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Décisions

CA Agen, ch. com., 23 juin 2008, n° 08-00373

AGEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cadsoft Computer GmbH (SARL)

Défendeur :

Becky

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Muller

Conseillers :

MM. Certner, Marguery

Avocats :

Mes Bastian, Calatayud

T. com. Auch, du 15 févr. 2008

15 février 2008

Exposé du litige

Dans des conditions de régularité de forme et de délais non discutées, la société de droit allemand Cadsoft Computer GmbH a formé contredit au jugement du Tribunal de commerce d'Auch prononcé le 15/02/08 s'étant déclaré compétent et au fond ayant dit que le contrat liant les parties était un contrat d'agent commercial ayant ordonné la réouverture des débats pour le calcul des indemnités dues à la suite de la rupture de cette convention et ayant réservé les dépens ;

Les faits de la cause ont été relatés par les premiers juges en des énonciations auxquelles la cour se réfère expressément ;

Vu les écritures déposées par la société contredisante le 27/02/08 par lesquelles elle conclut à la réformation de la décision contredite et demande à la cour de déclarer le Tribunal de commerce d'Auch incompétent pour connaître des demandes formulées à son encontre par Rudi Becky, de renvoyer ce dernier à mieux se pourvoir et de le condamner, outre à supporter les entiers dépens, à lui verser la somme de 4 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Elle fait pour l'essentiel valoir l'argumentation suivante :

* compte tenu de son économie, le contrat liant les parties est un contrat de distribution exclusive,

* s'agissant de la détermination de la compétence juridictionnelle, le principe est posé au règlement communautaire du 22/12/00 selon lequel en l'absence de toute stipulation contractuelle s'y rapportant, la compétence en matière civile et commerciale est fixée par l'article 2 § 1 qui dispose que "les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat",

* l'article 5 de ce même règlement pose à ce principe une exception en prévoyant "qu'en matière contractuelle", les personnes peuvent être attraites devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ; il est de jurisprudence établie que le lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée, au sens de ce texte, doit être déterminé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie,

* le contrat en cause est soumis, par l'effet de la Convention de Rome du 19/06/80, à la loi allemande applicable aux obligations contractuelles ; l'article 4 alinéa 1er de ce texte dispose "qu'à défaut de choix par les parties de la loi applicable, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits ; l'alinéa 2 de cet article explicite cette notion de la manière suivante : " il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société, son administration centrale " ; s'agissant d'un contrat de distribution, la Cour de cassation estime que la prestation caractéristique est la fourniture du produit et que, par conséquent, la loi applicable au contrat est celle du pays où le fournisseur est établi",

* il se déduit de ce qui précède que la loi applicable est la loi allemande, laquelle prévoit § 29 du Code de procédure civile que les litiges découlant d'une relation contractuelle relèvent de la compétence du tribunal du lieu d'exécution de la prestation litigieuse ; que l'obligation que l'on cherche à mettre à sa charge consiste en une obligation de payer une somme - une indemnité destinée à compenser le préjudice résultant de la rupture du contrat - ou une quelconque autre obligation, seules les juridictions allemandes sont compétentes ; le paiement d'une somme a un caractère quérable selon le paragraphe 270 du BGB alors que le lieu où l'obligation qui sert de base à la demande doit être exécutée est en Allemagne ; par ailleurs, il est disposé au § 269 du Code civil allemand que lorsque le lieu d'exécution d'une obligation n'est ni déterminé, ni déterminable en fonction des circonstances, en particulier au regard de la nature de l'obligation, celle-ci doit être exécutée au lieu où le débiteur à son domicile au moment de la naissance de l'obligation ; or, l'obligation caractéristique consistait en la vente de logiciels et d'accessoires et était exécutable en Allemagne.

Vu les écritures déposées par Rudi Becky portant la date du 01/04/08 aux termes desquelles il conclut à l'irrecevabilité et en tout cas au mal fondé du contredit adverse, à la confirmation de la décision entreprise tant sur la compétence territoriale que sur l'application au cas d'espèce de la loi française et au retour de l'affaire devant le Tribunal de commerce d'Auch pour qu'il statue au fond ;

Il fait essentiellement valoir l'argumentation suivante :

* le contrat liant les parties est un contrat d'agence commerciale,

* les articles L. 134-1 à L. 134-17 du Code de commerce disposent que les situations résultant de la rupture d'un tel contrat d'agent commercial sont régies par la loi française,

* le litige est soumis aux règles de l'article 5.1 de la Convention de Bruxelles du 27/09/68 : en matière contractuelle, le litige est porté devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ; il en résulte que ses demandes d'indemnités de clientèle et d'indemnisation pour rupture abusive du contrat relèvent de la compétence du juge français "car le lieu où les services avaient été fournis était la France".

Motifs de la décision

Rudi Becky soulève l'irrecevabilité du contredit adverse sans expliquer le fondement de son exception qui ne peut en conséquence qu'être écartée ;

Aux termes de l'article 5-1 de la Convention de Lugano du 16/09/88, le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut, en matière contractuelle, être attrait dans un autre Etat contractant devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;

Selon le préambule du protocole n° 2 sur l'interprétation uniforme de cette convention, il y a lieu de prendre en considération l'interprétation donnée par la Cour de justice des Communautés européennes à la disposition identique de la Convention de Bruxelles modifiée le 27/09/68 en vertu de laquelle le lieu d'exécution doit être déterminé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie ; de même, aux termes du règlement CEE n° 44-2001 du 22/12/00, lorsqu'il ne s'agit, ni d'un contrat de vente, ni d'un contrat de fourniture de services, le lieu de l'obligation qui sert de base à la demande, pour la détermination de la compétence juridictionnelle, doit être fixé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie ;

Aux termes de la Convention de Rome du 19/06/80, le contrat est régi par la loi des pays avec lequel il présente les liens les plus étroits ;

La définition des fonctions d'agent commercial est donnée à l'article L. 134-1 du Code de commerce ;

Il ne ressort pas du contrat conclu entre les parties le 10/01/90 - dont la traduction produite n'est pas contestée - que la mission dévolue à Rudi Becky entre dans cette définition ;

La société de droit allemand Cadsoft Computer GmbH ne l'a pas chargé de conclure des contrats en son nom et pour son compte ou de s'entremettre dans la présentation de clients avec lesquels elle aurait alors personnellement traité ;

Il résulte tant des termes de ce contrat - au demeurant intitulé de distribution - que des pièces produites - courrier échangé entre parties, factures toutes au nom du seul Rudi Becky que ce dernier achetait lui-même les logiciels et les produits accessoires à la société Cadsoft Computer GmbH et qu'il les revendait à titre personnel, à ses propres clients, à des prix qu'il avait toute liberté de fixer ;

Le contrat de distribution exclusive, modifié par la société contredisante en contrat non exclusif, puis rompu, avait pour prestation caractéristique la fourniture par la société Cadsoft Computer GmbH, dont le siège est en Allemagne, de produits à Rudi Becky ;

Ce contrat, qui ne comprend la stipulation d'aucune clause attributive de compétence, présente les liens les plus étroits avec l'Allemagne ; le lieu d'exécution de la prestation caractéristique du dit contrat ne se situe pas dans le ressort de la juridiction d'Auch, ni ailleurs en France, mais en Allemagne, lieu de fourniture de la marchandise et aussi lieu du paiement ;

Les conditions dérogatoires de l'article 5-1 précité ne sont pas réunies ;

D'où il suit que le Tribunal de commerce d'Auch, qui n'est pas le lieu d'exécution de la convention selon les critères de détermination de la loi régissant l'obligation litigieuse en vertu des règles de conflit de la juridiction saisie, est incompétent pour connaître du litige opposant les parties ;

Il convient d'en tirer les conséquences ;

Rudi Becky doit être renvoyé à mieux se pourvoir conformément aux règles de l'article 96 du Code de procédure civile ;

L'équité commande d'allouer à la société de droit allemand Cadsoft Computer GmbH le remboursement des sommes exposées par elle pour la défense de ses intérêts ;

Il convient de lui accorder la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Les dépens de première instance et de contredit doivent être mis à la charge de Rudi Becky.

Par ces motifs, LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, sur contredit et en dernier ressort, Dit recevable le contredit donné par la société de droit allemand Cadsoft Computer GmbH, Dit le Tribunal de commerce d'Auch territorialement incompétent, Dit que le litige relève de la connaissance d'une juridiction étrangère, Renvoie les parties à mieux se pourvoir, Condamne Rudi Becky à payer à la société de droit allemand Cadsoft Computer GmbH la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Rudi Becky aux entiers dépens de première instance et de contredit, En tant que de besoins, autorise les avocats de la cause à recouvrer directement ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.