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Décisions

CA Versailles, 17e ch., 3 mars 2006, n° 04-03706

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Gougerot

Défendeur :

Groupe Isa (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Robert

Conseillers :

Mmes Deroubaix, Bourgogne

Avocats :

Mes Brick, Cauchetier, Magnol

Cons. prud'h. Nanterre, du 29 juin 2004

29 juin 2004

Faits et procédure

M. Benjamin Gougerot a été engagé à compter du 23 novembre 1998, par la société Groupe Isa en qualité d'ingénieur commercial direct.

En dernier lieu sa rémunération brute mensuelle s'élevait à la somme de 5 081,63 euro, hors primes et intéressement.

Le contrat de travail prévoyait, en son article 9, une clause de non-concurrence applicable pendant une période de 12 mois à compter de la cessation de fonction du salarié, sur tout le territoire français, avec une faculté de renonciation au profit de la société dans les trois mois suivant le départ du salarié.

A défaut d'une telle renonciation, la société s'engageait à régler mensuellement pendant la durée maximum de douze mois une indemnité.

Toute inexécution de cette obligation de non-concurrence par le salarié donnerait lieu au versement au profit de la société d'une somme sans qu'elle puisse être inférieure à douze mois du dernier salaire perçu.

Le 21 décembre, M. Benjamin Gougerot démissionnait et quittait définitivement la société Groupe Isa pour intégrer la société Cognos à compter du 5 février 2001.

La société Groupe Isa ne levait la clause de non-concurrence et ne réglait l'indemnité compensatrice de non-concurrence à M. Benjamin Gougerot.

Invoquant la violation de la clause contractuelle de non-concurrence, la société Groupe Isa saisissait le Conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de voir condamner M. Benjamin Gougerot à lui payer les sommes de :

- 27 440,82 euro à titre de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-concurrence

- 1 524,19 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le salarié réclamait quant à lui à titre reconventionnel la somme de 24 391,84 euro au titre de l'indemnité compensatrice contractuellement prévue.

Par jugement en date du 29 juin 2004 le Conseil de prud'hommes a :

- dit que la clause de non-concurrence figurant au contrat de travail ayant lié M. Benjamin Gougerot à la société Groupe Isa est illicite,

- déclaré en conséquence que la société Groupe Isa n'était pas tenue de payer à son ancien salarié une indemnité de non-concurrence fondée sur une clause illicite,

- dit qu'est recevable la demande reconventionnelle formée par M. Benjamin Gougerot en paiement de dommages et intérêts en réparation du caractère illicite de la clause de non-concurrence, mais l'en déboute en l'absence d'établissement d'un quelconque préjudice.

M. Benjamin Gougerot a interjeté appel de cette décision.

Aux termes des conclusions déposées et soutenues à l'audience, auxquelles la cour se réfère pour le plus ample exposé des faits et moyens, M. Benjamin Gougerot demande à la cour de :

A titre principal,

- constater qu'il a pleinement respecté la clause de non-concurrence, en conséquence,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a refusé de l'indemniser,

- condamner la société Groupe Isa à lui payer l'indemnité compensatrice prévue à son contrat de travail, soit la somme de 24 391,84 euro avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 3 juin 2002,

A titre subsidiaire,

- constater que la société Groupe Isa a inséré une clause de non-concurrence nulle dans le contrat de travail,

- annuler la dite clause,

- dire qu'en procédant à une telle insertion la société Groupe Isa a commis une faute en le maintenant dans l'incertitude en ce qui concerne ses possibilités de reclassement,

- condamner la société Groupe Isa à lui payer la somme de 22 867,35 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice en résultant pour lui,

A titre infiniment subsidiaire,

- constater l'impossibilité pour la société Groupe Isa de se prévaloir de la clause de non- concurrence faute d'avoir versé la contrepartie financière prévue au contrat de travail,

- dire cette clause nulle,

- confirme le jugement déféré sur ce point,

- débouter la société Groupe Isa de sa demande de condamnation au paiement de la somme de 27 440,82 euro,

A titre encore plus infiniment subsidiaire,

- réduire le montant des dommages et intérêts prévus par la clause pénale,

- dire qu'en tout état de cause le montant de la clause pénale a vocation à venir en compensation avec celui de l'indemnité de non-concurrence due à hauteur de 24 391,84 euro.

En tout état de cause, condamner la société Groupe Isa à lui payer la somme de 3 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Aux termes des conclusions déposées et soutenues à l'audience, auxquelles la cour se réfère pour le plus ample exposé des faits et moyens, soutenant que le salarié a violé la clause de non-concurrence, la société Groupe Isa sollicite de voir débouter M. Benjamin Gougerot de ses demandes. Elle demande en outre sa condamnation à lui payer les sommes de 27 440,82 euro en application de l'article 9 du contrat de travail et celle de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs

- Sur le respect de la clause de non-concurrence

Considérant que la société Groupe Isa reproche à son ancien salarié d'avoir violé son obligation contractuelle de non-concurrence, lorsqu'il était au service de la société Cognos du 5 février au 15 janvier 2002, date à laquelle il était licencié ; qu'elle prétend que les deux sociétés ont le même domaine d'activité et que M. Benjamin Gougerot exerçait la même activité aux sein des deux sociétés;

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que la société Groupe Isa est une société de conseil et d'ingénierie informatique, qu'à ce titre son activité vise la mise à disposition chez des clients, des techniciens et ingénieurs en informatique pour des missions précises ;

Considérant en revanche, que la société Cognos a une activité de commerce de gros en ordinateurs, équipement informatiques périphériques et progiciels, qu'elle édite des logiciels couvrant toute la chaîne du décisionnel : " de l'extraction, au reporting, à l'analyse, à la restitution jusqu'à la diffusion de l'information"; qu'enfin il ne saurait être contesté que dans le cadre des ventes de logiciels, elle fourni aux clients de services informatiques d'assistance ;

Considérant dès lors et contrairement à ce qui est soutenu par la société Groupe Isa les deux sociétés n'exercent pas la même activité et par conséquent ne sont pas des entreprises concurrentes ;

Considérant par ailleurs qu'il résulte de la comparaison des clients attribués à M. Benjamin Gougerot tant au sein de la société Groupe Isa, que de la société Cognos, que ceux-ci sont totalement différents ;

Considérant au surplus qu' aux termes du contrat de travail signé avec cette dernière société, le salarié percevait une rémunération variable calculée sur le chiffre d'affaires des produits Cognos dont le salarié "effectuera la vente" qu'il apparaît donc des pièces versées que M. Benjamin Gougerot commercialisait des prestations de conseil et d'assistance en systèmes informatiques au sein de la société Groupe Isa, alors que chez Cognos il vendait du logiciel de Business intelligence à des entreprises situées dans des secteurs commerciaux différents de ceux des clients de la société Groupe Isa ;

Considérant qu'il s'ensuit que M. Benjamin Gougerot n'a pas violé les termes de la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail; que la société Groupe Isa doit donc être déboutée de sa demande en dommages et intérêts ;

- Sur la clause de non-concurrence

Considérant qu'une clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière, que ces conditions sont cumulatives ;

Considérant que la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail de M. Benjamin Gougerot stipule : "pendant une période de 12 mois après la fin de sa fonction, M. Benjamin Gougerot s'engage à ne pas concurrencer la société, directement ou indirectement, même par personne physique ou morale interposée, en quelque qualité que ce soit, et notamment, en tant qu'employé, directeur, administrateur, actionnaire, agent ou conseiller dans le secteur d'activité où il a exercé son activité pendant les 12 mois précédent son départ de la société ", qu'en outre il est précisé que la présente interdiction est limitée au seul territoire français ;

Considérant qu'à l'évidence une telle clause en ce qu'elle interdit au salarié de travailler dans son secteur de compétence pendant une période de 12 mois sur tout le territoire français porte atteinte gravement à la liberté du travail et, est donc manifestement illicite, que le jugement entrepris doit par conséquent être confirmé sur ce point ;

Considérant toutefois que M. Benjamin Gougerot ne peut réclamer l'indemnité de non-concurrence prévue par cette clause illicite ; que sa demande de ce chef doit être rejetée ;

Considérant par contre que M. Benjamin Gougerot ayant respecté les restrictions apportées à la liberté du travail, est fondé à solliciter la condamnation de la société Groupe Isa à réparer le préjudice qu'il en est résulté pour lui ;

Considérant que le salarié prétend que son préjudice est constitué par la différence de rémunération perçue en intégrant la société Cognos par rapport au salaire perçu au sein de la société Groupe Isa, soit donc la somme de 22 867,35 euro ;

Considérant qu'au vu des élément soumis à la cour, il convient de condamner la société Groupe Isa à payer à M. Benjamin Gougerot la somme de 22 867,35 euro à titre de dommages et intérêts, que la décision déférée doit donc être infirmée sur ce point ;

- Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge du salarié la totalité des frais qu'il a dû exposer pour sa représentation en justice, qu'il sera fait droit à sa demande à concurrence de la somme de 1 500 euro, que par contre la société Groupe Isa sera déboutée de sa demande présentée sur ce même fondement ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement et en dernier ressort, infirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. Benjamin Gougerot de sa demande en dommages et intérêts, statuant à nouveau sur cette demande, condamne la société Groupe Isa à payer à M. Benjamin Gougerot la somme de 22 867,35 euro à titre de dommages et intérêts, confirme pour le surplus le jugement déféré, condamne la société Groupe Isa à payer à M. Benjamin Gougerot la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Groupe Isa aux entiers dépens.