Ministre de l’Économie, 22 août 2008, n° ECEC0823455S
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils des sociétés CDC et Eurosic
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DE L'EMPLOI
Maître,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 1er août 2008, vous avez notifié la prise de contrôle conjoint par la Caisse des Dépôts et Consignations (ci-après "CDC") et Eurosic, filiale du groupe Caisse d'Épargne (ci-après " GCE ") de la société civile immobilière Lagny Cuvier Generali (ci-après " la SCI ") propriétaire d'un immeuble dénommé Terra Nova II, situé à Montreuil-sous-Bois, dans le département de la Seine-Saint-Denis. Cette acquisition été formalisée par un contrat de cession signé le 25 juillet 2008.
I. Les entreprises concernées et l'opération
Eurosic est une société anonyme à directoire et conseil de surveillance principalement spécialisée dans la détention à long terme et le développement d'actifs immobiliers de bureaux ou la prise de contrôle de sociétés propriétaires d'actifs immobiliers. Elle est contrôlée directement et indirectement par GCE, troisième groupe bancaire français, lequel est principalement actif dans la plupart des services bancaires et financiers.
En 2007, GCE a réalisé un chiffre d'affaires (1) total mondial hors taxes d'environ [...] milliards d'euro, dont [...] milliards d'euro en France.
La CDC est un établissement public à statut spécial, régi par les articles L. 518-1 et suivants du Code monétaire et financier qui dispose que la CDC et ses filiales constituent un groupe public au service de l'intérêt général et du développement économique du pays. Il est notamment engagé dans des activités ouvertes à la concurrence regroupées autour de quatre pôles :
- l'assurance de personnes : CNP Assurances ;
- l'immobilier : la SNI (2) et la société Icade (3) ;
- le développement des PME et le capital investissement : CDC Entreprises, CDC Capital Investissement ;
- les services : Transdev (transport collectif), Egis (ingénierie des infrastructures), Compagnie des Alpes (exploitation de stations de ski et de sites de loisirs) et Belambra VVF (exploitation de tourisme et de huit hôtels).
En 2007, la CDC (4) a réalisé un chiffre d'affaires total mondial hors taxes d'environ [...] milliards d'euro, dont [...] milliards d'euro en France.
La SCI Lagny Cuvier Generali a pour objet unique la détention et l'exploitation de l'immeuble dénommé " Terra Nova II ", situé-72, 74/78 rue de Lagny, 7 rue Dolorès Ibarruri, 3 et 15 rue Henri Rol Tanguy et 33-37 rue Cuvier, à Montreuil-sous-Bois (93100). Il s'agit d'un immeuble de bureaux faisant l'objet de six baux commerciaux conclus avec CB Richard Ellis, l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), Nouvelles Frontières, ADL Partners, GN Research France et BNP Paribas.
En 2007, la SCI a réalisé un chiffre d'affaires total hors taxes de [0-50] millions d'euro exclusivement en France.
La présente opération consiste en l'acquisition par Eurosic et la CDC de l'intégralité des parts sociales représentant le capital et les droits de vote de la SCI. A l'issue de l'opération, Eurosic et la CDC détiendront chacune 50% des titres de la SCI. De plus, AEW Europe sera désignée conjointement par Eurosic et la CDC en tant que gestionnaire opérationnel de l'immeuble.
Il ressort ainsi du projet du pacte d'actionnaires qu'Eurosic et la CDC nommeront le même nombre de membres au sein du comité des associés.
Ce comité devra notamment approuver préalablement les décisions suivantes :
- le business plan et ses modifications ;
- les travaux significatifs non prévus au business plan ;
- la nomination, révocation ou renouvellement de l'expert immobilier ;
- la nomination, révocation ou renouvellement d'un co-gérant.
Étant donné qu'Eurosic et la CDC, disposeront du même nombre de voix et en exerceront toutes deux la gérance, les deux entités contrôleront conjointement la SCI.
En ce qu'elle confère à Eurosic et à la CDC le contrôle conjoint de la SCI, l'opération notifiée constitue une opération de concentration économique au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Au regard des chiffres d'affaires concernés, il apparaît que chacun des groupes concernés réalisent plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires communautaire en France. L'opération ne tombe donc pas dans le champ d'application du règlement 139-2004 CE, mais reste soumise aux dispositions fixées à l'article L. 430-2 du Code de commerce. En conséquence, l'opération projetée entre dans le champ d'application des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce.
II. Marchés concernés
A- Marchés de biens et services
Il ressort d'une pratique décisionnelle constante5 des autorités de concurrence nationale et communautaire que le secteur de l'immobilier est segmenté à la fois :
selon les destinataire des services ou biens : particuliers ou entreprises ;
selon le mode de fixation des prix : immobilier résidentiel libre ou logements sociaux ou intermédiaires ;
selon le type d'activité exercé dans les locaux : bureaux, locaux commerciaux ou autres locaux d'activité (locaux industriels, entrepôts, hôtels, etc.) ;
selon la nature des services ou biens offerts :
la promotion immobilière, où se rencontrent un promoteur et un demandeur d'immobilier neuf et qui regroupe les activités de construction et de vente immobilière ;
la gestion d'actifs immobiliers pour compte de tiers, où se rencontrent un gérant d'actif immobilier et un demandeur disposant de fonds à placer ;
l'administration de biens immobiliers, où se rencontrent, à l'amont, un administrateur et un propriétaire de biens immobiliers à gérer (échange d'une prestation d'administration) et, à l'aval, un administrateur et un propriétaire ou un locataire et qui regroupe les activités de gestion technique (copropriété) et de gestion locative ;
l'expertise immobilière, où se rencontrent un expert en immobilier et un demandeur d'expertise et qui recouvre les activités d'évaluation et d'analyse de la valeur des biens immobiliers ;
le conseil immobilier, où se rencontrent un conseiller en immobilier et un demandeur de conseil ;
l'intermédiation dans les transactions immobilières (vente ou location), qui correspond à deux marchés amont où se rencontrent un intermédiaire et soit un propriétaire d'un bien à vendre soit un propriétaire d'un bien à louer (échange d'un service d'intermédiation), et à deux marchés aval où se rencontrent un intermédiaire et soit un acheteur soit un locataire.
En l'espèce, les entités sont simultanément actives sur le marché aval de la gestion locative de bureaux.
B- Marchés géographiques
Pour le marché de la gestion locative, les autorités de concurrence envisagent une dimension infranationale, c'est-à-dire régionale (6), départementale (7), voire d'aire urbaine (8). Aux fins de la présente décision, l'analyse sera menée aux niveaux régional et départemental, eu égard à la non pertinence de la notion de l'aire urbaine de Paris qui recoupe peu ou prou le niveau régional. En effet, une aire urbaine est un ensemble de communes d'un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain et par des communes rurales ou unités urbaines (couronne urbaine) dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci (9).
Cependant, la région Ile-de-France comprend quatre aires urbaines accueillant 99,6 % de la population. L'aire urbaine de Paris occupe la presque totalité de l'espace régional ne laissant qu'une bande étroite du territoire au sud-est du département de Seine et Marne, où se situent les aires urbaines de Montereau-Fault-Yonne, Provins et Nemours.
La délimitation géographique du marché de la gestion locative peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la définition retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.
III. Analyse concurrentielle
A- Analyse horizontale :
A l'issue de l'opération, la part de marché cumulée des parties sur le marché de la gestion locative d'immeubles de bureaux en Ile-de-France sera limitée ([0-10] %), avec une addition de parts de marché très faible (la part de marché de la SCI est de [<1] %). De plus, la nouvelle entité sera soumise à la pression concurrentielle d'opérateurs importants, tels que Generali, Gécina, le groupe Foncière des Régions, GE Real Estate, AXA, etc.
Ainsi, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché régional de la gestion locative de bureaux.
A l'issue de l'opération, la part de marché cumulée des parties sur le marché de la gestion locative d'immeubles de bureaux en Seine-Saint-Denis sera limitée ([0-10] %), avec une addition de parts de marché très faible (la part de marché de la SCI est de [<1] %). De plus, la nouvelle entité sera soumise à la pression concurrentielle d'opérateurs importants, tels que Generali, Gécina, le groupe Foncière des Régions, GE Real Estate, AXA, etc.
Ainsi, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché départemental de la gestion locative de bureaux.
B- Risque de coordination entre les sociétés-mères :
Enfin, l'opération ne pourra donner lieu à un risque théorique de coordination au niveau des sociétés mères sur les marchés voisins de la gestion locative de bureaux sur lesquels elles sont toutes deux actives.
Au vu de la pratique décisionnelle constante des autorités communautaire (10) et nationale (11), le risque de coordination à l'occasion de la concentration est établi si trois conditions cumulatives sont remplies : l'existence d'un lien de causalité avec l'opération, son caractère vraisemblable et un effet sensible sur la concurrence.
Or, la présente opération de concentration ne constitue qu'un co-investissement immobilier isolé. De fait, la part de marché de la SCI étant très faible et son chiffre d'affaires représentant une part infime du chiffre d'affaires des sociétés mères, tout risque de coordination entre les entreprises mères résultant de l'opération doit être écarté.
En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.
Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de ma considération distinguée.
NOTA : Des informations relatives au secret des affaires ont été occultées à la demande des parties notifiantes. Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article R. 430-7 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
Notes :
1 GCE a pris le contrôle exclusif des sociétés Nexity et Meilleur Taux respectivement en juillet et septembre 2007. Par ailleurs, le chiffre d'affaires consolidé du GCE intègre 50 % de celui de Natixis. Conformément au point 38 des Lignes directrices du 30 avril 2007 relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF, les chiffres d'affaires " sont évalués à la date des derniers exercices clos, et corrigés le cas échéant pour tenir compte des modifications de périmètre intervenues depuis cette date. Le périmètre pris en compte doit refléter la situation exacte de l'entreprise au moment de la signature de l'acte contraignant permettant la notification. ".
2 Il s'agit d'une filiale qui couvre l'intégralité de l'offre locative d'intérêt général, à savoir le logement social ou intermédiaire, locatif libre ou aidé, foyer et résidence, caserne, accession à la propriété.
3 Icade est en charge de l'investissement, de la promotion pour l'immobilier de logement, de bureaux et de centres commerciaux.
4 CDC a pris le contrôle exclusif, via Transdev, du groupe Espaces en mai 2008 et le contrôle conjoint du portefeuille Accor et d'achat public.com. Conformément au point 38 des Lignes directrices du 30 avril 2007 relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF, les chiffres d'affaires " sont évalués à la date des derniers exercices clos, et corrigés le cas échéant pour tenir compte des modifications de périmètre intervenues depuis cette date. Le périmètre pris en compte doit refléter la situation exacte de l'entreprise au moment de la signature de l'acte contraignant permettant la notification. ".
5 Voir la décision de la Commission européenne COMP/M.3370, BNP Paribas/ARI du 9 mars 2004 et les décisions du Ministre GCE/Eulia du 28 juin 2004, SNI/EFIDIS, du 10 janvier 2007 et GCE/Nexity du 20 juin 2007.
6 Voir notamment la décision de la Commission COMP/M.2110 - Deutsche Bank/SEI/JV du 15 juin 2000 et la décision du ministre relative à l'opération Foncière des Régions/Bail Investissement du 21 août 2006.
7 Voir notamment la décision du ministre relative à l'opération Foncière des Régions/Bail Investissement, précitée.
8 Voir notamment la décision de la Commission COMP/M.2863 - Morgan Stanley/Olivetti/Telecom Italia/Tiglio du 30 août 2002 et les décisions du ministre en date du 25 novembre 2005 relative à l'opération Perexia/Lamy et du 20 juin 2007 relative à l'opération GCE/Nexity.
9 Insee Première, n° 765, avril 2001, Le zonage en aires urbaines en 1999, 4 millions d'habitants en plus dans les aires urbaines.
10 Décision de la Commission européenne IV/JV.1 Telia/Telenor/Schibsted du 27 mai 1998.
11 Décisions du ministre de l'économie du 20 juin 2003 relative à l'opération Express-Expansion/Roularta Media Group et celle du 28 août 2007 relative à l'opération BFCM/l'Est Républicain/Ebra.