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Décisions

Ministre de l’Économie, 22 octobre 2008, n° ECEC0829656S

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Aux conseils de la société FCPR Duke Street Capital VI

Ministre de l’Économie n° ECEC0829656S

22 octobre 2008

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DE L'EMPLOI

Maîtres,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 3 octobre 2008, vous avez notifié la prise de contrôle exclusif des sociétés Socamed et Biomnis et de leurs filiales (ci-après " Groupe Biomnis ") par le FCPR Duke Street Capital VI. Cette acquisition a été formalisée par un projet de contrat de vente, d'apport et d'achat d'actions en date du 26 septembre 2008, auquel s'est substitué le contrat définitif signé le 6 octobre 2008.

I. Les entreprises concernées et l'opération de concentration

Groupe Biomnis est un groupe français principalement actif dans le secteur de la biologie médicale. Il contrôle 11 laboratoires, dont 9 sur le territoire national, qui offrent leurs services à des patients, d'autres laboratoires, des hôpitaux et des cliniques privées. Ces laboratoires réalisent un panel très large d'analyses : la biologie spécialisée, la biologie de première intention, la biologie de sous-traitance, la recherche clinique, les analyses " hygiène et environnement " et les analyses relatives aux empreintes génétiques. Au sein du groupe Biomnis, la société TSE Express Médical (" TSE ") est active dans le secteur du transport de produits de santé.

Au titre de son dernier exercice clos au 30 septembre 2007, le groupe Biomnis a réalisé un chiffre d'affaires total mondial hors taxes d'environ 209 millions d'euro, dont environ 187 millions d'euro en France.

FCPR Duke Street Capital VI est un fonds commun de placement à risque dont la gestion est assurée par la société Duke Street SAS, contrôlée in fine par la société Duke Street Capital Holdings Ldt (ci-après " DSC "). Les investisseurs des fonds gérés par DSC sont principalement des banques, des compagnies d'assurances ou des fonds de pensions, qui n'exercent aucun contrôle sur ceux-ci. Parmi les sociétés contrôlées par les fonds gérés par DSC (1), la société Groupe Proclif (ci-après " Proclif ") détient huit cliniques privées, situées exclusivement en Île-de-France.

En 2007, les sociétés détenues par les fonds gérés par DSC ont réalisé un chiffre d'affaires total mondial hors taxes d'environ [>150] millions d'euro, dont environ [>50] millions d'euro en France. L'opération notifiée consiste en l'acquisition de la totalité des actions de Socamed et de [>50] % des actions de Biomnis au moyen d'un véhicule d'acquisition (" BioDS "). Il résulte des termes des statuts de BioDS et de son pacte d'actionnaires que le FCPR Duke Street Capital VI disposera, seul, d'une influence déterminante sur la gestion opérationnelle de BioDS dont il détiendra la majorité absolue du capital et des droits de vote.

En ce qu'elle entraîne la prise de contrôle exclusif du groupe Biomnis par le FCPR Duke Street Capital VI, la présente opération constitue une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, elle ne revêt pas une dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

I. Les marchés concernés

Les marchés concernés par l'opération correspondent aux marchés sur lesquels le groupe Biomnis est actif (les analyses de biologie médicale et le transport sous température dirigée de produits de santé via TSE), ainsi qu'à ceux où Proclif est présente (les établissements de soin).

A. Les marchés de services

1. Les analyses de biologie médicale

Les analyses de biologie médicale se définissent comme " les examens biologiques qui concourent au diagnostic, au traitement ou à la prévention des maladies humaines ou qui font apparaître toute autre modification de l'état physiologique " (2).

Le ministre chargé de l'Economie s'est interrogé sur l'existence de deux marchés distincts, selon que les analyses sont " de routine " ou " spécialisées " (3). En effet, il apparaît que l'activité des laboratoires de biologie médicale de routine n'est pas substituable à celle des laboratoires spécialisés qui traitent des actes de biologie rares et sont soumis à un agrément ministériel spécifique. De plus, à l'appui d'une telle segmentation, il peut être relevé la très grande différence de prix entre ces deux services (4).

Au cas d'espèce, la question de la délimitation exacte du marché des analyses de biologie médicale peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la segmentation retenue.

2. Les services de transport sous température dirigée

Le transport sous température dirigée se définit comme le " transport effectué dans des véhicules isothermes, réfrigérants, frigorifiques ou, éventuellement, calorifiques répondant aux normes et définitions des engins spéciaux pour le transport des denrées altérables ou non stables à température ambiante " (5).

Tout en laissant ouverte la question d'une délimitation plus étroite du marché du transport sous température dirigée, le ministre chargé de l'Economie a considéré qu'une spécialisation des transporteurs, des contraintes réglementaires et des techniques spécifiques pouvaient justifier une segmentation selon la nature du produit transporté.

Au cas d'espèce, TSE est active en matière de transport sous température dirigée de produits de santé : produits pharmaceutiques, analyses médico-légales, sérothèques (6), produits biologiques, greffes de thérapie cellulaires...

Les produits de santé se distinguent des autres produits transportés en ce qu'ils sont soumis à un nombre important de textes réglementaires qui leur sont propres. On peut citer, par exemple, le GBEA (" guide de la bonne exécution des analyses de laboratoire "), les BPD (" bonnes pratiques de distribution ") relatives à l'industrie pharmaceutique ou les BPT (" bonnes pratiques de transport ") relatives à la transfusion sanguine.

Au cas d'espèce, l'activité de TSE est limitée au transport de type " messagerie " qui consiste à assurer le transport de produits de santé constitués de colis groupés de moins de 3 tonnes. Il existe en effet des spécificités relatives à leur technique de transport compte tenu de la multiplicité des lieux de collecte et d'acheminement des échantillons et des quantités concernées.

Selon les parties, l'activité inclurait la messagerie, le courrier rapide et le transport par lot. Elles considèrent qu'en matière de transport de produits de santé sous température dirigée le choix de la technique de transport est neutre du point de vue de la demande et qu'il y a lieu de considérer l'existence d'un seul marché. Les parties ont fourni plusieurs exemples à l'appui de leur argumentation. Ainsi, les services de courrier rapide (TNT, DHL, UPS, Ciblex, Chronopost) constituent une offre importante pour les petits volumes, typiques de l'industrie pharmaceutique. Ces sociétés utilisent alors des emballages isothermes contenant un eutectique (7) pour maintenir une température négative. En outre, les opérateurs de transport par lots, à vocation plus généraliste, exercent également une concurrence effective sur les sociétés de messagerie. [...].

Au cas d'espèce, la question de la délimitation exacte du marché du transport sous température dirigée de produits de santé peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la segmentation retenue.

3. Les établissements de soin

La pratique décisionnelle des autorités de concurrence ne distingue pas les activités de production de diagnostics et de soins hospitaliers selon les statuts juridiques des établissements de santé (8).

Le ministre chargé de l'Economie considère toutefois que ces activités peuvent être segmentées par " groupe d'activité spécialisée ", selon les grandes disciplines définies par le code de santé publique : (i) médecine, (ii) chirurgie, (iii) obstétriques, (iv) néo-natalité, (v) psychiatrie, (vi) soins de suite ou de réadaptation fonctionnelle, (vii) soins de longue durée et réanimation, (viii) cancérologie-radiothérapie et (ix) activités de diagnostic.

Au cas d'espèce, la question de la délimitation exacte de ce marché de services peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la segmentation retenue.

B. Les marchés géographiques

1. Les analyses de biologie médicale

Les analyses de biologie médicale " de routine " constitueraient un marché de dimension locale, contrairement aux analyses spécialisées pour lesquelles le marché revêtirait une dimension nationale. En effet, la demande et l'offre (9) d'analyses de routine se situent au niveau local, ce qui n'est pas le cas des analyses spécialisées pour lesquels les offreurs sont relativement peu nombreux (10). En matière d'analyses spécialisées, le maillage du territoire est ainsi assuré par le biais de nombreuses implantations, renforcé par l'organisation du transport des produits de santé.

Compte tenu de la pratique décisionnelle du ministre chargé de l'Economie, la présente analyse concurrentielle sera menée sur des marchés locaux d'analyses de biologie médicale de routine et sur le marché national d'analyses de biologie médicale spécialisées.

2. Les services de transport sous température dirigée

La pratique décisionnelle des autorités de concurrence retient un marché du transport sous température dirigée de dimension nationale, compte tenu de " la perception des consommateurs, [du] caractère national de l'enlèvement et de la livraison de produits, [des] écarts de prix relevés entre pays ainsi que [des] différences entre les politiques commerciales des prestataires, et enfin [des] écarts existant entre les parts de marché obtenues par les entreprises de transport suivant les pays " (11).

Au cas d'espèce, la nature des produits transportés (i.e. des produits de santé) ne saurait modifier l'échelon national de l'analyse concurrentielle.

3. Les établissements de soin

La dimension géographique des activités de soin est locale, selon les analyses menées par les agences régionales d'hospitalisation (" ARH "), qui retiennent des " territoires de santé ". Les autorités de concurrence considèrent donc que la concurrence s'y exerce dans un périmètre tout au plus régional. La question de marchés délimités au niveau des agglomérations a toujours été laissée ouverte.

Toutefois, la pratique décisionnelle récente du ministre chargé de l'Economie considère qu'il existe des " taux de fuite " très importants selon les territoires de santé. Ainsi, " si les territoires de santé peuvent être une approche géographique pertinente des marchés de services de l'offre de diagnostics et de soins en établissement de santé, cette approche ne saurait être exclusive de toute autre, et nier la réalité de l'existence de pôles d'attraction régionale " (12).

Au cas d'espèce, les huit établissements de soin contrôlés par Proclif sont situés exclusivement en région parisienne. Or cette région se caractérise par un " taux de fuite " très important, compte tenu notamment de l'offre étendue des établissements de soins et l'existence de pôles d'attraction régionale, voire nationale.

Conformément à la pratique décisionnelle du ministre chargé de l'Economie, l'analyse concurrentielle des marchés des offres de diagnostics et de soins en établissement de santé sera donc menée au niveau de la région Île-de-France (13).

II. Analyse concurrentielle

L'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux, dans la mesure où il n'existe aucun chevauchement d'activité entre les parties. En revanche, il convient de s'interroger sur d'éventuels effets verticaux de l'opération, dans la mesure où les activités du groupe Biomnis (analyses de biologie médicale et transport de produits de santé sous température dirigée) se situent en amont de celles de Proclif (établissements de soin). L'analyse des parts de marché des parties relève des positions limitées selon les marchés concernés.

Ainsi, Proclif détient des parts de marché inférieures à 10 % au niveau de la région Île-de- France, quelle que soit la discipline retenue (médecine : [0-10] % ; chirurgie : [0-10] % ; obstétrique : [0-10] % ; cancérologie-radiothérapie : [0-10] %). Les parties ont même fourni les positions de Proclif au niveau départemental, en se basant sur des données de l'ARH d'Île-de-France. Elles confirment la position limitée de Proclif (<[0-10] %) en matière d'offres de diagnostics et de soins en établissement de santé.

A l'amont, les activités du groupe Biomnis se répartissent entre les analyses de biologie médicale et le transport sous température dirigée de produits de santé.

Concernant les marchés des analyses de biologie médicale, les parts de marché du groupe Biomnis ont été estimées à [15-25] % en matière d'analyses spécialisées au niveau national, et à [0- 10] % en matière d'analyses de routine au niveau de l'Île-de-France.

Concernant le marché du transport sous température dirigée de produits de santé, la position de TSE est inférieure à 5 %, derrière TFE ([5-13 %]) (14). Il convient de relever que le marché est très atomisé, avec la présence de nombreux acteurs spécialisés tels que Taxi Colis, AB Courses, ST Santé, Area Time, Medical Express, FCE Santé, Biotrans, ainsi que les transporteurs généralistes de courrier rapide (TNT, DHL, UPS, Ciblex, Chronopost...).

Compte tenu de ces positions limitées, ainsi que de la présence de laboratoires concurrents, notamment en matière d'analyses spécialisées (parmi lesquels les laboratoires Pasteur Cerba et Génazur), une stratégie de forclusion n'apparaît pas envisageable. Enfin, il convient de relever que le groupe Biomnis n'aurait aucun intérêt financier à limiter ses services aux seules cliniques contrôlées par le FCPR Duke Street Capital VI. D'une part, les établissements de soin représentent une part très limitée du chiffres d'affaires du groupe Biomnis pour son activité d'analyse de biologie médicale ([0-10] %). D'autre part, les établissements de soin représentent également une part très limitée du chiffre d'affaires de TSE (environ [0-10] %). Ainsi, ces proportions garantissent, dans l'hypothèse peu probable d'une intégration des activités des parties, la capacité du groupe Biomnis à satisfaire la demande des concurrents de Proclif, à des conditions de marché concurrentiel compte tenu de l'absence de positions dominantes (simple ou collective) sur les marchés concernés.

Les risques d'atteinte à la concurrence liés à l'intégration verticale des activités de biologie médicale du groupe Biomnis et des activités de soin de Proclif peuvent donc être écartés.

En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.

Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de ma considération distinguée.

NOTA : Des informations relatives au secret des affaires ont été occultées à la demande des parties notifiantes, et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale. Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article R. 430-7 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

Notes :

1 Il s'agit en l'occurrence du FCPR Duke Street Capital V.

2 Lettre du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi en date du 19 août 2003, aux conseils du groupe Laboratoire Marcel Mérieux-Socamed, relative à une concentration dans le secteur des analyses de biologie médicale, publiée au BOCCRF n°2004-07.

3 Ibid.

4 En application de la nomenclature des actes de biologie médicale, les prix des analyses spécialisées sont trois fois supérieurs à ceux d'une analyse de routine.

5 Lettre du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi en date du 4 juillet 2007, au Président Directeur Général de la Société Transalliance SA, relative à une concentration dans le secteur des transports routiers de marchandises, publiée au BOCCRF n°7 bis du 14 septembre 2007.

6 Les sérothèques sont des stocks congelés de plasma ou de sérums.

7 L'eutectique est un mélange de deux ou plusieurs constituants ayant un point de fusion qui permet de conserver une température fixe.

8 Lettre du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi en date du 14 novembre 2002, au conseil de la société Médi-Partenaires, relative à une concentration dans le secteur des établissements de soins en France, publiée au BOCCRF n°2003-05 ; lettre du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi en date du 6 janvier 2006 autorisant l'acquisition de la quasi-totalité du capital de la société AADJON par la société Compagnie Générale de Santé, publiée au BOCCRF n°6 du 21 juin 2006.

9 Ainsi, l'implantation des laboratoires d'analyses médicales requiert une autorisation des services départementaux du ministère de la Santé (DDASS).

10 Lettre du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi en date du 19 août 2003, aux conseils du groupe Laboratoire Marcel Mérieux-Socamed précitée.

11 Lettre du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi en date du 9 décembre 2005, aux conseils de la société Delanchy Transports, relative à une concentration dans le secteur du transport routier de marchandises sous température dirigée, publiée au BOCCRF n°5 du 29 avril 2006.

12 Lettre du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi en date du 24 juillet 2007, au conseil de la société Vitalia Développement 1, relative à une concentration dans le secteur des établissements de soin en France, publiée au BOCCRF n°8 bis du 26 octobre 2007.

13 Lettre du ministre en date du 31 mars 2005 précitée au conseil de la société Générale de santé. Voir également la lettre du ministre du 31 décembre 2003, aux conseils de la société France SA, relative à une concentration dans le secteur des établissements de soins en France, publiée au BOCCRF n°2004-06. Concernant l'analyse concurrentielle, les parties ont tout de même fourni des parts de marché au niveau départemental.

14 Quelle que soit la segmentation de marché, la position de TSE reste limitée, inférieure à 10 %.