Cass. com., 16 décembre 2008, n° 08-13.162
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
EMC Distribution (SAS)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
M. Jenny
Avocat général :
M. Bonnet
Avocats :
SCP Ancel, Couturier-Heller, SCP Piwnica, Molinié
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 17 janvier 2008), que la société Distribution Casino France, qui exploite un réseau d'hypermarchés et de supermarchés, ainsi que ses deux centrales de référencement et d'achats, les sociétés Opéra et EMC Distribution, ont entretenu des relations commerciales avec divers fournisseurs, dont les société SEM de Vals et Clément Faugier, qu'une convention de coopération commerciale a été signée le 19 décembre 2001, pour l'année 2002, entre la société Distribution Casino France, représentée par la société Opéra, et la société SEM de Vals commercialisant des bouteilles d'eau de source ; qu'en exécution de cette convention et concernant une opération promotionnelle "Casino Saveurs" du 9 au 19 octobre 2002, un "contrat d'application" a été conclu le 24 septembre 2002, qu'une convention de coopération commerciale a été signée le 19 décembre 2002 pour l'année 2003 entre la société Distribution Casino France représentée par la société EMC Distribution, et la société SEM de Vals et concernant la prestation de service dite "Diffusion Vals sur entrepôts" ; que le 11 janvier 2002, une convention de coopération commerciale a été signée entre la société Distribution Casino France, représentée par la société Opéra, et la société Clément Faugier, fabricant de desserts à base de marrons et notamment de crèmes ; qu'en application de cette convention les parties ont conclu le 5 août 2002, un "contrat d'application" concernant l'opération promotionnelle "Casino Saveurs" du 9 au 19 octobre 2002 ; que la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a effectué des contrôles auprès des sociétés SEM de Vals et Clément Faugier sur les conditions de mise en œuvre de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 ; que le 11 février 2004, le ministre de l'Economie des Finances et de l'Industrie a assigné les sociétés Opéra et EMC Distribution pour faire constater que certains des accords qu'elles avaient conclu avec les sociétés SEM de Vals et Clément Faugier en exécution des conventions précédemment décrites violaient les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, pour faire prononcer la nullité de certaines clauses de ces accords, faire juger que la société EMC Distribution devait restituer aux sociétés SEM de Vals et Clément Faugier les sommes perçues au titre d'un certain nombre de prestations de service, faire liquider ces sommes au profit du Trésor public à charge pour ce dernier de le reverser à ces sociétés ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, sur le troisième moyen, pris en ses première et cinquième branches, sur le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche, sur le cinquième moyen, pris en ses quatre branches, et sur le sixième moyen, pris en ses sept branches, réunis : - Attendu que ces moyens ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société EMC Distribution fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevables les demandes présentées par le ministre de l'Economie des Finances et de l'Industrie dirigées à son encontre, tendant à faire prononcer, sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, les sanctions civiles de constatation de la nullité des contrats de coopération commerciale, de répétition de l'indu et d'amende civile, alors, selon le moyen : 1°) que les délégations de pouvoirs sont d'interprétation stricte ; que l'action en justice initiée par le ministre en charge de l'Economie en application des dispositions de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 442-6 du Code de commerce est distincte de celle exercée sur le fondement de l'article 56 de l'ordonnance précitée devenu l'article L. 470-5 du Code de commerce ; que l'arrêté du 12 mars 1987 ne confère une délégation de pouvoirs aux directeurs départementaux de la concurrence qu'à l'effet de représenter le ministre devant les juridictions civiles et pénales pour les actions engagées sur le fondement de l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 470-5 du Code de commerce ; qu'en retenant, pour dire que M. Garcia avait valablement représenté le ministre de l'Economie à l'audience du Tribunal de commerce d'Aubenas du 14 décembre 2004, par l'effet de l'arrêté du 12 mars 1987 susvisé, que ce texte avait institué une délégation de pouvoirs "pour l'action de l'article L. 442-6 du Code de commerce" en autorisant les chefs de services départementaux de la concurrence à représenter le ministre à l'audience des "juridictions civiles et commerciales" du département dans lequel ils exercent leurs attributions, la cour d'appel a violé l'arrêté du 12 mars 1987, ensemble l'article L. 442-6 du Code de commerce ; 2°) que l'arrêté du 12 mars 1987 ne confère une délégation de pouvoirs aux directeurs départementaux de la concurrence qu'à l'effet de représenter le ministre devant les juridictions civiles et pénales sur le fondement de l'article L. 470-5 du Code de commerce ; qu'en décidant que Mme Pernet, directrice départementale de la concurrence du Gard avait pu valablement donner à M. Michel, inspecteur, une délégation spéciale de pouvoirs à l'effet de représenter le ministre à l'audience d'appel du 24 octobre 2007 dans le cadre d'une action relevant de l'article L. 442-6 du Code de commerce, la cour d'appel a violé l'arrêté du 12 mars 1987, ensemble l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
Mais attendu que l'arrêt retient que le ministre a exercé l'action prévue à l'article 36, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 442-6-III du Code de commerce, dont la rédaction résultant de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 a étendu les demandes pouvant être formées par le ministre lorsqu'il introduit cette action, qu'un arrêté du 12 mars 1987, pris sur le fondement de l'article de l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 470-5 du Code de commerce, habilite les chefs des services départementaux de la concurrence à représenter le ministre de l'Economie devant les juridictions civiles et commerciales de première instance et d'appel pour les affaires traitées par les juridictions du département dans lequel ils exercent leurs attributions, à déposer devant ces juridictions des conclusions écrites et à développer oralement devant ces mêmes juridictions et à l'audience les conclusions écrites déposées et que cet arrêté n'a pas été abrogé ou modifié après la promulgation de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 portant modification du livre quatrième du Code de commerce et du décret du 30 avril 2002 ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel en a exactement déduit que M. Garcia, chef de service départemental de l'Ardèche, n'avait pas besoin de produire un pouvoir spécial à l'effet de représenter le ministre lors de l'audience devant le tribunal de commerce et que la délégation de pouvoirs donnée par Mme Pernet, Directrice Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du Gard à M. Michel inspecteur autorisait ce dernier à représenter le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie lors de l'audience de plaidoirie devant la cour d'appel ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux premières branches : - Attendu que la société EMC Distribution fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevables les demandes présentées par le ministre de l'Economie des Finances et de l'Industrie dirigées à son encontre, tendant à faire prononcer, sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, les sanctions civiles de constatations de la nullité des contrats de coopération commerciale, de répétition de l'indu et d'amende civile, alors, selon le moyen : 1°) que l'action introduite par le ministre en charge de l'Economie sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce ne déroge pas sur le fond au droit commun des obligations et de la responsabilité civile ; que l'exécution des obligations contractuelles souscrites par un mandataire incombe au seul mandant ; qu'ainsi un mandataire ne répond pas de la mauvaise exécution d'un contrat et ne peut pas être condamné à rembourser une somme qu'il a perçue pour le compte de son mandant ; qu'il résulte des propres énonciations de l'arrêt attaqué que l'action en annulation des contrats de coopération commerciale a été engagée à l'encontre de la société EMC Distribution, mandataire dans la négociation de la société Distribution Casino France ; qu'en affirmant que le ministre de l'Economie était "fondé à poursuivre devant la juridiction civile ou commerciale toutes les personnes physiques ou morales ayant méconnu les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, quelle qu'ait été leur qualité lors de la commission des faits (...)", la cour d'appel a violé l'article susvisé, ensemble les articles 1984 et 1998 du Code civil ; 2°) qu'un mandataire n'est considéré comme ayant traité en son nom propre que si son mandant n'est pas identifiable ; qu'en décidant que la société EMC Distribution devait répondre en sa qualité de mandataire de la société Casino France de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, la cour d'appel a violé l'article 1998 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs adoptés que la société EMC Distribution n'était pas intervenue seulement comme simple mandataire mais bien comme cocontractant ayant les mêmes pouvoirs que son "pseudo-mandant" à savoir la faculté d'engager la société Casino France dans un contrat-cadre, être le seul signataire dudit contrat-cadre, être celui qui émet les factures à son en-tête sociale, et, enfin, être celui qui encaisse par règlement à son ordre les sommes facturées" ; qu'en l'état de ces constatations dont il se déduisait que la société EMC Distribution n'était pas tenue de suivre les instructions de la société Casino France, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur les troisième moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, et sur le quatrième moyens, pris en ses première et troisième branches, réunis : - Attendu que la société EMC Distribution fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que l'article L. 442-6 III du Code de commerce était conforme à l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, d'avoir déclaré recevables les demandes présentées par le ministre de l'Economie des Finances et de l'Industrie dirigées à son encontre, tendant à faire prononcer les sanctions civiles de constatation de la nullité des contrats de coopération commerciale, de répétition de l'indu et d'amende civile et d'avoir constaté à titre de sanction la nullité des contrats d'application, ordonné à titre de sanction la répétition des sommes perçues, dit que le Trésor public sera chargé de recouvrer les sommes perçues et de les reverser à première demande et prononcé une sanction pécuniaire, alors, selon le moyen : 1°) que l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales est applicable à toute action civile ayant au moins partiellement un objet patrimonial et spécialement à celle tendant directement ou indirectement à obtenir la réparation d'un dommage ou la restitution de sommes indûment versées ; que la liberté d'agir en justice d'une partie privée et son corollaire celle de renoncer à exercer ses droits est absolue ; qu'en décidant que l'action du ministre en nullité des contrats et en restitution des sommes versées, n'était pas contraire aux dispositions susvisées, après avoir constaté que cette action aboutissait in fine, nonobstant l'opposition clairement manifestée par toutes les parties aux actes en cause, à obtenir l'annulation d'actes et la restitution de sommes au profit de parties privées contre leur volonté, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 2°) qu'en s'abstenant de vérifier concrètement si l'atteinte portée au droit de ne pas agir en justice n'est pas disproportionnée par rapport au but poursuivi et si les conditions d'application de l'article L. 442-6 III du Code de commerce ne sont pas insuffisantes pour éviter un usage abusif et disproportionné des prérogatives données au ministre chargé de l'Economie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ensemble l'article 1er du premier Protocole additionnel à cette convention ; 3°) que la seule référence générale et abstraite à l'ordre public économique ne suffit pas à démontrer que les atteintes portées aux droits fondamentaux des opérateurs économiques sont proportionnées aux buts poursuivis ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 4°) que toute action de nature civile ayant au moins partiellement un objet patrimonial doit satisfaire aux dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; que l'exigence d'un procès équitable implique que les parties à un contrat dont l'annulation est sollicitée puissent faire valoir personnellement leurs observations avant toute décision les privant directement ou indirectement de leurs droits ; qu'en décidant que les demandes du ministre de l'Economie de nullité des contrats de coopération commerciale, et de répétition de l'indu étaient recevables, même en l'absence à la procédure des sociétés SEM de Vals et Clément Faugier, fournisseurs signataires desdits contrats présentés comme troublant l'ordre public économique, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 5°) que le juge qui doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ne peut pas annuler un contrat, sans que les parties aient été en mesure de s'expliquer sur les causes de nullité de celui-ci ; qu'en décidant que la demande d'annulation des contrats de coopération commerciale présentée par le ministre était recevable, bien que certaines parties aux contrats à annuler n'aient pas été appelées dans la cause, après avoir constaté que l'action du ministre restait soumise aux règles du Code de procédure civile, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 442-6-III du Code de commerce, le ministre chargé de l'Economie peut, dans le cadre de son action, demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées à l'article L. 442-6 et qu'il peut également, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou des contrats illicites et demander la répétition de l'indu et le prononcé d'une amende civile ;
Et attendu, en second lieu, que l'action du ministre chargé de l'Economie, exercée en application des dispositions de l'article L. 442-6-III, qui tend à la cessation des pratiques qui sont mentionnées dans ce texte, à la constatation de la nullité des clauses ou contrats illicites, à la répétition de l'indu et au prononcé d'une amende civile, est une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence qui n'est pas soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs ; que c'est donc à bon droit que la cour d'appel a retenu que l'intervention du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie concernait un domaine d'activité où la liberté contractuelle des fournisseurs peut parfois être rendue virtuelle par des pratiques commerciales que le législateur a voulu interdire pour garantir les droits fondamentaux des opérateurs économiques ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le septième moyen : - Attendu que la société EMC Distribution fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir chargé le Trésor public du recouvrement des sommes de 64 029 euro et de 120 000 euro auprès de la société EMC Distribution et dit qu'il lui incombait de reverser ces sommes aux sociétés concernées à première demande de celles-ci, alors, selon le moyen : 1°) que l'article L. 442-6 du Code de commerce n'organise aucune procédure de collecte et de reversement des restitutions par le Trésor public à première demande des entreprises intéressées ; qu'en décidant le contraire la cour d'appel a ajouté à la loi en violation du texte susvisé ; 2°) qu'en enjoignant au Trésor public de reverser les sommes restituées à première demande des sociétés intéressées quand les fournisseurs bénéficiaires de ces restitutions n'ont pas été attraits en cause d'appel et n'ont donc pas été informés de la décision prétendument rendue à leur profit, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
Mais attendu, d'une part, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des productions que la société EMC Distribution a soutenu devant la cour d'appel que le Trésor public ne pouvait être chargé de recouvrer auprès d'elle la somme de 64 029 euro à charge pour lui de la reverser à la société Clément Faugier à première demande ; que le grief est nouveau et mélangé de fait et de droit ;
Attendu, d'autre part, que la société EMC Distribution critique une décision qui ne lui fait pas grief ; d'où il suit que le moyen est irrecevable ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.