CJCE, 2e ch., 18 décembre 2008, n° C-384/07
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Wienstrom GmbH
Défendeur :
Bundesminister für Wirtschaft und Arbeit
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Timmermans
Avocat général :
M. Mazák
Juges :
MM. Bonichot, Makarczyk, Bay Larsen, Mme Toader
Avocat :
Me Laurer
LA COUR (deuxième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant Wienstrom GmbH (ci-après "Wienstrom") et le Bundesminister für Wirtschaft und Arbeit (ministre de l'Économie et du Travail, ci-après l'"autorité défenderesse") au sujet de montants d'aides à octroyer à Wienstrom en vertu de la loi sur l'électricité verte (Ökostromgesetz, ci-après l'"ÖG").
Le cadre juridique
La mesure d'aide
3 L'ÖG régit le soutien aux centrales de cogénération en Autriche.
4 Sa première version (BGBl. I, 149-2002, ci-après l'"ancienne ÖG") est entrée en vigueur le 1er janvier 2003. Elle a été remplacée, le 2 octobre 2006, par une nouvelle version (BGBl. I, 105-2006, ci-après la "nouvelle ÖG").
5 Afin d'encourager la production d'électricité par les centrales de cogénération, un remboursement des coûts nécessaires au maintien de l'exploitation est octroyé sous certaines conditions. Pour les années 2003 et 2004, le montant de ce soutien était plafonné par l'ancienne ÖG à 1,5 cent par kWh d'électricité issue de la cogénération. À partir de 2005, ce montant est déterminé en application des dispositions pertinentes de l'ancienne ÖG par l'autorité défenderesse, qui peut le modifier au terme de son examen.
6 Au cours des années en cause au principal, la mesure était financée au moyen d'une majoration uniforme applicable à la quantité d'électricité fournie aux utilisateurs finals, indépendamment de la consommation effective, par ceux-ci, d'énergie issue de la cogénération. Cette majoration était transmise à Energie-Control GmbH, organisme public chargé du paiement du soutien aux centrales de cogénération.
7 L'article 30 quinquies de la nouvelle ÖG a introduit une modification rétroactive de la mesure.
8 Il prévoit que, pour la période comprise entre le 1er janvier 2003 et le 31 décembre 2006, les distributeurs d'électricité qui importent de l'électricité dite "verte" ou issue de la cogénération et la vendent à des consommateurs finals nationaux ainsi que les consommateurs finals qui importent le même type d'électricité pour leur propre consommation sont en droit de demander le remboursement du montant de l'aide, pour l'électricité provenant de petites centrales hydroélectriques ou pour tout autre type d'électricité verte, ou le remboursement de la majoration de cogénération, pour l'énergie issue de la cogénération.
La décision de la Commission
9 À la suite d'un échange de correspondances au cours de l'année 2003 avec les autorités autrichiennes, la Commission des Communautés européennes a enregistré les mesures relatives aux centrales de cogénération en tant qu'aides non notifiées, sous la référence NN 162/B/2003. La République d'Autriche a notifié à la Commission les modifications prévues dans la nouvelle ÖG. Cette notification a été enregistrée sous la référence N 317/B/2006.
10 Par décision C(2006) 2964 final, du 4 juillet 2006 (JO C 221, p. 9, ci-après la "décision de la Commission"), la Commission a décidé de ne pas soulever d'objection. Elle a considéré que les aides, conformes à l'encadrement communautaire des aides d'État pour la protection de l'environnement (JO 2001, C 37, p. 3), étaient compatibles avec le marché commun en vertu de l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE. Elle a estimé que la modification apportée par la nouvelle ÖG constituait un instrument approprié pour neutraliser des effets éventuellement discriminatoires sur l'électricité importée.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
11 Wienstrom exploite plusieurs centrales de cogénération à Vienne. Elle bénéficie d'un soutien en vertu de l'ÖG.
12 Elle conteste deux décisions de l'autorité défenderesse datées, respectivement, du 11 octobre 2004 (ci-après la "première décision contestée") et du 7 décembre 2006 (ci-après la "seconde décision contestée").
13 La première décision contestée a fixé à la somme de 37 335 602,20 euro, pour l'année 2003, le soutien alloué à Wienstrom pour trois centrales de cogénération. Des avances d'un montant de 44 551 514,75 euro ayant été versées, cette décision implique le remboursement par cette société de la différence, soit 7 215 912,55 euro.
14 La seconde décision contestée se rapporte au soutien accordé à Wienstrom, au titre de l'année 2005, pour une centrale de cogénération modernisée. Elle a été précédée par une décision du 8 mars 2006, qui a fixé provisoirement le montant de l'aide accordée et donné lieu au versement d'une avance de 5 408 159 euro le 14 mars 2006. La seconde décision contestée fixe définitivement à 5 688 703,47 euro le montant du soutien octroyé et ordonne le versement d'un solde de 280 544,47 euro, compte tenu de l'avance déjà versée. Wienstrom soutient que le montant dû s'élève à 8 487 228,00 euro.
15 La juridiction de renvoi considère que la décision de la Commission ne concerne que la nouvelle ÖG et qu'aucune décision négative expresse n'a été adoptée en ce qui concerne l'ancienne ÖG.
16 Elle relève que la première décision contestée constitue une mise à exécution de l'aide antérieure à la décision de la Commission.
17 Elle estime que la seconde décision contestée, adoptée postérieurement à la décision de la Commission, relève d'une mise à exécution de la mesure d'aide, mais que cette mise à exécution avait commencé antérieurement par la mise en vigueur de l'ancienne ÖG, dans le cadre de laquelle la République d'Autriche s'engageait à verser l'aide en cause pour l'année 2005.
18 À la lumière, en particulier, de l'arrêt du 21 octobre 2003, Van Calster e.a. (C-261-01 et C-262-01, Rec. p. I-12249), la juridiction de renvoi s'interroge sur la portée, dans le litige qui lui est soumis, de l'interdiction de mise à exécution édictée par l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE.
19 Dans ce contexte, elle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) L'application de l'article 88, paragraphe 3, in fine, CE implique-t-elle que la juridiction nationale doit refuser le bénéfice de prestations d'aide supplémentaires au bénéficiaire d'une aide, qui a en principe droit à celles-ci en vertu du droit national, en raison de l'interdiction de mise à exécution prévue par cette disposition, bien que, d'une part, la Commission ait certes déploré l'absence de notification de l'aide, mais n'ait pas adopté de décision négative au sens de l'article 4, paragraphe 2, ou de mesure au sens de l'article 14 du règlement (CE) n° 659-1999 du Conseil, du 22 mars 1999 [portant modalités d'application de l'article [88 CE] (JO L 83, p. 1)], et que, d'autre part, aucune violation de droits de tiers ne soit actée?
2) L'interdiction de mise à exécution prévue à l'article 88, paragraphe 3, CE s'oppose-t-elle à l'application d'une disposition d'une loi nationale si cette application s'appuie sur la nouvelle version de cette loi dont la Commission a constaté la compatibilité avec le marché commun, bien que, d'une part, la mesure en cause concerne des périodes antérieures à cette nouvelle version et que les modifications décisives pour la déclaration de compatibilité ne soient pas applicables pour cette période, et que, d'autre part, aucune violation de droits de tiers ne soit actée?"
Sur les questions préjudicielles
20 À titre liminaire, il convient de constater que la décision de la Commission ne concerne pas seulement la nouvelle ÖG. Cette décision couvre les deux versions de l'ÖG, l'appréciation de la Commission portant sur l'ÖG telle que modifiée à la date de son examen. En effet, dans sa rubrique "Objet", elle vise expressément les deux procédures NN 162/B/2003 et N 317/B/2006. Par ailleurs, en son point 7, elle énonce que la description et l'appréciation à laquelle il est procédé se fondent tant sur les règles en vigueur depuis le 1er janvier 2003 que sur celles applicables à partir de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. En outre, la communication au Journal officiel indique le 1er janvier 2003 comme point de départ de la durée de la mesure d'aide à l'égard de laquelle il n'est pas soulevé d'objection.
21 Il y a également lieu de constater que le litige au principal a pour objet la détermination du montant des aides effectivement dues en vertu de la mesure d'aide en cause, au titre de deux périodes données.
22 Enfin, il doit être observé que, bien que les deux décisions contestées au principal soient, la première, antérieure à la décision de la Commission, et, la seconde, postérieure, les deux questions posées par la juridiction de renvoi se rapportent à une même situation juridique, à savoir celle d'une mise à exécution antérieure, dans les deux cas, à la décision positive de la Commission. En effet, la seconde décision contestée a été adoptée à la suite de la décision des autorités autrichiennes du 8 mars 2006 qui, ayant fixé provisoirement le montant de l'aide due et ordonné le versement d'une avance, a constitué un commencement d'exécution de la mesure d'aide antérieur à la décision de la Commission.
23 En considération de ces constatations et observations liminaires, il convient d'examiner ensemble les deux questions préjudicielles.
24 Par ces questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'interdiction de mise à exécution d'aides d'État prévue à l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE impose au juge national, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, de rejeter une demande d'un bénéficiaire d'aides d'État en relation avec le montant de celles-ci qui serait dû au titre d'une période antérieure à une décision de la Commission admettant la compatibilité desdites aides avec le marché commun.
25 À cet égard, il doit être relevé qu'une décision positive de la Commission met fin à l'interdiction de mise à exécution anticipée.
26 Lorsqu'un projet d'aide a été régulièrement notifié à la Commission et n'a pas été mis à exécution avant cette décision, il peut être mis à exécution à compter de celle-ci, y compris, le cas échéant, pour une période antérieure couverte par la mesure déclarée compatible.
27 Lorsque l'aide a été accordée au bénéficiaire en méconnaissance de l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE, le juge national, à la demande d'un autre opérateur, peut être amené à statuer, même après que la Commission a adopté une décision positive, sur la validité des actes d'exécution et sur le recouvrement des soutiens financiers accordés.
28 Il ressort de l'arrêt du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication (C-199-06, non encore publié au Recueil, point 46, ci-après l'"arrêt CELF") que, dans un tel cas, le droit communautaire impose au juge national d'ordonner les mesures propres à remédier effectivement aux effets de l'illégalité, mais que, même en l'absence de circonstances exceptionnelles, il ne lui impose pas une obligation de récupération intégrale de l'aide illégale.
29 Dans le même cas, en application du droit communautaire, le juge national est tenu d'ordonner au bénéficiaire de l'aide le paiement d'intérêts au titre de la période d'illégalité. Dans le cadre de son droit national, il peut, le cas échéant, ordonner en outre la récupération de l'aide illégale, sans préjudice du droit de l'État membre de mettre celle-ci à nouveau à exécution, ultérieurement. Il peut également être amené à accueillir des demandes d'indemnisation de dommages causés en raison du caractère illégal de l'aide (arrêt CELF, points 52 et 53).
30 Il apparaît ainsi que, dans l'hypothèse d'une mise à exécution illégale d'une aide suivie d'une décision positive de la Commission, le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que le bénéficiaire, d'une part, puisse réclamer le versement de l'aide due pour l'avenir, et, d'autre part, puisse conserver la disposition de l'aide octroyée antérieurement à la décision positive, sans préjudice des conséquences à tirer de l'illégalité de l'aide versée prématurément, dans les conditions précisées par l'arrêt CELF.
31 Le critère déterminant d'une possibilité pour un bénéficiaire d'obtenir, au titre d'une période antérieure à une décision positive, le versement d'une aide ou de conserver la disposition d'une aide déjà versée est donc la constatation, par la Commission, de la compatibilité de l'aide avec le marché commun.
32 Le droit communautaire ne fait dès lors pas obstacle à ce que le juge national statue dans un litige tel que celui en cause dans l'affaire au principal, qui oppose un bénéficiaire aux autorités nationales et met en cause le montant de l'aide due, mais non son principe.
33 La décision rendue par le juge national met un terme à la contestation, en rapprochant la situation de celle, examinée dans l'arrêt CELF, d'une aide mise à exécution prématurément et non contestée dans son montant.
34 Elle permet ensuite l'application des principes dégagés par ledit arrêt dans le cadre de l'interprétation de l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE.
35 Cette analyse n'est pas contredite par l'arrêt Van Calster e.a., précité, sur la portée duquel la juridiction de renvoi s'interroge.
36 Cet arrêt se rapporte non pas à la situation de bénéficiaires de l'aide, mais à celle d'opérateurs soumis rétroactivement à des cotisations destinées spécifiquement à financer un régime d'aides et, par suite, considérées comme faisant partie intégrante de celui-ci. Dans les affaires au principal ayant donné lieu audit arrêt, des cotisations avaient été prélevées au titre d'un précédent régime d'aides déclaré incompatible, antérieurement à une décision positive de la Commission concernant un nouveau régime d'aide remplaçant le premier et prévoyant l'imputation rétroactive de cotisations ainsi que la compensation de ces dernières avec celles effectivement perçues en exécution du régime d'aide antérieur.
37 Dans son arrêt, la Cour a jugé que l'article 93, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 3, CE) s'opposait, dans des circonstances telles que celles des affaires au principal, à la perception de cotisations imposées à titre rétroactif pour une période antérieure à la date de la décision positive de la Commission.
38 Ce faisant, elle a uniquement considéré que, du point de vue du tiers qui se voit imposer une charge financière avant une décision positive de la Commission, le seul moyen de remédier à son égard à l'illégalité d'une mise à exécution d'une mesure d'aide est d'aboutir au remboursement de ladite charge.
39 Il convient donc de répondre aux questions posées que l'interdiction de mise à exécution d'aides d'État prévue à l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE n'impose pas au juge national, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, de rejeter une demande d'un bénéficiaire d'aides d'État en relation avec le montant de celles-ci qui serait dû au titre d'une période antérieure à une décision de la Commission admettant la compatibilité desdites aides avec le marché commun.
Sur les dépens
40 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, LA COUR (deuxième chambre) dit pour droit:
L'interdiction de mise à exécution d'aides d'État prévue à l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE n'impose pas au juge national, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, de rejeter une demande d'un bénéficiaire d'aides d'État en relation avec le montant de celles-ci qui serait dû au titre d'une période antérieure à une décision de la Commission des Communautés européennes admettant la compatibilité desdites aides avec le marché commun.