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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 20 novembre 2007, n° 07-04777

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Tomécanic-Bénetière (SA)

Défendeur :

Brico-Dépôt (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Fossier

Conseillers :

M. Deleneuville, Mme Neve de Mevergnies

Avoués :

SELARL Laforce, SCP Deleforge Franchi

Avocats :

Mes Henriot-Bellargent, Pouille-Groulez, Lequai, Renaudier

T. com. Lille, du 12 juill. 2007

12 juillet 2007

La société Tomécanic-Bénetière (ci-après Tomécanic) est une société familiale créée en 1963 qui fabrique des outillages spécialisés pour le bâtiment et notamment pour la pose de carrelages, qu'elle commercialise auprès d'une clientèle principalement constituée de réseaux de revendeurs pour le bricolage et des professionnels du bâtiment.

Tomécanic produit à ce sujet un constat d'huissier remontant au 7 janvier 1999, qui témoigne d'une authentique activité industrielle de fabrication dans son usine d'une surface de 8 000 m2 implantée à Dôle, dont les 2/3 environ sont consacrés à des activités de production.

Le groupe Castorama France (Castorama + Brico-Dépôt) représentait jusqu'au début 2006, 41 % de l'activité totale de Tomécanic. Brico-Dépôt représentait, à elle seule, de l'ordre de 16 % du chiffre d'affaires global de Tomécanic. Le chiffre d'affaires réalisé avec Brico-Dépôt s'élevait à 1 495 513 euro hors taxe pour 2004, année qui précède la rupture des relations commerciales qui fait l'objet principal du présent litige.

Le chiffre d'affaires était passé de 1 059 870 euro en 2002 à 1 495 513 euro en 2004.

Indépendamment des produits fabriqués par Tomécanic pour Castorama sous marque de distributeur, la gamme des produits offerte par Tomécanic a été élaborée en accord avec Castorama et Brico-Dépôt. Tomécanic a notamment mis au point un nouveau modèle de coupe-carreaux électrique Premium, en exclusivité pour Brico-Dépôt.

C'est dans ce contexte que Tomécanic recevait de Brico-Dépôt une lettre RAR en date du 12 juillet 2005 qui l'informait de la décision de Brico-Dépôt de mettre en place à partir du 15 août 2005 une procédure d'appel d'offres pour la fourniture des produits jusque-là fournis par Tomécanic.

Il était précisé que Tomécanic serait invitée à participer à l'appel d'offres, qu'elle serait informée des résultats de la procédure et que dans l'hypothèse où elle ne serait pas retenue, les accords commerciaux existants seraient susceptibles d'être résiliés avec un préavis de 6 mois prenant fin le 31 janvier 2006.

Par lettre RAR du 18 juillet 2005, Tomécanic manifestait son inquiétude d'une rupture de relations commerciales établies anciennement et représentant pour elle une part essentielle de ses affaires. En l'absence de décision précise annoncée par Brico-Dépôt, Tomécanic contestait la légitimité du préavis tant sur sa forme que sur sa durée. Tomécanic se déclarait par ailleurs confiante dans sa capacité à formuler une offre compétitive en termes de produits et de services, susceptible d'être retenue dans le cadre de l'appel d'offres annoncé.

Le 8 août 2005, Tomécanic recevait une nouvelle lettre de Brico-Dépôt lui indiquant que sa lettre du 12 juillet 2005 devait être considérée comme une lettre de déréférencement marquant le début du préavis de 6 mois.

Le 30 septembre 2005, Brico-Dépôt transmettait un appel d'offres à Tomécanic, qui en accusait réception par lettre du 6 octobre 2005. A plusieurs reprises, et notamment dans sa lettre du 6 octobre 2005, Tomécanic demandait à Brico-Dépôt de lui préciser plusieurs points importants pour déterminer le cahier des charges exact de Brico-Dépôt.

Par lettre du 4 novembre 2005, Tomécanic transmettait son offre à Brico-Dépôt, en attirant son attention sur le fait que cette offre était formulée sans qu'elle ait reçu de réponse concernant les spécifications minimales sur le cahier des charges, et donc sur la base des conditions dont elle pensait qu'elles répondaient aux attentes de Brico-Dépôt. Tomécanic proposait à Brico-Dépôt de la rencontrer. Lors de cet entretien qui se tînt le 23 novembre 2005, Brico-Dépôt lui laissait entendre qu'elle pourrait réviser le délai de préavis accordé, en s'engageant à répondre sous 8 jours. Les termes de l'entretien faisaient l'objet d'un bref compte-rendu unilatéral de Tomécanic par lettre du 29 novembre 2005.

Finalement, par une lettre en date du 14 décembre 2005, Brico-Dépôt revenait sur sa proposition de révision de la durée du préavis et confirmait sa décision de rompre ses relations commerciales avec effet au 31 janvier 2006. [Ceci] Brico-Dépôt cessait de passer commande à la date du 31 janvier 2006, comme elle l'avait annoncé. Quelques commandes limitées, probablement de dépannage, étaient passées dans les semaines qui suivirent.

Tomécanic a fait assigner Brico-Dépôt pour obtenir réparation de son préjudice, qu'elle décrit en ces termes:

Dès la fin décembre 2006, Tomécanic a été en mesure d'établir la perte de chiffre d'affaires supportée sur l'ensemble de l'exercice.

Les conséquences de la rupture ont été aggravées par la décision concomitante de Castorama de rompre ses relations commerciales avec Tomécanic.

Relevons que le préavis observé par Castorama est de 12 mois (sauf pour l'outillage à mains où le délai est inférieur à 12 mois). Bien que ce préavis soit très insuffisant au regard de l'ancienneté des relations et de l'étroite coopération entre les parties, notamment en ce qui concerne les produits fabriqués par Tomécanic pour Castorama sous marque de distributeur, le préavis représente plus du double du préavis effectivement accordé par Brico-Dépôt.

Le caractère brutal de la rupture décidée par Brico-Dépôt a eu des conséquences très graves pour Tomécanic.

Les décisions de Castorama et de Brico-Dépôt signifiaient la perte de plus de 40 % du chiffre d'affaires de l'entreprise et impliquaient la prise de décisions stratégiques vitales pour assurer la pérennité de Tomécanic.

Ces mesures passaient par un plan de sauvegarde de l'emploi négocié et arrêté le 20 juillet 2006 portant sur 36 salariés, soit le tiers de ses effectifs.

Tomécanic a également dû se séparer de son site industriel de Vaulx-en-Velin, en cédant le terrain et les bâtiments afin de se procurer la trésorerie nécessaire à la poursuite de son activité et à sa reconversion.

Tomécanic s'est efforcée de réorienter son activité vers la vente de produits destinés aux professionnels du bâtiment. Cette reconversion nécessite une adaptation de l'entreprise qui va prendre au moins deux années. Elle implique une modification importante des plans de vente qui doit être étudiée et financée, la réorientation de la production et la création d'un nouveau stock de nouveaux produits. De plus, une formation spécifique doit être développée auprès des représentants technico-commerciaux et du personnel commercial qui effectuaient le traitement des commandes et services auprès de Castorama.

Le compte de résultats de l'exercice 2006 de Tomécanic se solde par une perte très importante de 713 769 euro. Cette perte est la conséquence du déréférencement simultané de Tomécanic par Castorama et Brico-Dépôt, qui s'est traduit par la baisse des commandes à compter de septembre 2006 et la nécessité de restructurer l'entreprise dans l'urgence. Si la perte est aussi importante, c'est parce que le caractère brutal de la rupture n'a pas laissé le temps nécessaire à Tomécanic pour s'adapter. Par lettre du 23 mai 2007, le commissaire aux comptes a déclenché la procédure d'alerte compte tenu des prévisions de trésorerie faisant apparaître une situation négative à fin août 2007, de nature à compromettre la poursuite de l'exploitation.

Par jugement rendu le 12 juillet 2007, le Tribunal de commerce de Lille n'a fait droit que partiellement à ses demandes en condamnant Brico-Dépôt à lui payer la somme de 256 238,25 euro après compensation après avoir retenu que Brico-Dépôt devait payer la somme de 371 128 euro au titre de la perte de marge sur la durée du préavis inobservé de 4 mois, ainsi que 227 761,90 euro TTC au titre de factures impayées, et que Tomécanic était elle-même redevable de la somme de 342 651,65 euro TTC au titre de ristournes impayées.

La SASU Brico-Dépôt a interjeté appel le 25 juillet 2007. La SA Tomécanic-Bénetière a fait de même le 10 août 2007. Les deux dossiers seront joints. Il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens et prétentions, selon ce qu'autorise l'article 455 du nouveau Code de procédure civile.

Sur quoi LA COUR,

A - Rupture brutale

1° - Sur la norme applicable (prééminence de la loi sur l'accord Unibal-FMB)

Aux termes de l'article L. 442-6 1 5° du Code de commerce, la rupture de relations commerciales établie ne peut intervenir "sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels."

Le secteur du bricolage est un des secteurs dans lesquels un accord interprofessionnel (l'accord FMB/Unibal) est intervenu pour préconiser des délais de préavis.

Dans le jugement entrepris, le tribunal a considéré que l'accord FMB/Unibal ne reprenait ni des délais minimums, comme le faisait valoir Tomécanic, ni des délais maximums, comme le prétendait Brico-Dépôt, mais qu'il s'agissait simplement " d'une référence comme il est indiqué expressément en préambule de cet accord ".

Tout en affirmant que les délais préconisés par l'accord FMB/Unibal ne constituaient qu'une simple référence, le tribunal s'est contredit en les appliquant comme des délais maximums auxquels Tomécanic pouvait prétendre.

En effet, le tribunal conclut son analyse dans les termes suivants: "vu l'importance du chiffre d'affaires concerné par le déréférencement, il convenait pour la SAS Brico-Dépôt de s'inscrire dans les délais maximums préconisés par ledit accord".

Néanmoins, la loi n'entend pas que les juges, en plafonnant les délais à respecter par l'auteur de la rupture, aboutissent paradoxalement à accorder à la victime du déréférencement moins que ce à quoi elle pourrait prétendre en l'absence d'accord. L'existence d'un accord interprofessionnel ne dispense pas la juridiction saisie d'examiner de façon concrète si le préavis était suffisant pour permettre au partenaire de trouver une solution alternative. Par suite, les délais de préavis figurant dans l'accord FMB-Unibal ne sont pas des délais maximum de préavis mais " des références à respecter ", ce qui signifie qu'il s'agit de délais minimums s'imposant aux signataires. Ceci résulte des termes de l'accord, ainsi que des dispositions de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce, aux termes desquelles l'auteur de la rupture doit tenir compte à la fois de la durée de la relation commerciale et respecter "la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels." Il faut ajouter que l'accord FMIB/Unibal fixe des durées de préavis qui ne tiennent pas compte de la situation de dépendance économique dans laquelle la victime de la rupture peut se trouver, ainsi que cela résulte expressément du préambule de l'accord. Ceci ne peut être interprété comme créant une exception aux dispositions légales sur la dépendance économique. Une telle conclusion n'aurait aucun fondement juridique, alors surtout que l'abus de dépendance économique fait l'objet d'une disposition distincte de l'article L. 442-6 I 5°.

Aux termes de l'accord Unibal/FMB, un préavis d'une durée comprise entre 6 et 12 mois doit être respecté lorsque les relations commerciales ont duré plus de 5 ans et que le déréférencement porte sur 75 % à 100 % du chiffre d'affaires total réalisé entre les parties. Dans le cas présent, le délai indicatif était par conséquent d'une année ; mais il pouvait varier à la hausse, sur la preuve de la dépendance économique du fournisseur et de l'ancienneté réelle de la relation commerciale, dont il va être maintenant traité.

2° - Sur la dépendance économique de Tomécanic

Chacun des critères jurisprudentiels de la dépendance économique sont remplis dans le cas présent. Comme l'indiquent les faits rappelés par la cour en tête des présentes, et comme l'écrit parfaitement Tomécanic dans ses conclusions, "la part du chiffre d'affaires réalisé avec Brico-Dépôt et Castorama est très importante, le poids de Brico-Dépôt dans le chiffre d'affaires de Tomécanic doit être mesuré en prenant en considération le poids de l'ensemble Castorama + Brico-Dépôt. Cet ensemble pesait jusqu'au début 2006 41 % de l'activité totale de Tomécanic. Même isolée de Castorama, la part de Brico-Dépôt dans le chiffre d'affaires de Tomécanic demeure très importante (environ 16 % du chiffre d'affaire global hors RFA).

Castorama et Brico-Dépôt représentent la première enseigne du marché français du bricolage, avec une part de marché s'élevant en 2006 à plus de 35 % dans le circuit de la grande distribution, lequel est largement prédominant (67 % du marché total), Dans son avis n° 97-A-04 du 21 janvier 1997, le Conseil de la concurrence a dressé un bilan du degré de concentration atteint en France en 1996 dans le secteur de la grande distribution. S'agissant du secteur du bricolage, il a relevé " qu'un vaste mouvement de concentration a favorisé l'émergence de quelques grandes enseignes (Leroy Merlin, Castorama, Mr Bricolage, Bricomarché...) qui détiennent la majeure partie du marché." Le poids de Castorama et de Brico-Dépôt dans son chiffre d'affaires est le reflet du poids de ces deux entreprises sur le marché. Castorama et Brico-Dépôt sont avec Leroy-Merlin les 3 premières enseignes sur le marché français".

Brico-Dépôt relève que le chiffre d'affaires de Tomécanic aurait seulement baissé de moins de 10 % en 2006 par rapport à 2005, alors qu'en 2006, les relations avec Brico-Dépôt se sont terminées totalement et celles avec Castorama partiellement. Assimilant cette baisse à un quasi-maintien du chiffre d'affaires de Tomécanic, elle en conclut que Tomécanic serait parvenue à compenser sans difficultés la perte de 41 % du chiffre d'affaires représentée par Castorama et Brico-Dépôt.

Cette affirmation est contraire à la réalité. Non seulement le déréférencement de Tomécanic par Brico-Dépôt ne prenait effet qu'à fin janvier 2006 mais les relations se sont en fait poursuivies au cours du mois de février, sans doute parce que la source alternative de Brico-Dépôt n'était pas prête. Elles ont accusé une baisse très importante avant de se tarir totalement au mois de mars 2006. Quant aux relations avec Castorama, elles se sont poursuivies en 2006 sauf pour l'outillage à mains déréférencé au 1er septembre 2006.

C'est donc sur l'année 2007 que la perte de chiffre d'affaires subie par Tomécanic se mesure pleinement. La perte de chiffre d'affaires de Tomécanic (hors Bénetière) est de l'ordre de 40 % en 2007 par rapport à 2006, ainsi que Tomécanic en justifie (pièce Tomécanic n° 119).

Tomécanic était par conséquent dans une situation de dépendance économique importante à l'égard de Brico-Dépôt et Castorama.

2° bis - Sur le différend avec Brico-Dépôt

Vainement Brico-Dépôt cherche à faire ignorer par la cour les termes du différend parallèle avec Castorama.

Certes les deux instances sont demeurées distinctes sur le plan procédural. Certes les deux sociétés sont juridiquement distinctes. Certes encore, leurs activités sont identiques mais destinées à des clientèles différentes : le bricoleur dans le cas de Castorama, le professionnel dans le cas de Brico-Dépôt.

Mais dans l'analyse d'une rupture, il n'est pas possible de gommer le contexte économique ; en quoi, Tomécanic est en droit de faire valoir, pour l'examen de sa dépendance comme pour l'évaluation des conséquences de la rupture, la gémellité des deux entités Brico-Dépôt/Castorama.

3° - Sur la durée de la relation commerciale

Le tribunal n'a pas pris parti sur le point de savoir si les relations entre les parties avaient été de 11 ans comme en justifiait Tomécanic, ou de 8 ans comme le prétendait Brico-Dépôt.

Il importe d'établir la véritable durée des relations entre les parties, dès lors qu'aux termes de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, il s'agit d'un paramètre essentiel pour déterminer la durée de préavis à observer.

Tomécanic justifie que ses relations avec l'enseigne Brico-Dépôt remontent à la création de la société en 1994 et avaient débuté avec Castorama, exploitante du premier magasin à l'enseigne Brico-Dépôt ouvert à Reims à la fin de l'année 1993. Les relations avec la société Brico-Dépôt n'ont donc pas duré 8 années mais 11 années.

Compte tenu de l'ancienneté des relations excédant la période de conservation des pièces comptables qui est de 10 ans, Tomécanic n'est pas en mesure de produire des factures remontant à 1994 et il n'est pas permis, ni à la cour ni à Brico Dépôt, d'en tirer un quelconque argument contraire, d'autant que Tomécanic produit un document interne présentant le hit-parade des ventes par enseigne en 1995 par rapport à 1994 qui confirme que les relations avec Brico-Dépôt remontent bien à 1994 et se sont poursuivies en 1995 (pièce Tomécanic n° 108).

4° - Sur la durée en conséquence du préavis

En raison tant de la dépendance économique de son fournisseur par rapport à elle, qui en avait une exacte conscience, et par rapport à la durée très longue de la relation commerciale, la société Brico-Dépôt ne pouvait pas se contenter de retenir le haut de la fourchette prévue dans l'accord Unibal/FMB. La durée de 5 années envisagée par l'accord Unibal/FMB est très inférieure à la période longue (11 ans) pendant laquelle Tomécanic a livré Brico-Dépôt.

Brico-Dépôt devait encore tenir compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et en particulier de la situation de dépendance économique dans laquelle Tomécanic se trouvait à son égard. Brico-Dépôt devait également tenir compte des investissements réalisés par Tomécanic tout au long des relations par Tomécanic pour adapter son outil industriel aux demandes spécifiques de Castorama et du temps nécessaire à sa reconversion, compte tenu de l'absence de source alternative comparable sur le marché.

Brico-Dépôt devait ainsi s'assurer que la durée minimale préconisée par l'accord UNIBAL-FMB était suffisante au regard des dispositions des articles L. 442-6, I, 5° et L. 442-6-I-2° b) du Code de commerce, l'accord Unibal-FMB ne pouvant donner moins que ce qui est accordé par la loi.

En définitive, c'est un délai minimum de 14 mois qui aurait dû être observé dans le cas présent par Brico-Dépôt eu égard à:

- la durée des relations commerciales entre les parties,

- l'ensemble des investissements réalisés par Tomécanic pour satisfaire la demande de Brico-Dépôt,

- le caractère total du déréférencement,

- la concomitance avec le déréférencement total de Tomécanic par Castorama société du même groupe que Brico-Dépôt,

- l'importance du chiffre d'affaires déréférencé dans le chiffre d'affaires total de Tomécanic (plus de 40 %),

- la situation de dépendance économique de Tomécanic à l'égard de Castorama + Brico-Dépôt, qui constitue une circonstance aggravante de la rupture brutale des relations.

5° - Sur le doublement du préavis

En application de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, tel que modifié par la loi du 2 août 2005, la durée minimale de préavis est doublée dans le cas de rupture résultant d'une mise en concurrence par enchères à distance dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de 6 mois et elle est d'au moins un an dans les autres cas.

Les circonstances de l'espèce n'ont pas mis en œuvre le processus des enchères à distance, qui use de la voie électronique et non pas de la soumission par courrier.

6° - Sur le caractère brutal de la rupture et le point de départ du préavis

L'accord FMB/Unibal requiert que l'annonce de toute rupture des relations commerciales soit précédée d'une rencontre entre interlocuteurs pouvant engager la responsabilité de l'entreprise, provoquée par la partie ayant pris cette décision afin d'en exposer les raisons à l'autre partie. Cet entretien doit être suivi de l'envoi d'une lettre recommandée confirmant ses raisons qui aux termes de l'accord FMB/Unibal marque le point de départ du délai de préavis.

Brico-Dépôt ne justifie pas avoir respecté les formes requises par cet accord, plus protectrices que les dispositions de l'article L. 442-6, 5° du Code de commerce.

La lettre du 12 juillet 2005 ne peut constituer le point de départ du préavis aux termes de l'accord FMB/Unibal en ce que:

- cette lettre ne fait pas suite à aucune rencontre entre les interlocuteurs,

- cette lettre envisage la résiliation des accords entre Tomécanic et Brico-Dépôt sur le mode conditionnel,

- a fortiori cette lettre ne précise pas les raisons de la rupture des relations.

Les termes de l'accord interprofessionnel, auxquels l'article L. 442-6, 5° fait référence, conduisent par conséquent à écarter dans le cas présent la lettre du 12 juillet 2005 comme point de départ du préavis, à défaut d'avoir été précédée de la procédure prévue par l'accord FMB/Unibal, d'annoncer de façon ferme et définitive la rupture des relations en en précisant les raisons.

Il résulte au contraire que c'est le 8 août 2005 que la volonté de rompre est devenue certaine de la part de Brico-Dépôt, et que Tomécanic s'en est convaincue, au point de réagir en conséquence par un courrier de protestations et réserves.

Les parties contrediraient vainement cette appréciation car:

- on ne saurait considérer que l'annonce d'un appel d'offres, dont on peut sérieusement douter qu'il ait été effectivement mis en œuvre au vu des pièces du dossier, puisse produire un effet juridique en marquant le point de départ du préavis.

L'appel d'offres annoncé pour le 15 août 2005 n'a été mis en œuvre en apparence que le 30 septembre 2005, Tomécanic n'ayant reçu aucune réponse à ses demandes réitérées d'information sur les spécifications du cahier des charges, ni la moindre information quant au résultat du prétendu appel d'offres.

- les commandes passées par Brico-Dépôt après le 31 janvier 2006 ont été sans commune mesure avec celles qui étaient passées jusque-là et relevaient du simple dépannage. Le chiffre d'affaires réalisé après le 31 janvier 2006 s'élève selon Tomécanic, non contredite sur ce point par des pièces probantes, à 169 808 euro. Les commandes de février 2006 ont été inférieures à 100 000 euro et celles de mars 2006 s'élèvent à 70 000 euro (contre 160 000 euro en mars 2005). Ces commandes non prévues n'avaient pas pour but de poursuivre les relations avec Tomécanic mais plutôt de solutionner un retard ou une défaillance de la nouvelle source d'approvisionnement de Brico-Dépôt.

7° - Sur le préjudice de Tomécanic

La perte subie par Tomécanic comprend la marge brute qui aurait dû être réalisée par Tomécanic pendant la durée du préavis qui n'a pas été observée ; un préjudice économique de reconversion ; une atteinte à l'image.

La perte de marge ne se limite pas à 4 mois de marge brute, comme le tribunal l'a retenu.

Cette perte sera calculée sur 8 mois et une semaine (14 mois de préavis dû moins 5 mois et 3 semaines de préavis observé) en prenant en considération la lettre du 8 août 2005 comme point de départ du préavis et la date du 31 janvier 2006 comme fin du préavis. Elle s'élève à 765 451,50 euro (soit 92 782 euro par mois). Le calcul a été effectué sur les bases suivantes, non pertinemment contredites par Brico-Dépôt:

CA 2005 : 1 795 784 euro HT Marge retenue : 62 %

Soit pour un an 1 113 386 euro

Soit pour un mois : 1 113 386 euro HT/12 = 92 782 euro

Le préjudice de reconversion, qui consiste dans l'obligation pour Tomécanic de rechercher de nouveaux marchés et d'y adapter au besoin son outil de production, ne doit pas faire double emploi avec l'abus de dépendance économique dont il sera question plus loin et qui a pu amener Tomécanic à se conformer profondément aux attentes de Brico-Dépôt pendant onze ans. La cour allouera à Tomécanic à titre d'indemnisation de son préjudice financier et économique, raisonnablement estimés à 30 000 euro.

Le préjudice de perte d'image doit être réparé car la distribution des produits de Tomécanic dans les magasins Brico-Dépôt leur donnait une notoriété qui se trouve aujourd'hui perdue. Il sera alloué à ce titre des dommages et intérêts de 20 000 euro.

B - Abus dans la rupture

Tomécanic a manifestement été trompée, selon un processus dolosif qui ne s'imposait nullement puisque Brico-Dépôt avait un droit absolu de se défaire de son fournisseur, à condition de respecter les formes et délais qui font l'objet des motifs ci-dessus.

Ainsi qu'il a été dit, dès le 8 août 2005, la décision était manifestement prise par Brico-Dépôt.

Pourtant, Brico-Dépôt a dans un premier temps masqué ses réelles intentions en affirmant qu'elle allait procéder à un appel d'offres pour lequel Tomécanic conservait toutes ses chances. Or, cet appel d'offres n'était pas réel, comme l'illustre le fait que Brico-Dépôt se ravisait quelques semaines plus tard, en confirmant la rupture des relations dès le 8 août 2005 avant même la mise en œuvre de l'appel d'offres annoncé. Le caractère artificiel et déloyal du procédé utilisé ressort également du fait que Brico-Dépôt n'a même jamais fourni les informations demandées par Tomécanic et nécessaires à la formulation d'une offre en toute connaissance de cause et n'a jamais communiqué à Tomécanic ni au tribunal et moins encore à la cour, d'information sur les résultats de l'appel d'offre.

Ainsi, Brico-Dépôt a notifié la rupture sur un mode conditionnel, ce qui n'est pas acceptable. Elle a mis Tomécanic dans la situation insupportable de devoir "jouer le jeu" de l'appel d'offres, tout en ayant une claire conscience de la très prochaine rupture de la relation.

Par la suite, elle prétendait confirmer la rupture en appliquant un préavis courant rétroactivement à compter de l'envoi de son premier courrier conditionnel.

Elle faisait preuve de la même légèreté inadmissible lors de l'entretien à l'occasion duquel elle faisait miroiter à Tomécanic une possible révision de la durée du préavis, ce qui s'est avéré n'être qu'une parole sans lendemain.

Dans ces circonstances, la rupture revêt non seulement un caractère brutal mais également un caractère abusif qui devra être sanctionné par l'octroi de dommages et intérêts, ce que Tomécanic baptise "préjudice moral" (tromperie) et "préjudice commercial" (effet économique et financier des tergiversations simulées de Brico-Dépôt).

La somme de deux fois 20 000 euro paraît à la cour, en fonction des éléments de la cause, satisfactoire.

C - Abus de dépendance économique

Il résulte de l'exposé des faits par la cour et de l'analyse des conditions de la rupture brutale, ci-dessus, que Tomécanic était en état de dépendance économique par rapport à Brico-Dépôt et plus globalement par rapport au groupe Castorama. Tomécanic fait la preuve que tout au long des relations commerciales, Brico-Dépôt a abusé de cette dépendance économique, l'abus apparaissant du seul fait des sacrifices imposés au fournisseur pour finalement rompre dans des conditions illicites.

Il est ainsi avéré que Brico-Dépôt a exigé de son fournisseur des prix stables qui ne tenaient pas compte de l'augmentation du coût des matières premières. Les autres prétentions de Tomécanic (conditions de paiement anormales, avantages sans contrepartie) ne sont étayées par aucune pièce.

S'agissant du refus de réviser les tarifs en 2005 et en 2006 après avoir imposé à Tomécanic une baisse importante des prix, Brico-Dépôt a manqué à la bonne foi contractuelle en refusant de renégocier les prix, compte tenu de l'évolution du cours des matières premières survenue postérieurement, sans que les parties aient pu le prévoir. Le refus de prendre en considération la demande de révision des tarifs a coûté en 2005 et 2006 près de 45 000 euro de perte de marge à Tomécanic, chiffre que Brico-Dépôt est en peine de contester de manière pertinente. Mais il faut tenir compte de ce que si elle s'était obligée à réviser ses tarifs au profit de Tomécanic, Brico-Dépôt aurait sans doute perdu en chiffre d'affaires et diminué ses commandes. Brico-Dépôt sera condamnée à payer à Tomécanic la somme de 25 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi suite à son manquement à l'obligation de renégocier de bonne foi les tarifs.

D - Sur la demande reconventionnelle de Brico-Dépôt

Brico-Dépôt avait formé une demande reconventionnelle à hauteur de 125 799,14 euro TTC, après compensation entre les sommes qu'elle reconnaissait devoir à Tomécanic pour 215 799,32 euro TTC (factures) et les sommes dont elle prétendait qu'elles lui seraient dues par Tomécanic au titre de la ristourne de 1 500 pour les années 2005 et 2006 (342 651,65 euro TTC).

Le tribunal a accueilli la première demande (factures), avec cette précision que Brico-Dépôt avait reconnu à la barre que les factures impayées s'élevaient en réalité à 227 761,90 euro TTC. Les conclusions d'appel de Brico-Dépôt sont concordantes. Le point important de la demande reconventionnelle de Brico-Dépôt portait sur le paiement de la remise de fin d'année pour 2006 et 2007.

Tomécanic contestait devoir à Brico-Dépôt cette remise partiellement pour 2005 et en totalité pour 2006.

A l'appui de sa position, Tomécanic faisait valoir qu'elle ne saurait être tenue de verser une remise qui avait pour contrepartie son référencement, alors qu'elle a subi un déréférencement de ses produits en 2005 et 2006.

Le jugement a rejeté la contestation soulevée par Tomécanic et fait droit à la demande de Brico-Dépôt, en relevant que " les produits de la SA Tomécanic-Bénetière ont bien figuré dans les rayons de Brico-Dépôt jusqu'au terme de la période de préavis, soit mars 2007 ".

La cour infirmera le jugement sur ce point. En effet, aux termes de l'accord commercial conclu le 30 mai 2005, soit quelques semaines avant la notification du déréférencement, la ristourne de fin d'année consistait dans une remise liée à la négociation commerciale, au référencement et à la codification des produits centralisés. Or Brico-Dépôt a notifié à Tomécanic son déréférencement par lettre RAR du 8 août 2005. En application des règles relatives aux contrats (articles 1134 et 1183 et suivants du Code civil), le déréférencement prive la remise de son objet en 2005.

Enfin, Brico-Dépôt ne saurait exiger le versement d'une remise qui est contraire aux dispositions de l'article L. 442-6 I 1° et 2° du Code de commerce en raison de son caractère manifestement disproportionné et discriminatoire.

En effet, du fait de l'état de dépendance économique dans lequel Tomécanic était à son égard, Brico-Dépôt et Castorama ont obtenu d'elle un avantage qui n'a pas d'équivalent chez les autres clients de Tomécanic. Certes ces clients réalisent un chiffre d'affaires moins important mais, dans tous les cas, le taux des remises de fin d'année est inférieur à 8 %, ce qui fait ressortir le caractère manifestement disproportionné du taux obtenu par Brico-Dépôt et Castorama.

En conséquence, Tomécanic ne saurait être tenue de régler les remises litigieuses et Brico-Dépôt doit régler à Tomécanic le trop-déduit sur la remise de fin d'aunée au titre de l'année 2005, soit la somme de 79 810,87 euro TTC. Ce montant représente la différence entre le montant des factures 2006 restant dues par Brico-Dépôt (227 761,90 euro) et les remises déduites à tort (147 951,03 euro).

E - Accessoires

Tomécanic étant bien fondé en son appel, il lui sera alloué une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC, s'ajoutant à l'indemnité allouée en première instance.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, Ordonne la jonction des affaires 5218 et 4777 de 2007; Infirme le jugement rendu à Lille le 12 juillet 2007, sauf en ce qu'il a dit que Brico-Dépôt était redevable de la somme de 227 761,90 euro TTC à l'égard de Tomécanic au titre de factures impayées et en ce qu'il a ordonné la compensation entre les créances réciproques; Statuant à nouveau, 1 - Sur les demandes principales de Tomécanic Dit que la société Brico-Dépôt a rompu brutalement ses relations commerciales avec la société Tomécanic-Bénetière, Dit que la société Brico-Dépôt a rompu de façon abusive ses relations commerciales avec la société Tomécanic-Bénetière, Dit que la société Brico-Dépôt a abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle la société Tomécanic-Bénetière se trouvait à son égard, Dit que la société Brico-Dépôt a manqué à son obligation de renégocier de bonne foi les tarifs en 2005 et 2006, Condamne en conséquence la société Brico-Dépôt à payer à la société Tomécanic-Bénetière en réparation : - la somme de 765 451,50 euro à titre de perte de marge brute du fait du non-respect du préavis, - la somme de 30 000 euro en réparation du préjudice financier de reconversion subi par la société Tomécanic-Bénetière, du fait de la rupture brutale, - la somme de 20 000 euro en réparation du préjudice d'image subi par la société Tomécanic-Bénetière du fait de la rupture brutale, - la somme de 20 000 euro en réparation du préjudice moral subi par la société Tomécanic-Bénetière du fait de l'abus dans la rupture, - la somme de 20 000 euro en réparation du préjudice commercial subi par la société Tomécanic-Bénetière du fait de l'abus dans la rupture, - la somme de 25 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des pratiques constitutives d'abus de dépendance économique et du manquement à l'obligation de renégocier de bonne foi les tarifs; Déboute Brico-Dépôt de ses prétentions contraires et déboute Tomécanic pour sa demande fondée sur l'abus dans les conditions de règlement et les avantages sans contrepartie; 2 - Sur la demande reconventionnelle et l'appel principal de Brico-Dépôt, Dit la société Brico-Dépôt mal fondée en son appel. Constate que la créance de la société Tomécanic à l'encontre de la société Brico-Dépôt s'élève à la somme de 227 761,90 euro TTC, Dit que la société Brico-Dépôt doit régler à la société Tomécanic le montant des remises de fin d'année déduites à tort au titre de l'année 2005 pour la période postérieure au 12 juillet 2005, Condamne en conséquence la société Brico-Dépôt à payer à la société Tomécanic la somme de 79 810,87 euro à titre de remboursement des remises de fin d'année réglées au titre de l'année 2005. Condamne la société Brico-Dépôt à payer à la société Tomécanic-Bénetière une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau de Code procédure civile pour ses frais irrépétibles en appel ; Condamne la société Brico-Dépôt en tous les dépens et dit que les avoués constitués bénéficieront des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.