CA Aix-en-Provence, 17e ch., 14 mai 2007, n° 06-10338
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Claus
Défendeur :
Agence Nouvelle Europe (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cuttat
Conseillers :
M. Grand, Mme Fillioux
Avocats :
Mes Murray, Garcia
Monsieur Philippe Claus a été embauché le 22 juin 1998, par la société Agence Nouvelle Europe, en qualité de négociateur VRP, par contrat de travail à durée indéterminée, moyennant un salaire mensuel brut de 6 700 F.
Le 14 octobre 2004, il était licencié pour faute grave en ces termes :
Le premier est l'insuffisance de résultats depuis le début de l'année 2004. Votre objectif porté à l'article 5 de votre contrat de travail stipule que vous devez rentrer 15 mandats de vente par mois. Votre moyenne a été de 1.6 mandats sur 9 mois. Votre objectif de signature de compromis de vente contractuel est au minium de 70 000 F mois, soit pour les 9 derniers mois, un total minimum de 96 039 euro...
La gravité au titre de l'insuffisance de résultat qui vous est reprochée est caractérisée et la conséquence de votre attitude consistant :
- a refuser d'exécuter votre contrat de travail conformément aux instructions de votre employeur, étant précisé que je vous rappelle que l'article 7 de votre contrat de travail stipule... que vous devez rendre compte à l'employeur de l'accomplissement de votre travail...
- à faire preuve d'un absentéisme chronique et ce depuis plusieurs mois...
- a refuser à remettre des rapports de visite,
Le tout démontre une volonté délibérée de votre part de ne pas atteindre les objectifs stipulés à votre contrat et donc de remettre en cause le fonctionnement de l'activité de l'agence.
Enfin, vous avez fait preuve d'injure vis-à-vis des autres membres du personnel et notamment de Madame Laffon. En effet, vous l'aviez déjà insultée gravement au début de l'été, attitude pour laquelle un avertissement vous a été notifié.
Vous avez réitéré le 4 octobre en des termes plus violents.
Ce comportement d'injure et d'insulte à l'égard d'un de vos collègues est inadmissible et l'ensemble de ces faits caractérise votre licenciement pour faute.
Estimant cette mesure illégitime, il a saisi le Conseil de prud'hommes de Cannes, qui par jugement du 19 mai 2006 l'a débouté de l'intégralité de ses demandes.
Ayant relevé appel, il conclut à la réformation de la décision et à la condamnation de la société Agence Nouvelle Europe à lui payer les sommes de:
- 4 000 euro au titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 122-43 du Code du travail,
- 34 536 euro au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 8 634 euro au titre de l'indemnité de préavis et 863,40 euro au titre des congés payés sur préavis,
- 4 736,70 euro au titre de l'indemnité de licenciement,
- 2 446,15 euro au titre du solde de commission et 244,61 euro au titre des congés payés,
- 3 031,90 euro au titre de dommages et intérêts résultant de la clause de non-concurrence,
- 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
et à lui remettre les documents sociaux rectifiés sous astreinte de 77 euro par jour de retard.
Il fait valoir :
- que par courrier du 1er juillet 2004, l'employeur lui a reproché de créer un esclandre au sein de l'agence, que ces affirmations sont erronées,
- que l'attestation de Madame Lafon devra être écartée des débats s'agissant de la concubine du dirigeant de la société Agence Nouvelle Europe ; qu'elle fait état de propos désobligeants sans en préciser la teneur,
- que de même, Monsieur Facy n'apporte aucune précision sur les propos qu'auraient tenus Monsieur Philippe Claus,
- qu'il a réfuté l'avertissement de manière claire en contestant les reproches formulés à son encontre,
- que l'insuffisance de résultat ne constitue pas une faute,
- que les allégations de l'employeur sur l'absentéisme chronique de Monsieur Philippe Claus et son refus à remettre les rapports d'activité ne correspondent nullement à la réalité,
- qu'il n'existe au dossier aucun élément sur une quelconque intention de nuire de sa part,
- que l'insuffisance de résultat ne saurait lui être reprochée car l'année n'était pas terminée au jour de son licenciement, que la répartition des clients lui était défavorable par rapport à d'autres salariés de l'agence,
- que de surcroît, la société Agence Nouvelle Europe a diminué son budget d'annonce et son activité globale a baissé,
- que la société Agence Nouvelle Europe est redevable d'une somme au titre des commissions, ainsi qu'en atteste Madame Delcroix, ancienne dirigeante de la société Agence Nouvelle Europe,
- que son contrat de travail prévoit une clause de non-concurrence, que la somme de 3 021,90 euro lui sera octroyée à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison de cette clause, l'employeur ne pouvant en l'absence de dispositions contractuelles en ce sens, lever une telle clause pour échapper à la contrepartie financière.
La société Agence Nouvelle Europe conclut à la confirmation de la décision et la condamnation de Monsieur Philippe Claus à lui payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle soutient:
- que le contrat de travail de Monsieur Philippe Claus prévoyait le versement de commission de 7 % pour la rentrée d'un mandat, 23 % lors de la vente d'un produit,
- que suite au changement de direction, un courrier a été délivré à Monsieur Philippe Claus pour attirer son attention sur la faiblesse de ses résultats et un avertissement sur les propos grossiers tenus au directeur de l'agence,
- que par courrier du 26 août 2004, Monsieur Philippe Claus a reconnu les faits,
- que la société Agence Nouvelle Europe a dénoncé dans un délai de 15 jours à compter de la rupture du contrat de travail, la clause de non-concurrence, conformément aux dispositions de l'article 17 de la convention collective des VRP, applicable en l'espèce,
- que la société Agence Nouvelle Europe a appliqué le commissionnement tel que prévu au contrat de travail du salarié, qui n'a fait l'objet d'aucun avenant ni d'aucune modification,
- que la seule attestation de l'ancienne dirigeante est insuffisante pour justifier de la réalité d'un accord modifiant le contrat de travail,
- que l'insuffisance de résultats de Monsieur Philippe Claus est établie, que cette insuffisance constitue une faute grave car Monsieur Philippe Claus a agi intentionnellement,
- que de surcroît, il a réitéré ses propos injurieux, le 4 octobre 2004, à l'encontre de Madame Lafon, ainsi qu'elle en atteste.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se référer au jugement du conseil de prud'hommes et aux écritures déposées, oralement reprises.
Sur ce:
Sur l'avertissement:
Attendu que par courrier en date du 1er juillet 2004, l'employeur a notifié à Monsieur Philippe Claus un avertissement, pour avoir le 29 juin 2004, tenu au sein de l'agence et à son encontre, des propos injurieux en présence de deux autres salariés Madame Lafon et Monsieur Facy ce dont ces derniers témoignent ; que par courrier en date du 26 août 2004, Monsieur Philippe Claus reconnaissait expressément avoir indiqué à son employeur, au sujet d'une ancienne collaboratrice de l'agence, Madame Lecat qui aurait engagé une procédure contentieuse à son encontre "elle vous tient par les couilles" ; que ces propos injurieux adressés au sein de l'entreprise à un supérieur hiérarchique devant les autres salariés, justifient l'avertissement qui lui a été adressé;
Sur le montant des commissions:
Attendu que le contrat de travail de Monsieur Philippe Claus indique précisément le montant des commissions dû qui est de 23 % en cas de vente d'un bien, mais passe à 30 % en cas vente d'un bien apporté à l'agence par le négociateur; qu'il résulte de l'examen des bulletins de paye de l'intéressé que depuis le 1er janvier 2002, il a perçu des commissions calculées avec ces deux taux différents de 23 et 30 % conformément aux dispositions contractuelles ; que Madame Delcroix, précédente directrice de l'agence, précise dans une attestation remise aux débats "les commissions étaient calculées sur la base des honoraires perçus par l'agence sur le montant hors taxes, le taux étant de 30 % décomposé de la façon suivante : 7 % lors de la rentrée en fichier du bien à vendre, et 23 % lors de la vente du bien, si le vendeur vendait le bien qu'il avait rentré en fichier sa commission était de 30 %, si le négociateur vendait un bien rentré par un de ses collègues, il ne touchait que 23 %, les 7 % allant à son collègue " ce qui correspond exactement au système préconisé et appliqué par la nouvelle direction ; que toutefois, elle ajoute "dans le cas d'un bien rentré en fichier par l'agence ou par Madame Delcroix la commission du négociateur était de 30 %" ; que Monsieur Philippe Claus ne justifie pas que les ventes Arnoult-Riscala et Riu-SCI Linor pour lesquelles il sollicite le règlement du solde de 7 % correspondent à des biens pour lesquels le mandat de vente aurait été obtenu par Madame Delcroix ; qu'il convient de le débouter de sa demande à ce titre;
Sur la clause de non-concurrence:
Attendu que le contrat de travail de Monsieur Philippe Claus prévoyait le bénéficie du statut de VRP pour le salarié et l'application des dispositions de la convention collective de l'immobilier ; qu'une clause de non-concurrence prévue au contrat de travail interdisait à Monsieur Philippe Claus d'exercer toute activité similaire après la rupture de son contrat de travail, pendant trois ans dans un rayon de 15 km ; que le contrat de travail se référait à la convention collective de l'immobilier, de sorte que les relations contractuelles entre les parties sont régies par cette convention ; mais que le fait que les relations contractuelles soient régies par convention collective de l'immobilier ne fait pas obstacle à l'application du statut du VRP ; que l'article 17 de la convention collective des VRP prévoit que l'employeur peut dispenser le salarié de l'exécution de la clause de non-concurrence, sous réserve de notifier cette renonciation par lettre recommandée avec accusé de réception, adressée au salarié dans un délai de quinze jours suivant la notification de la rupture du contrat de travail ; que l'employeur a, par courrier du 19 octobre 2004, dont Monsieur Claus reconnaît avoir accusé réception, renoncé à cette clause soit dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la rupture ; que l'employeur a valablement renoncé à son exécution;
Sur le licenciement:
Attendu que la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, énonce au titre des griefs une insuffisance de résultats résultant d'une volonté délibérée de nuire à son employeur et la réitération de propos injurieux le 4 octobre 2004;
Attendu que l'article 4 de son contrat de travail imposait à Monsieur Philippe Claus de réaliser un chiffre d'affaire minium de 70 000 F par mois (10 671 euro) et d'apporter 15 mandats au minimum par mois ; que les bulletins de salaire de Monsieur Philippe Claus mentionnent au titre de l'année 2004, 18 294 euro, 18 492 euro et 19 900 euro ; que Monsieur Philippe Claus fait également état d'une vente Karkour-Paltimast d'un montant de 15 750 euro qu'il convient de porter à son crédit ce que l'employeur ne conteste pas ; que le salarié a généré, en 2004, un chiffre d'affaire mensuel moyen de 10 348 euro, conforme aux objectifs imposés ; que l'absence de chiffre d'affaire durant le mois de septembre est insuffisante pour justifier un licenciement d'un salarié présent dans l'entreprise depuis six ans, s'agissant d'une défaillance passagère;
Attendu que l'employeur ne justifie nullement du caractère intentionnel de cette défaillance ; que ses propres courriers de reproches adressés au salarié sont dépourvus de force probante, nul ne pouvant se constituer preuve pour soi-même et ce d'autant qu'ils ont été contestés par Monsieur Philippe Claus dès leur réception;
Attendu qu'il résulte du tableau établi par l'employeur en 2004 que Monsieur Philippe Claus n'a pas atteint le nombre de 15 mandats par mois requis par son contrat de travail ; que toutefois l'employeur ne justifie nullement du caractère réaliste de cet objectif ni qu'il ait été atteint dans les années précédentes par le salarié ou par ses collègues;
Attendu que l'attestation de Madame Lafon, salariée de l'entreprise, qui indique "le 4 octobre 2004, il m'a abreuvé d'injures du genre "conne... de Ville d'Avray" doit être écartée des débats, en raison du lien affectif unissant le témoin et le directeur de la société Agence Nouvelle Europe dont elle est la compagne, ainsi que cela résulte de l'attestation de Madame Carotenuto, ancienne salariée de la société Agence Nouvelle Europe; que Monsieur Facy précise "des propos injurieux ont été tenus en ma présence le 4 octobre 2004" sans identifier ni les termes litigieux ni leur auteur ; qu'en raison de son imprécision, ce témoignage ne peut emporter la conviction de la juridiction;
Attendu que Monsieur Philippe Claus, âgé de 43 ans au jour du licenciement, bénéficiait d'une ancienneté de six ans au sein de la société Agence Nouvelle Europe et d'un salaire moyen 2 878 euro ; qu'il convient de lui allouer la somme de 30 000 euro en réparation du préjudice subi;
Attendu qu'il convient d'ordonner la remise des documents sociaux rectifiés sans qu'il soit nécessaire de recourir à une astreinte
Attendu qu'il convient de condamner la société Agence Nouvelle Europe, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à payer à Monsieur Philippe Claus la somme de 1 000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, en matière prud'homale, par arrêt contradictoire, Reçoit l'appel en la forme, Reforme le jugement déféré, Condamne la société Agence Nouvelle Europe à payer à Monsieur Philippe Claus les sommes de : - 30 000 euro au titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, - 8 634 euro au titre du préavis et 863,40 euro au titre des congés payés y afférents, - 4 736,70 euro au titre de l'indemnité de licenciement, Ordonne la remise des documents sociaux rectifiés, Confirme pour le surplus, Rejette toute autre demande, Condamne la société Agence Nouvelle Europe en la personne de son représentant légal, aux dépens, et à payer à Monsieur Philippe Claus la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.