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Décisions

CA Agen, ch. com., 18 juin 2007, n° 06-00533

AGEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Automobiles Citroën (SA)

Défendeur :

Leray (ès qual.), Société Automobile de Guyenne et Gascogne, Société Automobile du Lot-et-Garonne, Ringot

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Brignol

Conseillers :

Certner, Combes

Avoués :

Me Burg, SCP Teston-Llamas

Avocats :

Mes Munnier, Bourdin, SCP Thréard-Léger-Bourgeon-Méresse

Exposé du litige

Dans des conditions de régularité de forme et de délai non discutées, la SA Automobiles Citroën a interjeté appel du jugement rendu en lecture de rapport d'expertise judiciaire par le Tribunal de commerce d'Agen le 24/03/06:

- ayant reçu Alain Ringot en son intervention volontaire,

- ayant dit que par ses exigences d'infrastructures disproportionnées avec la réalité du potentiel du territoire de Villeneuve-sur-Lot, elle a porté atteinte à la rentabilité des sociétés SALG et SAGG,

- ayant dit que par l'application stricte de mesures conservatoires, alors même qu'elle avait exigé et obtenu des sociétés SALG et SAGG des engagements destinés à les redresser, elle a conduit inexorablement au dépôt de leurs bilans,

- l'ayant condamnée à payer à Maître Leray, ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire des sociétés SALG et SAGG, la somme de 918 930 euro à titre de dommages et intérêts assortie des intérêts capitalisés à compter du 01/01/97,

- l'ayant déclarée directement responsable du préjudice personnel subi par Alain Ringot en sa qualité de caution des emprunts souscrits par la société SAGG,

- l'ayant condamnée à payer à ce dernier la somme de 168 174,66 euro en réparation de ce préjudice,

- ayant dit qu'elle avait manqué de loyauté vis-à-vis d'Alain Ringot et lui avait ainsi causé un préjudice moral,

- l'ayant condamnée à lui payer la somme de 76 224,51 euro en réparation de ce préjudice,

- l'ayant condamnée à payer à Alain Ringot les intérêts légaux calculés sur ces deux sommes à compter du 24/03/00, date de délivrance de l'acte introductif d'instance,

- ayant prononcé l'exécution provisoire de la décision,

- l'ayant condamnée à payer à Maître Leray, ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire des sociétés SALG et SAGG, la somme de 15 000 euro par application de l'article 70 du nouveau Code de procédure civile,

- l'ayant condamnée à payer à Alain Ringot la somme de 4 500 euro sur le fondement de l'article 700 précité,

- l'ayant condamnée aux entiers dépens;

Les faits de la cause ont été relatés par les premiers juges en des énonciations auxquelles la cour se réfère expressément;

Vu les écritures déposées par la SA Automobiles Citroën aux termes desquelles elle conclut à l'infirmation de la décision entreprise, au complet rejet des prétentions formées par Maître Leray, ès qualités, à l'irrecevabilité et au rejet des demandes formées par Alain Ringot et à leur condamnation à lui payer, chacun, la somme de 10 000 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Elle soutient qu'aucune faute ne lui est imputable dans le dimensionnement de l'implantation à Villeneuve-sur-Lot - seule la SCI Bordeneuve pourrait se plaindre de l'hypothétique surcoût de création mais n'est pas dans la cause - ou dans les frais de fonctionnement, ou encore dans le mode d'exploitation;

Elle prétend qu'aucun grief ne peut lui être fait quant au fonctionnement de la concession voisine de Fumel et à la concurrence des sociétés Sedeac et MJV Investissements, sachant qu'elle est immédiatement intervenue à l'encontre de la société Sedeac lorsque celle-ci, qui était son précédent concessionnaire sur le territoire de Villeneuve-sur-Lot, s'est livrée à des actes commerciaux illicites;

Elle estime d'une part que l'examen des bilans des deux sociétés en déconfiture et des pièces produites démontrent que la dégradation de leurs résultats est la conséquence exclusive d'une gestion déficiente de la part d'Alain Ringot, d'autre part qu'elle n'a dressé aucun obstacle au redressement de ces personnes morales : les mesures conservatoires qu'elle a été amenée à instituer étaient parfaitement conformes aux dispositions de l'article 9 du contrat de concession et répondaient non seulement à la situation financière des concessions mais aussi à des violations graves et caractérisées des règles contractuelles applicables puisque des véhicules avaient été livrés en clientèle sans lui avoir été payés ; en outre, ces mesures étaient aussi parfaitement conformes aux dispositions de l'article L. 621-28 du Code de commerce (article 37-2 de la loi du 25/01/85) ; elle a au contraire fait une offre à l'administrateur judiciaire, Maître d'Anselme, que ce dernier a refusée;

Elle souligne qu'elle était parfaitement en droit de préserver ses intérêts et qu'elle l'a fait dans le respect des règles juridiques et des stipulations contractuelles applicables ;

Elle insiste sur l'absence de la moindre preuve de l'existence d'une faute susceptible d'être considérée comme la cause exclusive et déterminante de la liquidation judiciaire ;

S'agissant des demandes présentées par Alain Ringot, l'appelante rappelle qu'il était le PDG des sociétés SALG et SAGG et que, faute pour lui d'établir qu'il aurait été totalement privé de ses pouvoirs directoriaux, elle s'interroge sur la possibilité qu'il s'octroie, alors qu'il n'invoque de surcroît aucun fondement juridique pour étayer ses prétentions, de réclamer réparation d'un préjudice causé par sa propre gestion ;

Elle estime que :

1°) sa demande afférente à ses engagements de cautions est irrecevable et infondée : d'une part, il ne prouve l'existence ni d'une faute qu'elle aurait commise, ni a fortiori d'un lien de causalité avec son préjudice consécutif à sa qualité de caution ; d'autre part, en vertu du principe de subrogation posé à l'article 2029 du Code civil, le préjudice en question n'est pas personnel et distinct de celui souffert par les autres créanciers mais se superpose à celui invoqué par Maître Leray dans l'intérêt de l'ensemble des créanciers des sociétés; or, il n'est pas possible d'indemniser deux fois le même préjudice,

2°) sa demande afférente aux prétendus préjudices découlant de la réalisation forcée de l'immeuble de Villeneuve-sur-Lot ayant abrité la concession est irrecevable et infondée : Alain Ringot n'en est en effet pas le propriétaire ; il appartient à la SCI Bordeneuve, qui n'intervient pas à la procédure et qui ne peut du reste se plaindre de quoi que ce soit étant donné le prix de revente du bien, très largement au dessus de son prix d'achat,

3°) sa demande afférente à la vente de sa résidence principale est irrecevable et infondée car, à supposer un préjudice établi, ce qui n'est pas le cas, il ne pourrait s'agir que d'un préjudice indirect résultant non de ses fautes mais des seuls engagements de cautions souscrits par Alain Ringot ; au demeurant, ici encore, le bien a été revendu à un prix très supérieur à celui de son achat,

4°) sa demande afférente à la perte du capital social des sociétés SALG et SAGG est irrecevable et infondée car seules ces dernières peuvent en être les victimes, les actionnaires ne détenant qu'un droit de créance ; même l'apport supplémentaire d'1,2 millions de francs a été financé par voie d'emprunt contracté par la société SAGG,

5°) sa demande afférente à la perte de revenus et de manque à gagner sur les retraites est irrecevable et infondée : il n'est pas démontré que les fautes qui lui sont imputées ont occasionné le dépôt de bilan ; de telles pertes et manques à gagner résultent de ce que les mandataires sociaux ne sont pas assujettis au régime général d'assurance chômage et qu'Alain Ringot n'a pas cru devoir cotiser à un régime facultatif de protection ; il ne s'agit que de préjudices indirects et éventuels car rien ne dit qu'il ne travaillera plus,

6°) le préjudice moral qu'il invoque n'est pas établi, les premiers juges se contentant à ce sujet de pures supputations;

Vu les écritures déposées par 08/12/06 par Maître Leray, ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire des sociétés SALG et SAGG, aux termes desquelles il conclut au visa des articles 1382 du Code civil et L. 621-39 et L. 622-4 du Code de commerce:

- à la confirmation du jugement querellé en ce qu'il a reconnu que, par ses exigences d'infrastructures disproportionnées avec la réalité du potentiel du territoire de Villeneuve-sur-Lot, l'appelante a porté atteinte à la rentabilité des sociétés SALG et SAGG et, par l'application stricte de mesures conservatoires alors même qu'elle avait exigé et obtenu des sociétés SALG et SAGG des engagements destinés à les redresser, elle a conduit inexorablement à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire,

- à la réformation quant au surplus et à la condamnation de la SA Automobiles Citroën à lui verser:

* principalement la somme de 1 269 530 euro à titre de dommages et intérêts, somme équivalent à l'insuffisance d'actif des deux sociétés liquidées, majorée des intérêts au taux légal à compter du 24/03/00, date de l'assignation, capitalisés à compter du 24/03/01,

* subsidiairement la somme de 411 900 euro majorée des intérêts au taux légal à compter du 01/01/93, capitalisés à compter du 01/01/94 conformément aux dispositions figurant à l'article 1154 du Code civil, afin d'actualiser les montants en valeur 2005,

- au complet rejet des demandes adverses et à l'allocation de la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Il développe pour l'essentiel l'argumentation suivante :

1°) l'appelante s'est rendue coupable de plusieurs fautes : avoir exigé la création d'une concession à Villeneuve-sur-Lot puis d'avoir peu après accepté qu'il ne s'agisse que d'une agence-point de vente dépendant de la concession d'Agen; avoir exigé la création d'une entité aux normes d'un potentiel de vente de 500 véhicules/an, ce qu'elle savait surestimé compte tenu du contexte international, national et local,

2°) Alain Ringot n'était pas à même début 1992 d'apprécier cette surestimation, laquelle a été génératrice de divers préjudices pointés par l'expert judiciaire : surcoût juridique lié à la constitution et à l'existence de deux structures, surcoûts induits par des investissements disproportionnés, surcoût en terme de frais de fonctionnement, notamment loyers, charges et frais en personnel,

3°) le concédant n'a pas mis fin à ses relations commerciales avec le précédent concessionnaire local - la Sedeac - puisqu'elle lui a maintenu un compte "pièces de rechange" jusqu'en 1993, et n'a pas cherché à déterminer où cette dernière, puis une autre structure la continuant - MJV Investissement - pouvait s'approvisionner ; l'appelante n'a pas non plus veillé à l'implantation rationnelle des points de vente au regard du potentiel des secteurs couverts alors que la déperdition de la clientèle du villeneuvois au profit du concessionnaire de Fumel était patente,

4°) l'appelante a mis obstacle à toute solution de restructuration et de redressement des deux sociétés en cause : d'abord en imposant de manière brutale des mesures conservatoires disproportionnées à partir du 20 avril 1998 par abus des dispositions de l'article 9 du contrat liant les parties alors que le contrôle de la Sofira, qui aurait fait apparaître la revente à la clientèle de 18 véhicules restés impayés, n'a été réalisé que le 27 avril 1998 ; elle n'a assoupli ces mesures qu'en juillet 1998 mais a empêché le fonctionnement normal des concessions pendant plusieurs mois ; ensuite en prenant de nouvelles dispositions restrictives quant au nombre de véhicules neufs en stocks et au plafonnement de l'encours des pièces de rechange à un niveau inférieur aux besoins d'achat mensuels; enfin, en exigeant le paiement comptant en vertu des dispositions légales ; un tel refus d'octroi d'un crédit-vendeur de la part d'un fournisseur exclusif a eu pour effet d'interdire toute possibilité de redressement,

5°) les sommes réclamées ne font pas double emploi ; la première, de 1 269 530 euro, correspond à l'entier préjudice souffert par les créanciers du fait des agissements fautifs de l'appelante ; la seconde, de 411 900 euro correspond aux investissements inutiles auxquels les sociétés SALG et SAGG ont dû faire face lors de l'attribution du territoire de Villeneuve-sur-Lot;

Vu les écritures déposées par Alain Ringot le 30/01/07 aux termes desquelles, au visa de l'article 1382 du Code civil, faisant siens tous les moyens invoqués par Maître Leray, il demande à la cour:

* de dire et juger l'appelante responsable de la liquidation judiciaire des sociétés SALG et SAGG,

* de dire et juger que le comportement de l'appelante est directement responsable du préjudice qu'il a subi et de la condamner à le réparer,

* de confirmer la décision attaquée en ce qu'elle a condamné la SA Automobiles Citroën à lui verser la somme de 168 174,66 euro en réparation du préjudice résultant des paiements dont il s'est acquitté en qualité de caution des deux sociétés déconfites,

* de réformer le jugement appelé et de condamner l'appelante à lui payer la somme de 939 393,34 euro se décomposant comme suit: 168 174,65 euro au titre des engagements de caution, 472 591,95 euro au titre du préjudice résultant de la vente forcée de ses immeubles, 143 948,46 euro au titre de la perte de revenus, 76 224,51 euro au titre de son préjudice physique et moral et 78 453,77 euro au titre du manque à gagner sur ses retraites,

* d'assortir cette somme de 939 393,34 euro des intérêts échus à compter du 24/03/00, date de l'assignation,

* l'allocation de la somme de 5 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Il développe pour l'essentiel l'argumentation suivante :

1°) tous les préjudices qu'il invoque sont postérieurs au prononcé de la liquidation de sorte que le liquidateur n'a pas vocation à représenter ses intérêts qui sont parfaitement distincts de ceux des autres créanciers; ses prétentions ne font pas double emploi avec celles formées par Maître Leray, ès qualités,

2°) les fautes commises par l'appelante, caractérisées par le mandataire liquidateur, constituent la cause directe et déterminante du préjudice qu'il a personnellement souffert,

3°) les premiers juges n'ont pas tiré les conséquences nécessaires et inéluctables de leurs propres appréciations ; en jugeant que, par ses exigences d'infrastructures disproportionnées avec la réalité du potentiel du territoire de Villeneuve-sur-Lot, la SA Automobiles Citroën a porté atteinte à la rentabilité des sociétés SALG et SAGG et qu'en requérant l'application stricte de mesures conservatoires, alors même qu'elle avait exigé et obtenu des sociétés SALG et SAGG des engagements destinés à les redresser, elle les a inexorablement conduites au dépôt de leurs bilans; il appartenait dès lors aux premiers juges de considérer que le concédant était directement responsable de la liquidation de ces deux personnes morales,

4°) les sommes qu'il a dû verser au titre de ses engagements de caution, par l'effet de jugements tous postérieurs à la liquidation, constituent un préjudice propre et distinct de celui des autres créanciers ; du fait de l'absence d'exigibilité immédiate de son engagement de caution à l'ouverture de la procédure, il n'a pas déclaré de créances, puisqu'il en était dépourvu; il a à ce titre dû verser la somme de 168 174,65 euro,

5°) il a perdu 60 979,61 euro sur la vente de son immeuble d'habitation et la somme de 441 612,35 euro sur celle de l'immeuble de Villeneuve-sur-Lot ; ayant apporté l'immeuble à la SCI de Bordeneuve et détenteur de la quasi-totalité de ses parts sociales, son préjudice se confond avec celui de cette dernière,

6°) sa perte de revenus, liée à la perte de son emploi, est patente alors qu'il n'a pu retrouver aucun travail et qu'en tant que dirigeant social, il n'a jamais été pris en charge par l'Assedic,

7°) il a souffert d'un préjudice moral très important: dépression nerveuse, excellente notoriété perdue dans le milieu automobile et patronal,

8°) le manque à gagner sur ses retraites est patent puisqu'aucune cotisation n'a été versée à son profit à la caisse des cadres à compter de l'ouverture de la procédure collective, situation devant perdurer jusqu'en 2010, date à laquelle il pourra prétendre à faire valoir ses droits.

Motifs de la décision

Sur les demandes de Maître Leray

Il n'est pas contesté que Maître Leray, ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire des sociétés SALG et SAGG, trouve dans les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi en vue de la défense des intérêts collectifs des créanciers, qualité pour exercer la présente action en dommages et intérêts contre la SA Automobiles Citroën qu'il estime coupable d'avoir, par ses agissements fautifs, contribué à l'insuffisance d'actif;

Les premiers juges ont procédé à une analyse minutieuse et complète des faits à l'origine du litige, des prétentions et moyens des parties, des pièces produites aux débats et du rapport d'expertise judiciaire ;

Cette analyse n'est pas utilement contestée en cause d'appel s'agissant des fautes commises par l'appelante - pages 35 à 40 du jugement déféré - sauf à ajouter ceci aux attendus justes et bien fondés retenus en première instance sur ce point :

1°) l'expert n'a commis aucun anachronisme en se plaçant en août 1991 puis au début de l'année 1992 pour analyser le potentiel et les objectifs de la zone géographique concédée ; s'il est vrai que le contrat de concession n'est pas un contrat dit d'intérêt commun, il n'en reste pas moins que les parties sont tenues d'une obligation de loyauté ; l'appelante disposait dès 1992 de certaines données factuelles locales, nationales et internationales ; Alain Ringot avait accès à certaines d'entre elles, mais pas à toutes, et ne pouvait en toute hypothèse pas bénéficier d'une vue d'ensemble aussi complète que le concédant; compte tenu du retard pris dans la mise en place de la concession, il aurait encore été temps pour le concessionnaire de ne pas surdimensionner sa concession mais au contraire de l'adapter à la réalité du marché à l'époque (pages 13 à 27 du rapport) ; au cas précis, il n'est pas fait grief à l'appelante de n'avoir pas su prédire l'évolution du marché mais, alors que des signes évidents de ralentissement se manifestaient déjà et qu'elle en avait nécessairement connaissance, de n'avoir rien fait pour éviter à son concessionnaire de se fourvoyer dans la réalisation d'un projet inadapté,

2°) le surdimensionnement de la concession de Villeneuve-sur-Lot a retenti tant sur la structure immobilière et matérielle - surcoût de loyers et de charges - que sur la structure en personnel commercial, par un sureffectif ; de même, il a produit des effets négatifs sur le plan strictement financier; l'expert judiciaire a calculé chacun de ces postes ; il a répondu de manière pertinente, pour les écarter, aux critiques formées par la SA Automobiles Citroën ; il a en effet tenu compte tant de l'aide réelle au démarrage apportée par cette dernière à Alain Ringot que du fait que le sureffectif ne devait durer qu'un temps, le concessionnaire pouvant de son côté adapter ses charges en personnel à son activité effective et en conséquence réaliser des économies dans ce domaine,

3°) au vu des lettres échangées entre parties, il est constant que c'est l'appelante qui a imposé à Alain Ringot l'ouverture, non d'une simple agence mais d'une concession sous la forme juridique d'une société anonyme (courrier du 08/08/91) ; la volte-face de la part du concédant faisant de Villeneuve-sur-Lot une agence rattachée à la concession d'Agen était trop tardive pour éviter à Alain Ringot d'exposer des frais de constitution, voire pour modifier les structures mises en place, ce qui aurait aussi engendré un coût ; or, il n'est pas discuté qu'une agence est plus économique qu'une concession,

4°) s'agissant de la concurrence anormale de la Sedeac, il est établi que l'appelante a réagi comme il convenait sur certains aspects, par exemple pour interdire à cette dernière l'utilisation de l'enseigne Citroën; si on ne peut que s'étonner de ce que le concédant lui ait maintenu un compte pièces de rechange (annexe 5 du rapport) jusqu'à tout le moins juillet 2003 alors que le contrat de concession les liant était rompu depuis le 31/12/01, il n'est pas démontré que le poste pièces détachées des sociétés liquidées ait à l'époque subi un préjudice ; nul, pas même l'expert, n'a chiffré ce poste particulier qui ne peut dès lors faire l'objet d'une réparation, les parties aussi bien que l'expert s'étant focalisées sur la perte en terme de vente de véhicules neufs; il n'est en effet pas possible de considérer que ce dernier poste comprend le premier ; bien que l'expert judiciaire ait formé auprès de l'appelante des demandes réitérées auxquelles il n'a jamais été répondu, en particulier quant au nombre et à la provenance des véhicules commercialisés par son ancien concessionnaire, il n'est pas possible, ici encore, de lui imputer son comportement à faute ; et même s'il est probable que l'appelante était en mesure de fournir de tels renseignements, elle ne pouvait, faute de totalement maîtriser ses circuits de distribution et compte tenu de la législation applicable en la matière, notamment européenne, empêcher la Sedeac de se fournir à l'étranger;

Il convient en conséquence de reprendre les chiffres des premiers juges de la manière suivante en ce qu'ils ne sont pas contraires aux motifs ci-dessus :

* loyers et charges : 38 500 euro,

* structure commerciale : 145 000 euro,

* organisation juridique : 25 300 euro,

* total 208 800 euro;

Encore faut-il considérer que les sociétés dirigées par Alain Ringot ont participé à leur propre dommage ; en effet, leur PDG, professionnel de l'automobile depuis le milieu des années soixante, concessionnaire à Agen depuis 1985, président du Conseil National des Professions Automobiles, avait lui aussi à sa disposition des éléments d'information sur les tendances locales, nationales et internationales dans son milieu ;

Il lui appartenait de son côté de faire, le cas échéant, des démarches de renégociation avec son concédant ; il doit ès qualités être tenu pour responsable du préjudice des deux personnes morales liquidées à hauteur de 20 % ;

Il est encore reproché à l'appelante d'avoir, à la suite d'un contrôle effectué par la Sofira le 27 avril 1998 - et non à la date du 20 avril 1998 dont il est fait état par ses adversaires sans que ceux-ci s'expliquent sur cette dernière date qui ne résulte de rien - d'avoir adressé aux deux sociétés en cause une lettre par laquelle, invoquant les dispositions de l'art. 9 du traité de concession, elle leur notifiait sa décision de mettre en place un certain nombre de mesures conservatoires ;

En réalité, cette réaction de la SA Automobiles Citroën était à la fois fondée, adaptée, légitime et proportionnée ; les vérifications réalisées par la Sofira avaient en effet permis d'établir que 18 véhicules avaient été livrés en clientèle sans avoir été réglés, pour une somme de 1 722 909,69 F ; c'est donc très normalement que, face à ce comportement contraire aux règles contractuelles liant les parties, l'appelante a pu estimer que ses intérêts étaient en péril et a réagi par la mise en place de dispositions n'empêchant pas le fonctionnement des sociétés SALG et SAGG, fonctionnement qui s'est d'ailleurs poursuivi; Il est à noter que c'est à partir du 28 avril 1998 qu'ont été modifiées les modalités de commande des véhicules neufs, l'appelante exigeant de son concessionnaire qu'il procède par photocopie des bons de commande et fax, et non plus par voie informatique ; la décision postérieure prise par l'appelante de rompre les liaisons informatiques avec son concessionnaire n'a donc joué aucun rôle particulier;

A la suite d'une réunion tenue courant juillet 1998 et des engagements pris par Alain Ringot, ès qualités de mandataire social dirigeant les deux personnes morales, notamment de souscrire au prêt pétrolier de la société Total et de vendre l'établissement de Villeneuve-sur-Lot, l'appelante était amenée à adoucir les mesures conservatoires mises en place au mois d'avril précédent;

S'appuyant sur deux nouveaux contrôles des stocks opérés par la Sofira les 18 et 16 janvier 1998 faisant derechef apparaître la vente de cinq véhicules, bien que non préalablement payés en contravention des dispositions de l'article 5.2 du contrat de concession, l'appelante décidait d'aggraver les mesures conservatoires mises en œuvre ;

Alain Ringot a protesté par écrit contre les résultats de ce dernier contrôle mais n'apporte rigoureusement aucun élément prouvant que ce contrôle, comme le précédent, aurait volontairement ou pas été erroné ;

Une fois la procédure de redressement ouverte, l'appelante, compte tenu de l'importance déjà atteinte par sa créance, signifiait à Maître d'Anselme, nommé administrateur, son intention, en vertu de l'art. 37 alinéa 2 de la loi du 25/01/85 (devenu l'article L. 621-28 du Code de commerce), d'une part de ne pas accorder de délais de paiement sans garantie, d'autre part de recevoir le règlement de ses prestations à venir au comptant ;

Ce dernier restait taisant; la liquidation judiciaire intervenait peu après selon la chronologie rappelée par les premiers juges dans leurs commémoratifs ;

Il ne peut être imputé à faute à l'appelante le fait d'avoir, dans la période qui a immédiatement précédé l'ouverture de la procédure collective, puis au cours de la période qui l'a suivie :

* face à l'irrespect par le concessionnaire de ses obligations contractuelles en matière de paiement des véhicules, pris des mesures conservatoires proportionnées pour sauvegarder ses intérêts, mesures expressément prévues dans la convention liant les parties,

* exigé le règlement au comptant des prestations à venir payables en argent;

D'où il suit que la décision querellée doit être réformée ainsi qu'il vient d'être indiqué, sauf à adopter les motifs non contraires des premiers juges ;

La créance en dommages et intérêts fixée à hauteur de 208 800 euro doit être réduite de 20 % qui représente la part fautive des débiteurs ; elle s'établit finalement à la somme de 167 040 euro ; les intérêts au taux légal doivent commencer à courir à compter de ce jour, date de fixation du préjudice;

Sur les demandes d'Alain Ringot

L'irrecevabilité de la demande d'Alain Ringot en remboursement du capital social des sociétés SALG et SAGG doit être confirmée aux motifs retenus par les premiers juges;

Il y a lieu de faire droit au moyen d'irrecevabilité opposé par l'appelante à la demande en compensation formée par Alain Ringot pour les pertes subies par la SCI de Bordeneuve;

L'éventuelle seule victime de cette prétendue perte ne peut en effet qu'être cette SCI, laquelle n'est pas en la cause, Alain Ringot étant à titre personnel dépourvu de toute qualité pour émettre une telle réclamation; le pourcentage des parts sociales qu'il peut détenir dans cette personne morale est totalement indifférent ;

S'agissant des règlements effectués en sa qualité de caution, Alain Ringot ne démontre pas quelle aurait été la faute commise par l'appelante de ce chef, soit lors de son engagement, soit plus tard ; d'une part, il n'est pas démontré que cette dernière l'ait contraint à se porter caution des engagements des sociétés qu'il dirigeait ; tout porte au contraire à croire, au vu des pièces produites, spécialement des lettres de l'appelante en date des 07/05/98 et 28/07/98, qu'Alain Ringot a pris l'engagement de faire souscrire par les personnes morales en question un ou des prêts afin de reconstituer un fonds de roulement leur faisant défaut; il s'est à ce moment là, personnellement porté caution desdites personnes morales; d'autre part, en application de l'article 2029 du Code civil, il s'est trouvé subrogé aux droits de ces créanciers garantis ; or, il ne démontre pas avoir expressément renoncé à cette subrogation et s'est donc trouvé représenté par le liquidateur ; il ne peut dès lors arguer d'un préjudice individuel dont il poursuivrait la réparation alors que le mandataire liquidateur est en charge de la défense des intérêts collectifs, en ce compris les siens ;

Enfin et surtout, et cela vaut aussi pour ses demandes relatives à la vente forcée - dont le préjudice qui en découlerait n'est pas avéré - de son immeuble d'habitation, de la perte de ses revenus et du manque à gagner sur ses retraites, il apparaît que la ruine des deux sociétés est pour l'essentiel le résultat de plusieurs facteurs cumulés:

* le surdimensionnement évoqué plus haut,

* un affaiblissement général du marché de l'automobile,

* une pénétration plus faible des voitures françaises et de la marque Citroën en particulier,

* une évolution vers le bas de gamme, moins lucratif,

* une gestion commerciale déficiente d'Alain Ringot dans un contexte concurrentiel dont il connaissait les spécificités locales, étant précisé qu'à l'époque, les sociétés Sedeac et MJV Investissement n'existaient plus depuis longtemps,

* des problèmes internes de stratégie en matière de vente,

* des relations commerciales entretenues entre les deux sociétés SALG et SAGG qui n'ont pas nécessairement été fructueuses - cession de biens à prix coûtant - au point que le tribunal de commerce a joint les deux procédures collectives après avoir considéré qu'il existait entre ces personnes morales une véritable confusion des patrimoines ;

Certes, la faute retenue comme imputable à la SA Automobiles Citroën ne peut être omise du nombre des faits générateurs du dommage ; mais les autres causes dudit dommage, et notamment le prononcé de la liquidation judiciaire qui est en relation directe avec le préjudice allégué, sont plus adéquates qu'elle au point de l'absorber et d'en écarter le rôle causal dans la production du dommage ;

Au demeurant, les préjudices invoqués par Alain Ringot sont essentiellement indirects ; entre le fait dommageable et le dommage, il n'existe tout au plus qu'un lien de causalité insuffisant;

Il y a en conséquence lieu de réformer la décision entreprise et de dire n'y avoir lieu à allocation de dommages et intérêts au profit Alain Ringot;

Sur les autres demandes

Les plus amples prétentions des parties doivent être écartées;

La SA Automobiles Citroën a été condamnée en première instance à payer à Maître Leray, ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire des sociétés SALG et SAGG, la somme de 15 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Cette somme doit être ramenée à hauteur de 5 000 euro ;

La SA Automobiles Citroën a de même été condamnée en première instance à payer à Alain Ringot la somme de 4 500 euro sur le fondement de l'article 700 précité; cette condamnation doit être entièrement rapportée ;

L'équité et la situation économique commandent d'allouer à Maître Leray, ès qualités, le remboursement des sommes exposées par lui en cause d'appel pour la défense des intérêts dont il a la charge ;

Il convient de lui accorder la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

L'équité et la situation économique ne commandent pas de faire application au profit de la SA Automobiles Citroën ou d'Alain Ringot des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Le sort des dépens de première instance doit être confirmé, sauf à laisser à la charge d'Alain Ringot ceux relatifs à son intervention volontaire;

S'agissant des dépens d'appel, chaque partie devra supporter les siens propres.

Par ces motifs, La COUR, statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme la décision déférée en ce qu'elle a reçu Alain Ringot en son intervention volontaire et dit que, par ses exigences d'infrastructures disproportionnées avec la réalité du potentiel du territoire de Villeneuve-sur-Lot, la SA Automobiles Citroën a participé à l'atteinte portée à la rentabilité des sociétés SALG et SAGG, Réforme le jugement pour le surplus, Dit les sociétés SALG et SAGG responsables à hauteur de 20 % du préjudice découlant de la seule faute imputée plus haut à la SA Automobiles Citroën, Condamne la SA Automobiles Citroën à payer à Maître Leray, ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire des sociétés SALG et SAGG, la somme de 167 040 euro à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts au taux légal, Condamne la SA Automobiles Citroën à payer à Maître Leray, ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire des sociétés SALG et SAGG, la somme de 5 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance, Déclare irrecevables les demandes d'Alain Ringot en remboursement du capital social des sociétés SALG et SAGG et en compensation des pertes prétendument subies par la SCI de Bordeneuve, Déboute les parties de leurs plus amples prétentions, Y ajoutant, Condamne la SA Automobiles Citroën à payer à Maître Leray, ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire des sociétés SALG et SAGG, la somme de 5 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit des autres parties, Confirme le sort des dépens de première instance, sauf à mettre à la charge d'Alain Ringot ceux relatifs à son intervention volontaire, Dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens d'appel, Autorise les avoués de la cause à recouvrer directement ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.