CA Montpellier, 2e ch. A, 5 juin 2007, n° 06-04885
MONTPELLIER
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pierjacq-Astruc (SARL)
Défendeur :
Patricium sélection international (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schmitt
Conseillers :
M. Chassery, Mme Debuissy
Avoués :
SCP Capdevila-Vedel-Salles, SCP Auché-Hedou
Avocats :
SCP Scheuer-Vernhet & Associés, Mes Laurent, Grappin
Faits, procédure et prétentions des parties
La société Pierjacq-Astruc est appelante du jugement rendu le 26 juin 2006 par le Tribunal de commerce de Carcassonne qui l'a condamnée à payer à la société Patricium sélection international (en abrégé la société PSI) la somme de 4 038,34 euro au titre de 10 factures impayées et celle de 45 735,94 euro taxe en sus à titre d'indemnité compensatrice. Elle demande à la cour de réformer cette décision, de rejeter l'ensemble des prétentions adverses et sollicite reconventionnellement la condamnation de la société PSI à lui payer 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, 3 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'à acquitter les entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Capdevila.
Elle fait valoir que les premiers juges ont statué ultra petita, que la société PSI ne peut sans se contredire revendiquer la qualité d'agent commercial et se plaindre d'un détournement de clientèle, qu'elle n'a pas observé le délai d'un an prévu par l'article L. 134-12 du Code de commerce, qu'elle ne rapporte pas la preuve d'un détournement de clientèle et qu'elle a mis fin de sa propre initiative à leurs relations d'affaires (concl. 17 avril 2004).
La société PSI répond qu'elle a la qualité d'agent commercial, que la société Pierjacq-Astruc a démarché sa propre clientèle et ne lui a pas réglé des factures de commissions ; elle conclut à titre principal à la confirmation du jugement entrepris sauf à accueillir son appel incident sur l'application des intérêts au taux légal et sur l'augmentation de l'indemnité de clientèle qui sera portée à 62 330 euro ; subsidiairement elle réclame la somme de 62 330 euro à titre de dommages et intérêts pour détournement de clientèle préalablement à toute autre rupture de la relation d'agent commercial, celle de 2 500 euro sur la base de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que la condamnation de la société Pierjacq-Astruc aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct pour la SCP Auché (concl. 16 avril 2007).
La société PSI estimant que la société Pierjacq-Astruc avait enfreint le principe du contradictoire et le droit à un procès équitable en déposant des conclusions le 17 avril 2007 soit deux jours avant l'ordonnance de clôture demande à la cour d'écarter des débats les conclusions prises par son adversaire le 17 avril 2007 et subsidiairement si la cour écartait ses propres écritures du 16 avril 2007 de rejeter celles de son adversaire en date du 6 avril 2007.
La société Pierjacq-Astruc répond qu'elle n'a enfreint ni le principe du contradictoire ni le droit à un procès équitable ; elle sollicite donc le rejet de l'incident soulevé que les écritures du 16 avril 2007 soit écartées des débats.
Sur quoi
A) Sur les incidents de rejet
Attendu que la société PSI reproche à son adversaire d'avoir développé aux pages 16, 17 et 18 de ses conclusions du 17 avril 2007 un moyen de droit nouveau auquel la proximité de leur signification par rapport à la signature de l'ordonnance de clôture (19 avril) ne lui permet pas de répondre utilement même en cas de rabat de l'ordonnance de clôture ;
Attendu que la lecture des écritures prises le 6 avril 2007 au nom de la société Pierjacq-Astruc démontre que celle-ci soutenait en leur page 13 in fine que la société PSI "était seule à l'origine de la rupture de sa relation avec la société Pierjacq-Astruc. Or, et selon les dispositions du 2 alinéa de l'article L. 134-13 du Code de commerce, l'agent commercial n'a pas droit à l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi si la cessation du contrat résulte de son initiative ", avant de développer aux pages 16, 17 et 18 les raisons qui faisaient selon elle que la société PSI était dépourvue du droit d'agir ;
Attendu en conséquence que les conclusions prises le 17 avril 2007 au nom de la société Pierjacq-Astruc ne contiennent pas de moyen de droit nouveau mais une simple explicitation en leurs pages 16, 17 et 18 de moyens de droit précédemment développés ; que les conclusions prises le 17 avril 2007 au nom de la société Pierjacq-Astruc ne seront pas écartées des débats ;
Attendu qu'au terme de ses conclusions en réponse sur incident prises le 20 avril 2007 la société Pierjacq-Astruc indique que dans le cas " où les conclusions notifiées le 17 avril 2007 seraient par extraordinaire rejetées, il y aurait lieu de rejeter les conclusions notifiées le 16 avril 2007, mettant la société Pierjacq-Astruc dans l'impossibilité de répliquer" ;
Attendu que les conclusions du 17 avril 2007 n'étant pas écartées des débats, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la société Pierjacq-Astruc ;
Attendu que les dépens de l'incident suivront le sort du principal ;
B) Sur le fond du litige
a) Sur la demande en paiement de la somme de 4 038,34 euro
Attendu que la société PSI réclame paiement des 10 factures suivantes :
- Facture n° 112302 pour 246,28 euro TTC (date d'échéance : 20 octobre 2002)
- Facture n° 114402 pour 473,62 euro TTC (date d'échéance : 17 novembre 2002)
- Facture n° 118402 pour 310,29 euro TTC (date d'échéance : 21 janvier 2003)
- Facture n° 119502 pour 265,15 euro TTC (date d'échéance : 28 janvier 2003)
- Facture n° 119702 pour 238,24 euro TTC (date d'échéance : 27 janvier 2003)
- Facture n° 120702 pour 225,33 euro TTC (date d'échéance : 2 février 2003)
- Facture n° 120802 pour 359,09 euro TTC (date d'échéance : 2 février 2003)
- Facture n° 120902 pour 278,43 euro TTC (date d'échéance : 11 février 2003)
- Facture n°121402 pour 1 151,36 euro TTC (date d'échéance : 11 février 2003)
- Facture n° 121802 pour 110,55 euro TTC (date d'échéance : 16 février 2003)
Attendu que la société Pierjacq-Astruc ne conteste pas en être débitrice ; qu'elle sera donc condamnée à les payer en deniers ou quittances ; que ces factures étant payables à 60 jours l'intérêt au taux légal court à partir de leur date d'échéance ;
b) Sur la demande en paiement de la somme de 62 330 euro réclamée à titre d'indemnité compensatrice par la société PSI
Attendu que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense ; que toutefois l'objet du litige peut être modifié par les demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant (article 4 du nouveau Code de procédure civile) ; qu'en matière de procédure orale les conclusions écrites d'une partie réitérées valablement à l'audience saisissent valablement le juge ;
Attendu que les juges consulaires après avoir rappelé dans la décision attaquée que la société PSI avait assigné la société Pierjacq-Astruc sur le fondement des articles 1134 et 1382 du Code civil pour l'entendre condamner à lui payer la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts pour détournement de clientèle préalablement à toute rupture de relation d'agent commercial ont noté à la rubrique "moyens des parties"
1°) que M. Astruc gérant de la société Pierjacq-Astruc, produit des courriers et fax de fournisseurs qui confirment qu'il entend continuer la collaboration avec la société PSI pour la représentation des vins à l'export,
2°) que la société PSI soutient que cet accord est mis à mal par les nouveaux dirigeants de la société Pierjacq-Astruc qui, en s'adressant directement à la clientèle lui causent un préjudice,
3°) que dans ses conclusions récapitulatives la société PSI produit des éléments qui lui permettent de fixer à 62 330 euro le montant de l'indemnité qui réparera ce préjudice ;
Attendu que la lecture de ses conclusions démontre que la société PSI visait dans leur dispositif les articles 1134 et 1382 du Code civil mais aussi les articles L. 134 et suivants du Code de commerce consacrés au statut des agents commerciaux ;
Attendu que les premiers juges après avoir reconnu la qualité d'agent commercial à la société PSI et exposé que la rupture des relations commerciales était imputable à la société Pierjacq-Astruc, ont conclu que la société PSI était bien fondée à prétendre en être indemnisée et ont fixé " l'indemnité compensatrice " à la somme de 45 755 euro plus taxes ;
Attendu que le juge s'il doit statuer seulement sur ce qui est demandé doit se prononcer sur tout ce qui est demandé (article 5 du nouveau Code de procédure civile) ; qu'en accordant donc une indemnité compensatrice à un agent commercial qui se prévalait des dispositions de l'article L. 134 et suivants du Code de commerce les premiers juges n'ont pas statué ultra petita ;
Attendu que le contrat d'agent commercial est un contrat consensuel dont l'existence peut être prouvée par tous moyens notamment par la production de correspondances ;
Attendu que la société PSI verse au débat un fax que la société Pierjacq-Astruc lui a envoyé le 14 mars 1994 à l'attention de M. Boot et dans lequel M. Jacques Astruc écrit : " ...je ne vais pas remettre en question mes engagements en ce qui concerne votre représentation et notre développement d'entreprise. Depuis quelques années nous sommes en période d'observation mutuelle. Je désire continuer à travailler avec vous... j'ai la possibilité de vous donner d'autres cartes sur les pays scandinaves ; laissez-moi le temps de réaliser les choses... " ; qu'elle produit également une attestation établie le 14 décembre 1999 toujours par M. Jacques Astruc qui confirme avoir laissé à M. Patrick Boot/PSI l'exclusivité de la représentation de mes vins en bouteilles à l'export, à l'exclusion des clients de M. Baillat et de nos ventes en vrac... " ; que ces deux documents suffisent à établir l'existence d'un contrat d'agent commercial entre la société PSI et la société Pierjacq-Astruc ;
Attendu que la rupture de ce contrat remonte au mois de janvier 2003 au cours duquel la société Pierjacq-Astruc a contacté directement "tous les clients étrangers" (cf. fax 14 janvier 2003) notamment ceux avec qui la société PSI était en relation en qualité d'agent commercial de la société Pierjacq-Astruc ;
Attendu qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi mais qu'il perd ce droit s'il n'a pas de notifié au mandant dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat qu'il entend faire valoir ses droits (article L. 134-12 du Code de commerce) ;
Attendu que le courrier en date du 14 février 2003 ne saurait être considéré comme la notification de ce que la société PSI signifie à son mandant qu'elle entend faire valoir ses droits à la suite de la cessation du contrat puisqu'elle demande que l'indemnité de 77 942 euro qu'elle sollicite soit versée non pas à elle-même mais à l'ordre de M. Patrick Boot personnellement ; qu'elle est donc déchue de son droit à réparation ;
c) Sur la demande en paiement de la somme de 62 330 euro réclamée à titre subsidiaire par la société PSI pour détournement de clientèle
Attendu que le demandeur à une action en responsabilité civile doit démontrer l'existence d'un préjudice résultant directement de la faute qu'il reproche à son adversaire ;
Attendu que la société PSI prétend démontrer l'existence et l'importance du préjudice dont elle réclame indemnisation non pas à partir du volume des relations commerciales entretenues à compter du mois de janvier 2003 par la société Pierjacq-Astruc avec ladite clientèle mais à partir du montant des commissions reçues pendant la période 1998-2002 sur les transactions entretenues par la société Pierjacq-Astruc avec cette clientèle ainsi que sur le montant des transactions qu'elle a personnellement réalisées avec cette même clientèle au cours de la même période ; que le volume des affaires faites de 1998 à 2002 avec cette clientèle tant par la société Pierjacq-Astruc que directement par la société PSI ne démontre en rien l'importance des affaires réalisées par la société Pierjacq-Astruc avec ladite clientèle à compter du mois de janvier 2003 et donc l'importance de la perte financière effectivement subie par la société PSI ; qu'à défaut de rapporter cette preuve la société PSI doit être déboutée de la demande d'indemnisation qu'elle présente de ce chef ;
d) Sur les autres demandes en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et sur la charge des dépens
Attendu que la société Pierjacq-Astruc ne démontre pas que l'attitude de la société PSI qui a obtenu satisfaction en première instance soit fautive ; qu'elle sera déboutée de sa demande en paiement de la somme de 5 000 euro réclamée à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Attendu que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile sur la demande d'aucune des parties à l'instance ;
Attendu que la société PSI succombe en la majeure partie de ses prétentions ; qu'elle sera condamnée à payer les dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct pour les avoués de la cause.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, réforme en toutes ses dispositions le jugement attaqué, Statuant à nouveau, Condamne la société Pierjacq-Astruc à payer en deniers ou quittances avec intérêts au taux légal à compter de leur date d'échéance les factures suivantes : - Facture n° 112302 pour 246,28 euro TTC (date d'échéance : 20 octobre 2002) - Facture n° 114402 pour 473,62 euro TTC (date d'échéance : 17 novembre 2002) - Facture n° 118402 pour 310,29 euro TTC (date d'échéance : 21 janvier 2003) - Facture n° 119502 pour 265,15 euro TTC (date d'échéance : 28 janvier 2003) - Facture n° 119702 pour 238,24 euro TTC (date d'échéance : 27 janvier 2003) - Facture n° 120702 pour 225,33 euro TTC (date d'échéance : 2 février 2003) - Facture n° 120802 pour 359,09 euro TTC (date d'échéance : 2 février 2003) - Facture n° 120902pour 278,43 euro TTC (date d'échéance : 11 février 2003) - Facture n°121402 pour 1 151,36 euro TTC (date d'échéance : 11 février 2003) - Facture n° 121802 pour 110,55 euro TTC (date d'échéance : 16 février 2003), déboute la société PSI de sa demande en paiement de la somme de 62 330 euro à titre d'indemnité compensatoire, déboute la société PSI de sa demande en paiement de la somme de 62 330 euro à titre de dommages et intérêts pour détournement de clientèle, déboute la société Pierjacq-Astruc de sa demande en paiement de la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de celle de 3 500 euro hors taxe au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, déboute la société PSI de sa demande en paiement de la somme de 2 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société PSI aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct pour l'avoué de son adversaire.