CA Paris, 1re ch. H, 29 octobre 2008, n° ECEC082726X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Jean-Paul Gisserot (SA), Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi
Défendeur :
Centre des monuments nationaux, Président du Conseil de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pimoulle
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Mouillard
Avocats :
Mes Gisserot, Scanvic
LA COUR,
Vu les recours formés :
- le 26 mai 2008, par la SA Editions Jean-Paul Gisserot, en réformation de la décision du Conseil de la concurrence n° 08-D-08 du 29 avril 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'édition et de la vente de monographies touristiques ;
- le 26 juin 2008, par le ministre chargé de l'Economie, en annulation de la même décision ;
Vu l'arrêt du 2 juillet 2008 par lequel cette cour, en l'état du déclinatoire de compétence émanant du Préfet de la région Ile-de-France, Préfet de Paris, parvenu le 1er juillet 2008, a ordonné la réouverture des débats ;
Vu les " observations écrites du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi sur le recours exercé par la société Editions Gisserot contre la décision 08-D-08 rendue par le Conseil de la concurrence le 29 avril 2009 (sic) " ;
Vu les réquisitions du Ministère public, du 10 septembre 2008, mises à la disposition des parties avant l'audience, tendant au rejet du déclinatoire de compétence et demandant à la cour de surseoir à statuer pendant le délai imparti au Préfet par l'article 8 de l'ordonnance du 1er juin 1828 pour éventuellement élever le conflit ;
Vu les observations du Conseil de la concurrence, déposées le 17 septembre 2008 ;
La société éditions Jean-Paul Gisserot et son conseil, la représentante du ministre chargé de l'Economie, requérants qui ont eu la parole en dernier, le conseil du Centre des monuments nationaux, le représentant du Conseil de la concurrence et le Ministère public entendus à l'audience publique du 7 octobre 2008,
Sur quoi,
Considérant qu'il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de joindre les recours de la SA Edition Jean-Paul Gisserot (n° RG : 2008-9840) et celui du ministre chargé de l'Economie (n° RG : 2008-12414), formés contre la même décision ;
Considérant que la société Editions Jean-Paul Gisserot, qui publie principalement des ouvrages consacrés aux monuments historiques et au tourisme culturel, ayant constaté que le Centre des monuments nationaux (ci-après : " CMN ") avec lequel elle avait passé un marché public en 2004, avait cessé, à partir d'avril 2006, de lui commander les ouvrages de son catalogue intitulés Le Mont Saint-Michel, L'Abbaye de Cluny et La Cité médiévale de Carcassonne, après avoir vainement saisi le Tribunal administratif de Paris du refus qui lui était opposé par cet établissement public administratif de mettre ou remettre en rayon les ouvrages en question dans ses points de vente, a saisi le Conseil de la concurrence (ci-après : " le Conseil ") aux fins de faire sanctionner, sur le fondement de l'article L. 420-2 du Code de commerce, " l'exploitation abusive de l'état de dépendance économique par le CMN, exploitant monopolistique d'une infrastructure essentielle ", demandant en outre au Conseil, à titre de mesure conservatoire, d'ordonner au CMN de mettre en rayon les trois ouvrages visés ; que le Conseil, par la décision frappée de recours, a rejeté la saisine, faute d'éléments probants, et rejeté la demande de mesure conservatoire ;
Considérant que le Préfet de région Ile-de-France, Préfet de Paris (ci-après : " le Préfet "), expose qu'un marché public de fournitures courantes a été conclu le 16 décembre 2004 entre le CMN et la société Editions Jean-Paul Gisserot, ayant pour objet " la fourniture de livres édités et/ou diffusés exclusivement par les éditions Jean-Paul Gisserot " et qu'aux termes de ce marché " à bons de commande ", reconductible trois fois pour une période de douze mois et reconduit pour la dernière fois le 19 septembre 2007, le CMN s'engageait pour un montant d'achats annuel minimal (60 000 euro hors taxes) et maximal (240 000 euro hors taxes), ces achats, effectués librement dans un catalogue, étant dits " fermes " ou " en compte ferme ", c'est-à-dire sans possibilité de retour chez l'éditeur ;
Considérant que le Préfet fait valoir que la demande de la société Editions Jean-Paul Gisserot réclamant au CMN la mise en rayon des ouvrages de son catalogue s'inscrit nécessairement dans le cadre des relations contractuelles définies par le marché signé le 16 décembre 2004, passé en application des articles 34, 35-III (4°) et 71-I (1er) du Code des marchés publics et ayant dès lors le caractère de contrat administratif en vertu de l'article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, de sorte que les juridictions judiciaires ne sont pas compétentes pour connaître de ce litige ;
Mais considérant que, dans la mesure où elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services, les personnes publiques peuvent être sanctionnées par le Conseil de la concurrence agissant sous le contrôle de l'autorité judiciaire ; que seules les décisions par lesquelles ces personnes assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et, le cas échéant, pour statuer sur la mise en jeu de la responsabilité encourue par ces personnes publiques ;
Considérant qu'en l'espèce, le choix exercé par le CMN de commander aux éditions Jean-Paul Gisserot certaines de ses publications et non d'autres, excluant notamment les trois brochures à l'origine du litige, ne suppose la mise en œuvre d'aucune prérogative de puissance publique ;
Considérant qu'il peut être observé par ailleurs que, si la société Editions Jean-Paul Gisserot, en saisissant en premier lieu, sans succès, le Tribunal administratif, puis le Conseil en seconde chance, visait à obtenir que les trois brochures désignées fussent mises ou remises en vente dans les boutiques exploitées par le CMN dans ou à proximité des monuments concernés, il n'en demeure pas moins que, devant le Conseil, elle ne pouvait atteindre ce résultat par une action fondée sur l'appréciation de la légalité ou sur l'exécution du marché, qui ne ressortissait pas en effet à la compétence de cette autorité administrative, mais seulement, comme un bénéfice indirect de sa dénonciation de faits qu'elle présentait comme une pratique anticoncurrentielle, en obtenant qu'il soit mis fin à cette pratique par la mise en œuvre de la mesure conservatoire, accessoire à son accusation, qu'elle sollicitait ; que c'est ainsi que la société Editions Jean-Paul Gisserot reprochait au CMN d'abuser de sa position dominante ou de son monopole dans l'exploitation des librairies-boutiques, qualifiées d'infrastructures essentielles, en refusant de manière injustifiée de vendre les ouvrages édités par elle, aux seules fins de favoriser ses propres ouvrages concurrents de sa collection " Itinéraires du patrimoine " ;
Considérant que, pris sous cet angle, et dès lors détachés du contrat, les faits soumis au Conseil relevaient des règles de la liberté des prix et de la concurrence au sens du livre IV du Code de commerce et des activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, visées par l'article L. 410-1 du même Code ; que, dès lors, le Conseil - et à sa suite la Cour d'appel de Paris dans le cadre des recours présentement examinés - était compétent, par application de l'article L. 462-6, pour examiner si ces faits entraient dans le champ des articles L. 420-1, L. 420-2 ou L. 420-5 ou pouvaient se trouver justifiés par application de l'article L. 420-4 et prononcer, le cas échéant, des sanctions et des injonctions ;
Considérant qu'il en résulte que le déclinatoire de compétence du Préfet doit être rejeté ;
Considérant, sur le fond, qu'il sera sursis à statuer sur les recours jusqu'à expiration du délai imparti au Préfet pour élever le conflit ;
Par ces motifs : Joint les recours formés par la société Editions Jean-Paul Gisserot, et par le ministre chargé de l'Economie ; Rejette le déclinatoire de compétence du Préfet de la région Ile-de-France, Préfet de Paris, parvenu le 1er juillet 2008 ; Se déclare compétente pour statuer sur les recours ; Sursoit à statuer au fond jusqu'à l'expiration du délai imparti au Préfet par l'article 8 de l'ordonnance du 1er juin 1828 pour éventuellement élever le conflit ; Dit qu'une audience de procédure aura lieu le lundi 17 novembre 2008, à 11 h 45 ; Réserve les dépens.