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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. A, 28 juin 2007, n° 06-01086

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Redoute (SA)

Défendeur :

J. Martin Trépointes (SARL), Martin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Costant

Conseillers :

M. Sabron, Mme Larsabal

Avoués :

SCP Boyreau, Monroux, SCP Casteja-Clermontel & Jaubert

Avocats :

Mes Diez, Faurie

TGI Bordeaux, du 17 janv. 2006

17 janvier 2006

Les données du litige

La SARL J. Martin Trépointes qui a son siège à Mussidan (Dordogne), a pour objet la fabrication et la vente sous la marque " Tampico" de modèles de sacs à mains créés par Madame Nicole Martin, gérante de cette société.

Elle diffuse notamment un modèle de sac de forme cabas, en toile et de diverses couleurs qui figure dans son catalogue depuis 1993 sous les références 4001 et 3001 (grande et petite taille).

Ce modèle, de forme rectangulaire, présente des éléments distinctifs à la fois fonctionnels et esthétiques consistant dans la présence de lanières en cuir tenues par des rivets situées aux quatre angles inférieurs du sac, dispositif qu'on retrouve au niveau des anses, et dans la présence, sur chaque bord du soufflet, de rivets réunis entre eux par une lanière en cuir traversant un passant également en cuir et qui est terminée par un noeud.

Enfin, ce sac qui a été conçu en 1992 par Madame Martin et figure dans le catalogue de la SARL J. Martin Trépointes sous l'appellation Traffic, comporte à environ 4 cm de son bord supérieur une surpiqûre il se ferme au moyen d'un rivet qui rappelle les rivets de fixation des autres éléments.

En 2005, la société La Redoute a introduit dans son catalogue de vente par correspondance 2005/2006 un sac présentant les mêmes caractéristiques que le sac Traffic, vendu au public prix de 24,90 euro.

Après vaine mise en demeure du 1er juillet 2005, Madame Martin et la société J. Martin Trépointes ont fait assigner par acte du 13 septembre 2005 la SA La Redoute devant le Tribunal de grande instance de Bordeaux en contrefaçon et concurrence déloyale.

Par jugement du 17 janvier 2006, le tribunal :

* a dit que le " cabas grand volume " commercialisé par la SA La Redoute constituait une contrefaçon du modèle de cabas " bag Traffic Tampico " conçu par Madame Martin et commercialisé par la SARL J. Martin Trépointes;

* a interdit à la société La Redoute toute reproduction , fabrication, vente et exploitation sous quelque forme que ce soit du modèle contrefait sous astreinte de 150 euro par infraction constatée;

* a condamné la société La Redoute à payer à Madame Martin la somme de 15 000 euro au titre de son préjudice moral;

* l'a condamnée à payer à la SARL J. Martin Trépointes la somme de 15 000 euro à titre de provision sur l'indemnisation de son préjudice économique;

* a confié à Monsieur Rascle, expert comptable, une mesure d'expertise avant dire droit sur l'indemnisation définitive de ce préjudice;

* a ordonné la publication du jugement, par extraits, dans trois journaux au choix de la SARL J. Martin Trépointes dans la limite de 2 000 euro par insertion aux frais de la société La Redoute;

* a condamné la société La Redoute à payer à Madame Nicole Martin et à la SARL J. Martin Trépointes, pour chacune, une indemnité de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SA La Redoute a relevé appel de ce jugement dans des conditions dont la régularité ne donne pas lieu à contestation.

Dans ses dernières conclusions qui ont été signifiées le 19 avril 2007, elle fait valoir que le modèle conçu par Madame Martin et commercialisé par la SARL J. Martin Trépointes ne peut pas prétendre à la protection conférée par la loi aux œuvres de l'esprit dés lors qu'il ne s'agit que de la reproduction d'un modèle antérieur se trouvant dans le domaine public qui ne se distingue que par des détails fonctionnels et insignifiants, dénués d'originalité.

La société appelante fait état au soutien de ce moyen tiré du défaut d'originalité, ou de créativité, de l'antériorité d'un modèle Capremo (dépôt INPI du 20 mars 1989), d'un modèle Sagap (dépôt INPI du 27 octobre 1992) et d'un modèle international n° DM/0621 dont le sac litigieux ne se démarque que par des détails insignifiants.

Elle oppose enfin l'antériorité d'un modèle diffusé par une société italienne Sanders qui est en tous points identique au modèle prétendument contrefait.

La société La Redoute fait par ailleurs valoir que la vente à un prix moindre d'un modèle se trouvant dans le domaine public ne peut pas être considéré comme un acte de concurrence déloyale distinct des faits invoqués au soutien de la contrefaçon, toute prétention à des droits exclusifs sur un genre de produit constituant au contraire une atteinte au principe de la liberté du commerce.

Elle relève enfin que le préjudice retenu par l'expert judiciaire est minime puisque chiffré à la somme de 22 428 euro et que la mesure de publication, infamante et hautement préjudiciable à son image, est injustifiée au regard de la faute commise et du préjudice qui en serait la conséquence.

La SA La Redoute demande en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de condamner les intimées à lui payer une indemnité de 5 335,72 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Madame Nicole Martin et la SARL J. Martin Trépointes ont conclu le 11 mai 2007 à la confirmation du jugement.

Elles relèvent notamment que le modèle diffusé par la société La Redoute est une reproduction servile du modèle original qui a été créé en 1992 par Madame Martin, que la vente à vil prix d'une reproduction servile de moindre qualité est un acte de concurrence déloyale distinct de la contrefaçon, que les antériorités opposées par l'appelante sont inopérantes, le seul modèle de sac qui soit similaire étant lui même une contrefaçon, et qu'enfin la publication du jugement est indispensable pour réparer le préjudice subi.

Madame Martin et la SARL J. Martin Trépointes réclament sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, pour la première une indemnité de 3 000 euro et pour la seconde une indemnité de 5 000 euro.

Les motifs de la décision

Les matériaux et les éléments distinctifs qui sont décrits dans l'exposé ci-dessus confèrent à l'esthétique générale du modèle conçu par Madame Martin, par combinaison, une ligne élégante et originale qui dépasse le caractère fonctionnel de l'objet, un sac de genre cabas.

Cette esthétique qui procède d'un agencement réfléchi d'éléments et de matériaux usuels est l'expression d'une activité créatrice, peu important que ces éléments soient en eux mêmes des procédés qu'on peut retrouver, séparément, dans des modèles concurrents parce qu'ils sont d'usage fréquent en maroquinerie (rivets, lanières en cuir, soufflets, surpiqûre ...).

C'est cette originalité qui a fait que le modèle créé par Madame Martin est toujours commercialisé depuis 1993 et qu'il est mentionné dans un numéro du magazine " Elle " consacré à la saison 2002-2003 dans lequel sont présentés des objets de la vie quotidienne se distinguant par leur qualité et une recherche d'élégance ou de " bon goût ".

Il est indifférent que l'objet élaboré par son créateur puisse être, comme en l'espèce, un objet ordinaire et fonctionnel dès lors que, par diverses touches qui sont le fruit d'une création personnelle, il acquiert une esthétique originale.

Ainsi, le modèle commercialisé par la SARL J. Martin Trépointes, par le seul fait qu'il est original et reflète l'activité créatrice de son auteur est légalement protégeable sur le fondement de l'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, peu important l'absence de dépôt.

Les appelantes relèvent à bon droit que les modèles antérieurs sur lesquels la société La Redoute se fonde pour contester la nouveauté de leur modèle ne présentent, chacun, qu'une partie des éléments dont la combinaison crée l'originalité de ce dernier et, hormis le sac diffusé par société italienne Sanders, ont une allure globale qui diffère très nettement du sac contrefait.

Madame Martin et la SARL J. Martin Trépointes démontrent par ailleurs que le sac de la société Sanders dont l'antériorité n'est même pas démontrée est en toute hypothèse une contrefaçon par reproduction servile d'un autre modèle conçu par Madame Martin ayant fait l'objet d'un dépôt par lettre Soleau au mois de juin 2002.

Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a retenu que le sac "cabas grand volume " introduit par la société La Redoute dans son catalogue de vente par correspondance 2005-2006 était une contrefaçon par reproduction servile du modèle " Traffic " créé en 1992 par Madame Martin, modèle dont il ne se différencie que par une qualité de fabrication médiocre.

Le modèle contrefaisant est vendu au prix de 24,90 euro que la société La Redoute, au lieu de retirer le sac de la vente, a même soldé à 19,92 euro sur son site de vente Internet à la fin du mois d'août 2005, après que les appelantes l'ait mise en demeure par courrier du 1er juillet 2005.

Le premier juge a relevé à juste titre que ce prix correspondait pour la SARL J. Martin Trépointes au coût de revient de son produit, visiblement de meilleure qualité.

Son montant représente la moitié de celui du prix unitaire auquel les boutiques qui revendent les produits de la SARL J. Martin Trépointes proposent le modèle Traffic à leurs clients (de l'ordre de 65 euro).

La vente à un moindre prix d'un modèle de médiocre qualité qui est la reproduction servile d'une création originale constitue un fait fautif distinct de la contrefaçon qui porte préjudice au concurrent propriétaire du modèle dont la production est ainsi banalisée et dévalorisée.

C'est par conséquent à bon droit que le premier juge, en même temps qu'il a alloué des dommages-intérêts à Madame Nicole Martin en réparation du préjudice moral causé par l'imitation de sa création originale, a dit la société La Redoute tenue d'indemniser la SARL J. Martin Trépointes qui commercialise le modèle contrefait au titre du préjudice économique résultant d'actes de concurrence déloyale.

Le moyen tiré de ce que l'expert aurait limité les pertes subies à la somme de 22 423 euro est inopérant dans la mesure où ce chiffrage au demeurant supérieur à la provision allouée, n'est pas définitif et ne tient pas nécessairement compte de tous les éléments qui constituent le préjudice de la SARL J. Martin Trépointes dont le modèle a perdu de son attractivité par le fait de la déloyauté d'un concurrent beaucoup plus puissant.

Enfin, la publication du jugement est parfaitement adaptée à la réparation du préjudice résultant de la dépréciation d'image subi par le modèle contrefait et elle n'est nullement disproportionnée, que ce soit par rapport à ce préjudice ou à la faute commise par la société appelante, faute forcément intentionnelle dès lors qu'on se trouve en présence d'une imitation servile.

Il convient de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Madame Martin et la SARL J. Martin Trépointes sont en droit de réclamer sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, au titre des frais exposés en appel qui ne sont pas compris dans les dépens, une indemnité complémentaire que la cour fixe à 2000 euro pour la première et à 3 000 euro pour la seconde.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 17 janvier 2006 par le Tribunal de grande instance de Bordeaux (première chambre civile). Y ajoutant, condamne la SA La Redoute à payer au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à Madame Nicole Martin une indemnité de 2 000 euro et à la SARL J. Martin Trépointes une indemnité de 3 000 euro. La condamne aux dépens d'appel qui pourra être recouvré par la SCP Casteja-Clermontel-Jaubert, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.