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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 3 mai 2007, n° 05-10474

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Le Pain de Navarre (SARL)

Défendeur :

HFS (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM Fohlen, Jacquot

Avoués :

SCP Blanc Amsellem-Mimran Cherfils, SCP Latil-Penarroya-Latil-Alligier

Avocats :

Mes Chiron, Marin

T. com. Brignoles, du 3 mai 2005

3 mai 2005

Exposé du litige

Les faits

Les sociétés HFS et Développement Agranate Seguy ont créé et développé un réseau de commercialisation des produits de boulangerie et de pâtisserie à l'enseigne "Pétrin Ribeirou" en concédant des licences et sous-licences d'exploitation de la marque sous le régime de la franchise. La société Le Pain de Navarre, alors en cours de formation, a ainsi souscrit le 26 novembre 1996 auprès de la société Holding Financière Seguy (HFS) une sous-licence d'exploitation de la marque "Le Pétrin Ribeirou" et d'un savoir-faire pour une durée de cinq années commençant à courir à compter de l'ouverture de la boulangerie soit le 13 décembre 1996. Le contrat a été renouvelé par tacite reconduction à compter du 12 décembre 2001.

Il a été dénoncé en application de son article 5 par courrier recommandé du 18 mai 2005 de la société Le Pain de Navarre avec effet au 12 décembre 2005.

En octobre 2003, la société Le Pain de Navarre a cessé de régler les redevances qu'elle payait irrégulièrement depuis janvier 2003. Après échange de courriers et délivrance de sommations interpellatives et mises en demeure, la société Le Pain de Navarre a réglé un montant de 11 000 euro.

La procédure

Sur assignation en paiement de la société HFS, le Tribunal de commerce de Brignoles, par jugement du 3 mai 2005 a :

- admis sa compétence territoriale ;

- condamné la société Le Pain de Navarre à payer à la société HFS la somme principale de 89 075,26 euro et celle de 1 704,18 euro à titre d'intérêts ;

- constaté la rupture du contrat ;

- condamné la société Le Pain de Navarre à payer à la société HFS la somme de 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La société Le Pain de Navarre a relevé appel de cette décision le 19 mai 2005 et plaide dans ses conclusions récapitulatives du 26 février 2007 que :

- son gérant a qualité et intérêt à solliciter la nullité du contrat de sous-licence pour dol ;

- il ne s'agit pas d'une demande nouvelle mais d'un moyen tendant à faire échec à la demande en paiement des redevances ;

- la société HFS a obtenu le consentement de la société "Le Pain de Navarre" en lui cachant l'origine frauduleuse du prétendu savoir-faire, en lui laissant croire à l'existence d'un réel savoir-faire et en l'amenant à conclure un montage totalement défavorable la laissant à la merci de son co-contractant ;

- Karine et Philippe Seguy, enfants de Jean-Pierre Seguy sont abusivement présentés comme les titulaires du savoir-faire prétendu et qui n'est que la copie du brevet déposé à l'INPI en 1986 par ce dernier ;

- l'expertise amiable réalisée par Monsieur Vilgrain montre que les méthodes utilisées n'ont rien d'original, datent de plus de cinquante ans et que le savoir-faire n'a aucun caractère secret ;

- l'action en nullité n'est pas prescrite, le délai de cinq ans ne courant qu'à compter de la découverte du dol soit en l'espèce de la communication en cours d'instance de la transaction régularisée par la société HFS avec 38 dissidents du réseau ;

- les statuts de la société Le Pain de Navarre ont été imposés par la société HFS et la privent de son fonds de commerce en cas de non-renouvellement du contrat de sous-licence ;

- la nullité du contrat est encourue tant au regard des dispositions de l'article 1116 du Code civil que de l'article L. 330-3 du Code de commerce, l'exception de nullité étant par ailleurs perpétuelle ;

- en tout état de cause, la demande en paiement des redevances n'est pas fondée en l'état de l'inexécution par la société HFS de ses obligations qui n'a transmis aucun savoir-faire et n'a fourni aucune assistance technique et commerciale, ce qui autorise la société Le Pain de Navarre à solliciter la résolution judiciaire du contrat ;

- les clauses de non-concurrence et de non-rétablissement figurant au contrat sont disproportionnées et doivent être annulées.

La société Le Pain de Navarre conclut à l'infirmation du jugement déféré et principalement à l'incompétence du Tribunal de commerce de Brignoles au profit du Tribunal de commerce de Pau, subsidiairement à la nullité de la convention de sous-licence pour dol et au remboursement par la société HFS des sommes de 488 686 euro, 7 021,95 euro et 4 573,78 euro HT. Plus subsidiairement, la société Le Pain de Navarre sollicite la nullité du contrat et le paiement de ces sommes sur le fondement de l'article L. 330-3 du Code de commerce et la résolution du contrat en vertu de l'article 1184 du Code civil. A titre infiniment plus subsidiaire, elle conclut à la résiliation judiciaire du contrat au 27 juin 2002 et à la nullité des clauses de non-concurrence et de non-rétablissement. Elle réclame enfin, en toute hypothèse paiement par la société HFS d'une indemnité de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Dans ses conclusions responsives du 13 mars 2007, la société HFS rétorque que :

- la société Le Pain de Navarre a pu valoriser son fonds de commerce en développant un chiffre d'affaires trois fois supérieur à la moyenne nationale en boulangerie traditionnelle et alors que son gérant Monsieur Constans est un non-professionnel ;

- cela est si vrai que le contrat de sous-licence arrivé à terme au 12 décembre 2001 a été reconduit successivement par trois fois ;

- la clause de compétence territoriale figurant au contrat est licite ;

- le gérant, associé majoritaire, ne peut engager seul une action en nullité du contrat de franchise à l'encontre de l'associé minoritaire et dont la conséquence est la dissolution de la société ;

- la demande reconventionnelle en nullité du contrat pour dol est nouvelle et par conséquent irrecevable en application de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile ;

- il en va de même des demandes en remboursement des redevances et frais d'enseigne ;

- l'action est par ailleurs prescrite au regard des articles 235-9 du Code de commerce et 1304 du Code civil :

- en sa qualité de secrétaire de l'association de défense des franchisés de l'enseigne Le Pétrin Ribeirou, Monsieur Constans a eu connaissance des procédures engagées par les dissidents et du jugement rendu le 22 janvier 2001 par le Tribunal de commerce de Marseille dont il se prévaut aujourd'hui ;

- il a renouvelé régulièrement son contrat et c'est par une pure manœuvre qu'il tente aujourd'hui d'obtenir sa nullité ;

- il ne peut plus se prévaloir de l'exception de nullité dès lors que la convention a été exécutée et n'a été résiliée qu'au 18 mai 2005 sans aucun motif particulier ;

- sa position est ambigüe dans la mesure où il défend aujourd'hui des arguments qu'il combattait antérieurement et qu'il entend garder la société et les revenus qu'il en a tirés alors que le jugement du Tribunal de commerce de Marseille avait considéré que l'objet social disparaissait avec l'anéantissement du contrat de licence ;

- la société Le Pain de Navarre n'établit pas qu'au jour de sa souscription elle ait été trompée, la franchise participative mise en œuvre autorisant un fonctionnement de la société sans contrôle du partenaire ;

- Monsieur Constans, non-professionnel de la boulangerie a été destinataire d'un savoir-faire et d'une formation apportés par le franchiseur ;

- l'expert amiable Multon relève à ce titre que la société HFS utilise des techniques connues mais les modifie, les adapte et les associe de façon originale pour former le concept global du Pétrin Ribeirou ;

- la violation de l'article L. 330-3 du Code de commerce n'entraîne pas en soi la nullité du contrat ;

- les clauses de non-concurrence et de non-rétablissement limitées dans le temps et l'espace sont valables ;

- la demande en résolution ne peut jouer que pour l'avenir et la société Le Pain de Navarre a déjà pris l'initiative de la rupture du contrat par son courrier du 18 mai 2005 ;

- la créance de la société HFS n'est pas contestée dans son montant.

La société intimée conclut à la confirmation du jugement sauf à porter la condamnation à paiement à la somme actualisée de 145 019,83 euro. Elle sollicite enfin paiement d'une indemnité de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 mars 2007.

Discussion

Sur la procédure :

Retenant la licéité de la clause attributive de compétence, le Tribunal de commerce de Brignoles s'est déclaré territorialement compétent pour connaître du litige. La société Le Pain de Navarre a repris en cause d'appel son moyen d'incompétence au profit de la juridiction commerciale de Pau au dispositif de ses conclusions sans développer un argumentaire quelconque dans le corps de ses écritures ni critiquer la motivation des premiers juges. Ce chef de décision doit ainsi être confirmé.

Aux termes des articles L. 221-4 et L. 223-l8 du Code de commerce, le gérant est investi des pouvoirs les plus étendus dans ses rapports avec les tiers ; il peut aussi faire tous actes de gestion dans l'intérêt de la société dans ses rapports entre les associés. L'article 16 des statuts de la société Le Pain de Navarre n'impose une autorisation préalable de l'assemblée générale que pour vendre ou acquérir un fonds de commerce, concourir à la formation d'une société ou nantir le fonds de commerce de la société. Le gérant a dès lors qualité pour agir au regard de l'ensemble de ces dispositions étant rappelé que l'intérêt social n'est pas la somme des intérêts particuliers des associés et notamment de l'intérêt de la seule société HFS Enfin c'est à tort que cette dernière prétend que l'annulation du contrat de licence implique nécessairement la dissolution de la société dans la mesure où l'article 2 des statuts définit l'objet social dans la fabrication, la cession et la vente de tous produits de boulangerie, pâtisserie, viennoiserie élaborés dans le cadre de la sous-licence "Pétrin Ribeirou" et toutes opérations industrielles, commerciales, financières, civiles, mobilières et immobilières pouvant se rattacher directement ou indirectement à l'objet social ou à tout objet similaire ou connexe.

La demande reconventionnelle en nullité pour dol ne heurte pas plus les dispositions de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile puisqu'elle constitue un moyen de défense à la demande principale en paiement des redevances. Il faut enfin rappeler que la société Le Pain de Navarre avait déjà soutenu devant les premiers juges une demande en nullité du contrat fondée sur la violation de l'article L. 330-3 du Code de commerce.

La demande reconventionnelle est dès lors recevable en la forme.

Sur la nullité du contrat de sous-licence :

Aux termes de l'article 1304 du Code civil, l'action en nullité pour dol se prescrit par cinq ans à compter du jour où il a été découvert. C'est à tort que la société Le Pain de Navarre prétend que cette découverte n'aurait eu lieu qu'au jour de la communication dans le cadre de la procédure d'appel, des transactions intervenues entre la société HFS et les dissidents du réseau Le Pétrin Ribeirou. En effet l'appelante reconnait elle-même, avoir eu connaissance des procédures engagées par ces derniers en 2000, produit deux rapports d'expertise de Monsieur Vilgrain datés des 22 septembre 1999 et 3 avril 2000, a été secrétaire de l'association constituée pour défendre le réseau et a combattu les arguments développés alors par les dissidents sur le savoir-faire étant précisé que le conseil de l'association est aujourd'hui celui de la société Le Pain de Navarre qui nonobstant ces informations a poursuivi et renouvelé le contrat de sous-licence souscrit en 1996. La demande en nullité pour dol formulée pour la première fois le 3 avril 2006 est donc prescrite.

La société Le Pain de Navarre est tout autant infondée à invoquer en défense une exception perpétuelle de nullité dont la seule vocation est de faire échec à l'exécution d'un acte juridique qui n'a pas encore été exécuté, ce qui n'est pas le cas de l'espèce.

C'est également à tort que l'appelante prétend qu'un manquement par le franchiseur aux obligations mentionnées à l'article L. 330-3 du Code de commerce est sanctionné par la nullité du contrat ou que ce dernier était tenu à une nouvelle information lors de son renouvellement par tacite reconduction. La société HFS fait ici utilement valoir qu'une information a été donnée préalablement à la signature du contrat et qu'il appartient à la société Le Pain de Navarre d'établir son insuffisance et en quoi celle-ci a vicié son consentement, observation faite qu'il n'est allégué d'aucun préjudice.

La société appelante sera ainsi déboutée de sa demande en nullité du contrat de sous-licence.

Sur les demandes en résolution et résiliation du contrat :

Ce n'est qu'à titre infiniment subsidiaire que la société Le Pain de Navarre sollicite la résolution du contrat pour inexécution par la société intimée de ses obligations en considérant que l'argumentaire développé pour en obtenir la nullité justifie à tout le moins la résolution. La société HFS justifie pour sa part qu'elle a bien transmis un savoir-faire ainsi qu'il ressort du rapport de Monsieur Multon qui relève que si les techniques utilisées sont connues elles sont adaptées et associées de façon originale pour former le concept global du Pétrin Ribeirou, de l'élaboration d'un cahier des charges et d'une "bible". Elle a aussi fourni une assistance technique et commerciale sans laquelle le gérant de la société Le Pain de Navarre, néophyte en la matière n'aurait pu maîtriser l'art de la boulangerie. La société HFS fait remarquer à ce titre, non sans pertinence, que convaincue de la rentabilité de son affaire, la société Le Pain de Navarre a renouvelé le contrat de sous-licence qui a ainsi duré neuf années et l'a exécuté pendant sept années sans formuler le moindre reproche.

Elle précise que les redevances initialement fixées à 13 % du chiffre d'affaires hors taxes ont été ramenées dès 2001 à 8 % et que pour aboutir à la baisse artificielle de 2000 du chiffre d'affaires qu'elle allègue, la société Le Pain de Navarre n'a pas hésité à en additionner les variations négatives et positives, cette baisse étant en réalité de 0,23 %. Il est aussi acquis qu'après avoir cessé de régler les redevances, la société Le Pain de Navarre n'a fourni aucune réponse aux multiples mises en demeure et sommations que lui a adressées la société HFS privant ainsi son co-contractant de la possibilité de remédier aux difficultés qu'elle avance bien tardivement aujourd'hui.

La demande en résolution du contrat n'est donc pas fondée et doit être rejetée.

Le contrat n'ayant pas été renouvelé pour l'année 2006 a cessé tous effets à compter du 12 décembre 2005 ainsi que le reconnaît expressément la société HFS. Très curieusement la société Le Pain de Navarre sollicite à "titre infiniment plus subsidiaire" une résiliation judiciaire du contrat à compter du 27 juin 2002 date du dernier contrôle technique sur place sans donner le moindre motif. Ce chef de demande, à vrai dire dénué de sérieux, ne peut qu'être rejeté.

Sur les autres chefs de demande :

Les entreprises étant libres de rivaliser entre elles en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, une clause de non-concurrence qui contrevient formellement à ce principe ne s'entend que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de son bénéficiaire. Elle doit être enfin limitée dans le temps et l'espace.

L'article 7.1.1.8 du contrat de sous-licence interdit au licencié quittant le réseau de s'affilier à un réseau concurrent durant trois ans dans le département de la zone de chalandise définie au contrat et ses départements limitrophes.

Une telle clause répond à l'évidence aux critères évoqués ci-dessus. En revanche tel n'est pas le cas de celles interdisant au licencié sans limitation de temps et d'espace de s'intéresser directement ou indirectement à toute activité susceptible de concurrencer la marque "Le Pétrin Ribeirou" ou d'enregistrer et d'utiliser des marques similaires, voisines ou approchant. Il est fait droit à la demande de nullité dans les termes ci après.

Le contrat ayant été poursuivi jusqu'à sa dénonciation non contestée par la société HFS la société Le Pain de Navarre doit régler les redevances concernées et ce d'autant qu'il n'est pas démenti par celle-ci qu'elle a continué d'exploiter l'enseigne et ses produits. La cour constate aussi que la société appelante ne formule aucune critique sur le décompte actualisé présenté par la société HFS intégrant le principal et les intérêts de retard. La condamnation prononcée par les premiers juges sera ainsi amplifiée dans les termes sollicités par l'intimée.

L'équité conduit de mettre à la charge de la société Le Pain de Navarre les frais irrépétibles supportés par la société HFS contrainte de comparaître une nouvelle fois en justice pour faire valoir sa créance.

La société appelante qui succombe dans son recours en supportera les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel, Confirme le jugement déféré rendu par le Tribunal de commerce de Brignoles en ce qu'il s'est déclaré compétent, a statué sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens ; L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau : Déclare la société Le Pain de Navarre recevable à agir ; Déclare prescrite sa demande en nullité du contrat de sous-licence pour dol ; La déboute de sa demande en nullité pour violation de l'article L. 330.3 du Code de commerce ; La déboute de ses demandes en résolution et résiliation du contrat et en remboursement de sommes ; La condamne à payer à la société Holding Financière Seguy - HFS la somme de 145 019,83 euro (cent quarante cinq mille dix neuf euro et quatre vingt trois centimes) au titre des redevances et frais dus jusqu'au 12 décembre 2005 ; - Dit que la clause de non-concurrence et de non-rétablissement à laquelle est tenue la société Le Pain de Navarre concerne l'interdiction de s'affilier directement ou indirectement à un réseau concurrent durant trois ans à compter de la cessation du contrat dans la zone mentionnée et l'interdiction d'exploiter le savoir-faire et les produits développés sous la marque "Le Pétrin Ribeirou" ; - Condamne la société Le Pain de Navarre à payer à la société Holding Financière Seguy HFS la somme de 3 000 euro (trois mille euro) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; - La condamne aux dépens et autorise la SCP Latil-Penarroya-Latil-Alligier, avoués, à les recouvrer selon les modalités prévues à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.