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Décisions

CA Saint-Denis de la Reunion, ch. com., 27 juin 2007, n° 06-00430

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Société Commerciale du Butor (SARL), Gonneau

Défendeur :

Société Réunionnaise de Produits Pétroliers (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Sebileau

Conseillers :

Mme Pony, M. Lamarche

Avocats :

Selarl Gangate-de Boisvilliers-Rapady, SCP Canale Gauthier Antelme

T. mix. com. Saint-Denis de la Réunion, …

8 mars 2006

Par acte sous-seing privé en date du 7 décembre 2001, la Société Réunionnaise des Produits Pétroliers (SRPP) a donné en location-gérance à la Société Commerciale du Butor (SCB) dont le gérant est Jean-Louis Gonneau, une station-service située rue Maréchal de Lattre de Tassigny à Sainte-Clotilde pour un durée maximale de 10 ans ;

Par lettre du 4 juillet 2003, la société SRPP a notifié à la Société Commerciale du Butor la résiliation du contrat de location-gérance en indiquant que la station-service est implantée sur le domaine public et que la Commune de Saint-Denis avait révoqué l'autorisation d'occupation précaire qui lui avait été concédée.

Suivant déclaration enregistrée au greffe le 5 avril 2006, la Société Commerciale du Butor et Jean-Louis Gonneau ont interjeté appel d'un jugement rendu le 8 mars 2006 par le Tribunal mixte de commerce de Saint-Denis qui a :

- Condamné la Société Réunionnaise des Produits Pétroliers à payer à la Société Commerciale du Butor la somme de 30 000 euro à titre de dommages-intérêts ;

- Condamné la Société Réunionnaise des Produits Pétroliers à payer à Jean-Louis Gonneau la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts ;

- Dit que ces sommes porteront majoration d'intérêts au taux légal à compter de la date de prononcé du jugement ;

- Condamné la Société Réunionnaise des Produits Pétroliers à payer indivisément aux défendeurs la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- Condamné la Société Réunionnaise des Produits Pétroliers aux dépens.

Les parties ont échangé leurs conclusions et l'ordonnance de clôture est intervenue le 26 février 2007.

Au soutien de son appel, la Société Commerciale du Butor expose que l'article L. 330-3 du Code de commerce fait obligation à la personne qui met à la disposition d'une autre personne une enseigne tout en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité de lui fournir un document précisant notamment l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ;

Ces dispositions s'appliquant aux contrats de location-gérance, elle fait grief à la SRPP de ne pas lui avoir fourni les informations qui y sont définies avant la signature du contrat et de s'être contenté de lui remettre un compte d'exploitation prévisionnel mensuel daté du 28 novembre 2001 et faisant état d'une marge nette de 4 336 euro ;

La SCB affirme que le non-respect de l'obligation d'information a vicié son consentement ; qu'en effet, en application des dispositions susvisées, la SRPP aurait dû l'informer qu'elle occupait le site sur lequel est exploitée la station-service en vertu d'une convention d'occupation précaire conclue avec la commune de Saint-Denis 13 décembre 1999 pour une durée de 3 ans et qui réduisait considérablement la durée prévisible de la location-gérance ; qu'au contraire, elle a indiqué dans le contrat de location-gérance qu'elle était propriétaire des locaux dans lesquels le fonds de commerce était exploité pour les avoir édifiés sur un terrain loué en vertu d'un bail, laissant ainsi croire à une certaine stabilité contractuelle ;

De même, la SCB soutient qu'en insérant dans le contrat une clause prévoyant une date d'échéance du contrat (12 décembre 2011) tout en aménageant des clauses de résiliation unilatérales pouvant intervenir à tout moment, la SRPP lui a fait croire que le contrat aurait pu avoir une durée de 10 ans alors qu'elle savait pertinemment qu'à l'expiration de la convention d'occupation précaire, soit le 12 décembre 2002, elle devrait quitter les lieux et résilier la location-gérance ;

La SCB fait valoir que les réticences de la SRPP à lui fournir les informations rendues pourtant obligatoires par la loi et en l'espèce, déterminantes, sont constitutives de dol ;

Elle prétend que ce dol justifie l'annulation des clauses de résiliation unilatérale ;

En tout état de cause, elle affirme que ces clauses présentent un caractère potestatif car elles permettent à la SRPP de se soustraire impunément à l'exécution de ses obligations contractuelles ;

La SCB demande donc à la cour de déclarer nulles les clauses de résiliation unilatérale et de considérer que le contrat de location-gérance a été conclu pour une durée indéterminée ;

Elle fait valoir qu'ainsi, la rupture notifiée le 4 juillet 2003 et avant le terme contractuel prévu devient abusive et elle réclame réparation du préjudice qu'elle subit de ce fait et qu'elle évalue ainsi qu'il suit :

Investissements perdus : 64 079 euro

Manque à gagner sur la durée de contrat restant à courir : 372 400 euro

Jean-Louis Gonneau réclame en outre l'allocation de la somme de 40 000 euro à titre de dommages intérêts compensatoires du préjudice moral subi du fait du manquement contractuel imputé à la SRPP ;

Jean-Louis Gonneau et la SRPP demandent enfin paiement de la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Société Réunionnaise des Produits Pétroliers (SRPP) soutient que si le contrat de location-gérance prévoyait un durée maximale de 10 ans, il réservait également à chacune des parties, à l'intérieur de ce délai, la faculté de le résilier à tout moment après un préavis de 3 mois ;

Elle affirme que ces clauses, claires et précises, ne souffrent pas d'interprétation et confèrent au contrat la nature d'une convention à durée indéterminée ;

La Société Réunionnaise des Produits Pétroliers rappelle par ailleurs que le contrat de location-gérance lui permettait encore de résilier "de plein droit et sans préavis" le contrat dans le cas où ses droits sur le fonds de commerce ou sur les immeubles dans lesquels il est exploité viendraient à prendre fin ; or, ayant justement perdu son droit d'occuper le terrain sur lequel était bâtie la station-service, la SRPP fait valoir que l'exercice de ce droit de résiliation s'imposait ;

La Société Réunionnaise des Produits Pétroliers conteste l'existence du dol allégué par la Société Commerciale du Butor pour faire annuler ces clauses de résiliation unilatérale ;

Elle fait observer d'abord que la Société Commerciale du Butor ne saurait, sans se contredire, prétendre qu'elle a contracté en ayant cru que la SRPP jouissait d'un droit d'occupation durable sur le terrain et en misant sur la durée des relations contractuelles alors qu'elle a accepté le principe d'une faculté réciproque de rupture unilatérale à tout moment ; l'acceptation de cette faculté démontre que la durée de la convention n'était pas un critère déterminant ; Elle indique ensuite qu'elle avait informé la Société Commerciale du Butor du caractère précaire de ses droits d'occupation du terrain puisque l'article 3-13 du contrat de location-gérance y faisait référence ;

Mais en tout état de cause, elle fait valoir que si la cour retenait l'existence d'un dol, celui-ci entraînerait l'annulation de la convention toute entière et pas seulement de la clause de résiliation unilatérale ;

Enfin, la SRPP précise que la faculté de résiliation unilatérale est assimilée à tort par les appelants à une condition potestative.

Formant appel incident, la SRPP conclut à l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à payer 30 000 euro à la Société Commerciale du Butor et 10 000 euro à Jean-Louis Gonneau ;

Elle considère qu'en raison de la durée des relations contractuelles (moins de 2 ans), un délai de préavis de 3 mois est suffisant et conforme aux usages et que dès lors c'est à tort que le jugement déféré a déclaré abusive la rupture intervenue et alloué à la SRPP des dommages-intérêts ;

Sur le préjudice revendiqué par la Société Commerciale du Butor et Jean-Louis Gonneau.

La SRPP conteste à titre subsidiaire, le préjudice invoqué par le gérant de la Société Commerciale du Butor ;

Elle fait valoir en premier lieu que les investissements prétendument réalisés par Jean-Louis Gonneau au profit de la Société Commerciale du Butor peuvent faire naître une créance à l'égard de cette dernière mais ne peuvent en aucun cas, la rendre, elle, débitrice du gérant ; d'ailleurs, elle rappelle que s'il a pu financer le stock de marchandises existant en début d'exploitation, celui-ci lui a été racheté en fin d'exploitation de sorte qu'il ne peut se prévaloir d'aucune perte ;

En outre, la SRPP affirme que les bilans présentés par la SCB pendant les 2 années d'exploitation se sont soldés par des résultats déficitaires ;

La SRPP fait aussi observer qu'elle n'a jamais promis à Jean-Louis Gonneau, gérant de la SRPP, une rémunération pendant la durée de location-gérance ;

Enfin, elle réfute l'existence du préjudice moral de Jean-Louis Gonneau en indiquant que celui-ci a été licencié par son employeur pour absences répétées en 2002 alors que la location-gérance était déjà en cours ce qui signifie qu'il n'a pas, comme il le prétend, démissionné pour gérer la station-service ;

Elle conclut donc au débouté des demandes en paiement de dommages-intérêts et elle réclame paiement de la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de la décision

A) Sur l'existence de manœuvres dolosives.

Attendu qu'il est constant que le fonds de commerce donné en location-gérance était exploité dans des installations bâties sur un terrain appartenant à la commune de Saint-Denis et détenu par la SRPP en vertu d'une convention d'occupation temporaire conclue le 15 décembre 1999 pour une durée de 3 ans ;

Attendu qu'aux termes de l'article L. 330-3 du Code de commerce qui dispose que "toute personne exigeant un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité de son cocontractant doit, lui fournir, préalablement à la signature du contrat, un document précisant notamment l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que les champs d'exclusivité" ; qu'il est acquis que ces dispositions s'appliquent au contrat de location-gérance ;

Attendu que le titre de détention du terrain recevant la station-service constituait un élément important pour la Société Commerciale du Butor puisqu'il déterminait la durée de la location-gérance et lui conférait un caractère précaire et instable en contradiction avec la durée de 10 années évoquée dans le contrat ;

Or, attendu que la SRPP ne peut prouver qu'elle a informé la Société Commerciale du Butor du caractère précaire de l'occupation du site d'exploitation de la station-service avant ou même au moment de la conclusion du contrat de location-gérance ;

Qu'au contraire, la convention de location-gérance dans la rubrique "origine du fonds de commerce" indique que ce fonds est exploité dans des locaux dont elle est propriétaire pour les avoir édifiés sur un terrain loué, en vertu d'un bail l'autorisant à le louer, ce qui est de nature à faire envisager au locataire-gérant des perspectives de durée et de stabilité pour son propre contrat ;

Attendu, par ailleurs, qu'en faisant figurer dans le contrat de location-gérance une clause lui prédisant une durée de vie maximale de 10 ans, il apparait que la SRPP a volontairement voulu induire en erreur son cocontractant pour l'amener à signer un contrat qui ne pouvait durer plus de deux ans ;

Attendu qu'en effet, le contrat de location-gérance précise qu'il est conclu pour une durée maximale de 10 années à compter du 12 décembre 2001 et s'éteindra de plein droit à la date du 11 décembre 2011 sans qu'il soit nécessaire à l'une ou l'autre des parties de donner un préavis ; que cependant, il réserve ensuite la faculté pour chacune des parties de résilier le contrat à tout moment après un préavis de 3 mois donné par lettre recommandée avec accusé de réception ; que si la SCB avait su le caractère très précaire de la détention du site de la station-service, elle aurait aussi su que la faculté de résiliation unilatérale serait inéluctablement exercée par la SRPP au terme de la convention d'occupation précaire, soit le 15 décembre 2002 et compris la portée spécifique des clauses de résiliation unilatérale contenues dans le contrat de location-gérance ;

Attendu que la rétention d'une information aussi importante et déterminante que la détention précaire du site sur lequel est exploité le fonds de commerce donné en location-gérance constitue une manœuvre dolosive ;

B) Sur les conséquences du dol

Attendu que le dol peut être considéré soit comme un vice de consentement et donner lieu à une action en nullité du contrat, soit comme un délit civil et ouvrir à la victime une action en réparation du préjudice subi ;

Attendu que la SCB n'a pas demandé la nullité du contrat ; qu'elle excipe cependant de ce dol pour demander à la cour d'annuler les clauses de résiliation unilatérale figurant dans la convention de location-gérance ;

Attendu que la convention de location-gérance du 7 décembre 2001 indique qu'elle est conclue pour une durée maximale de 10 années à compter du 12 décembre 2001 et s'éteindra de plein droit à la date du 11 décembre 2011 sans qu'il soit nécessaire à l'une ou l'autre des parties de donner un préavis ; qu'elle ajoute toutefois qu'au cours des 10 années, chacune des parties pourra résilier à tout moment à condition d'en prévenir l'autre, 3 mois au moins à l'avance par lettre recommandée avec accusé de réception ;

Attendu qu'il convient d'abord de faire observer que les clauses de résiliation unilatérale, qui participent de la liberté contractuelle, sont licites et ne peuvent être assimilées à des conditions potestatives; qu'elles ne sont pas incompatibles avec la fixation d'une date ultime de cessation du contrat qui reste un contrat à durée indéterminée ;

Attendu que les clauses relatives à la durée telles qu'elles sont rédigées dans le contrat ne présentent en elles-mêmes aucun motif de nullité ; qu'elles ne sauraient en aucun cas être assimilées à une condition potestative ;

Attendu qu'il est vrai que, par suite du dol dont elle a été victime, la SCB n'a pas perçu la portée spécifique de ces clauses ; que cependant, le dol, constituant du vice de consentement, remet en cause le contrat dans son ensemble mais ne permet pas à celui qui le revendique de remodeler le contrat à sa convenance ; qu'il convient donc de rejeter la demande de nullité de clauses de résiliation unilatérale ;

Attendu qu'il s'ensuit qu'en mettant en œuvre le 4 juillet 2003 la faculté de résiliation suivant les formes prévues par le contrat, la SRPP n'a fait qu'exercer ses droits contractuels ; qu'une telle résiliation ne peut être jugée abusive au regard de la durée des relations contractuelles (un an et demi) et de la durée du préavis (3 mois) ;

Mais attendu que le dol ouvre aussi à la victime une action en responsabilité délictuelle et lui permet d'obtenir réparation de son préjudice ;

Attendu que la SCB a exposé des frais lorsqu'il a pris la gérance de la station-service ; que cependant, les investissements concernant le stock ne sauraient être considérés comme perdus puisque ce stock a été, soit racheté par la SRPP, soit vendu ; que les frais de taxe professionnelle sont inhérents à l'exercice de l'activité professionnelle et ne sauraient, non plus, être remboursés puisque la SCB n'a pas demandé la nullité du contrat ;

Attendu que le seul préjudice subi par la SCB du fait des manœuvres dolosives de la SRPP est constitué par la perte de temps et de moyens qu'elle aurait pu mettre à profit pour construire une entreprise pérenne qui lui aurait justement permis d'obtenir les gains qu'il escomptait de l'exécution de bonne foi d'un contrat de location-gérance d'une durée prévisible de 10 ans ;

Attendu qu'au vu des pièces comptables versées au dossier, il y a lieu de fixer ce préjudice à la somme de 120 000 euro ;

Attendu que Jean-Louis Gonneau, gérant de la SCB ne justifie d'aucun préjudice résultant directement du dol imputé à la SRPP ; qu'il sera débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que la SRPP qui succombe sera condamnée aux dépens ; qu'elle devra en outre payer à la SCB la somme de 3 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Décision

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, en matière commerciale, contradictoirement et en dernier ressort ; Déclare recevable l'appel formé par la Société Commerciale du Butor et Jean-Louis Gonneau ; Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau : Condamne la Société Réunionnaise des Produits Pétroliers à payer à la Société Commerciale du Butor la somme de 120 000 euro à titre de dommages-intérêts ; Déboute Jean-Louis Gonneau de sa demande en paiement de dommages-intérêts ; Dit que ces sommes porteront majoration d'intérêts au taux légal à compter de la présente décision ; Condamne la Société Réunionnaise des Produits Pétroliers à payer à la Société Commerciale du Butor la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la Société Réunionnaise des Produits Pétroliers aux dépens.