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Décisions

TPICE, 5e ch., 18 décembre 2008, n° T-455/05

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Componenta Oyj, République de Finlande

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vilaras

Juges :

MM. Prek, Ciuca

Avocats :

Mes Savola, Järvinen

TPICE n° T-455/05

18 décembre 2008

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

Faits à l'origine du litige

1 La requérante, Componenta Oyj, est une société active dans le secteur de la métallurgie. Elle est établie à Helsinki (Finlande). En 2005, elle possédait des unités de production en Finlande, aux Pays-Bas et en Suède et elle employait environ 2 200 personnes, dont 45 % en Finlande. Son chiffre d'affaires était de 316 millions d'euro en 2004.

2 La ville de Karkkila (Finlande) est située dans la partie méridionale de la Finlande, à environ 70 km d'Helsinki. En 2004, elle abritait environ 8 800 habitants et une des deux fonderies de la requérante avec celle établie à Alvesta (Suède).

3 La requérante et la ville de Karkkila détenaient à parts égales Karkkilan Keskustakiinteistöt Oy (ci-après la " société immobilière ").

4 La société immobilière n'avait pas d'autre activité que l'investissement immobilier et d'autre personnel que celui chargé de sa gestion. Son patrimoine était formé exclusivement de biens immobiliers situés sur le territoire de la ville de Karkkila.

5 En contrepartie d'un investissement visant à étendre les capacités de production de la fonderie de Karkkila en lui transférant notamment l'outillage de la fonderie d'Alvesta, la requérante a conclu avec la ville de Karkkila une transaction qui comporte deux volets. D'une part, le 16 décembre 2003, la requérante et la ville de Karkkila ont signé un contrat en vertu duquel la ville de Karkkila acquiert la participation que la requérante détient dans la société immobilière. D'autre part, le 3 mars 2004, la ville de Karkkila a accordé à la société immobilière un prêt sans intérêts qui a permis à cette dernière de rembourser le prêt octroyé par la requérante en 1996. Au total, la requérante a ainsi perçu un montant de 2 383 276,5 euro (un montant de 713 092,5 euro dans le cadre du rachat d'actions et un montant de 1 670 184 euro dans le cadre du remboursement du prêt).

6 Par lettre du 10 mars 2004, un syndicat suédois, Metalls Verkstadsklubb vid Componenta Alvesta AB (syndicat des métallurgistes de Componenta Alvesta AB), a informé la Commission que la ville de Karkkila et la requérante avaient conclu une transaction susceptible de constituer une aide d'État. Sur la base de cette information, la Commission a invité la République de Finlande à lui fournir des explications. La République de Finlande s'est exécutée par lettre du 22 juin 2004.

7 Par lettre du 19 novembre 2004, la Commission a notifié à la République de Finlande sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE, au sujet de l'aide présumée.

8 La décision de la Commission d'ouvrir cette procédure a été publiée au Journal officiel de l'Union européenne (JO 2005, C 49, p. 11). La Commission a invité les parties intéressées à présenter leurs observations sur cette mesure.

9 Par lettre du 24 janvier 2005, le ministère du Commerce et de l'Industrie finlandais a transmis les observations de la ville de Karkkila à la Commission.

Décision attaquée

10 Le 20 octobre 2005, la Commission a adopté la décision 2006-900-CE, concernant l'aide d'état que la République de Finlande a mise en œuvre à titre d'aide à l'investissement au bénéfice de Componenta (JO 2006, L 353, p. 36, ci-après la " décision attaquée ").

11 L'article 1er, premier alinéa, de la décision attaquée prévoit :

" L'aide d'État d'un montant de 2 383 276,50 euro que la [République de] Finlande a mise en œuvre via le prix payé par la ville de Karkkila à [Componenta] pour le rachat des actions [détenues dans la société immobilière] (713 092,50 euro) et via le prêt sans intérêts accordé par la ville de Karkkila à [la société immobilière] (1 670 184 euro) pour permettre à [cette dernière] de rembourser à [Componenta] un prêt de même montant n'est pas conforme au marché commun. "

12 L'article 1er, second alinéa, de la décision attaquée prévoit :

" Le montant d'aide de 713 092,50 pourrait être revu à la baisse si la [République de] Finlande produit des preuves démontrant que la surévaluation des terrains, telle que décrite précédemment, est inférieure à 619 760 euro. Dans ce cas, ce montant d'aide sera corrigé de la valeur établie correspondante des actions de [la société immobilière] cédées à la ville de Karkkila. "

13 L'article 2 de la décision attaquée prévoit :

" 1. La [République de] Finlande prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès du bénéficiaire, [Componenta], l'aide illégalement mise à sa disposition visée à l'article 1er.

2. L'aide est récupérée sans délai et conformément aux procédures de droit national, pour autant que celles-ci permettent l'exécution immédiate et effective de la présente décision.

3. L'aide à récupérer comprend des intérêts, qui courent à compter de la date à laquelle elle a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu'à celle de sa récupération effective.

4. Ces intérêts sont calculés conformément aux dispositions du chapitre V du règlement (CE) n° 794-2004 du Conseil. "

14 S'agissant de l'accord de cession conclu entre la ville de Karkkila (acheteur) et la requérante (vendeur), la Commission a indiqué dans la décision attaquée que cet accord prévoyait ce qui suit :

" Le vendeur s'engage à réaliser, sur la commune de Karkkila, les investissements d'extension des capacités de production de [sa fonderie à Karkkila] précisés à l'annexe 1. Selon les estimations, ces investissements permettront de créer à Karkkila, en 2004, de 50 à 70 emplois directs à plein temps (outre les quelque 130 emplois existant en 2004).

Si le vendeur n'entreprend pas, en 2004, les investissements d'extension visés dans l'accord de cession selon les modalités énoncées au point précédent, l'acheteur se réserve le droit de résilier l'accord à tout moment. "

15 La Commission a également relevé que l'annexe 1 de l'accord de cession précisait que la requérante allait regrouper les activités des deux fonderies du groupe (celle d'Alvesta et celle de Karkkila), que ces deux unités de production sous-exploitées seraient fusionnées, qu'il convenait, d'une part, de procéder à des analyses sur la base desquelles l'emplacement de la nouvelle fonderie serait décidée et, d'autre part, d'engager les négociations entre l'employeur et les salariés sur la fermeture du site d'Alvesta ou de celui de Karkkila et qu'une planification détaillée de la nouvelle fonderie, y compris en ce qui concerne le transfert de l'outillage de l'autre fonderie, était nécessaire. Il était donc clair, selon la Commission, que la décision impliquait le transfert d'une unité de production de l'un des deux sites vers le second. En outre, dans son rapport annuel de 2004, la requérante indiquait que la fonderie d'Alvesta allait être fermée en mai 2004, avec transfert de ses capacités de production et de son outillage à Karkkila.

16 Au regard des modalités de l'accord de cession, la Commission a estimé que la transaction n'avait pas été effectuée aux conditions du marché, mais qu'il s'agissait d'une forme de compensation accordée à la requérante pour ses nouveaux investissements sur le territoire de la ville de Karkkila, en lien avec la fermeture de la fonderie d'Alvesta. D'une part, elle a constaté que l'investissement de la requérante avait constitué une condition directe de la transaction comme l'a également déclaré le conseil municipal de la ville de Karkkila lors de sa réunion du 1er septembre 2003. D'autre part, elle a relevé que, si cette condition n'avait pas été remplie, la ville de Karkkila aurait eu le droit d'annuler cette transaction et que cela prouvait que la décision de la ville n'était pas uniquement fondée sur la valeur de marché de la société immobilière mais également sur d'autres facteurs. Elle en a conclu que la ville de Karkkila n'avait pas agi dans le respect du principe de l'investisseur opérant en économie de marché suivant lequel un tel investisseur prend sa décision au regard du rendement attendu, indépendamment de toute considération sociale, de politique régionale ou sectorielle.

17 S'agissant de la valeur des actions, la Commission a estimé que celle-ci était nulle. Elle a relevé qu'un investisseur opérant en économie de marché tiendrait essentiellement compte comme critère d'évaluation du prix du marché du rendement attendu de son investissement. À cet égard, elle a observé que la société immobilière avait enregistré de mauvais résultats durant les quatre dernières années et que rien n'indiquait que la situation allait s'améliorer à l'avenir, ce qui laissait présager un rendement clairement négatif d'un investissement dans cette société. Elle en a conclu que le prix payé par la ville de Karkkila ne correspondait pas au prix du marché.

18 En effet, tout en reconnaissant que les prévisions de rendement à long terme pouvaient s'écarter du rendement effectivement enregistré au cours des années écoulées, la Commission a considéré qu'il n'était pas raisonnable d'escompter que la société immobilière puisse tirer un revenu suffisant de la vente et de la location de ses terrains compte tenu de leur valeur globale.

19 S'agissant de la valeur des terrains de la société immobilière, la Commission a affirmé que sa communication concernant les éléments d'aide d'État contenus dans des ventes de terrains et de bâtiments par les pouvoirs publics (JO 1997, C 209, p. 3) n'était pas directement applicable en l'espèce parce que la transaction ne portait pas sur des biens immobiliers, mais que cette communication pouvait néanmoins être appliquée par analogie parce qu'elle couvrait aussi bien la vente que l'achat de terrains par des entités publiques et parce que la République de Finlande soutenait que les actions de la société immobilière avaient été évaluées sur la base de la valeur des terrains possédés par cette dernière.

20 La Commission a relevé, en l'espèce, que la vente n'avait pas été effectuée dans le cadre d'une procédure d'offre inconditionnelle et que, par conséquent, une évaluation de la valeur des terrains aurait dû être effectuée par un expert indépendant. Selon elle, la question était donc de savoir si l'évaluation invoquée par la République de Finlande répondait à cette définition. À cet égard, la Commission a tout d'abord noté que le bref rapport de l'agent immobilier transmis par la République de Finlande ne précisait pas clairement avoir trait à l'évaluation des terrains possédés par la société immobilière.

21 Ensuite, après avoir examiné le contenu dudit rapport relatif à l'évaluation des différents types de terrains de la société immobilière, la Commission a considéré que les terrains de la société immobilière n'avaient pas été correctement évalués et que leur évaluation n'avait pas été effectuée conformément aux principes énoncés en la matière dans sa communication concernant les éléments d'aide d'État contenus dans des ventes de terrains et de bâtiments par les pouvoirs publics.

22 En particulier, l'évaluation des terrains pour maisons individuelles, pour immeubles à étages et de plain-pied et pour parcs et espaces publics aurait pâti de deux erreurs : d'une part, l'évaluation n'aurait pas porté expressément sur les terrains concernés ; d'autre part, la valeur estimée ne correspondrait pas au prix qu'aurait obtenu, au moment de la transaction, un investisseur opérant en économie de marché vendant l'ensemble des terrains en une seule opération.

23 La Commission en a conclu, d'une part, que, si l'on tenait uniquement compte de la surévaluation du terrain d'Asemansuo, la valeur globale des terrains possédés par la société immobilière et, partant, la valeur de l'entreprise, telle que calculée sur la base de ses actifs, chutait déjà de 876 158 euro à 619 760 euro et, d'autre part, que la valeur des terrains pour maisons individuelles, pour immeubles à étages et de plain-pied et pour parcs et espaces publics avait été surestimée de plus de 619 760 euro.

24 Cette valeur correspondrait, en effet, à la valeur nette résiduelle de la société immobilière, telle que calculée par la République de Finlande, après correction de la valeur excessive attribuée au terrain d'Asemansuo. Il s'ensuivrait que, même en calculant ainsi la valeur des actions de la société immobilière, l'intégralité du prix payé par la ville de Karkkila pour leur acquisition constituait une aide à la requérante.

25 S'agissant du remboursement du prêt, la Commission a tout d'abord rejeté l'affirmation de la République de Finlande selon laquelle la situation financière de la société immobilière était bonne. En faisant référence à son estimation des terrains possédés par la société immobilière, elle a relevé que leur valeur ne correspondait pas aux 5 052 459 euro estimés dans une note en bas de page du rapport annuel de 2003 de la société immobilière.

26 Selon la Commission, les rapports annuels de 2001, de 2002 et de 2003 de la société immobilière montraient que la demande de terrains avait été particulièrement faible de 2000 à 2003, que celle-ci retirait de très maigres revenus de ses terrains et qu'elle se trouvait dans une situation comptable inhabituelle avec la persistance de fonds propres négatifs. La Commission a souligné que, si un taux d'intérêt normal avait été appliqué à ces prêts, la société immobilière se serait trouvée dans une situation bien pire.

27 Ensuite, la Commission a estimé que, compte tenu de sa situation financière, la société immobilière n'aurait pas pu obtenir un prêt soumis à un taux d'intérêt de marché à la place de ses deux prêts sans intérêts ou même d'une partie desdits prêts sans intérêts. Or, selon elle, un investisseur opérant en économie de marché ayant accordé un prêt sans intérêt aurait exigé un remboursement par tranches de même montant aux deux prêteurs. Elle en a conclu que la mesure en vertu de laquelle la ville de Karkkila a accordé à la société immobilière un prêt sans intérêt de 1,67 million d'euro afin de rembourser le prêt octroyé par la requérante en 1996 n'était pas conforme au principe de l'investisseur opérant en économie de marché et constituait une aide d'État au bénéfice de la requérante.

Procédure et conclusions de parties

28 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 décembre 2005, la requérante a introduit le présent recours.

29 Par acte séparé, déposée au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit une demande en référé, en vertu de l'article 242 CE, visant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de la décision litigieuse. La Commission a présenté ses observations écrites sur la demande en référé le 23 janvier 2006. Par ordonnance du 25 avril 2006, le président du Tribunal a rejeté la demande en référé.

30 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 18 janvier 2006, la République de Finlande a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la partie requérante.

31 Par ordonnance du 20 février 2006, le président du Tribunal a admis la République de Finlande à intervenir.

32 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64 de son règlement de procédure, a invité la Commission et la République de Finlande à répondre par écrit à une question. Les parties ont déféré à cette demande dans les délais impartis.

33 Lors de l'audience, qui s'est déroulée le 23 avril 2008, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal.

34 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision attaquée ;

- condamner la Commission aux dépens.

35 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer le recours irrecevable ;

- subsidiairement, rejeter le recours comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit ;

- encore plus subsidiairement, rejeter le recours comme non fondé ;

- condamner la requérante aux dépens.

36 La République de Finlande se rallie aux conclusions en annulation présentées par la requérante.

En droit

1. Sur la recevabilité

Sur le manque de clarté et de précision de la requête

Arguments des parties

37 La Commission soutient que la requête ne remplit pas la condition posée à l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure selon laquelle toute requête doit contenir " l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens invoqués ". Elle en déduit que le recours doit être rejeté comme irrecevable dans son intégralité.

38 Selon la Commission, le manque de clarté et de précision de la requête rend impossible toute identification des éléments de droit et de fait sur lesquels se fonde l'argumentation de la requérante. Dès lors, l'exercice des droits de la défense serait tellement compliqué que déclarer un tel recours recevable serait constitutif d'une violation desdits droits.

39 La Commission fait également valoir que l'ordre dans lequel les moyens sont présentés dans l'exposé sommaire des moyens invoqués ne correspond pas à l'ordre dans lequel les arguments sont développés par la requérante dans sa requête et que de nombreux titres de chapitres ne mentionnent pas les moyens invoqués par la requérante. Par ailleurs, elle souligne que la requérante ne présente aucun élément de nature à étayer un non-respect du principe de proportionnalité ou une violation des formes substantielles et que la requérante semble confondre la violation des formes substantielles avec le détournement de pouvoir qui constituent pourtant des moyens d'annulation distincts.

40 La Commission ajoute que le fait qu'un moyen ait été soulevé dans tel ou tel point de la requête ne signifie pas que la requérante ait avancé le moindre argument à l'appui de ce moyen. Cette remarque vaudrait, en particulier, pour les griefs tirés de la violation des formes substantielles et du principe de proportionnalité. Selon la Commission, la requérante n'apporte aucun argument à cet égard et il lui est impossible de se défendre en l'absence du moindre argument. Elle estime qu'il ne suffit pas d'avancer diverses allégations n'ayant aucun rapport entre elles pour conclure ensuite à une violation de certains principes dégagés par la jurisprudence.

41 La requérante soutient que les conclusions de la Commission tendant à l'irrecevabilité du recours doivent être rejetées étant donné que le recours est conforme à l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, puisqu'il contient l'objet du litige et un exposé sommaire des moyens invoqués.

42 La requérante affirme également que la requête précise de façon cohérente et compréhensible les éléments de fait et de droit sur lesquels se fondent les moyens invoqués à l'appui de son recours.

43 La requérante fait observer en outre que, aux termes de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, " [s]i une partie demande que le Tribunal statue sur l'irrecevabilité, l'incompétence ou sur un incident, sans engager le débat au fond, elle présente sa demande par acte séparé ". La Commission n'ayant pas présenté d'acte séparé pour demander au Tribunal de statuer sur l'irrecevabilité du recours sans engager le débat au fond, elle devrait être considérée comme ayant renoncé à son droit.

Appréciation du Tribunal

44 À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la requête doit notamment contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. En outre, en vertu de la jurisprudence, indépendamment de toute question de terminologie, cet exposé doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans avoir à solliciter d'autres informations. Il faut, en effet, que, pour qu'un recours soit recevable, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d'une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même, et ce afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Roquette Frères/Commission, T-322-01, Rec. p. II-3137, point 208, et la jurisprudence citée ).

45 Par ailleurs, la seule énonciation abstraite des moyens dans la requête ne répond pas aux exigences du règlement de procédure et la requête doit expliciter en quoi consistent les moyens sur lesquels le recours est fondé (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 15 décembre 1961, Fives Lille Cail e.a./Haute Autorité, 19-60, 21-60, 2-61 et 3-61, Rec. p. 559, 561).

46 En l'espèce, la requête indique, avec suffisamment de clarté, que le présent recours a pour objet l'annulation de la décision par laquelle la Commission a constaté que la requérante a bénéficié d'une aide, accordée par la ville de Karkkila, d'un montant maximal de 2 383 276,5 euro. Il ressort aussi de la requête que la requérante invoque, à cette fin, un moyen tiré d'une violation de l'article 87 CE qui se décompose en cinq branches.

47 La requérante prétend que l'article 87 CE a été violé en ce que, premièrement, la méthode d'évaluation des actions d'une société immobilière appliquée par la Commission ne répond pas au principe de l'investisseur opérant en économie de marché, deuxièmement, le calcul de la valeur des terrains de la société immobilière effectué par la Commission est entaché de plusieurs erreurs, troisièmement, la conclusion selon laquelle le remboursement du prêt n'a pas respecté le principe de l'investisseur opérant en économie de marché est également erronée, quatrièmement, la Commission n'a pas respecté ses propres lignes directrices relatives à l'interprétation des dispositions relatives aux aides d'État et, cinquièmement, la Commission a interprété d'une façon erronée la clause conditionnelle contenue dans l'accord de cession des actions de la société immobilière.

48 Il y a également lieu de considérer que les imperfections formelles de la requête ne sauraient suffire à faire déclarer le recours irrecevable dès lors que l'argumentation développée dans la requête, au soutien du moyen relatif à la violation de l'article 87 CE, est suffisamment claire pour permettre au Tribunal d'exercer son contrôle juridictionnel sur la légalité de la décision litigieuse et à la partie défenderesse de présenter utilement sa défense (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 16 octobre 1996, Knijff/Cour des comptes, T-378-94, RecFP p. I-A-479 et II-1341, points 18 et 19).

49 La Commission ne saurait donc prétendre qu'elle n'a pas été en mesure de se défendre. Les points 38 à 86 du mémoire en défense et 19 à 35 du mémoire en duplique témoignent d'ailleurs du contraire.

50 En revanche, la requête ne contient aucun autre moyen qui satisfasse aux prescriptions de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure.

51 Ainsi, contrairement à ce que prétend la requérante, et même si la requête contient plusieurs références explicites aux moyens tirés de la violation des formes substantielles, du détournement de pouvoir et de la violation du principe de proportionnalité, force est de constater qu'aucune argumentation suffisamment claire n'est développée au soutien de ceux-ci et il y a lieu, dès lors, de les déclarer irrecevables comme ne satisfaisant pas aux exigences de la jurisprudence rappelées au point 45 ci-dessus.

52 Il résulte des développements qui précèdent que le Tribunal n'a été valablement saisi que du moyen tiré d'une violation de l'article 87 CE.

53 Dès lors, il y a lieu de déclarer le recours recevable dans cette limite.

Sur le fondement du recours sur des faits survenus après la décision attaquée

Arguments des parties

54 La Commission soutient qu'il y a lieu de déclarer irrecevable la requête ou, à tout le moins, la très grande majorité des allégations que la requête contient, car elle se fonde sur des éléments de fait apparus après l'adoption de la décision attaquée. Selon la Commission, les affirmations avancées par la requérante concernant le détournement de pouvoir et la violation de l'article 87 CE se fondent entièrement sur deux avis d'experts commandés par la requérante et rendus après la décision attaquée. La Commission fait référence en particulier à deux documents annexés à la requête, à savoir le rapport d'expertise du 2 décembre 2005 et celui du 19 décembre 2005. La Commission soutient en outre que toute l'argumentation de la requérante repose en pratique sur ces deux avis d'experts.

55 La Commission rappelle que ces rapports d'expertise contiennent des éléments de fait postérieurs à la décision attaquée et qu'ils constituent de nouveaux éléments de fait postérieurs à la décision, dont la Commission ne disposait pas au moment de son adoption. La légalité de la décision attaquée ne saurait donc être appréciée au regard de telles expertises, commandées par la requérante après son adoption par la Commission. Par ailleurs, la requérante n'aurait pas fait usage de la possibilité qui lui était offerte de soumettre les résultats de semblables expertises avant l'adoption de la décision attaquée, au cours de la procédure formelle d'examen ouverte conformément à l'article 88, paragraphe 2, CE.

56 Bien qu'elle considère que les résultats des expertises annexés à la requête confortent, en réalité, l'évaluation qu'elle a réalisée en l'espèce, la Commission est d'avis qu'il est essentiel de prononcer, d'une manière générale et par principe, l'irrecevabilité desdits rapports d'expertise et au-delà de l'intégralité du recours ou, à tout le moins, du chapitre VIII de la requête. La présentation de nouveaux éléments de fait sous la forme de rapport d'expertise postérieurs à la décision attaquée serait de nature à transformer la procédure juridictionnelle en procédure administrative.

57 La Commission invoque à l'appui de ses conclusions la jurisprudence selon laquelle la légalité d'une décision en matière d'aides d'État doit être appréciée en fonction des éléments d'information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l'a arrêtée.

58 La requérante répond que, dans le mémoire en défense, la Commission ne précise cependant pas quels éléments de fait mentionnés dans les rapports d'expertise auraient été ignorés de la Commission au moment de la procédure d'examen.

59 La requérante fait observer que les deux rapports portent sur des éléments de fait et des informations communiqués à la Commission dès le stade de la procédure d'examen et sur la base desquels elle a pris la décision attaquée.

Appréciation du Tribunal

60 Il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d'un recours en annulation fondé sur l'article 230 CE, la légalité de l'acte communautaire concerné doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où cet acte a été adopté (arrêt de la Cour du 7 février 1979, France/Commission, 15-76 et 16-76, Rec. p. 321, point 7 ; arrêts du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission, T-371-94 et T-394-94, Rec. p. II-2405, point 81, et du 14 janvier 2004, Fleuren Compost/Commission, T-109-01, Rec. p. II-127, point 50).

61 Ainsi, la légalité d'une décision en matière d'aides d'État doit être appréciée en fonction des éléments d'information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l'a arrêtée (arrêt de la Cour du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, 234-84, Rec. p. 2263, point 16, et du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C-74-00 P et C-75-00 P, Rec. p. I-7869, point 168). Un requérant ne saurait ainsi se prévaloir devant le juge communautaire d'éléments de fait qui n'ont pas été avancés au cours de la procédure précontentieuse prévue à l'article 88 CE (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C-278-92 à C-280-92, Rec. p. I-4103, point 31 ; du 13 juin 2002, Pays-Bas/Commission, C-382-99, Rec. p. I-5163, points 49 et 76, et arrêt Fleuren Compost/Commission, précité, point 51).

62 En l'espèce, il n'est pas contesté que les rapports d'expertise du 2 et du 19 décembre 2005 ont été demandés par la requérante, après l'adoption de la décision attaquée.

63 Toutefois, la requérante conteste l'irrecevabilité des rapports d'expertise en faisant observer que les éléments de fait sur la base desquels la décision attaquée a été adoptée, ont été communiqués à la Commission dès le stade de la procédure d'examen.

64 Cette thèse de la requérante ne saurait être retenue.

65 En effet, les rapports d'expertise annexés à la requête constituent de nouveaux éléments de fait postérieurs à la décision attaquée dont la Commission ne disposait pas au moment de l'adoption de cette dernière. En outre, la requérante n'a pas fait usage de la possibilité qui lui était offerte de soumettre les résultats de semblables expertises avant l'adoption de la décision, au cours de la procédure formelle d'examen ouverte conformément à l'article 88 CE.

66 Ces rapports ainsi que tous les arguments de la requérante qui s'appuient sur ceux-ci ne doivent pas, par conséquent, être pris en considération par le Tribunal dans son appréciation de la légalité de la décision attaquée.

67 Néanmoins, le Tribunal considère que, même en ne prenant pas en considération les arguments de la requérante fondés sur les rapports d'expertise, le recours demeure recevable au regard des autres éléments qu'il contient.

2. Sur le fond

Sur l'application de l'article 111 du règlement de procédure

Arguments des parties

68 La Commission estime que les conditions visées à l'article 111 du règlement de procédure sont réunies pour statuer par voie d'ordonnance motivée.

69 Elle rappelle en particulier que, si l'on tient compte du fait que la requête repose entièrement sur deux rapports d'expertise commandés après l'adoption de la décision attaquée et sur la base desquels la légalité de cette décision ne saurait donc être appréciée, cette requête se résumerait alors tout au plus à un cadre introductif.

70 La requérante conteste le bien-fondé de l'argument exposé par la Commission Selon elle, dans le mémoire en défense, la Commission n'apporte aucun élément sur la base duquel le Tribunal pourrait considérer le recours comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit au sens de l'article 111 du règlement de procédure. La requérante soutient, au contraire, que le recours est solidement étayé et renvoie au texte de la requête ainsi qu'aux considérations développées dans le mémoire en réplique.

Appréciation du Tribunal

71 Aux termes de l'article 111 du règlement de procédure, lorsque le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître d'un recours ou lorsque celui-ci est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d'ordonnance motivée.

72 En l'espèce, il suffit de relever que la Commission n'apporte aucun élément sur la base duquel le Tribunal pourrait considérer le recours comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit au sens de l'article 111 du règlement de procédure.

73 En outre, les allégations de la Commission relatives à l'irrecevabilité totale ou partielle des deux rapports d'expertise commandés après l'adoption de la décision attaquée ont déjà été examinées ci-dessus à propos de la recevabilité du recours.

74 Il y a donc lieu de considérer que les conditions visées à l'article 111 du règlement de procédure ne sont pas réunies pour statuer par voie d'ordonnance motivée.

Sur la violation de l'article 87 CE

75 Au soutien de ses conclusions en annulation, la requérante invoque la violation de l'article 87 CE, en ce que, premièrement, la méthode d'évaluation des actions d'une société immobilière appliquée par la Commission ne répond pas au principe de l'investisseur privé opérant dans une économie de marché, deuxièmement, le calcul de la valeur des terrains de la société immobilière effectué par la Commission est entaché de plusieurs erreurs, troisièmement, la conclusion selon laquelle le remboursement du prêt n'a pas respecté le principe de l'investisseur opérant en économie de marché est aussi erronée, quatrièmement, la Commission n'a pas respecté ses propres lignes directrices relative à l'interprétation des dispositions relatives aux aides d'État et, cinquièmement, la Commission a interprété d'une façon erronée la clause conditionnelle contenue dans le contrat de vente des actions de la société immobilière.

Sur la méthode d'évaluation des actions

- Arguments des parties

76 La requérante soutient que la valeur des actions d'une société immobilière ne repose pas sur les résultats annuels apparaissant dans le compte de pertes et profits ou sur un rendement attendu, mais exclusivement sur la valeur marchande des biens immobiliers qui sont la propriété de la société. En effet, selon la requérante, cette valeur intègre déjà le rendement futur du capital immobilier en question.

77 Il en découlerait que la valeur marchande des actions d'une société immobilière serait déterminée par la différence entre les dettes de cette société et la valeur marchande de ses investissements immobiliers.

78 La requérante affirme que la Commission a utilisé une méthode d'évaluation qui exige, pour que les actions de la société immobilière puissent être considérées comme ayant une valeur financière, outre l'évolution de la valeur marchande des investissements immobiliers et leur rendement futur intégré dans cette évolution, l'existence d'un bénéfice d'exploitation substantiel.

79 La République de Finlande n'est pas convaincue par la méthode utilisée par la Commission pour déterminer la valeur de la société immobilière. Selon elle, la Commission a appliqué le principe de l'investisseur opérant en économie de marché de façon erronée et contraire au droit communautaire.

80 La République de Finlande soutient que la Commission n'a pas suffisamment tenu compte des caractéristiques de la société immobilière pour fonder son évaluation sur le critère du rendement attendu, qui n'est applicable que sous certaines conditions et à un achat normal d'actions.

81 Selon la République de Finlande, le Tribunal a constaté dans son arrêt du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission (T-228-99 et T-233-99, Rec. p. II-435, point 251), que le rendement moyen ne peut pas être un critère automatique pour déterminer l'existence et l'ampleur d'une aide d'État. L'application de ce critère ne dispenserait pas la Commission de son obligation de faire une analyse complète de tous les éléments pertinents de la transaction en cause et de son contexte.

82 La Commission répond qu'elle a évalué la valeur des actions de la société immobilière sous deux angles différents et que cette double analyse apparaît très clairement dans la motivation de la décision attaquée.

83 La Commission explique qu'elle s'est tout d'abord penchée sur le revenu annuel escompté des actions et du capital investi afin de s'assurer que le retour sur investissement était raisonnable par rapport à d'autres alternatives de placement. Selon elle, cette analyse est essentiellement présentée aux points 31 à 34 de la décision attaquée. Elle aurait ensuite apprécié la valeur des actions de la société immobilière en se fondant spécifiquement sur la valeur nette des avoirs de celle-ci. Contrairement à ce qui est soutenu par la requérante, la Commission affirme avoir étudié dans le détail la valeur des actions de la société immobilière sur la base de la valeur nette de ses actifs, soit la base que la requérante et la République de Finlande considèrent justement comme le critère déterminant. Le résultat final de la double analyse effectuée par la Commission serait présenté aux considérants 49 et 50 de la décision attaquée.

- Appréciation du Tribunal

84 Il est constant que, pour déterminer la valeur des actions de la société immobilière, la Commission a pris en compte les résultats comptables historiques de celle-ci découlant de son compte de pertes et profits et l'amélioration possible des profits pour les années à venir.

85 À cet égard, il faut rappeler une jurisprudence constante du Tribunal en matière d'aides d'État selon laquelle le comportement d'un investisseur privé dans une économie de marché est guidé par des perspectives de rentabilité (voir arrêt du Tribunal du 12 décembre 2000, Alitalia/Commission, T-296-97, Rec. p. II-3871, point 84, et la jurisprudence citée).

86 La Cour a également précisé que, si le comportement de l'investisseur privé, auquel doit être comparé l'intervention de l'investisseur public poursuivant des objectifs de politique économique, n'est pas nécessairement celui de l'investisseur ordinaire plaçant des capitaux en vue de leur rentabilisation à plus ou moins court terme, il doit, au moins, être celui d'une holding privée ou d'un groupe privé d'entreprises poursuivant une politique structurelle, globale ou sectorielle et guidé par des perspectives de rentabilité à plus long terme (arrêt de la Cour du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C-42-93, Rec. p. I-4175, point 14).

87 La Cour a également jugé qu'un associé privé peut raisonnablement apporter le capital nécessaire pour assurer la survie d'une entreprise qui connaît des difficultés passagères, mais qui, le cas échéant, après une restructuration, serait en mesure de retrouver sa rentabilité. Il y a lieu, dès lors, d'admettre qu'une société mère peut également, pendant une période limitée, supporter les pertes d'une de ses filiales afin de permettre la cessation d'activité de cette dernière dans les meilleures conditions. Toutefois, lorsque les apports de capitaux d'un investisseur public font abstraction de toute perspective de rentabilité, même à long terme, de tels apports doivent être considérés comme des aides au sens de l'article 87 CE (arrêt de la Cour du 21 mars 1991, Italie/Commission, C-303-88, Rec. p. I-1433, points 21 et 22).

88 En l'espèce, la Commission a notamment utilisé, à juste titre et sur la base d'une jurisprudence constante, le critère du rendement attendu pour évaluer les actions de la société immobilière.

89 Elle a examiné la valeur des actions de la société immobilière sous deux aspects différents, à savoir le rendement passé de ses actions et leur rendement futur, ce dernier étant étroitement lié à la valeur nette des actifs de la société immobilière en raison de l'objet social de cette dernière.

90 Ainsi, au considérant 34 de la décision attaquée, la Commission indique de manière explicite que, " [s]'agissant du rendement attendu, la question cruciale est de savoir s'il est raisonnable d'escompter que [la société immobilière] tire un revenu suffisant de la vente et de la location de ses terrains ", en précisant que " [c]ette question est liée à l'appréciation de la valeur globale des terrains ". La Commission ajoute, en outre, qu'il est vrai " qu'un investisseur du marché tient lui aussi compte de la valeur nette des actifs lorsqu'il prend sa décision " (considérant 35 de la décision attaquée).

91 Par ailleurs, la requérante, soutenue par la République de Finlande, considère en substance que la valeur des actions d'une société immobilière serait déterminée par la différence entre les dettes de cette société et la valeur de ses investissements immobiliers.

92 Il apparaît ainsi que, dans la présente affaire, toutes les parties sont du même avis en ce qui concerne la valeur du patrimoine immobilier. Il s'agit du facteur déterminant pour évaluer les actions de la société immobilière.

93 Il y a donc lieu de rejeter l'argument de la requérante selon lequel la Commission aurait utilisé une méthode erronée pour évaluer les actions de la société immobilière.

Sur le calcul prétendument erroné de la valeur des terrains de la société immobilière

94 Dans la décision attaquée, la Commission a estimé que le premier volet de la transaction portant sur l'acquisition par la ville de Karkkila de la participation détenue par la requérante dans la société immobilière comportait un élément d'aide, en l'occurrence l'intégralité du prix payé par la collectivité locale, soit 713 092,50 euro.

95 Cette conclusion est le résultat d'une appréciation chiffrée présentée de manière schématique dans le tableau n° 2 de la décision attaquée. La Commission a déduit de la valeur nette de la société immobilière (1 495 918 euro), telle que retenue par la République de Finlande et mentionnée au tableau n° 1, la surévaluation du terrain d'Asemansuo (876 158 euro), telle qu'estimée sur la base du rapport de l'agent immobilier transmis par la République de Finlande, pour déterminer la valeur nette de la société immobilière après correction, soit 619 760 euro. Considérant que les autres terrains de la société immobilière ont été surévalués de plus de 619 760 euro, la Commission en conclut que la valeur des actions de celle-ci était " nulle ".

96 Il apparaît ainsi que l'évaluation chiffrée des terrains de la société immobilière est déterminante pour établir l'existence même d'une aide au sens de l'article 87 CE ainsi que, subséquemment et corrélativement, le montant de cette aide déclaré incompatible et dont la Commission a ordonné la récupération à l'article 2 de la décision attaquée.

97 Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la notion d'aide est une notion objective et fonction de la seule question de savoir si une mesure étatique confère ou non un avantage à une ou à certaines entreprises. Par conséquent, la qualification d'une mesure d'aide d'État, qui selon le traité, incombe tant à la Commission qu'au juge national, ne saurait, en principe, justifier, en l'absence de circonstances particulières dues notamment à la nature complexe de l'intervention étatique en cause (arrêts de la Cour du 29 février 1996, Belgique/Commission, C-56-93, Rec. p. I-723, points 10 et 11, et du Tribunal du 12 décembre 1996, Air France/Commission, T-358-94, Rec. p. II-2109, point 71), comme en l'espèce, la reconnaissance d'un large pouvoir d'appréciation à la Commission (voir arrêt du Tribunal du 27 janvier 1998, Ladbroke Racing/Commission, T-67-94, Rec. p. II-1, point 52, et la jurisprudence citée).

98 Il y a lieu de rappeler, par ailleurs, que la Commission est tenue de motiver ses décisions portant sur la qualification d'une mesure d'aide au sens de l'article 87 CE (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 30 avril 1998, Cityflyer Express/Commission, T-16-96, Rec. p. II-757, point 66).

99 Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, la motivation exigée par l'article 253 CE doit faire apparaître, d'une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte incriminé, de façon à permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle et aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits. Toutefois, il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents. La question de savoir si la motivation d'une décision satisfait aux exigences de l'article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte, ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt de la Cour du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C-350-88, Rec. p. I-395, points 15 et 16, et la jurisprudence citée).

100 Ainsi, même si la Commission n'est pas obligée de discuter tous les points de fait et de droit dans la motivation des décisions qu'elle est amenée à prendre pour assurer l'application des règles de concurrence, il n'en reste pas moins qu'elle est tenue, en vertu de l'article 253 CE, de mentionner, à tout le moins, les faits et les considérations revêtant une importance essentielle dans l'économie de sa décision, permettant ainsi au juge communautaire et aux parties intéressées de connaître les conditions dans lesquelles elle a fait application du traité (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T-374-94, T-375-94, T-384-94 et T-388-94, Rec. p. II-3141, point 95, et la jurisprudence citée).

101 En l'espèce, il faut relever que les faits et les considérations revêtant une importance essentielle dans l'économie de la décision attaquée sont constitués par l'évaluation des terrains de la société immobilière effectuée par la Commission au regard du rapport de l'agent immobilier qui a été transmis par la République de Finlande.

102 Or, force est de constater que la Commission ne précise pas clairement dans la décision attaquée sur quelle base elle est arrivée à conclure que la surévaluation des terrains de la société immobilière, à l'exception du terrain d'Asemansuo, est de plus de 619 790 euro, ce qui constitue une des prémisses de son raisonnement selon lequel le montant total de l'aide, concernant le premier volet de l'opération, est de 713 092,50 euro.

103 À l'appui de son affirmation de surévaluation, la Commission fait valoir, de manière générale, que les terrains de la société immobilière auraient dû faire l'objet d'une évaluation par un expert indépendant (voir considérants 36, 40 et 46 de la décision attaquée), à laquelle ne saurait, en substance, être assimilé le bref rapport de l'agent immobilier transmis par la République de Finlande, qui ne préciserait pas clairement avoir trait à l'évaluation des terrains concernés (voir considérants 37 et suivants de la décision attaquée).

104 Il y a lieu, toutefois, de relever que l'appréciation chiffrée de la Commission est précisément fondée sur l'estimation du terrain d'Asemansuo fournie par cet agent immobilier, qualifié par la suite dans la décision attaquée d'" expert immobilier ".

105 Il convient de rappeler, à cet égard, que, lorsqu'elle considère que des aides ont été accordées sans lui avoir été notifiées et sont, dès lors, illégales, la Commission a notamment le pouvoir d'enjoindre à l'État membre concerné de lui fournir toutes les informations nécessaires à son examen ; c'est seulement lorsque l'État membre concerné omet, nonobstant l'injonction qui lui est adressée, de fournir les informations sollicitées que la Commission a le pouvoir de fonder sa décision sur les éléments dont elle dispose (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 14 février 1990, France/Commission, C-301-87, Rec. p. I-307, points 19 et 22 ; du 13 avril 1994, Allemagne et Pleuger Worthington/Commission, C-324-90 et C-342-90, Rec. p. I-1173, point 26 ; arrêt du Tribunal du 16 septembre 2004, Valmont/Commission, T-274-01, Rec. p. II-3145, point 55).

106 Le pouvoir conféré à la Commission d'enjoindre à l'État membre concerné de lui fournir des informations est prévu par le règlement (CE) nº 659-1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article [88 CE] (JO L 83, p. 1). L'article 10 dudit règlement confère à la Commission le pouvoir d'adresser à l'État membre concerné, successivement, une demande de renseignements complémentaires si elle considère que les informations fournies par l'État membre concerné sont incomplètes (article 10, paragraphe 2, et, par renvoi, article 5, paragraphe 1, dudit règlement), puis, le cas échéant, un rappel (article 10, paragraphe 2, et, par renvoi, article 5, paragraphe 2, du même règlement) et, enfin, une injonction de fournir des informations (article 10, paragraphe 3, du même règlement).

107 Il s'ensuit que la Commission peut adopter une décision finale lorsqu'elle estime disposer de toutes les informations nécessaires et que c'est seulement lorsque l'État membre concerné omet, nonobstant l'injonction qui lui est adressée, de fournir les informations complémentaires sollicitées que la Commission a le pouvoir de fonder sa décision sur les éléments dont elle dispose (voir, en ce sens, arrêt Valmont/Commission, précité, points 56 à 58, et la jurisprudence citée).

108 Or, dans la présente affaire, tout en s'étant abstenue d'adresser une injonction à la République de Finlande en vue d'obtenir une évaluation des terrains conforme à ses attentes, la Commission invoque l'absence d'une telle évaluation pour conclure à une appréciation erronée de la valeur desdits terrains dans le rapport de l'agent immobilier transmis par la République de Finlande. Au surplus, la Commission a, tout à la fois, pris en compte le rapport de l'agent immobilier en cause pour le terrain d'Asemansuo et écarté l'évaluation des autres terrains de la société immobilière contenue dans le même document.

109 Il y a lieu de relever que, s'agissant des terrains pour maisons individuelles, lesquels ont été évalués sur la base du prix au mètre carré officiellement appliqué par la ville de Karkkila, la Commission " estime " qu'il s'agit d'un prix de détail (considérant 39 de la décision attaquée) ou que, s'agissant des terrains pour immeubles à étage et de plain-pied, l'agent immobilier " semble " fournir un prix de détail (considérant 43 de la décision attaquée), lequel s'opposerait au prix de gros prétendument inférieur desdits terrains.

110 Il convient également de constater que la Commission utilise elle-même des formulations hypothétiques qui révèlent qu'elle n'est pas en mesure de contester avec une précision suffisante l'évaluation fournie par la République de Finlande.

111 En particulier, la Commission n'explique pas la raison pour laquelle la valeur des terrains pour maisons individuelles évalués par la ville de Karkkila à 10,19 euro par mètre carré, ne correspondrait pas à un prix de gros étant donné que cette évaluation est bien en dessous du prix moyen de 12,12 euro par mètre carré que l'agent immobilier avait attribué à ces types de terrains. La Commission ne précise pas non plus la valeur qu'elle aurait attribuée à ce type de terrains.

112 Concernant les terrains pour immeubles à étages et de plain-pied, évalués à 1 136 849 euro, la République de Finlande renvoie à l'évaluation effectuée par l'agent immobilier. La Commission note que, selon celui-ci, la valeur des terrains pour immeubles de plain-pied se situe entre 70 et 80 euro par mètre carré au sol et pour les immeubles à étages entre 60 et 75 euro par mètre carré au sol. La République de Finlande a retenu une valeur de 74,02 euro par mètre carré au sol dans le premier cas et de 79,56 euro par mètre carré au sol dans le second. La Commission indique elle-même que ces chiffres se situent donc dans la fourchette fournie par l'agent immobilier, voire sont légèrement supérieurs et que l'agent immobilier souligne, en outre, qu'au cours des dernières années, les transactions portant sur ce type de terrains ont été rares et la demande reste faible.

113 La Commission constate que, pour ce type de terrains également, l'agent immobilier semble fournir un prix de détail, et non un prix de gros, qui serait le prix qu'un investisseur opérant en économie de marché paierait lors de l'achat en une fois de l'ensemble des terrains. L'agent immobilier ayant souligné la faiblesse persistante de la demande pour ce type de terrains, la Commission estime que leur prix de marché de gros au moment de la transaction a été clairement surévalué.

114 Afin d'écarter cette évaluation, la Commission n'indique pas précisément de quelle façon le prix de gros s'écarterait du prix estimé par l'agent immobilier et met en rapport la faiblesse de la demande pour ce type de terrains avec l'affirmation de principe que " leur prix de marché de gros au moment de la transaction a été clairement surévalué ", alors même que la caractéristique du marché concerné a été clairement prise en compte par l'agent immobilier. La Commission ne précise pas non plus quelle valeur elle aurait attribué à ces types de terrains.

115 Enfin, quant aux terrains destinés à être transformés en parcs et en espaces publics, évalués à 491 738 euro, la Commission " doute " qu'ils aient valu autant. En effet, n'étant pas censés être exploités dans un but lucratif, ils ne généreront pas de profits, et c'est la raison pour laquelle un investisseur du marché ne serait pas prêt à débourser pareille somme.

116 Si la Commission ne semble pas attribuer cette valeur aux terrains de la société immobilière, elle n'indique pas non plus la valeur qu'elle attribuerait à ces terrains et sur quelle base. Il faut aussi relever que l'agent immobilier dans sa lettre a expressément confirmé que " les prix de vente des zones situées dans les parcs et espaces publics qui ont été fixés par la ville de Karkkila correspondent au niveau du marché ". Si la Commission voulait contester cette évaluation, elle aurait donc dû fournir des explications plus détaillées dans sa décision.

117 Il résulte de tout ce qui précède que la Commission n'a pas fourni dans la décision attaquée, au moins pour ce qui concerne les terrains pour maisons individuelles, les terrains pour immeubles à étages et de plain-pied et les terrains destinés aux parcs et aux espaces publics, les éléments nécessaires pour comprendre son raisonnement de façon à permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle et aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits.

118 En particulier, force est de constater que la Commission ne précise pas clairement dans la décision attaquée sur quelle base elle est arrivée à conclure que le montant total de l'aide, concernant le premier volet de l'opération, est de 713 092,50 euro et que la surévaluation des biens immobiliers de la société immobilière, à l'exception du terrain d'Asemansuo, est de plus de 619 790 euro.

119 Il convient également de relever que la Commission a laissé la possibilité à la République de Finlande de produire des preuves supplémentaires pour voir réduire l'élément d'aide contenu dans le premier volet de la transaction, la Commission admettant ainsi implicitement ne pas avoir été en mesure de calculer avec une précision suffisante le montant de l'aide contesté par la République de Finlande.

120 Lors de l'audience, la Commission a essayé d'expliquer que, s'agissant des terrains autres que celui d'Asemansuo, la surévaluation proviendrait du fait que les terrains, qui devaient être destinés à être transformés en parcs et en espaces publics, n'avaient aucune valeur et que, s'agissant des autres terrains (terrains pour maisons individuelles et terrains pour immeubles à étages et de plain-pied), elle avait fait une déduction de 10 % par rapport à l'évaluation transmise par la ville de Karkkila.

121 Or, selon la jurisprudence, la motivation d'une décision doit figurer dans le corps même de celle-ci et des explications postérieures fournies par la Commission ne sauraient, sauf circonstances exceptionnelles, être prises en compte. Il s'ensuit que la décision doit se suffire à elle-même et sa motivation ne saurait résulter des explications écrites ou orales données ultérieurement, alors que la décision en question fait déjà l'objet d'un recours devant le juge communautaire (arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Corsica Ferries France/Commission, T-349-03, Rec. p. II-2197, point 287).

122 En tout état de cause, à supposer même qu'elles puissent être prises en considération, les explications fournies par la Commission lors de l'audience sur sa méthode purement forfaitaire pour parvenir à la conclusion que les terrains de la société immobilière avaient été surévalués ne pourraient être considérées comme suffisantes.

123 Il résulte de tout ce qui précède que la motivation de la décision attaquée ne satisfait pas aux exigences de l'article 253 CE, en ce qui concerne l'évaluation des terrains de la société immobilière effectuée par la Commission, étant rappelé que tout éventuel défaut ou toute éventuelle insuffisance de motivation doivent être soulevés d'office par le juge communautaire (arrêts de la Cour du 20 mars 1959, Nold/Haute Autorité, 18-57, Rec. p. 89, 115, et du 20 février 1997, Commission/Daffix, C-166-95 P, Rec. p. I-983, points 24 et 25 ; arrêt du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T-61-89, Rec. p. II-1931, point 129).

124 .S'agissant du deuxième volet de l'aide et donc de la question de savoir si le remboursement du prêt octroyé par la requérante en 1996 constitue une aide d'État, il faut relever que cette question est étroitement liée à la valeur des terrains de la société immobilière.

125 Comme la Commission l'a implicitement reconnu dans le considérant 53 de la décision attaquée, la différence entre l'estimation des terrains possédés par la société immobilière transmise par la République de Finlande et l'estimation effectuée par la Commission constitue le point de départ pour le raisonnement de cette dernière concernant le remboursement du prêt.

126 Par ailleurs, il y a lieu de relever que, en faisant explicitement référence, au considérants 61 à 63 de la décision attaquée, à la vente de terrains par la société immobilière, la Commission s'est fondée sur la valeur des terrains de la société immobilière pour apprécier si le second volet de la transaction constituait une aide d'État au bénéfice de la requérante.

127 En effet, la capacité d'une société à rembourser ses dettes ou d'obtenir un prêt ne peut pas faire abstraction de la valeur de ses biens immobiliers surtout quand cette société n'est active que dans le secteur immobilier et ne possède que des biens immobiliers. Lors de l'octroi d'un prêt, les biens immobiliers d'une société constituent souvent la garantie donnée au prêteur pour le protéger dans le cas où l'emprunteur ne serait plus en mesure de rembourser son prêt.

128 Il s'ensuit que l'insuffisance de la motivation fournie par la Commission à propos de son évaluation des terrains de la société immobilière empêche également le Tribunal de vérifier la légalité de la décision attaquée en ce qui concerne le second volet de la transaction relative au remboursement du prêt.

129 Par conséquent, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres branches de ce moyen invoquées par la requérante, il convient d'annuler la décision attaquée dans son intégralité pour insuffisance de motivation, dans la mesure où elle ne contient pas d'éléments suffisants permettant de comprendre la méthode suivie par la Commission pour la détermination du montant de l'aide en ce qui concerne l'évaluation des terrains de la société immobilière.

Sur les dépens

130 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière. Par ailleurs, aux termes de l'article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Dès lors, la République de Finlande en tant que partie intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1) La décision 2006-900-CE de la Commission, du 20 Octobre 2005, concernant l'aide d'État que la République de Finlande a mise en œuvre à titre d'aide à l'investissement au bénéfice de l'entreprise Componenta Oyj, est annulée.

2) La Commission supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Componenta.

3) La République de Finlande supportera se propres dépens.