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Décisions

TPICE, 5e ch., 17 décembre 2008, n° T-462/04

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

HEG Ltd, Graphite India Ltd

Défendeur :

Conseil de l'Union européenne, Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vilaras

Juges :

MM. Prek, Ciuca

Avocats :

Mes Adamantopoulos, Branton, Berrisch

TPICE n° T-462/04

17 décembre 2008

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES (cinquième chambre),

Faits à l'origine du litige

1. Les requérantes, HEG Ltd et Graphite India Ltd, sont des sociétés indiennes, productrices et exportatrices du produit concerné. Celui-ci est constitué par les électrodes en graphite et leurs barrettes d'une densité apparente de 1,65 g/cm3 et d'une résistance électrique de 6 µOm ou moins, ce qui leur attribue un taux très élevé d'alimentation électrique (ci-après le " produit concerné ").

2. À la suite de plaintes déposées en juillet 2003 par l'European Carbon and Graphite Association (Association européenne du carbone et du graphite), agissant au nom de SGL Carbon Group GmbH (ci-après " SGL ") et d'UCAR SA, représentant une proportion importante du secteur communautaire produisant le produit concerné, la Commission a annoncé le 21 août 2003, par deux avis distincts, l'ouverture d'une procédure antidumping et d'une procédure antisubventions concernant les importations du produit concerné originaire de l'Inde (JO C 197, respectivement, p. 2 et 5). L'enquête a couvert la période comprise entre le 1er avril 2002 et le 31 mars 2003 (ci-après la " période d'enquête "). L'examen des tendances utiles aux fins de l'évaluation du préjudice a porté sur la période comprise entre le 1er janvier 1999 et la fin de la période d'enquête (ci-après la " période examinée ").

3. La Commission a envoyé des questionnaires à toutes les parties notoirement concernées et à toutes les autres sociétés qui se sont fait connaître dans les délais fixés par les avis d'ouverture ainsi qu'aux pouvoirs publics indiens. Elle a reçu des réponses des deux requérantes, des deux producteurs communautaires à l'origine de la plainte, de huit sociétés utilisatrices et des deux importateurs indépendants. En outre, une société a présenté des observations écrites contenant certaines données chiffrées et deux associations d'utilisateurs ont fourni des commentaires par écrit.

4. Des vérifications sur place ont été diligentées auprès de cinq producteurs communautaires, de deux importateurs indépendants dans la Communauté, de quatre utilisateurs et des deux requérantes.

5. Le 13 novembre 2003, une première réunion s'est tenue entre les requérantes et la Commission.

6. Les 3 et 4 décembre 2003 et 26 février 2004, les requérantes ont fait parvenir à la Commission des commentaires supplémentaires.

7. Le 15 avril 2004, la Commission a publié un avis concernant l'application des mesures antidumping et antisubventions en vigueur dans la Communauté par la République de Chypre, la République d'Estonie, la République de Hongrie, la République de Lettonie, la République de Lituanie, la République de Malte, la République de Pologne, la République slovaque, la République de Slovénie et la République tchèque après leur adhésion et concernant un éventuel réexamen de ces mesures (JO C 91, p. 2, ci-après l'" avis sur l'éventuel réexamen des mesures du fait de l'élargissement ").

8. Le 27 avril 2004, la Commission a adressé aux requérantes trois documents d'information particulière.

9. Le 19 mai 2004, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 1008-2004 instituant un droit compensateur provisoire sur les importations de certains systèmes d'électrodes en graphite originaires de l'Inde (JO L 183, p. 35) ainsi que le règlement (CE) n° 1009-2004 instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de certains systèmes d'électrodes en graphite originaires de l'Inde (JO L 183, p. 61) (ci-après, respectivement, le " règlement antisubventions provisoire " et le " règlement antidumping provisoire " et, pris ensemble, les " règlements provisoires "). Le même jour, elle a adressé un courrier aux requérantes détaillant ses observations sur les commentaires effectués par les requérantes au cours de la procédure.

10. Le 27 mai 2004, les requérantes ont adressé à la Commission leurs observations sur les documents d'information particulière et les règlements provisoires.

11. Le 14 juin 2004, une seconde réunion s'est tenue entre les requérantes et la Commission.

12. Le 22 juin 2004, les requérantes ont fait part à la Commission de leurs observations à la suite de la réunion du 14 juin 2004.

13. Par lettre du 9 juillet 2004, la Commission a transmis aux requérantes deux documents d'information générale relatifs aux faits et considérations essentiels fondant les propositions d'imposer des droits antidumping et compensateurs définitifs ainsi qu'un document d'information générale portant sur les aspects des deux procédures relatifs au préjudice, au lien de causalité et à l'intérêt de la Communauté.

14. Par lettre du 19 juillet 2004, les requérantes ont émis des observations sur les différents documents de la Commission. Elles ont également demandé la tenue d'une nouvelle réunion et évoqué l'éventualité de la conclusion d'engagements.

15. Le 13 septembre 2004, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 1628-2004, instituant un droit compensateur définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de certains systèmes d'électrodes en graphite originaires de l'Inde (JO L 295, p. 4) et le règlement (CE) n° 1629-2004, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations (cinquième chambre) de certains systèmes d'électrodes en graphite originaires de l'Inde (JO L 295, p. 10) (ci-après, respectivement, le " règlement antisubventions attaqué " et le " règlement antidumping attaqué " et, pris ensemble, les " règlements attaqués ").

Procédure et conclusions des parties

16. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 novembre 2004, les requérantes ont introduit le présent recours.

17. Par acte enregistré au greffe du Tribunal le 21 avril 2005, la Commission a demandé à intervenir au soutien des conclusions du Conseil. Par ordonnance du 7 juin 2005, le président de la première chambre du Tribunal a admis cette intervention. Par lettre du 17 juin 2005, la Commission a informé le Tribunal qu'elle renonçait à déposer un mémoire en intervention, mais qu'elle prendrait éventuellement part à l'audience.

18. La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la cinquième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

19. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

20. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, le Tribunal a invité le Conseil à produire certains documents. Le Conseil a déféré à cette demande.

21. Les parties principales au litige ainsi que la partie intervenante ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l'audience publique du 4 juin 2008.

22. Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler les règlements attaqués ;

- condamner le Conseil aux dépens.

23. Le Conseil conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours ;

- condamner les requérantes aux dépens.

24. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

En droit

25. Les requérantes invoquent cinq moyens, le premier fondé sur l'ouverture d'une enquête à l'encontre des seules importations indiennes du produit concerné, le deuxième tiré du caractère vicié des enquêtes en ce qu'elles ont été effectuées sur la base d'une Communauté composée de quinze États membres seulement, le troisième tiré d'erreurs dans la qualification de subvention donnée au mécanisme indien de crédit de droits à l'importation et dans la détermination du montant des droits compensateurs, et les quatrième et cinquième tirés notamment de l'absence de prise en compte tant des effets de pratiques anticoncurrentielles passées que des effets des importations du produit concerné en provenance d'autres pays dans l'analyse du préjudice causé à l'industrie communautaire.

Sur le premier moyen, fondé sur l'ouverture d'une enquête à l'encontre des seules importations indiennes du produit concerné

Arguments des parties

26. Les requérantes considèrent que les institutions ont violé l'article 9, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 384-96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1), l'article 9, paragraphe 2, de l'accord sur la mise en œuvre de l'article VI de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (JO L 336, p. 103, ci-après le " code antidumping de 1994 "), le principe de non-discrimination et ont commis des erreurs manifestes d'appréciation en ne conduisant une enquête antidumping qu'à l'encontre des importations indiennes du produit concerné.

27. En substance, les requérantes soutiennent que les institutions ont violé le principe de non-discrimination n'ouvrant pas d'elles-mêmes une enquête à l'encontre des importations d'autres États susceptibles de causer un dumping ou en ne provoquant pas une plainte permettant d'ouvrir une procédure parallèle. Elles font valoir que la Commission ne pouvait accepter d'examiner seulement la plainte les concernant et qu'elle aurait dû, soit ouvrir une enquête parallèle contre les importations d'autres États en application de l'article 5, paragraphe 6, du règlement n° 384-96, soit informer les plaignants de la clôture de la procédure, à moins qu'ils ne soumettent également une plainte contre les autres pays concernés. Elles font valoir que des liens économiques étroits, allant jusqu'à la participation commune à une entente sanctionnée par la Commission, unissent les plaignants aux fabricants des pays tiers concernés, ce qui explique que la plainte ait été ciblée sur les importations indiennes. Elles soutiennent également que divers éléments présents, soit dans la plainte, soit dans les informations qu'elles ont fournies à la Commission démontrent l'existence d'un dumping s'agissant des produits concernés en provenance d'États autres que l'Inde (États-Unis, Pologne, Japon, Russie, Chine, Mexique).

28. Les requérantes considèrent que le respect du principe de non-discrimination s'impose également à l'occasion de l'adoption de la décision d'ouvrir une enquête. Si le texte de l'article 9, paragraphe 5, du règlement n° 384-96 ne concerne que les États à l'égard desquels il a été constaté qu'ils étaient à l'origine d'un dumping préjudiciable, il résulterait de l'application combinée de cet article et du principe de non-discrimination qu'est également couverte la différence de traitement résultant de l'enquête diligentée contre les importations en provenance d'un État seulement alors que des éléments de preuve fournis après l'ouverture de la procédure donnent à penser, prima facie, que des importations originaires d'autres États devraient également être incluses.

29. À cet égard, les requérantes rappellent que l'article 9, paragraphe 5, du règlement n° 384-96 est particulièrement important, en ce qu'il dérive de l'article 9, paragraphe 2, du code antidumping de 1994, qui constitue lui-même une expression du principe de la nation la plus favorisée. Dans le domaine du dumping, ce principe exprimerait la nécessité que les droits antidumping ne limitent pas de manière inéquitable l'accès au marché des marchandises en provenance d'un État membre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), alors que des importations en provenance d'autres États, pourtant cause de dumping et de préjudice, ne seraient pas soumises à de tels droits. Or, la Commission ne serait pas à même de déterminer l'existence d'un dumping et l'étendue exacte d'un préjudice apparent, sans diligenter d'enquête.

30. De plus, les requérantes considèrent que les institutions ont commis des erreurs manifestes d'appréciation en considérant que les preuves avancées ne justifiaient pas l'ouverture d'enquêtes s'agissant des importations en provenance d'États autres que l'Inde. Cette absence d'enquête serait également constitutive d'une violation du principe de bonne administration.

31. Les requérantes reprochent également à la Commission d'avoir adopté une attitude discriminatoire en ce qui concerne la détermination du produit concerné. Les importations en provenance de Chine auraient été exclues de l'enquête au motif que les produits en cause n'étaient pas fabriqués à l'aide de coke aciculaire de qualité supérieure, alors que, s'agissant des importations indiennes, la Commission n'aurait pas accepté d'exclure de l'enquête les électrodes en graphite et leurs barrettes fabriquées sans coke aciculaire de qualité supérieure, parce que ce sont les caractéristiques physiques et techniques essentielles du produit final et ses utilisations finales, indépendamment des matières premières utilisées, qui déterminent la définition du produit concerné. Elles font observer que les produits chinois sont destinés au même usage final que la gamme inférieure du produit concerné.

32. Enfin, dans le cadre de ce moyen, les requérantes font valoir que leurs droits de la défense auraient été violés du fait de l'exclusion dans la version non confidentielle de la plainte de certains éléments de preuve au motif que ceux-ci nuiraient aux intérêts commerciaux essentiels d'un concurrent. Il s'agirait là, en outre, d'un élément supplémentaire démontrant la collusion entre les plaignants et certains importateurs du produit concerné implantés dans des États tiers, justifiant que ces éléments de preuve ne soient pas pris en compte.

33. Le Conseil conteste les arguments des requérantes.

Appréciation du Tribunal

- Sur la prétendue attitude discriminatoire des institutions s'agissant de la détermination du produit concerné

34. Ce grief doit d'emblée être rejeté comme manquant en fait. D'une part, il ressort des considérants 11 à 14 du règlement antidumping provisoire, auxquels le considérant 6 du règlement antidumping attaqué renvoie, que les institutions n'ont pas fait de l'utilisation de coke aciculaire de qualité supérieure un élément de la définition du produit concerné. D'autre part, les requérantes n'apportent pas la preuve que les institutions se seraient fondées sur la circonstance que les importations en provenance de Chine ne sont pas produites à l'aide de coke aciculaire de qualité supérieure pour les exclure de l'enquête.

- Sur l'absence d'enquête à l'encontre d'autres sources potentielles de dumping

35. Selon une jurisprudence constante, le principe général d'égalité de traitement et de non-discrimination interdit, d'une part, de traiter différemment des situations comparables et, d'autre part, de traiter de la même manière des situations différentes, sauf si des raisons objectives justifient un tel traitement (voir arrêt de la Cour du 15 avril 2005, Belgique/Commission, C-110-03, Rec. p. I-2801, point 71, et la jurisprudence citée).

36. Il est vrai que la Commission est en droit, dans certaines circonstances spéciales, d'ouvrir une enquête de sa propre initiative, en application de l'article 5, paragraphe 6, du règlement n° 384-96. De même, il est constant que la Commission a pour pratique de demander, dans certaines circonstances, à un plaignant d'étendre le champ d'application de sa plainte. Il n'y a cependant pas lieu de s'interroger sur le point de savoir si elle aurait dû procéder de la sorte dans le cas d'espèce. En effet, une différence de traitement consistant dans l'ouverture d'une procédure antidumping à l'encontre des seules importations indiennes, alors qu'existaient des indices de nature à justifier que d'autres importations fassent également l'objet d'une enquête, à supposer même qu'elle soit avérée, ne saurait constituer une violation ni de l'article 9, paragraphe 5, du règlement n° 384-96, ni de l'article 9, paragraphe 2, du code antidumping de 1994, ni du principe général d'égalité de traitement.

37. Premièrement, s'agissant de l'article 9, paragraphe 5, du règlement n° 384-96, celui-ci précise qu'un droit " antidumping dont le montant est approprié à chaque cas est imposé d'une manière non discriminatoire sur les importations d'un produit, de quelque source qu'elles proviennent, dont il a été constaté qu'elles font l'objet d'un dumping et causent un préjudice, à l'exception des importations en provenance des sources dont un engagement au titre du présent règlement a été accepté ".

38. Il ressort du libellé même de cette disposition qu'elle interdit un traitement discriminatoire entre des importations ayant toutes fait l'objet de droits antidumping pour l'importation du même produit [voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 septembre 2002, Europe Chemi-Con (Deutschland)/Conseil, T89-00, Rec. p. II3651, point 58]. Or, est en cause dans le cas d'espèce une prétendue différence de traitement entre des importations ayant fait l'objet de droits antidumping et des importations n'ayant pas fait l'objet d'une enquête. Les faits de l'espèce ne relèvent donc pas du champ d'application de l'article 9, paragraphe 5, du règlement n° 384-96.

39. Deuxièmement, s'agissant de l'article 9, paragraphe 2, du code antidumping de 1994, il suffit de souligner que celui-ci dispose d'un champ d'application équivalant à celui de l'article 9, paragraphe 5, du règlement n° 384-96, en ce qu'il interdit un traitement discriminatoire dans le recouvrement des droits antidumping imposés sur un produit selon la source des importations en cause. Partant, il n'est pas applicable au cas d'espèce.

40. Troisièmement, l'argument tiré d'une violation du principe général d'égalité de traitement ne saurait non plus prospérer.

41. Certes, la circonstance que l'article 9, paragraphe 5, du règlement n° 384-96 constitue une illustration du principe d'égalité de traitement [arrêt Europe ChemiCon (Deutschland)/Conseil, point 38 supra, point 51] n'exclut pas que les institutions soient soumises au respect de ce principe à l'occasion de l'application des autres dispositions du règlement n° 384-96 [voir, s'agissant de l'article 2, paragraphe 7, sous b), de ce même règlement, arrêt du Tribunal du 23 octobre 2003, Changzhou Hailong Electronics & Light Fixtures et Zhejiang Yankon/Conseil, T-255-01, Rec. p. II 4741, points 60 et 61].

42. Toutefois, selon une jurisprudence constante, le principe d'égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d'autrui (voir arrêt du Tribunal du 16 novembre 2006, Peróxidos Orgánicos/Commission, T-120-04, Rec. p. II-4441, point 77, et la jurisprudence citée). Or, tel est le sens de l'argumentation des requérantes qui repose entièrement sur la circonstance qu'une enquête aurait également dû être diligentée à l'encontre d'autres importations. Partant, le principe d'égalité de traitement n'est pas applicable au cas d'espèce et l'absence d'ouverture d'une enquête à l'encontre d'autres sources éventuelles de dumping est sans incidence sur la légalité du règlement antidumping attaqué.

43. Par voie de conséquence, il y a également lieu de rejeter les arguments des requérantes tirés de la violation du principe de bonne administration et d'erreurs manifestes d'appréciation dans l'évaluation des éléments de preuve fournis par les requérantes, dès lors qu'ils visent à démontrer que la Commission aurait dû ouvrir une enquête à l'encontre des importations en provenance de pays tiers. Pour la même raison, les critiques des requérantes tenants à la circonstance que les plaignantes auraient ciblé leur plainte sur les seules importations indiennes sont sans incidence sur la légalité du règlement antidumping attaqué.

- Sur la violation du principe du respect des droits de la défense

44. Selon une jurisprudence constante, le principe du respect des droits de la défense est un principe fondamental du droit communautaire (arrêt de la Cour du 27 juin 1991, Al-Jubail Fertilizer/Conseil, C-49-88, Rec. p. I3187, point 15, et arrêt du Tribunal du 18 décembre 1997, Ajinomoto et NutraSweet/Conseil, T-159-94 et T-160-94, Rec. p. II2461, point 81).

45. En vertu de ce principe, les entreprises concernées par une procédure d'enquête précédant l'adoption d'un règlement antidumping doivent être mises en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances allégués et sur les éléments de preuve retenus par la Commission à l'appui de son allégation de l'existence d'une pratique de dumping et du préjudice qui en résulterait (arrêt Al-Jubail Fertilizer/Conseil, point 44 supra, point 17 ; arrêts du Tribunal du 17 décembre 1997, EFMA/Conseil, T-121-95, Rec. p. II2391, point 84, et Ajinomoto et NutraSweet/Conseil, point 44 supra, point 83).

46. En l'espèce, il y a lieu d'observer que certains éléments de preuve contenus dans la version confidentielle de la plainte n'ont pas été résumés dans sa version non confidentielle. C'est notamment le cas pour les annexes 1, 5 à 7, 9 à 11, 15 à 18, 20 et 21, 23, 26, 28 à 31, 33 à 44 de la plainte, laquelle en contient 45.

47. Toutefois, il appartenait aux requérantes de mettre les institutions en mesure d'apprécier les problèmes que pouvait leur poser l'absence dans la version non confidentielle de la plainte d'un résumé des éléments de preuve en cause (voir, en ce sens, arrêt Ajinomoto et NutraSweet/Conseil, point 44 supra, points 109 et 110).

48. En l'espèce, il ressort des documents fournis par les requérantes en annexe à leur requête que, si elles ont brièvement invoqué cette absence de résumé au début de la procédure, dans leurs observations sur la plainte, le 3 octobre 2003, elles n'en ont plus fait mention dans leurs courriers subséquents.

49. Il s'ensuit qu'à défaut d'avoir suffisamment alerté la Commission, puis le Conseil, les requérantes ne sauraient invoquer une violation de leurs droits de la défense.

50. Il résulte de tout ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.

Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation des exigences fondamentales de procédure en ce que les enquêtes ont été réalisées sur la base d'une Communauté composée de quinze États membres seulement

Arguments des parties

51. Les requérantes critiquent le fait que les droits institués par les règlements attaqués couvrent le territoire des dix nouveaux États membres alors même qu'aucune enquête n'y a été diligentée et, partant, considèrent qu'il n'existe pas de base légale pour adopter de tels droits. En cela, la présente situation se distinguerait de celle des droits adoptés avant l'élargissement, pour lesquels l'enquête a été conduite sur une base territoriale correcte.

52. Une telle extension automatique des droits antidumping et antisubventions aux dix nouveaux États membres serait contraire à l'article 1er, paragraphes 1 et 2, aux articles 2 à 7 et à l'article 9, paragraphes 4 et 5, du règlement n° 384-96, ainsi qu'à l'article 1er, paragraphe 1, et aux articles 8 à 12, 15 et 31 du règlement (CE) n° 2026-97 du Conseil, du 6 octobre 1997, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de subventions de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 288, p. 1). En substance, les requérantes font valoir que ces différentes dispositions en se référant soit à la Communauté, soit à l'industrie communautaire impliquent que l'enquête soit menée sur la base d'un territoire bien défini, celui de la Communauté et non d'une partie de cette dernière. C'est ce qui résulterait également des dispositions pertinentes du code antidumping de 1994 et de l'accord sur les subventions et les mesures compensatoires conclu au sein de l'OMC (JO 1994, L 336, p. 156, ci-après l'" accord SMC "). En outre, les requérantes font observer qu'une enquête incluant les dix nouveaux États membres aurait été nécessaire aux fins de déterminer exactement la marge de dumping et le préjudice qu'il causerait ou qui serait causé par les prétendues subventions. Enfin, elles rappellent que l'ouverture d'une procédure antidumping doit être fondée sur des renseignements concernant l'évolution du volume des importations, leur effet sur les prix du produit similaire et leur incidence sur l'industrie communautaire, de sorte que les mesures adoptées sur la base de quinze États membres ne peuvent automatiquement être imposées s'agissant d'une Communauté de 25 États membres, sans vérifier si les procédures auraient pu être ouvertes sur la base de renseignements similaires pour une Communauté élargie.

53. Les requérantes estiment, en substance, que la Commission était en droit de mener une enquête prenant en compte l'imminence de l'élargissement, dès lors qu'aucune disposition des règlements nos 384-96 et 2026-97 ne lui interdisait d'adresser des demandes de renseignements.

54. Elles rejettent l'argumentation du Conseil fondée sur la méthode préconisée par l'avis sur l'éventuel réexamen des mesures du fait de l'élargissement. Cet avis ne saurait justifier que les institutions s'écartent de la réglementation pertinente. Si les requérantes reconnaissent qu'il y est affirmé que les procédures en cours pourront conduire à l'application de droits dans l'ensemble des nouveaux États membres, elles considèrent, en substance, que les solutions préconisées, et notamment la possibilité d'obtenir de la Commission un réexamen intermédiaire, sont sans intérêt s'agissant des procédures non clôturées au moment de l'élargissement. À cet égard, elles rappellent qu'un réexamen intermédiaire ne peut être demandé avant l'expiration d'une période d'au moins un an à compter de l'institution des mesures pertinentes.

55. La circonstance qu'il aurait été observé, dans certains cas particuliers, que l'extension de l'analyse aux nouveaux États membres ne modifierait pas radicalement les conclusions de l'enquête serait dénuée de pertinence en dehors des situations examinées.

56. Le Conseil considère que c'est à bon droit que les mesures antidumping et antisubventions ont été étendues à la Communauté élargie. Il résulterait de l'importance économique globale limitée de l'élargissement que les conclusions des enquêtes qui ont porté sur la Communauté de quinze États membres seraient, en principe, également valables pour la Communauté élargie, ce que confirmerait le nombre limité de demandes de réexamen intermédiaire. Il fait valoir qu'un réexamen systématique de toutes les mesures antidumping et antisubventions existantes aurait constitué une charge considérable et des frais supplémentaires pour tous les opérateurs concernés et ne serait pas réalisable en pratique.

57. Le Conseil soutient que l'avis sur l'éventuel réexamen des mesures du fait de l'élargissement institue une solution transitoire complexe, relevant de la marge d'appréciation reconnue à la Communauté et reposant sur un mécanisme de réexamen en deux étapes permettant de veiller à ce que des ajustements puissent être opérés lorsque cela est justifié.

58. D'une part, il en résulterait qu'à compter du 1er mai 2004 toutes les mesures antidumping et antisubventions en vigueur s'appliquent automatiquement aux importations dans la Communauté élargie à 25 États membres et que si des enquêtes en cours ouvertes avant le 1er mai 2004 devaient aboutir à l'institution de mesures, celles-ci seraient aussi applicables aux importations dans les 25 États membres de la Communauté.

59. D'autre part, un mécanisme de réexamen aurait été prévu pour veiller à ce que des corrections puissent être apportées. Le Conseil rappelle, à cet égard, que la Commission était prête à réexaminer totalement ou partiellement, à la demande de toute partie intéressée, des mesures antidumping et antisubventions conformément à l'article 11, paragraphe 3, du règlement n° 384-96 et à l'article 19 du règlement n° 2026-97, sans attendre l'écoulement du délai d'un an, dès lors qu'elle avait fait savoir publiquement qu'elle exercerait son droit d'ouvrir un réexamen de sa propre initiative. Le Conseil fait observer que les requérantes n'ont pas utilisé cette possibilité et estime que c'est parce qu'elles n'étaient pas convaincues qu'un réexamen intermédiaire aurait abouti à des résultats qui leur seraient plus favorables.

60. En outre, il considère que les griefs des requérantes sont de pure forme en ce qu'elles n'allèguent pas qu'une enquête couvrant les 25 États membres aurait eu des résultats différents et n'auraient pas présenté le moindre élément de preuve à cet effet.

61. Enfin, le Conseil souligne que la Commission a analysé, par souci d'exhaustivité, les effets de l'élargissement dans toutes les affaires en cours, y compris les deux procédures en cause, et que les résultats n'étaient pas sensiblement différents.

Appréciation du Tribunal

62. Il est constant que si la période d'enquête a duré du 1er avril 2002 au 31 mars 2003, alors que la Communauté était constituée de quinze États membres seulement, les règlements provisoires ont été adoptés le 19 mai 2004 et les règlements attaqués le 13 septembre 2004, dates auxquelles la Communauté comportait 25 États membres.

63. Il y a lieu de rappeler que les droits antidumping et compensateurs ne constituent pas une sanction d'un comportement antérieur mais une mesure de défense et de protection contre la concurrence déloyale résultant des pratiques de dumping et de subvention (voir, s'agissant des droits antidumping, arrêt du Tribunal du 14 novembre 2006, Nanjing Metalink/Conseil, T-138-02, Rec. p. II-4347, point 60). En outre, selon l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 384-96 et l'article 8, paragraphe 2, du règlement n° 2026-97, la détermination de l'existence d'un préjudice doit se fonder sur des éléments de preuve positifs et comporter un examen objectif, d'une part, du volume des importations faisant l'objet d'un dumping ou de subventions et de l'effet de ces importations sur les prix des produits similaires sur le marché de la Communauté et, d'autre part, de l'incidence de ces importations sur l'industrie communautaire.

64. Il en résulte que c'est la composition de la Communauté au moment de l'adoption des droits antidumping et compensateurs qui doit être prise en compte s'agissant de la détermination de ces droits. Dans la mesure où les renseignements obtenus par la Commission durant la période d'enquête ne l'ont pas été dans la perspective de l'élargissement et ne concernent donc que la Communauté constituée de quinze États membres, il appartenait à la Commission, à l'occasion de l'adoption des règlements provisoires et, le cas échéant, au Conseil à l'occasion de l'adoption des règlements attaqués, de vérifier que ces renseignements étaient également pertinents à l'égard d'une Communauté constituée de 25 États membres.

65. Certes, l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 384-96 et l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 2026-97 impliquent une interdiction de la prise en compte d'éléments postérieurs à la période d'enquête. Toutefois, dans le cas d'espèce, la circonstance que l'élargissement de la Communauté constitue un événement postérieur à la période d'enquête ne saurait en aucun cas exonérer les institutions de l'obligation mentionnée au point précédent.

66. Ainsi que le Tribunal a eu l'occasion de le souligner s'agissant de l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 384-96, la période d'enquête et l'interdiction de prendre en compte des éléments postérieurs à celle-ci visent à garantir que les résultats de l'enquête soient représentatifs et fiables en assurant que les éléments sur lesquels se fonde la détermination du dumping et du préjudice ne soient pas influencés par le comportement des producteurs intéressés consécutif à l'ouverture de la procédure antidumping et donc que le droit définitif imposé à l'issue de la procédure soit apte à remédier effectivement au préjudice résultant du dumping (arrêt Nanjing Metalink/Conseil, point 63 supra, point 59).

67. En outre, en utilisant le terme " normalement ", l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 384/96 permet des exceptions à l'interdiction de prendre en considération des renseignements relatifs à une période postérieure à la période d'enquête. S'agissant de circonstances favorables aux entreprises concernées par l'enquête, il a été jugé qu'il ne peut incomber aux institutions communautaires de prendre en compte des éléments relevant d'une période postérieure à celle de l'enquête, à moins que ces éléments ne révèlent de nouveaux développements rendant manifestement inadaptée l'institution envisagée d'un droit antidumping (arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, Sinochem Heilongjiang/Conseil, T-161-94, Rec. p. II695, point 88, et du 20 juin 2001, Euroalliages e.a./Commission, T-188-99, Rec. p. II-1757, point 75). Si, en revanche, des éléments relatifs à une période postérieure à la période d'enquête rendent, du fait qu'ils reflètent le comportement actuel des entreprises concernées, justifiée l'imposition ou l'augmentation d'un droit antidumping, force est de constater, sur la base de ce qui précède, que les institutions ont le droit, voire l'obligation, d'en tenir compte (arrêt Nanjing Metalink/Conseil, point 63 supra, point 61). Le même raisonnement peut être suivi s'agissant de l'application de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 2026-97, dont la rédaction est sur ce point identique à celle de l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 384-96.

68. De plus, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le domaine des mesures de défense commerciale, les institutions communautaires disposent d'un large pouvoir d'appréciation en raison de la complexité des situations économiques, politiques et juridiques qu'elles doivent examiner (voir arrêt du Tribunal du 28 octobre 2004, Shanghai Teraoka Electronic/Conseil, T35-01, Rec. p. II3663, point 48, et la jurisprudence citée). Or, il est également de jurisprudence constante que, lorsque les institutions disposent d'un tel pouvoir, le respect des garanties conférées par l'ordre juridique communautaire dans les procédures administratives revêt une importance d'autant plus fondamentale et que, parmi ces garanties figurent notamment l'obligation, pour l'institution compétente, d'examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d'espèce (arrêts de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C-269-90, Rec. p. I5469, point 14, et du Tribunal du 18 septembre 1995, Nölle/Conseil et Commission, T-167-94, Rec. p. II 2589, point 73).

69. Force est de constater que l'adhésion de dix nouveaux États membres entre la fin de la période d'enquête et l'adoption des règlements attaqués constitue un élément pertinent que les institutions étaient tenues d'examiner au sens de la jurisprudence citée au point 68 ci-dessus, aux fins d'évaluer son incidence sur les deux procédures en cours.

70. Contrairement à ce que soutient le Conseil, la seule référence à l'importance économique globale supposée limitée de l'élargissement ne saurait exonérer les institutions de l'obligation mentionnée ci-dessus, dès lors qu'une telle considération d'ordre général ne vise pas le secteur économique particulier dont relèvent les importations en cause.

71. En ce qui concerne l'avis sur l'éventuel réexamen des mesures du fait de l'élargissement adopté par la Commission, celui-ci ne saurait en aucune façon constituer une prise en compte suffisante des effets de l'élargissement sur les procédures en cours. Au contraire, cette méthode consiste à ne pas examiner d'office les effets de l'élargissement, tout en ménageant la possibilité d'un réexamen ultérieur des mesures en cause. Or, la seule possibilité d'un tel réexamen, laissée à la discrétion de la Commission et intervenant postérieurement à l'adoption des règlements, ne saurait exonérer les institutions de leur obligation de s'assurer que l'élargissement de la Communauté n'était pas susceptible d'avoir une incidence sur le montant des droits antidumping et antisubventions.

72. Cependant, il ressort du document d'information générale portant sur les aspects des deux procédures relatifs au préjudice, au lien de causalité et à l'intérêt de la Communauté que, dans le cas d'espèce, la Commission a évalué les conséquences de l'élargissement sur la pertinence des données obtenues durant la période d'enquête. Dans ce document, la Commission observe - sans que ses constatations soient contestées par les requérantes - que, d'une part, les importations indiennes vers les nouveaux États membres étaient d'un prix légèrement inférieur aux prix constatés durant la période d'enquête et que, d'autre part, en termes tant de vente, de production que d'importation du produit concerné, la part des dix nouveaux États membres était minime. En outre, il est mentionné dans ce même document que les deux seuls sites de production connus du produit concerné dans les nouveaux États membres sont situés en Pologne et que la Commission a obtenu des informations provenant d'une enquête antidumping conduite par les autorités polonaises en 2003, dont il ressort que les prix des importations indiennes en Pologne sont inférieurs de 4 % à ceux des importations à destination de la Communauté.

73. En procédant à une telle vérification postérieurement à la période d'enquête, la Commission s'est ainsi assurée que les renseignements obtenus à l'occasion de l'enquête demeuraient représentatifs de la Communauté dans sa composition au moment de l'adoption des droits antidumping et compensateurs. Ce faisant, elle n'a pas manqué à son obligation d'examiner tous les éléments pertinents du cas d'espèce.

74. S'agissant de l'argument tiré de ce que les institutions auraient dû vérifier si les informations en leur possession auraient permis d'ouvrir une enquête dans une Communauté élargie, il ressort des constatations qui précèdent qu'il doit être rejeté. En effet, il en découle nécessairement que les informations sur la base desquelles la Commission a décidé d'ouvrir les procédures en cause étaient également de nature à justifier l'ouverture d'une enquête dans une Communauté constituée de 25 États membres.

75. Quant aux références aux dispositions du code antidumping de 1994 et de l'accord SMC, il suffit de constater que les requérantes ne démontrent pas en quoi elles auraient un contenu différent de celui des dispositions des règlements nos 384-96 et 2026-97 donnant effet aux obligations particulières qu'elles comportent.

76. Il ressort de ce qui précède que le deuxième moyen doit être rejeté.

Sur le troisième moyen, relatif à la qualification de subvention donnée au mécanisme de crédit de droits à l'importation et à la détermination du montant des droits compensateurs

Arguments des parties

77. Les requérantes soutiennent que le règlement antisubventions attaqué est contraire au principe de proportionnalité, à l'article 1er, paragraphe 1, à l'article 2, paragraphe 1, sous a), II), et à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 2026-97 ainsi qu'à son annexe III et à l'article 1er, paragraphe 1, sous a), 1), II), et à l'article 19, paragraphe 3, de l'accord SMC et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et de vices de procédure du fait de l'instauration de droits compensateurs à concurrence de montants inappropriés.

78. À titre liminaire, elles rappellent que le mécanisme indien de crédit de droits à l'importation (ci-après " DEPB ") permet à un exportateur de recevoir un crédit à l'importation correspondant au montant des droits payés pour l'importation de matières premières nécessaires à la fabrication du produit exporté sur une base unitaire, conformément aux normes dites " standard technical input-output " (ci-après la " norme SION "). Elles soulignent l'importance d'un remboursement des droits prélevés à l'occasion de l'importation des éléments nécessaires à la fabrication du produit concerné et notamment du plus coûteux d'entre eux, le coke aciculaire de qualité supérieure, qui n'est pas disponible en Inde.

79. Les requérantes contestent la qualification de subvention retenue par le règlement antisubventions attaqué. En toute hypothèse, dans l'éventualité même où la présence d'éléments de subvention dans le DEPB pourrait être discutée, il aurait été décidé à tort que l'avantage passible des mesures compensatoires était constitué par la totalité des droits à l'importation normalement exigibles sur toutes les importations. Seul l'excédent perçu serait susceptible d'être constitutif d'une subvention.

80. En premier lieu, une telle conclusion découlerait d'une lecture conjointe de l'article 2, paragraphe 1, sous a), II), du règlement n° 2026-97 ainsi que de son annexe I, sous i). L'annexe II, point I 2, renforcerait également cette analyse. Il en résulterait qu'il peut y avoir subvention seulement si un système de ristourne donne lieu à une ristourne excessive et jusqu'à concurrence du montant en excès. Il appartiendrait donc à la Commission de prouver l'existence d'une ristourne excessive, avant de la qualifier éventuellement de subvention. La même approche serait suivie par la définition figurant à l'annexe III, point I. En effet, selon les requérantes, dès lors que le DEPB doit être qualifié de système de ristourne sur intrants de remplacement, c'est l'annexe III du règlement n° 2026-97 qui est applicable, annexe que le Conseil aurait omis d'analyser.

81. L'argument du Conseil, selon lequel une subvention pourrait exister même en l'absence de versement excessif, si le régime en question n'était pas strictement conforme aux dispositions des annexes I à III du règlement n° 2026-97, reposerait sur la prémisse erronée que ces annexes énoncent les différentes conditions qu'un régime de ristourne doit remplir pour être parfait, alors qu'il s'agirait plutôt de lignes directrices visant à déterminer l'existence de garanties contre la possibilité d'une ristourne excessive.

82. En deuxième lieu, c'est à tort qu'il aurait été considéré que le DEPB n'est pas un mécanisme de remise des droits correctement constitué, en raison de l'absence de procédure en Inde visant à vérifier qu'il est correctement mis en œuvre. Pour les requérantes, un tel mécanisme existe et est constitué par les éléments suivants : d'une part, l'application et la stricte mise en œuvre de la norme SION et, d'autre part, les circonstances que les crédits sont donnés à l'occasion d'exportations et ne peuvent être utilisés que pour des importations de matières premières entrantes, selon les normes dites " input-output ". Elles font également valoir que la plupart des exportateurs indiens utilisent le DEPB de la même manière qu'un système de ristourne imposant l'obligation stricte d'utiliser toute ristourne pour acquitter les droits dus à l'importation d'intrants précis consommés dans la production des produits exportés, dès lors qu'il est économiquement judicieux d'agir de la sorte. Ce système, reposant sur l'incitation des acteurs économiques, répondrait ainsi à des considérations pratiques et au besoin de simplification administrative sur l'ensemble du territoire indien.

83. En troisième lieu, les requérantes reprochent aux institutions de ne pas avoir enquêté aux fins de s'assurer qu'il existait un excès dans la prise en compte des intrants et d'avoir ainsi violé le principe de bonne administration ainsi que les principes fondamentaux du règlement n° 2026-97. En substance, elles font valoir que la Commission est soumise à une obligation spécifique d'examiner si les pouvoirs publics du pays exportateur ont instauré un système ou une procédure permettant de confirmer quels sont les intrants qui sont consommés dans le processus de fabrication du produit exporté, et à concurrence de quel montant. Dès lors qu'il a été considéré qu'un tel système n'existait pas en Inde, il appartiendrait à la Commission de procéder à une enquête aux fins de vérifier, d'une part, si le DEPB fonctionnait en pratique et, d'autre part, dans quelle mesure il pouvait accorder une remise excédentaire aux exportateurs, aux fins d'appliquer un montant compensateur sur celle-ci seulement. Il serait illogique de considérer qu'il appartient aux autorités indiennes de procéder à un nouvel examen, dès lors que celui-ci suppose l'existence de systèmes de vérification suffisants qui, s'ils avaient existé, auraient empêché l'octroi d'une ristourne excessive. En tout état de cause, les requérantes rappellent que la tâche de déterminer l'existence d'une subvention et, dans l'affirmative, son montant, appartient aux institutions communautaires.

84. En quatrième lieu, elles se réfèrent à l'existence d'un principe de droit international, consacré par l'accord SMC et le système douanier communautaire, selon lequel un fabricant n'est pas tenu de supporter les droits sur des marchandises importées uniquement aux fins de les traiter et ensuite de les réexporter. Il n'existerait toutefois pas de définition contraignante au niveau international des conditions que devrait remplir un tel régime. L'approche suivie par les institutions communautaires reviendrait à imposer à l'Inde, pays en voie de développement ne disposant pas d'un système douanier développé, un régime correspondant exactement à celui organisé par le code des douanes communautaire.

85. En cinquième lieu, et à titre subsidiaire, dans l'éventualité où il serait décidé que la subvention est constituée par le montant total de la ristourne, que celle-ci soit excessive ou non, les requérantes rappellent que la Commission doit encore calculer le montant de la subvention qui est passible de mesures compensatoires. Elles font valoir que, selon l'article 5 du règlement n° 2026-97, celui-ci est constitué par le seul avantage conféré au bénéficiaire. Étant donné qu'il serait universellement reconnu que les intrants consommés dans la production d'un produit exporté sont exempts de droits à l'importation, un avantage ne pourrait être conféré que si un exportateur obtenait une ristourne supérieure au montant des droits à l'importation acquittés sur les intrants consommés dans la production du produit exporté.

86. Le Conseil conteste le bien-fondé de ce moyen.

Appréciation du Tribunal

87. Dans le cadre de ce moyen, les requérantes reprochent, en substance, aux institutions d'avoir commis une erreur de droit dans l'interprétation de la notion de subvention, une erreur dans la qualification juridique du DEPB et, enfin, d'avoir violé une obligation de nature procédurale en n'enquêtant pas sur la réalité du fonctionnement du DEPB.

88. L'intitulé du présent moyen vise également le principe de proportionnalité. Toutefois, à aucun moment les requérantes n'expliquent en quoi la qualification de subvention du DEPB serait contraire au principe de proportionnalité. Un tel grief ne correspond donc pas aux exigences de l'article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, en ce qu'il n'est pas suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l'appui, et doit donc être déclaré irrecevable (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T-352-94, Rec. p. II-1989, points 333 et 334).

- Sur la prétendue erreur de droit dans l'interprétation de la notion de subvention

89. Selon l'article 2, paragraphe 1, sous a), II), du règlement n° 2026-97:

" [U]ne subvention est réputée exister [...] s'il y a une contribution financière des pouvoirs publics du pays d'origine ou d'exportation, c'est-à-dire dans les cas où [...] des recettes publiques normalement exigibles sont abandonnées ou ne sont pas perçues (par exemple dans le cas des incitations fiscales telles que les crédits d'impôt); à cet égard, l'exonération, en faveur du produit exporté, des droits ou taxes qui frappent le produit similaire lorsque celui-ci est destiné à la consommation intérieure ou la remise de ces droits ou taxes jusqu'à concurrence des montants dus n'est pas considérée comme une subvention, pour autant qu'elle ait été accordée conformément aux dispositions des annexes I à III."

90. Il ressort de cette disposition que, contrairement à ce que font valoir les requérantes, les annexes I à III du règlement n° 2026-97 ne sont pas de simples lignes directrices visant à déterminer l'existence de garanties contre la possibilité d'une ristourne excessive, mais contiennent des règles dont le respect est nécessaire pour qu'une remise ou une exonération de droit ne soit pas qualifiée de subvention. Cette conclusion s'impose au regard des termes particulièrement clairs de l'article 2, paragraphe 1, sous a), II), du règlement n° 2026-97. En outre, il ressort de l'économie de cet article que la dérogation accordée aux exonérations ou aux remises de droit est une exception au principe selon lequel l'abandon ou l'absence de perception de recettes publiques normalement exigibles constitue une subvention. Elle est, dès lors, d'interprétation stricte.

91. Par conséquent, en décidant dans les considérants 8 et 9 du règlement antisubventions attaqué que, à défaut de respect des dispositions des annexes I à III du règlement n° 2026-97, l'avantage passible de mesures compensatoires était constitué par le montant total des droits à l'importation normalement exigibles sur toutes les importations, le Conseil n'a pas commis d'erreur de droit dans l'interprétation du règlement n° 2026-97. En effet, la limitation de la qualification de subvention au seul excédent perçu, ainsi que le soutiennent les requérantes, suppose au préalable que le système de remise ou d'exonération de droit soit compatible avec l'article 2, paragraphe 1, sous a), II), du règlement n° 2026-97 et, partant, avec ses annexes I à III.

92. Pour les mêmes raisons, l'argument tiré d'une prétendue violation de l'article 5 du règlement n° 2026-97, selon lequel " [l]e montant de la subvention passible de mesures compensatoires est [...] calculé en termes d'avantage conféré au bénéficiaire tel que constaté et déterminé pour la période d'enquête ", doit être rejeté. En effet, il repose sur la même prémisse erronée que les exportateurs ont un droit à bénéficier d'une ristourne sur les droits relatifs aux intrants utilisés dans les produits exportés, alors qu'il découle de ce qui précède que ce droit est conditionné au respect de l'article 2, paragraphe 1, sous a), II), du règlement n° 2026-97.

93. Cette conclusion n'est pas infirmée par la référence à l'annexe I, sous i), à l'annexe II, point I 2, et à l'annexe III, point I, dans lesquelles il est précisé, en substance, qu'un système de ristourne peut constituer une subvention s'il aboutit au versement de montants supérieurs à ceux perçus. Il suffit de souligner que ces différentes dispositions rappellent le principe énoncé à l'article 2, paragraphe 1, sous a), II), du règlement n° 2026-97, mais n'ont pas pour objet de préciser les critères auxquels doit répondre un système de ristourne pour être compatible avec cet article, ceux-ci étant explicités dans d'autres dispositions des annexes II et III du règlement n° 2026-97.

94. Enfin, s'agissant de l'article 1er, paragraphe 1, et de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 2026-97 ainsi que de l'article 1er, paragraphe 1, sous a), 1), III), et de l'article 19, paragraphe 3, de l'accord SMC, auxquels le libellé du présent moyen renvoie, les requérantes n'expliquent pas en quoi ils auraient une quelconque incidence sur l'analyse des conditions que doit remplir un régime d'exonération ou de remise de droit à l'importation pour ne pas être qualifié de subvention.

- Sur la prétendue erreur dans la qualification de subvention du DEPB

95. Selon l'annexe II, point II 4, du règlement n° 2026-97: " Dans les cas où il est allégué qu'un [...] système de ristourne comporte une subvention en raison d'un abattement ou d'une ristourne excessifs au titre d'impôts indirects ou d'impositions à l'importation perçus sur des intrants consommés dans la production du produit exporté, la Commission doit normalement d'abord déterminer si les pouvoirs publics du pays exportateur ont mis en place et appliquent un système ou une procédure permettant de vérifier quels intrants sont consommés dans la production du produit exporté et en quelles quantités ils le sont. Dans les cas où elle établit qu'un système ou une procédure de ce type est appliqué, la Commission doit normalement l'examiner pour voir s'il est raisonnable, s'il est efficace pour atteindre le but recherché et s'il est fondé sur des pratiques commerciales généralement acceptées dans le pays d'exportation. " L'annexe III, point II 2, du règlement n° 2026-97 est rédigée en des termes similaires, s'agissant d'un système de ristourne sur intrants de remplacement.

96. Il ressort de l'annexe II, point II 5, du règlement n° 2026-97 ce qui suit : " Lorsqu'il n'existe pas de système ou de procédure de ce type, qu'un tel système ou une telle procédure n'est pas raisonnable ou qu'il a été établi et est considéré comme raisonnable mais qu'il est constaté qu'il n'est pas appliqué ou ne l'est pas efficacement, le pays exportateur procède normalement à un nouvel examen fondé sur les intrants effectifs en cause afin de déterminer s'il y a eu versement excessif. Si la Commission le juge nécessaire, un nouvel examen sera effectué conformément au point [II] 4. " L'annexe III, point II 3, du règlement n° 2026-97 est rédigée en des termes similaires, s'agissant d'un système de ristourne sur intrants de remplacement.

97. Pour considérer que le DEPB ne pouvait être qualifié de régime autorisé de ristourne sur intrants ou sur intrants de remplacement, le Conseil s'est notamment fondé sur la circonstance décrite au considérant 9 du règlement antisubventions attaqué selon laquelle :

" [L]es pouvoirs publics indiens n'ont pas appliqué de système ni de procédure permettant de vérifier effectivement quels intrants ont été consommés dans le processus de production du produit exporté (annexe II, [point] II [...] 4, du règlement [n° 2026-97] et, dans le cas des régimes de ristourne sur intrants de remplacement, annexe III, [point] II [...] 2, du règlement [n° 2026-97]). Ils n'ont pas non plus procédé à un examen postérieur à l'exportation, fondé sur les intrants effectifs en cause, afin de déterminer s'il y a eu versement excessif, alors qu'ils sont normalement tenus de le faire en l'absence de système de vérification efficace (annexe II, [point] II [...] 5, et annexe III, [point] II [...] 3, du règlement [n° 2026-97]). "

98. Il convient de constater que le Conseil a retenu une interprétation correcte des critères énoncés par les annexes II et III du règlement n° 2026-97, critères dont l'objet est de vérifier que le système de ristourne existant dans le pays exportateur permet de s'assurer de la réalité de la consommation des intrants ou des intrants de remplacement. Le premier critère tient dans l'existence d'un système ou d'une procédure permettant d'opérer une telle vérification. Le second critère, qui s'applique subsidiairement, dans l'éventualité où une telle procédure ou un tel système n'existerait pas ou serait défaillant, consiste dans le recours par le pays exportateur à un examen fondé sur la réalité des intrants utilisés ou des transactions réalisées.

99. C'est à juste titre que le Conseil a considéré que le DEPB ne correspondait pas aux critères prévus par les annexes II et III du règlement n° 2026-97.

100. D'une part, il ne ressort pas de la description du DEPB telle qu'elle figure aux considérants 23 à 30 du règlement antisubventions provisoire - description confirmée par le Conseil au considérant 6 du règlement antisubventions attaqué et qui n'est pas contestée par les requérantes - que les pouvoirs public indiens aient institué une procédure ou un mécanisme de vérification. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la conjonction de plusieurs facteurs, dont l'application de la norme SION, l'utilisation des crédits pour les importations d'intrants et la circonstance qu'elles invoquent dans leurs écritures selon laquelle la plupart des exportateurs indiens utilisent le DEPB de la même manière qu'un système de ristourne imposant l'obligation stricte d'utiliser toute ristourne pour acquitter les droits dus à l'importation des intrants précis consommés dans la production des produits exportés, ne saurait s'apparenter à une procédure ou à un système de vérification au sens de l'annexe II, point II 4, et de l'annexe III, point II 2, du règlement n° 2026-97.

101. D'autre part, il est constant que les autorités indiennes n'ont pas procédé à un examen postérieur aux exportations, ainsi qu'elles étaient tenues de le faire en l'absence de procédure ou de système de vérification en application de l'annexe II, point II 5, du règlement n° 2026-97 et de l'annexe III, point II 3, de ce même règlement. Ce point est, par ailleurs, confirmé par l'argumentation des requérantes selon laquelle c'est à la Communauté qu'il appartiendrait de procéder à un tel examen.

102. C'est donc à juste titre que le Conseil a pu considérer que le DEPB ne répondait pas aux critères énoncés dans les annexes II et III du règlement n° 2026-97 et que, partant, il ne saurait être qualifié de régime autorisé de ristourne sur intrants ou sur intrants de remplacement au sens de l'article 2, paragraphe 1, sous a), ii), de ce même règlement.

103. Cette conclusion n'est pas affectée par l'utilisation de l'adverbe " normalement " dans les annexes II et III du règlement n° 2026-97. Si celle-ci implique que, dans des circonstances particulières, les institutions peuvent éventuellement utiliser d'autres critères, elle ne saurait leur ôter la possibilité de se fonder sur l'absence des critères prévus, aux fins de constater le caractère non autorisé d'un régime de ristourne sur intrants ou sur intrants de remplacement.

104. Quant aux arguments des requérantes tirés de l'absence de définition contraignante d'un régime de ristourne de droit au niveau international et de la circonstance que l'Inde est un pays en voie de développement, ils ne sont pas de nature à infirmer cette conclusion. À cet égard, il suffit de souligner que les annexes II et III du règlement n° 2026-97 sont conformes aux annexes II et III de l'accord SMC et que ces dernières ne font aucune distinction en faveur des pays en voie de développement.

105. À titre surabondant, il peut être relevé que le DEPB n'est pas fondé sur la réalité des intrants ou des intrants de remplacement utilisés dans le produit exporté, mais sur une simple estimation de leur quantité. En cela, ce système ne comprend pas de condition d'utilisation effective des intrants dans le produit exporté. Or, l'existence d'une telle condition découle implicitement mais nécessairement de l'article 2, paragraphe 1, sous a), II), du règlement n° 2026-97 ainsi que de ses annexes II et III.

- Sur l'absence d'enquête relative à la réalité du fonctionnement du DEPB

106. Ainsi qu'il ressort des points 95 et 96 ci-dessus, la Commission doit seulement déterminer si les pouvoirs publics du pays exportateur ont mis en place et appliquent un système ou une procédure de contrôle. Elle n'est nullement tenue, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, d'enquêter aux fins de vérifier le fonctionnement du DEPB en pratique. Au contraire, en l'absence de système ou de procédure de contrôle adéquat, c'est au pays exportateur et non à la Communauté qu'il appartient de procéder à un nouvel examen fondé sur les intrants effectifs et les transactions réelles en cause. Le présent grief doit donc être rejeté.

107. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le troisième moyen.

Sur le quatrième moyen, tiré de l'absence de prise en considération des effets des pratiques anticoncurrentielles sanctionnées sur le marché communautaire lors de la détermination du préjudice

Arguments des parties

108. Les requérantes font valoir que les règlements attaqués violent, d'une part, l'article 1er, paragraphe 1, l'article 3, paragraphes 1, 6, et 7, l'article 9, paragraphe 4, du règlement n° 384-96 ainsi que les articles 3 et 9 du code antidumping de 1994 et, d'autre part, l'article 1er, paragraphe 1, l'article 8, paragraphes 1, 6 et 7, et l'article 15, paragraphe 1, du règlement n° 2026-97 ainsi que les articles 15 et 19 de l'accord SMC et sont entachés d'une erreur manifeste d'appréciation, en ce qu'ils imposent des droits définitifs à l'encontre des importations du produit concerné en l'absence d'une détermination correcte et adéquate du préjudice, notamment en se fondant sur des données rendues peu fiables par l'existence d'un accord anticoncurrentiel.

109. Elles rappellent que des droits antidumping et compensateurs ne peuvent être imposés qu'à la suite d'une enquête ayant démontré l'existence d'un préjudice important pour l'industrie communautaire. En application des règles de l'OMC, il serait nécessaire de s'assurer que le recours à des mesures de défense commerciale ne bloque pas l'accès des importations en cause au marché communautaire, alors que le préjudice de l'industrie communautaire a pu être causé par d'autres facteurs. Un calcul précis du montant exact du préjudice serait dès lors nécessaire pour éviter qu'un préjudice causé par d'autres facteurs ne soit imputé aux importations examinées et pour permettre une application effective de la règle du droit moindre.

110. Elles soulignent également l'importance accordée par le juge communautaire à la détermination du rôle joué par d'autres facteurs dans le préjudice causé à l'industrie communautaire, et notamment par d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles. Ainsi, dans son arrêt du 11 juin 1992, Extramet Industrie/Conseil (C-358-89, Rec. p. I3813), la Cour aurait annulé un droit au motif que la Commission n'avait pas correctement déterminé le préjudice causé par les importations ni examiné si l'industrie communautaire pertinente n'était pas à l'origine de son propre préjudice du fait de ses agissements anticoncurrentiels.

111. Selon les requérantes, en application de l'arrêt du Tribunal du 19 septembre 2001, Mukand e.a./Conseil (T-58-99, Rec. p. II-2521), il appartient à la Commission de vérifier si le marché faisant l'objet de l'enquête était affecté par les activités anticoncurrentielles en cause et, le cas échéant, s'il était possible d'aboutir à des conclusions fiables en ce qui concerne le préjudice. De même, elles rappellent que, en application de l'article 8, paragraphes 6 et 7, du règlement n° 2026-97 et de l'article 3, paragraphes 6 et 7, du règlement n° 384-96, les institutions sont tenues de ne pas imputer aux importations examinées les effets négatifs sur l'industrie communautaire de son propre comportement anticoncurrentiel. Elles en déduisent que, en cas de pratique anticoncurrentielle aboutissant à une fixation des prix sur le marché communautaire des produits faisant l'objet d'une enquête antidumping ou antisubventions, la Commission est tenue de mettre fin à la procédure, dès lors que cette activité anticoncurrentielle invalide les déterminations du préjudice et du lien de causalité, voire les rend impossibles.

112. Dans le cas d'espèce, les requérantes font valoir que les comportements anticoncurrentiels sanctionnés par la Commission dans sa décision 2002-271-CE, du 18 juillet 2001, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] et de l'article 53 de l'accord sur l'Espace économique européen (JO 2002, L 100, p. 1), auraient dû être pris en compte. D'une part, les principaux effets auraient consisté en des prix artificiellement élevés jusqu'en mars 1998. Cela empêcherait tant une détermination exacte du prétendu prix anormalement bas des importations indiennes que des niveaux de rentabilité appropriés de l'industrie communautaire. D'autre part, les pratiques anticoncurrentielles auraient également eu pour incidence d'élever artificiellement les parts de marché des producteurs communautaires. Il ne devrait donc être tiré aucune conséquence de la circonstance que les niveaux de prix aient chuté. Les requérantes en déduisent qu'il n'était pas possible pour la Commission d'opérer une évaluation fiable des indicateurs de préjudice. Selon les requérantes, elle aurait dû aller jusqu'à s'interroger sur le point de savoir si les difficultés de l'industrie communautaire n'étaient pas dues à ses propres agissements. Elles soutiennent que les circonstances du cas d'espèce rendent l'analyse plus aisée que dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Mukand e.a./Conseil, point 111 supra, dès lors que les pratiques anticoncurrentielles déploient leurs effets sur le même marché que les importations en cause. Elles en déduisent qu'une comparaison des niveaux de prix entre les électrodes en graphite communautaires et indiennes est impossible.

113. Les requérantes contestent l'analyse selon laquelle le cartel aurait cessé de produire ses effets à la date de commencement de la période examinée, le 1er janvier 1999. Il serait illusoire de soutenir que les effets d'une entente portant sur la fixation des prix et la répartition des marchés peuvent disparaître immédiatement, surtout dans un marché oligopolistique. Elles font valoir qu'au 1er janvier 1999 l'enquête de la Commission sur le cartel venait de commencer et que les effets de celui-ci étaient à leur apogée, dès lors que, notamment, les prix appliqués avaient été convenus au cours des années précédentes et se trouvaient donc à un niveau très élevé. La baisse des prix constatée ensuite devrait donc davantage être imputée à la cessation progressive des effets de l'entente qu'aux importations indiennes. À cet égard, les requérantes soutiennent avoir communiqué à la Commission des éléments démontrant que le marché n'était pas libéré des effets de l'entente, constitués par des preuves d'augmentations de prix simultanées et identiques.

114. Elles déduisent de ce qui précède que des erreurs manifestes d'appréciation ont été commises tant dans la détermination du préjudice que du lien causal. D'une part, la Commission n'aurait pas été en possession d'indicateurs adéquats et fiables pour mesurer le préjudice. Elles font valoir, en substance, que les mesures compensatrices et antidumping ayant en principe pour objet la restauration du caractère concurrentiel d'un marché, il est nécessaire que la Commission ait une idée précise du niveau de concurrence qui devrait exister sur ce marché. En l'espèce, la seule donnée quantifiable aurait été constituée par les baisses de performance de l'industrie communautaire, laquelle n'est pas assimilable à un préjudice important susceptible de justifier l'instauration de droits. D'autre part, s'agissant de l'examen du lien de causalité, le déclin des performances des producteurs communautaires devrait être considéré comme imputable à leurs propres actions constituées par leurs pratiques anticoncurrentielles et non aux importations indiennes.

115. Le Conseil soutient que les institutions ont examiné si l'existence dans le passé d'un cartel avait eu une influence sur les données à prendre en considération concernant le préjudice et ont, à bon droit, conclu que tel n'était pas le cas.

Appréciation du Tribunal

116. L'article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 384-96 dispose que peut être soumis à un droit antidumping tout produit faisant l'objet d'un dumping lorsque sa mise en libre pratique dans la Communauté cause un préjudice.

117. L'article 3 de ce même règlement dispose:

" 1. Pour les besoins du présent règlement, le terme 'préjudice' s'entend, sauf indication contraire, d'un préjudice important causé à une industrie communautaire, d'une menace de préjudice important pour une industrie communautaire ou d'un retard sensible dans la création d'une industrie communautaire et est interprété conformément aux dispositions du présent article.

[...]

6. Il doit être démontré à l'aide de tous les éléments de preuve pertinents [...] que les importations faisant l'objet d'un dumping causent un préjudice au sens du présent règlement [...]

7. Les facteurs connus, autres que les importations faisant l'objet d'un dumping, qui, au même moment, causent un préjudice à l'industrie communautaire sont aussi examinés de manière à ce que le préjudice causé par ces autres facteurs ne soit pas attribué aux importations faisant l'objet d'un dumping au sens du paragraphe 6. Les facteurs qui peuvent être considérés comme pertinents à cet égard comprennent [...] le volume et les prix des importations non vendues à des prix de dumping, [...] les pratiques commerciales restrictives des producteurs de pays tiers et communautaires [...] "

118. Aux termes de l'article 9, paragraphe 4, du règlement n° 384-96, " [l]orsqu'il ressort de la constatation définitive des faits qu'il y a dumping et préjudice en résultant et que l'intérêt de la Communauté nécessite une action [...], un droit antidumping définitif est imposé par le Conseil ".

119. Les articles 1er, 8 et 15 du règlement n° 2026-97 sont rédigés de manière similaire s'agissant des droits compensateurs.

120. Selon une jurisprudence constante, la question de savoir si l'industrie communautaire a subi un préjudice et si celui-ci est imputable aux importations faisant l'objet d'un dumping ou d'une subvention ainsi que celle de savoir si les importations provenant d'autres pays ou, plus généralement, si d'autres facteurs connus ont contribué au préjudice subi par l'industrie communautaire supposent l'évaluation de questions économiques complexes pour laquelle les institutions disposent d'un large pouvoir d'appréciation. Il en résulte que le contrôle du juge communautaire sur les appréciations des institutions doit être limité à la vérification du respect des règles de procédure, de l'exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits ou de l'absence de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 28 septembre 1995, Ferchimex/Conseil, T-164-94, Rec. p. II2681, point 131, et Mukand e.a./Conseil, point 111 supra, point 38).

121. Premièrement, s'agissant de l'argument tiré du prétendu manque de fiabilité des indicateurs de préjudice, il convient de rappeler qu'en application de l'article 3, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 384-96 et de l'article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 2026-97, la détermination du préjudice est fonction notamment de l'augmentation des importations, de l'évolution des prix sur le marché communautaire ainsi que de l'évolution de la rentabilité de l'industrie communautaire. Il importe donc que les indices sur lesquels les institutions se fondent correspondent à des conditions normales de marché (voir, en ce sens, arrêt Mukand e.a./Conseil, point 111 supra, point 46).

122. L'analyse des passages pertinents des règlements provisoires, confirmés par les règlements attaqués, ne démontre pas que les institutions aient commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que, à la date de commencement de la période examinée, le 1er janvier 1999, les effets des comportements anticoncurrentiels sanctionnés dans la décision 2002-271 s'étaient estompés (considérant 46 du règlement antidumping provisoire et considérant 90 du règlement antisubventions provisoire, confirmés, respectivement, par le considérant 18 du règlement antidumping attaqué et le considérant 27 du règlement antisubventions attaqué).

123. En effet, il ressort des considérants 77 à 81 du règlement antidumping provisoire et des considérants 121 à 125 du règlement antisubventions provisoire, confirmés par le Conseil au considérant 21 du règlement antidumping attaqué et au considérant 29 du règlement antisubventions attaqué, que cette conclusion est étayée par une analyse suffisamment convaincante s'agissant d'un domaine où est reconnu aux institutions un large pouvoir d'appréciation.

124. Ainsi, pour retenir que le cartel avait cessé de produire ses effets au 1er janvier 1999, date choisie comme point de départ de la période examinée, il a été observé que pratiquement toutes les transactions effectivement facturées et acquittées en 1999 et les prix correspondants résultaient d'accords postérieurs à la date de cessation du cartel (mars 1998). Cette constatation était elle-même fondée sur la circonstance suivante, évoquée au considérant 78 du règlement antidumping provisoire et au considérant 122 du règlement antisubventions provisoire :

" L'enquête a permis de constater qu'au cours de la période 1998-1999 environ 40 % des transactions ont été couvertes par des contrats annuels, 35 % par des contrats de six mois et 25 % par des contrats de trois mois ou uniques. Les contrats à long terme (par exemple, de trois ans) n'ont gagné du terrain qu'assez récemment mais ont été marginaux, voire totalement inexistants, pendant les années 1997-1998, ce qui était logique sur un marché caractérisé par des prix élevés."

125. De plus, le Conseil s'appuie sur la constatation, exposée au considérant 80 du règlement antidumping provisoire et au considérant 124 du règlement antisubventions provisoire, qu'une analyse des prix à long terme du produit concerné sur le marché communautaire avait démontré une augmentation progressive de ceux-ci pendant les années 90, atteignant un sommet en 1998, puis une chute de 14% entre 1998 et 1999.

126. En outre, la Commission a expliqué pourquoi l'évolution des prix dans un autre marché, celui des électrodes à grand diamètre (supérieur à 700 mm), n'était pas pertinente (considérant 79 du règlement antidumping provisoire et considérant 123 du règlement antisubventions provisoire).

127. Il reste à vérifier si les considérations qui précèdent ne sont pas infirmées par les arguments des requérantes.

128. En premier lieu, aux fins de démontrer que l'entente produisait encore des effets sur le marché en cause au 1er janvier 1999, les requérantes soutiennent que, à cette date, l'enquête de la Commission sur le cartel venait de commencer et que les effets anticoncurrentiels étaient à leur apogée. Il suffit de constater que les institutions se sont à juste titre fondées sur la décision 2002-271 dont il ressort que l'enquête a débuté le 5 juin 1997 (considérant 32) et que l'infraction a perduré jusqu'en février/mars 1998 (considérant 155).

129. En second lieu, les requérantes se réfèrent à la structure oligopolistique du marché en cause ainsi qu'à la circonstance que la concurrence y avait été absente ou très réduite, pour souligner que la réintroduction de la concurrence ne pouvait se faire soudainement, mais seulement de manière graduée. Ainsi qu'il ressort des points 122 à 126 ci-dessus, la lecture des règlements provisoires et définitifs ne permet pas, à elle seule, de faire apparaître l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation. C'est donc aux requérantes qu'il appartient de produire les éléments de preuve permettant au Tribunal d'aboutir à une conclusion différente (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 17 décembre 1997, EFMA/Conseil, point 45 supra, point 106; du 28 octobre 1999, EFMA/Conseil, T-210-95, Rec. p. II-3291, point 58, et Mukand e.a./Conseil, point 111 supra, point 41).

130. À cet égard, les requérantes présentent différents éléments qui démontreraient, selon elles, l'existence d'augmentations de prix simultanées de la part de SGL et d'UCAR postérieures au 1er janvier 1999 et, partant, l'absence de retour à des conditions normales de marché. Ces éléments ont été rappelés et d'autres apportés par les requérantes dans leur courrier du 22 juin 2004.

131. Sans qu'il soit nécessaire de s'interroger sur la valeur probante de certains de ces documents tirés de pages Internet (extraits du site Yahoo Finance, des sites Internet d'UCAR et de SGL), il suffit de constater qu'ils ne visent pas l'élément essentiel retenu par la Commission et confirmé par le Conseil pour considérer que des conditions normales de concurrence étaient rétablies au 1er janvier 1999, à savoir la baisse importante de 14 % des prix observée entre 1998 et 1999. En effet, par ces documents, les requérantes visent seulement à démontrer des augmentations de prix qui seraient intervenues simultanément postérieurement au 1er janvier 1999 et, notamment, entre 2002 et 2004. Dès lors, ces documents ne remettent pas en cause le raisonnement selon lequel au 1er janvier 1999 les effets des comportements anticoncurrentiels passés s'étaient estompés et que, partant, les indicateurs de préjudice étaient suffisamment fiables. En l'absence de remise en cause directe de cette analyse, il ne saurait être considéré que cette prétendue augmentation parallèle des prix trouve son origine dans les pratiques sanctionnées par la décision 2002-271 ou qu'elle constitue la preuve de l'absence de conditions normales de marché.

132. En cela, les faits de la présente espèce se distinguent de ceux de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Mukand e.a./Conseil, point 111 supra, invoqué par les requérantes, dans lequel le Conseil ne contestait pas l'existence même de l'élément que le Tribunal a jugé comme rendant peu fiable l'analyse des prix du produit concerné.

133. Deuxièmement, et par voie de conséquence, les autres arguments des requérantes doivent également être rejetés.

134. Tout d'abord, les institutions n'ont pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en considérant que, une fois estompés les effets des pratiques sanctionnées dans la décision 2002-271, le marché communautaire se trouvait dans une situation normale de concurrence.

135. Ensuite, il est certes exact que, selon une jurisprudence constante, lors de la détermination du préjudice, le Conseil et la Commission ont l'obligation d'examiner si le préjudice qu'ils entendent retenir découle effectivement des importations qui ont fait l'objet d'un dumping et d'écarter tout préjudice découlant d'autres facteurs, et, notamment, celui qui aurait sa cause dans le comportement propre des producteurs communautaires (arrêt Extramet Industrie/Conseil, point 110 supra, point 16, et arrêt du Tribunal du 14 mars 2007, Aluminium Silicon Mill Products/Conseil, T-107-04, Rec. p. II-669, point 72). Toutefois, pour les raisons évoquées ci-dessus, il y a lieu de considérer que le préjudice que l'industrie communautaire avait pu éventuellement se causer à elle-même avait cessé à la date de commencement de la période d'examen.

136. Enfin, s'agissant des références opérées par les requérantes à de prétendues violations des articles 3 et 9 du code antidumping de 1994 et les articles 15 et 19 de l'accord SMC, il apparaît que celles-ci ne soutiennent pas que ces dispositions ont un contenu différent de celui des dispositions des règlements nos 384-96 et 2026-97 donnant effet aux obligations particulières qu'elles comportent.

137. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

Sur le cinquième moyen, relatif à l'absence de prise en considération des effets d'autres facteurs lors de la détermination du préjudice et au choix de la méthode de calcul dudit préjudice

Arguments des parties

138. Les requérantes reprochent, en substance, aux institutions d'avoir imputé l'ensemble du préjudice aux importations indiennes, alors qu'une enquête adéquate à l'égard d'autres facteurs et plus particulièrement d'autres importations présentant des prix anormalement bas aurait certainement conduit à la reconnaissance d'un dumping en provenance de pays autres que l'Inde et notamment du Japon. Par conséquent, tant les règlements provisoires que les règlements attaqués seraient contraires soit à l'article 3, paragraphe 7, du règlement n° 38-96, soit à l'article 8, paragraphe 7, du règlement n° 2026-97.

139. En outre, les requérantes considèrent que dans la présente affaire, où d'autres facteurs peuvent avoir joué un rôle dans la baisse des prix des produits, la Commission n'aurait pas dû calculer la marge de bénéfice en se fondant sur un prix cible correspondant prétendument à ce qu'il aurait dû être en l'absence de dumping et de subvention mais plutôt suivre la pratique bien établie de la sous-cotation des prix. Pour les requérantes, la méthode privilégiée par la Commission en l'espèce, reposant sur une comparaison entre les prix à l'exportation indiens et les prix cibles de l'industrie communautaire et incluant une marge bénéficiaire jugée raisonnable, aboutit à faire supporter aux importateurs indiens la charge de tout le préjudice supposé causé à l'industrie communautaire, alors même que la Commission aurait conclu qu'ils ne sont pas les seuls à en être à l'origine. Cette conséquence serait précisément celle que l'article 3, paragraphe 7, du règlement n° 384-96 et l'article 8, paragraphe 7, du règlement n° 2026-97 ont pour objet d'éviter.

140. Les requérantes font valoir que le Conseil semble confondre les notions distinctes que sont la causalité et l'exclusion d'autres facteurs de la détermination du préjudice. Elles ne prétendent pas que, dans un cas déterminé de dumping ou de subventions, l'existence d'autres facteurs à l'origine du préjudice de l'industrie communautaire devrait priver cette dernière de toute protection, mais affirment seulement que, en application de l'article 3, paragraphe 7, du règlement n° 384-96, le préjudice causé par ces autres facteurs ne devrait pas être imputé aux importations faisant l'objet de dumping.

141. Le Conseil considère que le présent moyen doit être rejeté.

Appréciation du Tribunal

142. Selon l'article 3, paragraphe 7, du règlement n° 384-96 et l'article 8, paragraphe 7, du règlement n° 2026-97, les facteurs connus, autres que les importations faisant l'objet d'un dumping ou de subventions qui, au même moment, causent un préjudice à l'industrie communautaire, sont aussi examinés de manière à ce que le préjudice causé par ces autres facteurs ne soit pas attribué aux importations faisant l'objet d'un dumping ou de subventions.

143. Ainsi que la Cour a eu l'occasion de le souligner, la responsabilité d'un préjudice peut être attribuée aux importations considérées, même si leurs effets ne représentent qu'une partie d'un préjudice plus large imputable à d'autres facteurs, et notamment à des importations en provenance de pays tiers (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 5 octobre 1988, Canon e.a./Conseil, 277/85 et 300/85, Rec. p. 5731, point 62).

144. Toutefois, il appartient aux institutions de vérifier si les effets de ces autres facteurs n'ont pas été de nature à rompre le lien de causalité entre, d'une part, les importations en cause et, d'autre part, le préjudice subi par l'industrie communautaire (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 14 juillet 1995, Koyo Seiko/Conseil, T-166-94, Rec. p. II2129, points 79, 81 et 82, et du 29 janvier 1998, Sinochem/Conseil, T-97-95, Rec. p. II-85, point 98).

145. De même, il leur appartient de s'assurer que le préjudice imputable à ces autres facteurs n'entre pas en ligne de compte dans la détermination du préjudice au sens de l'article 3, paragraphe 7, du règlement n° 384-96 et de l'article 8, paragraphe 7, du règlement n° 2026-97 et que, par conséquent, le droit antidumping ou compensateur imposé n'excède pas ce qui est nécessaire pour faire disparaître le préjudice causé par les importations faisant l'objet d'un dumping ou d'une subvention [voir, en ce sens, s'agissant de l'application de l'article 4, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 2423-88 du Conseil, du 11 juillet 1988, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 209, p. 1), dont la formulation est semblable à celles de l'article 3, paragraphe 7, du règlement n° 384-96 et de l'article 8, paragraphe 7, du règlement n° 2026-97, arrêt du 28 octobre 1999, EFMA/Conseil, point 129 supra, points 59 et 60].

146. Dès lors, les institutions sont tenues d'apprécier les effets des autres facteurs connus, et notamment des importations du produit concerné en provenance de pays tiers, non seulement à l'occasion de l'analyse du lien de causalité existant entre les importations examinées et le préjudice subi par l'industrie communautaire, mais également à l'occasion de la détermination du préjudice subi par cette dernière.

147. C'est à la lumière de ces considérations que doivent être analysés les griefs des requérantes relatifs, d'une part, à l'absence de prise en compte des effets d'autres facteurs et, d'autre part, au choix de la méthode de calcul du niveau d'élimination du préjudice.

- Sur le grief tiré d'une absence de prise en compte des effets d'autres facteurs

148. La seule critique explicite des requérantes vise l'absence de prise en compte des effets des importations japonaises.

149. La Commission, dans ses règlements provisoires dont les considérants pertinents (83 à 88 du règlement antidumping provisoire et 127 à 132 du règlement antisubventions provisoire) ont été confirmés par le Conseil (considérant 21 du règlement antidumping attaqué et considérant 29 du règlement antisubventions attaqué), s'est attachée à démontrer que rien n'indiquait que les importations en provenance de certains pays tiers autres que l'Inde aient contribué à la situation préjudiciable de l'industrie communautaire.

150. Elle est arrivée à la conclusion suivante, exposée au considérant 87 du règlement antidumping provisoire et au considérant 131 du règlement antisubventions provisoire:

" Compte tenu des prix moyens, du faible volume [des] importations [en provenance de pays tiers autres que l'Inde], de leur part de marché limitée et des considérations susmentionnées à propos de la gamme de produits, rien n'indique que ces importations de pays tiers, qu'elles proviennent ou non des usines des deux producteurs communautaires à l'origine de la plainte, ont contribué à la situation préjudiciable de l'industrie communautaire, notamment en termes de parts de marché, de volumes des ventes, d'emploi, d'investissement, de rentabilité, de rendement des investissements et de flux de liquidités. "

151. Cette conclusion s'appuie sur plusieurs éléments, qui ne sont pas explicitement critiqués par les requérantes.

152. Ainsi, il n'est pas contesté que seules les importations originaires de trois pays autres que l'Inde, en l'occurrence le Japon, la Pologne et les États-Unis, ont représenté une part du marché au sein de la Communauté supérieure à 1 % pendant la période d'enquête, et que leur prix franco frontière communautaire (ci-après le " prix caf ") était supérieur à celui des importations indiennes. S'agissant des importations en provenance de Pologne, il est observé que leur prix caf a été supérieur à ceux de l'industrie communautaire. En ce qui concerne les États-Unis, les règlements provisoires constatent que leur part de marché a diminué de 5,3 à 4,7%.

153. Il est vrai que peu d'explications relatives aux importations japonaises figurent dans les règlements provisoires. Il y est simplement mentionné que " la part du marché du Japon est passée de 2,1% à 2,6% " et que le prix caf de leurs importations était inférieur à celui de l'industrie communautaire mais supérieur à celui de l'Inde (considérant 128 du règlement antisubventions provisoire et considérant 84 du règlement antidumping provisoire).

154. Si de telles importations ne sont certes pas susceptibles de rompre le lien de causalité entre les importations examinées et le préjudice de l'industrie communautaire, il appartenait aux institutions de vérifier qu'elles ne causent pas un préjudice autonome à l'industrie communautaire et, le cas échéant, de ne pas l'imputer aux importations examinées.

155. Même si la motivation des règlements attaqués s'agissant des importations japonaises est succincte, il ressort cependant à suffisance de droit des règlements attaqués et des règlements provisoires auxquels ils renvoient qu'un tel effet a été considéré comme inexistant ou trop négligeable pour être à l'origine d'un quelconque préjudice appréciable.

156. D'une part, il en ressort une juste interprétation de l'obligation incombant aux institutions de ne pas imputer aux importations examinées le préjudice subi par l'industrie communautaire causé par d'autres facteurs, et notamment par les importations du produit concerné en provenance de pays tiers. En effet, il est souligné au considérant 117 du règlement antisubventions provisoire, tout comme de manière similaire au considérant 73 du règlement antidumping provisoire, ce qui suit :

" Conformément à l'article 8, paragraphes 6 et 7, du règlement [n° 2026-97], la Commission a examiné si les importations subventionnées ont causé à l'industrie communautaire un préjudice pouvant être considéré comme important. Les facteurs connus autres que les importations faisant l'objet des subventions qui, au même moment, auraient pu causer un préjudice à l'industrie communautaire ont été examinés eux aussi, de façon à ce que le préjudice éventuellement causé par ces autres facteurs ne soit pas attribué aux importations concernées. "

157. D'autre part, c'est à juste titre que les institutions ont pu estimer que, dans le cas d'espèce, les effets des importations en provenance de pays tiers n'avaient qu'un effet très limité, voire nul, et, par conséquent, que ces dernières n'étaient pas à l'origine d'un quelconque préjudice appréciable qu'elles auraient dû s'efforcer de ne pas imputer aux importations examinées.

158. À cet égard, il est souligné au considérant 136 du règlement antisubventions provisoire, de même que de manière similaire au considérant 92 du règlement antidumping provisoire, que " l'effet de la baisse de la demande liée au ralentissement enregistré sur le marché de l'acier, du retour aux conditions de concurrence normales après le démantèlement du cartel, des résultats des autres producteurs communautaires, des importations en provenance d'autres pays tiers, des résultats à l'exportation de l'industrie communautaire, a été très limité, voire nul, et n'est donc pas de nature à infirmer la conclusion provisoire selon laquelle il existe véritablement une relation étroite de cause à effet entre les importations subventionnées en provenance du pays concerné et le préjudice important subi par l'industrie communautaire ".

159. Or, une telle conclusion à l'égard d'importations dont le volume n'a augmenté que de 0,5 % sur l'ensemble de la période examinée et adoptée dans un domaine où, pour les raisons mentionnées au point 120 ci-dessus, les institutions disposent d'un large pouvoir d'appréciation n'apparaît pas manifestement erronée.

160. Il s'ensuit que le premier grief des requérantes doit être rejeté.

- Sur le grief relatif au choix de la méthode de calcul du niveau d'élimination du préjudice

161. Le choix de la méthode de calcul relève de la liberté d'appréciation reconnue aux institutions s'agissant de la détermination du préjudice subi par l'industrie communautaire et se justifie par les appréciations économiques complexes qui lui sont inhérentes. Or, le recours à une méthode de calcul se fondant sur la marge bénéficiaire qu'aurait pu escompter l'industrie communautaire en l'absence de pratiques déloyales plutôt qu'à une méthode de calcul fondée sur la seule sous-cotation des prix n'est pas entaché d'une quelconque erreur manifeste d'appréciation.

162. Il importe que la marge bénéficiaire retenue par le Conseil pour calculer le prix indicatif de nature à éliminer le préjudice en cause soit limitée à la marge bénéficiaire que l'industrie communautaire pourrait raisonnablement escompter dans des conditions normales de concurrence, en l'absence des importations faisant l'objet d'un dumping ou de subventions (arrêt du 28 octobre 1999, EFMA/Conseil, point 129 supra, point 60). Or, les requérantes n'ont pas été à même de démontrer que cela n'était pas le cas en l'espèce.

163. Il y a donc lieu de rejeter ce second grief et, partant, le cinquième moyen.

164. Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

165. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Par ailleurs, selon l'article 87, paragraphe 4, de ce règlement, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs dépens.

166. Les requérantes ayant succombé en leurs moyens, et le Conseil ayant conclu à la condamnation de celles-ci aux dépens, il y a lieu de condamner les requérantes à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil. La Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) HEG Ltd et Graphite India Ltd supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil.

3) La Commission supportera ses propres dépens.