CA Paris, 5e ch. A, 4 juillet 2007, n° 06-04192
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Etablissements Lepinoit et Compagnie (SA), du Buit (ès qual.)
Défendeur :
Automobiles Peugeot (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cabat
Conseillers :
MM. Roche, Byk
Avoués :
SCP Ribaut & Ribaut, SCP Bourdais-Virenque-Oudinot, SCP Bommart Forster Fromantin
Avocats :
Mes Munnier, Bertin
Vu le jugement du 18 juin 2002 par lequel le Tribunal de commerce de Paris, après avoir constaté la conformité de l'article III-2 du contrat de concession liant les parties à l'article 85-2 du traité de Rome ainsi qu'au droit national et écarté tout caractère abusif à la résiliation intervenue, a condamné la société Etablissements Lepinoit et Cie à payer à la société automobiles Peugeot 1 312 327,75 F avec intérêts au taux légal à compter du 19 mars 1998;
Vu l'appel interjeté par la société Etablissements Lepinoit et Cie;
Vu l'intervention volontaire à l'instance de Me du Buit, ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Etablissements Lepinoit et Cie, laquelle a été prononcée par jugement rendu le 22 juillet 2002 par le Tribunal de commerce de Paris, et ses conclusions enregistrées le 24 avril 2007;
Vu, enregistrées le 2 avril 2007, les conclusions présentées par la société automobiles Peugeot;
Sur ce,
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, faisant suite à de précédents contrats s'étant succédé depuis 1968, la société automobiles Peugeot et la société Etablissements Lepinoit et Cie ont conclu, le 28 août 1996, un contrat de concession pour la période allant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1999 et dont l'article III prévoyait une faculté de résiliation pour le constructeur en cas de non-réalisation d'un objectif de vente prédéfini ainsi que d'un pourcentage de pénétration globale de la "zone de première responsabilité" confiée au concessionnaire; qu'après avoir en 1990, 1992, et 1993 attiré à de multiples reprises l'attention de la société Etablissements Lepinoit et Cie sur l'insuffisance de son activité, la société automobiles Peugeot l'a avisée, le 1er avril 1997, de ce qu'elle serait en droit de lui faire application de l'article III susmentionné mais qu'elle réservait provisoirement sa décision; que, toutefois, le 28 juillet 1997, elle notifiait à son cocontractant la résiliation de son contrat au 31 janvier 1998 sur le fondement dudit article III; que la société Etablissements Lepinoit et Cie a, alors, par acte du 15 janvier 1998, assigné la société automobiles Peugeot devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de voir prononcer la nullité de la clause litigieuse ainsi que du contrat lui-même, constater l'abus de droit de résiliation de la part du concédant et ordonner la condamnation de celui-ci à réparer l'intégralité du préjudice subi; que la défenderesse a sollicité reconventionnellement le paiement d'un solde de factures demeurées impayées; que c'est dans ces conditions de fait et de droit qu'est intervenu le jugement susvisé présentement déféré;
Sur l'appréciation de la validité de la clause de résiliation anticipée prévue par l'article III-2 du contrat
Considérant qu'aux termes de l'article III-2 susvisé:
"1 En contrepartie de la concession qui lui est accordée, le concessionnaire s'engage à :
- développer la vente des véhicules neufs visés par le présent contrat dans la zone de première responsabilité qui lui est concédée ainsi que le service à la clientèle,
- faire ses meilleurs efforts pour vendre au cours de la période du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1996... 640 véhicules neufs visés par le présent contrat, qu'il aura préalablement acquis directement auprès du constructeur (...),
"2 il est convenu que le constructeur se réserve la faculté de résilier le contrat de concession, si l'une et l'autre des deux hypothèses suivantes se réalise:
- si l'objectif de vente clientèle du concessionnaire défini au paragraphe I du présent article est réalisé à moins de 90 % au 31 décembre de la période annuelle considérée,
- si le pourcentage de pénétration globale des véhicules neufs visés par le présent contrat calculé comme indiqué ci-dessous dans la zone de première responsabilité confiée au concessionnaire et apprécié au 31 décembre, pour ladite période annuelle qui vient de s'écouler, se trouve inférieur par rapport aux pourcentages de pénétration globale desdits véhicules neufs dans la France métropolitaine et dans la direction régionale du constructeur à laquelle ledit concessionnaire est rattaché:
a) de plus de 45 % si la "zone de première responsabilité" confiée au concessionnaire est située à Paris, dans l'un des trois départements limitrophes (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne) ou dans une agglomération où plus de deux concessionnaires du constructeur sont implantés,
b) de plus de 30 % si la zone de première responsabilité confiée au concessionnaire est située dans un des autres départements de la région parisienne (Essonne, Seine-et-Marne, Val d'Oise, Yvelines), soit dans une agglomération d'un département autre que ceux de la région parisienne, dans laquelle agglomération sont implantés deux concessionnaires du constructeur;
c) de plus de 15 % si la zone de première responsabilité confiée au concessionnaire est située ailleurs;
Dans l'hypothèse où le constructeur ferait usage de cette faculté, il s'oblige à en aviser le concessionnaire par lettre recommandée avec accusé de réception, et ce par dérogation à l'article XIV paragraphe 1, au moins six mois avant la prise d'effet de la résiliation ainsi décidée.";
Considérant, tout d'abord, qu'il résulte de l'examen des stipulations précitées que le contrat litigieux fixait au concessionnaire un objectif de vente établi selon des critères objectivement quantifiables et se bornait à imposer à cet effet à celui-ci de "faire ses meilleurs efforts", expression révélatrice de la simple obligation de moyens mise à sa charge à ce titre; que, par ailleurs, il sera relevé que les parties avaient convenu d'arrêter à l'avance les critères d'appréciation de la mise en œuvre de ladite obligation au regard des deux critères cumulatifs que constituaient les taux de réalisation de l'objectif de vente ainsi que de pénétration du concessionnaire dans le marché imparti par rapport à celui obtenu par les autres concessionnaires, lesdits taux étant, tous deux, fixés selon la même méthode de calcul applicable sur l'ensemble du territoire national; que, par suite, la diligence apportée par le concessionnaire à l'exercice de son activité se mesurait en fonction d'un potentiel réel prenant en compte aussi bien la gestion propre de l'intéressé que la conjoncture économique générale et l'évolution du taux de pénétration de la marque sur l'ensemble du marché français; que, pour sa part, le règlement d'exemption n° 1475-95 du 28 juillet 1995 pris en application de l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE et alors applicable prévoyait en son article 4 que "Ne fait pas obstacle à l'exception l'engagement par lequel le distributeur s'oblige:
3) à s'efforcer d'écouter pendant une période déterminée à l'intérieur du territoire convenu un nombre minimal de produits contractuels, fixé par les parties d'un commun accord ou en cas de désaccord sur le nombre minimal de produits contractuels à écouler annuellement par un tiers expert, en tenant compte notamment des ventes précédemment réalisées dans ce territoire, ainsi que des estimations prévisionnelles de ventes pour ce territoire et au niveau national";
que la clause d'objectif de vente insérée dans le contrat de concession litigieux s'inscrivait ainsi dans le cadre de l'exemption prévue dans ledit règlement dès lors qu'elle n'était, ainsi qu'il a été ci-dessus démontré, que l'expression d'une obligation de moyens dont la définition avait eu lieu d'un commun accord entre les parties; que, nonobstant la validité de la clause au regard du droit communautaire, Me du Buit soutient, néanmoins, que celle-ci demeurerait nulle comme constitutive d'une pratique "discriminatoire et restrictive de concurrence", laquelle serait contraire aux "articles 7, 8 et 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 aujourd'hui codifiés aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 442-6 du Code de commerce"; que si l'intéressé prétend à ce sujet que l'article III-2 précité opérerait, en effet, une distinction "totalement injustifiée" entre concessionnaires en fixant des seuils distincts de pénétration pour l'exercice de la faculté de résiliation selon les différentes zones de chalandise, il convient de rappeler que l'article L. 420-4 du même Code de commerce énonce que ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 invoqués "les pratiques qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application"; que, dans ces conditions, Me du Buit, ès qualités, ne saurait utilement exciper d'une méconnaissance desdits articles L. 420-1 et L. 420-2 à l'encontre de dispositions par ailleurs conformes au droit communautaire et qui s'inscrivent dans le cadre du règlement européen susvisé; qu'au surplus, et en tout état de cause, l'existence de seuils différents de pénétration selon la localisation géographique des concessions ne révèle aucune discrimination intrinsèque mais la simple prise en compte des particularismes concurrentiels et spécificités commerciales afférents à chacune des zones de chalandise considérées; que l'appelante n'est, dès lors, pas fondée à solliciter, de ce chef, la nullité de la clause litigieuse et le constat consécutif de l'irrégularité de la résiliation prononcée;
Considérant, en deuxième lieu, que Me du Buit, ès qualités, ajoute qu'en tout état de cause la société automobiles Peugeot aurait procédé à "une application non conforme" de la clause de résiliation anticipée, à supposer celle-ci valide, au travers de l'inexactitude des calculs opérés par ses soins, qu'il s'agisse des immatriculations devant être prises en compte dans l'appréciation des seuils de pénétration, des opérateurs visés ou de l'omission "des particularités propres à chaque marque sur chaque zone"; que, toutefois, pour l'application de l'article III-2 du contrat de concession, la pénétration du concessionnaire est calculée par un ratio entre les immatriculations de celui-ci sur sa zone de première responsabilité (état STWOG 03) et le total des immatriculations toutes marques sur ladite zone (état DC 306 ZPR); que l'état STWOG 03 est, lui-même, déterminé en croisant le fichier AAA (Association Auxiliaire de l'Automobile) des immatriculations Peugeot en Préfecture sur la zone de première responsabilité, et les saisies "ventes détails" enregistrées par le concessionnaire dans le système informatique qui le relie au constructeur; que l'état DC 306 ZPR représente, pour sa part, le fichier des immatriculations, que celles-ci aient été ou non déclarées en ventes détails, et constitue le référent de toutes les données chiffrées communiquées pour l'appréciation du marché automobile; qu'aucune manipulation ni retraitement de ces données objectives et directement vérifiables ne peut, donc, être effectué par le constructeur qui se borne à réaliser un croisement nominatif de celles-ci, les saisies "ventes détails" étant, de toutes façons, faites par le concessionnaire lui-même afin de permettre la mise en œuvre de la garantie du véhicule neuf vendu; que, de même et afin que les performances du concessionnaire soient appréciées par rapport au potentiel réel de son territoire, l'état DC 306 est expurgé des ventes faites par le constructeur (ventes au personnel, véhicules de service du constructeur ou ventes aux gros loueurs) dès lors qu'il s'agit de marchés inaccessibles aux concessionnaires; qu'en revanche, les ventes réalisées par ces derniers, fussent-elles assimilables à des ventes "flottes", n'ont pas à être expurgées et c'est ainsi qu'il n'y a pas lieu, contrairement aux dires de l'appelant, d'exclure des calculs retenus la vente de 136 véhicules utilitaires réalisés au cours de l'année 1996 par le concessionnaire Essauto diffusion à la société CSCT-SAVE; que, de la même façon, il sera souligné que le taux de pénétration de la Direction Régionale (DR) est obtenu par la recherche du ratio entre la somme des états STWOG 03 des concessionnaires de la DR et le total des immatriculations toutes marques sur la DR (état DC 306 DR); que la méthode retenue étant identique à celle ayant servi à établir tant le taux de pénétration globale du concessionnaire sur sa zone que le taux de pénétration de la marque sur l'ensemble du territoire français, l'appelante ne peut alléguer, en l'espèce, une quelconque distorsion dans les calculs effectués à partir des mêmes paramètres;
Considérant, en troisième lieu, que Me du Buit, ès qualités, expose, également, que les termes du contrat de concession auraient interdit de prendre en considération dans le calcul de la performance des concessionnaires les ventes et immatriculations de véhicules neufs réalisées par les concessionnaires à leur seul profit (notamment pour les besoins de leur activité, comme les véhicules de démonstration), et non auprès d'un "client final"; qu'il dénonce à cette occasion une pratique de "pré-immatriculations" mise en œuvre par les concessionnaires eux-mêmes, et destinée, selon lui, à fausser les chiffres, objet du présent débat contentieux; que, toutefois, l'article III dont s'agit n'opère aucune distinction, dans la définition de l'objectif de vente et le calcul de la performance commerciale du concessionnaire, selon l'identité de l'acheteur du véhicule neuf; que, par suite et sauf à ajouter aux stipulations contractuelles, l'appelant n'est pas fondé à contester l'intégration desdites "pré-immatriculations" dans le calcul des seuils de résiliation anticipée;
Considérant, en quatrième lieu, que si Me du Buit, ès qualités, prétend également qu'il conviendrait d'expurger des chiffres retenus les ventes de véhicules neufs réalisés par les filiales de la société automobiles Peugeot et s'il estime à cet effet "qu'aux termes de l'article III-2 "seules les ventes réalisées par "les concessionnaires" seraient à prendre en considération, et non celles réalisées par "les filiales et leurs succursales", lesquelles disposeraient de "soutiens importants" et avantages divers de nature à fausser les résultats obtenus, il échet de relever que le contrat de concession litigieux et, notamment, son article III, ne distingue nullement selon que les ventes de véhicules neufs sont réalisées par un concessionnaire "indépendant" ou un concessionnaire "filiale" dès lors que tous sont liés au concédant par un même engagement et bénéficient de conditions identiques de vente et d'octroi de primes;
Considérant, en dernier lieu, que si l'article III-2 en cause ouvre la possibilité d'une résiliation anticipée dès lors que les deux conditions cumulatives sus-rappelées sont réunies il échet de relever que la société intimée n'a exercé cette faculté qu'après avoir adressé à la société Etablissements Lepinoit de nombreux avertissements depuis la fin de l'année 1990; que l'ultime sursis accordé à cette dernière n'a nullement eu pour effet, contrairement aux affirmations de l'appelant, de lier la résiliation aux seuls résultats du premier semestre 1997 dès lors que le courrier du 1er avril 1997, confirmant ledit sursis, énonçait sans ambiguïté " (...) D'ores et déjà nous vous précisons que nous ferons, à fin juin 1997, un point précis des actions que vous aurez engagées pour satisfaire à vos obligations contractuelles, étant précisé que nous nous réservons la possibilité de faire application le cas échéant de l'article III-2 sur la base de vos résultats au 31 décembre 1996"; qu'au demeurant la lettre de résiliation adressée le 28 juillet 1997 se fonde exclusivement sur les résultats de l'année 1996; que par suite, l'éventuelle réintroduction de certaines ventes, réalisées au titre du 1er trimestre 1997 et prétendument non comptabilisées, est sans influence sur l'appréciation du présent litige; que, toutefois, si la résiliation contestée pourrait, même en ce cas, revêtir un caractère abusif en raison des circonstances l'accompagnant et révélant un manquement à la bonne foi contractuelle exigée par l'article 1134 alinéa 3 du Code civil, il ressort précisément des éléments de fait et de droit sus-énoncés que la société automobiles Peugeot n'a jamais créé chez son concessionnaire une confiance erronée et fallacieuse dans la poursuite de la relation contractuelle les unissant mais a, au contraire, manifesté une particulière prévenance dans la mise en œuvre de la clause de résiliation anticipée; que, dans ces conditions, aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'intimée ne pouvant être retenue à son encontre, l'appelante ne peut qu'être déboutée de la demande indemnitaire présentée à ce titre et ce, sans qu'il soit même besoin de rechercher la réalité du préjudice dont elle excipe de ce chef;
Sur la demande reconventionnelle formée par la société automobiles Peugeot
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le solde du compte courant ayant lié la société automobiles Peugeot à la société Etablissements Lepinoit en application de l'article VII - 5° du contrat de concession était débiteur de la somme de 1 312 327,75 F; qu'il était principalement constitué du prix de véhicules neufs vendus en clientèle par cette dernière mais non payés au concédant, ainsi que d'arriérés de pièces de rechange; que, par courrier recommandé en date du 12 septembre 2002, la société automobiles Peugeot a, alors, déclaré sa créance auprès de Me du Buit, ès qualités, et par ordonnance du juge commissaire en date du 18 mai 2004, la créance de l'intimée a été admise au passif de la société Etablissements Lepinoit & Cie à hauteur de la somme de 188 218,47 F; qu'il échet, dès lors, de simplement constater le montant de ladite admission;
Considérant qu'il ressort de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement sauf en ce que la société Etablissements Lepinoit & Cie a été condamnée à payer à la société automobiles Peugeot la somme de 1 312 327,75 F avec intérêts au taux légal à compter du 19 mars 1990, de l'infirmer de ce chef et de constater l'admission de la créance de la société intimée au passif de la société Etablissements Lepinoit & Cie à hauteur de la somme de 188 218, 47 euro;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement sauf en ce que la société Etablissements Lepinoit & Cie a été condamnée à payer à la société automobiles Peugeot la somme de 1 312 327,75 F avec intérêts au taux légal à compter du 19 mars 1990; L'infirme de ce chef; Et statuant à nouveau, Constate l'admission de la créance de la société intimée au passif de la société Établissements Lepinoit & Cie à hauteur de la somme de 188 218,47 euro; Déboute Me du Buit, ès qualités, du surplus de ses prétentions; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Ordonne l'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de procédure collective avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Bourdais Virenque Oudinot, titulaire d'un office d'avoué.