, reconventionnellement, la condamnation de cette société au paiement de 70 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, et 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens;

Que le tribunal de commerce, par jugement rendu le 15 septembre 2006, a débouté la société AFDB de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Vachette la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, aux motifs principaux que:

- le refus d'agrément opposé à AFDB est fondé sur des critères quantitatifs, à savoir:

* nombre de serruriers experts membres du réseau supérieur à 70,

* chiffre d'affaires réalisé par SEV sur la région Île-de-France supérieur à 1 400 000 euro HT,

* nombre d'habitants de la région Île-de-France supérieur à 14 000 000 et nombre de logements supérieur à 6 000 000;

- ces critères quant à l'agrément d'un nouveau distributeur sont précis et objectifs;

- il est admis en jurisprudence que les promoteurs de réseaux de distribution sélective fixent des critères quantitatifs visant à limiter le nombre des distributeurs agréés sur un territoire défini;

- le refus d'agréer n'est pas constitutif de pratique discriminatoire dès lors que ce refus est lié à une organisation économique;

Considérant que la société AFDB indique, au soutien de son appel que Vachette accorde à ses deux distributeurs agréés des avantages commerciaux dont les distributeurs hors réseau ne bénéficient pas ; qu'elle a demandé que Vachette lui communique les critères quantitatifs qu'elle prétend appliquer, ainsi que copie des dispositions du contrat conclu avec les distributeurs agréés, afin qu'elle puisse envisager les conditions de son éventuel agrément; que Vachette a refusé, au motif que les contrats de distribution comporteraient une clause de confidentialité;

Qu'elle fait valoir que la distribution sélective quantitative est un système de distribution sélective dans lequel le fournisseur applique, pour sélectionner les distributeurs, des critères qui limitent directement le nombre de ceux-ci ; que le fournisseur doit justifier de critères précis et objectifs de sélection quantitative, mis en œuvre de manière non discriminatoire ; que ces critères doivent être proportionnés au but à atteindre, sans conférer "une rente de situation" aux distributeurs agréés;

Qu'elle soutient que Vachette en fait, a refusé son agrément en arguant de critères de sélection imprécis, indéfinis et non objectifs, dénués de toute réalité socio-économique ; que les critères posés par Vachette sont irréalistes, et n'ont d'autre objectif que de rendre impossible l'agrément d'un nouveau distributeur au sein du réseau SEV ; que d'ailleurs, cette société refuse de communiquer les contrats de distribution sur lesquels elle fonde la justification de son refus d'agrément;

Considérant que la société Vachette conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté AFDB de toutes ses demandes, en faisant valoir:

- sur la discrimination invoquée par AFDB, que l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce suppose l'existence de pratiques discriminatoires et la création d'un désavantage ou d'un avantage dans la concurrence ; que Vachette ne pratique aucune condition discriminatoire vis-à-vis de AFDB ; que notamment, elle n'impose pas de prix, de délais de paiement, de conditions ou de modalités de vente discriminatoires ; qu'il n'y a donc aucun effet anticoncurrentiel;

- sur le refus d'agrément, que le réseau "Service Expert Vachette" est un réseau de distribution sélective quantitative, dont le caractère licite est reconnu par le point 185 des lignes directrices accompagnant le règlement CEE 2790-1999 du 22 décembre 1999 ; que ce réseau coexiste avec d'autres canaux de distribution des produits fabriqués et vendus par Vachette, dont AFDB fait partie; qu'AFDB a eu communication des critères d'admission au SEV, qui sont adaptés au réseau Vachette, que cette société est donc de mauvaise foi quand elle soutient qu'elle n'a pu les obtenir;

Que Vachette ajoute, qu'en tout état de cause, l'injonction demandée à la cour n'est pas praticable dans la mesure où le réseau "Service Expert Vachette" n'existe plus, tous les contrats liant Vachette aux membres du réseau ayant été résiliés à effet du 31/12/2006, dans la mesure où le réseau, qui était en phase de test, ne s'est pas révélé concluant par rapport aux objectifs de Vachette;

Considérant que la société AFDB fonde son action sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce;

Considérant que la preuve de l'existence de pratiques discriminatoires incombe à celui qui s'en prétend victime ; que la société AFDB ne rapporte pas plus cette preuve en appel qu'elle ne l'a fait devant les premiers juges, et ne produit aucun élément justifiant que soit modifiée la décision du tribunal, qui, après avoir détaillé les critères d'agrément au réseau SEV, et rappelé que le refus d'agréer n'est pas constitutif de pratique discriminatoire dès lors que ce refus est lié à une organisation économique, l'a déboutée de toutes ses demandes;

Considérant que, pour contester l'objectivité des critères posés pour l'accès au SEV, AFDB se borne à soutenir qu'ils seraient impossibles à atteindre, et donc parfaitement irréalistes, mais sans apporter de réponse pertinente aux arguments de Vachette;

Considérant que la production de courriers, datés du début de l'année 2005, émanant de trois artisans serruriers regrettant qu'AFDB n'appartienne pas au réseau SEV, et insistant sur les qualités de cette société ainsi que sur les avantages qui résulteraient pour eux de son adhésion à ce réseau, n'établit pas le défaut d'objectivité des critères retenus par Vachette ; qu'il n'est pas non plus démontré de modalités de vente discriminatoires, notamment quant aux délais de livraison;

Que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société AJDB de toutes ses prétentions;

Considérant que la société Vachette, formant appel incident, demande que la société AFDB soit condamnée à lui payer 70 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice que lui a causé la présente procédure, qu'elle qualifie d'abusive et d'injustifiée ; que la société AFDB ayant pu se méprendre sur l'étendue de ses droits, et aucune volonté malicieuse de cette société n'étant établie, le jugement sera confirmé également en ce qu'il a débouté Vachette de ce chef; qu'en revanche, il lui sera alloué une somme de 10 000 euro au turc de l'article 700 du Code de procédure civile, en complément de la somme allouée en première instance;

Considérant que la société AFDB, qui succombe en toutes ses prétentions, supportera les dépens;

Par ces motifs, Déclare les appels principal et incident recevables, Confirme le jugement, Condamne la société AFDB à payer à la société Vachette la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs autres demandes contraires aux motifs ci-dessus, Condamne la société AFDB aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions l'article 699 du Code de procédure civile.