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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 12 octobre 2006, n° 05-01997

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bouvet

Défendeur :

Groupe Volkswagen France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Besse

Conseillers :

Mme Andreassier, M. Deblois

Avoués :

SCP Jupin-Algrin, SCP Debray-Chemin

Avocats :

Mes Julien, Henry, SCP Vogel & Vogel

T. com. Versailles, du 9 févr. 2005

9 février 2005

Monsieur Jacques Bouvet a interjeté appel du jugement rendu le 9 février 2005 par le Tribunal de Versailles qui l'a condamné à payer à la société Groupe Volkswagen France les sommes de 4 167 143,12 euro en sus les intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2002 et de 1 500 euro au titre de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux dépens.

Monsieur Bouvet dirigeait les sociétés Mantes Auto Service (MAS) et Saint-Germain Auto Service (SGAS), concessionnaires du Groupe Volkswagen France, qu'il avait créé respectivement en 1973 et 1987.

Par acte en date du 6 décembre 1999, Monsieur Bouvet s'est porté caution solidaire et indivisible à titre personnel de la société Saint-Germain Auto Service à hauteur de 1 067 143,12 euro au profit de la société Groupe Volkswagen France.

Par acte en date du 2 octobre 2002, Monsieur Bouvet s'est porté caution solidaire et indivisible à titre personnel des sociétés Saint-Germain Auto Service et Mantes Auto Service à hauteur de 3 100 000 euro au profit de la société Groupe Volkswagen France.

Par jugement en date du 22 octobre 2002, le Tribunal de commerce de Versailles a prononcé le redressement judiciaire de la société Saint-Germain Auto Services, a désigné Maître Samzun en qualité de représentant des créanciers et Maître Jeannerot en qualité d'administrateur judiciaire.

La créance régulièrement déclarée de la société Groupe Volkswagen France a été admise au passif de la société Saint-Germain Auto Service le 21 août 2003 à hauteur de 2 441 682,01 euro à titre chirographaire.

Par jugement en date du 21 novembre 2002, le Tribunal de commerce de Versailles a prononcé le redressement judiciaire de la société Mantes Auto Service.

La créance de la société Groupe Volkswagen France régulièrement déclarée a été admise au passif au passif de la société Mantes Auto Service pour un montant de 2 628 302,31 euro.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 26 novembre 2002, Monsieur Bouvet a, en sa qualité de caution, été mis en demeure de régler à la société Groupe Volkswagen France la somme de 4 167 143,12 euro outre les intérêts au taux légal.

Cette mise en demeure étant restée sans effet, la société Groupe Volkswagen France a, par acte en date du 19 février 2004, assigné Monsieur Bouvet devant le Tribunal de grande instance de Versailles qui s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Versailles.

C'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement dont appel.

Monsieur Bouvet demande à la cour :

- d'infirmer en toutes ses dispositions la décision entreprise ;

- de constater l'extinction du cautionnement souscrit le 6 décembre 1999 en raison de la novation opérée par la signature du cautionnement du 2 octobre 2002 ;

- à titre principal, d'annuler l'acte de cautionnement souscrit le 2 octobre 2002 pour vice du consentement ;

- à titre subsidiaire, de condamner la société Groupe Volkswagen France à réparer le préjudice qu'il a subi en raison de l'abus de dépendance économique et à lui verser la somme de 3 100 000 euro ; de prononcer la compensation judiciaire entre cette créance et les sommes réclamées par la société Groupe Volkswagen France ;

- de condamner la société Groupe Volkswagen France à lui verser la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux dépens.

Au soutien de son appel, Monsieur Bouvet fait notamment valoir :

- au vu de l'article 1271-1° du Code civil, qu'il est incontestable que les deux actes de caution successifs de 1999 et 2002 sont formellement identiques et avaient le même objet ; que dans l'intention des parties l'engagement du 2 octobre 2002 avait vocation à se substituer au précédent ;

- qu'il démontre que la société Groupe Volkswagen France lui a fait souscrire un engagement de caution en exploitant abusivement la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait son groupe de sociétés et en usant par surcroît de manœuvres dolosives ayant vicié son consentement ;

- que l'état de dépendance économique dans lequel il se trouvait ne se déduit pas simplement de son statut de concessionnaire, considéré comme abstracto, mais de la situation dans laquelle se trouvent les sociétés SGAS et MAS en octobre 2002, appréciée in concreto ;

- que son cautionnement a été consenti contre l'engagement du constructeur de ne pas " couper les vivres " et d'assurer le maintien des approvisionnements et ce, alors que la société Groupe Volkswagen France savait pertinemment qu'elle ne pourrait pas l'honorer ;

- que la société Groupe Volkswagen France doit être condamnée à lui payer des dommages et intérêts en application des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce ; que cette demande ne constitue en rien une nouvelle prétention au sens de l'article 564 du NCPC ;

- qu'il a été un partenaire commercial indispensable impliqué personnellement auprès du constructeur automobile ; que la société Groupe Volkswagen France a utilisé l'état de dépendance - sinon de soumission - économique dans lequel il se trouvait en sa qualité de dirigeant des sociétés SGAS et MAS, pour obtenir à la veille d'un dépôt de bilan qu'elle savait inéluctable, une garantie lui permettant d'échapper à l'égalité des créanciers de la procédure collective.

La société Groupe Volkswagen France demande à la cour :

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel ;

- de condamner Monsieur Bouvet à lui payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux dépens.

La société Groupe Volkswagen France fait notamment valoir :

- vu l'article 1273 du Code civil, qu'à aucun moment le cautionnement du 2 octobre 2002 ne précise qu'il viendrait se substituer au précédent cautionnement du 6 décembre 1999 ; que les parties n'ont jamais prévu une telle novation ; qu'il n'existe dans les faits de l'espèce aucun indice révélant l'intention des parties et spécialement la sienne, de renoncer à l'acte de cautionnement signé le 6 décembre 1999 et de limiter ses garanties au seul montant visé dans l'acte de cautionnement du 2 octobre 2002 ;

- que Monsieur Bouvet ne prétend pas que son consentement à l'acte du 6 décembre 1999 a été vicié ;

- vu l'article 1112 du Code civil, qu'il convient de rappeler que Monsieur Bouvet est un chef d'entreprise expérimenté et qui dispose de conseils que ce soit en matière juridique ou comptable ;

- que l'exécution des contrats s'est poursuivie au cours de la période d'observation ; que les contrats de concession prévoyaient expressément qu'elle était en droit de mettre fin aux dits contrats en cas d'impayés ; que la violence au sens de l'article précité suppose une contrainte injuste ou illicite ; que lors de la signature de l'acte litigieux les sociétés SGAS et MAS n'étaient pas encore en état de cessation des paiements ;

- vu l'article 1116 du Code civil, qu'elle démontre que les développements de l'appelant sur les prétendues manœuvres dolosives dont elle se serait rendue responsable sont parfaitement infondés ;

- que la demande de dommages et intérêts présentée par Monsieur Bouvet au titre du prétendu abus de dépendance économique est nouvelle et donc irrecevable en application des dispositions de l'article 564 du NCPC ;

- que l'appelant en tant que personne physique n'étant pas un contractant ou un partenaire commercial à son égard n'est pas fondé à invoquer l'article L. 442-6 du Code de commerce ;

- que l'appelant ne démontre pas que les sociétés SGAS et MAS étaient en situation de dépendance économique ; que l'obtention d'un cautionnement n'a pas été sans contrepartie ; que cet acte a été établi afin de garantir les sommes dues par les deux concessions dirigées par Monsieur Bouvet et d'assurer la poursuite des relations commerciales entre elle et ces deux sociétés ; qu'en tout état de cause, la jurisprudence a toujours jugé qu'un concessionnaire n'était pas en état de situation de dépendance économique à l'égard du concédant.

Discussion

Sur l'existence du cautionnement du 6 décembre 1999

Considérant que dans l'acte de cautionnement souscrit le 6 décembre 1999, Monsieur Bouvet s'est porté caution solidaire et indivisible "à raison de toutes les obligations, quels qu'en soient la nature et le fondement juridique, pouvant découler pour le débiteur de ses relations d'affaires avec la société Groupe Volkswagen France quelles qu'elles soient..." ; que ce cautionnement est donné pour un montant en principal de 7 millions de francs soit 1 067 143,12 euro ; que dans l'acte souscrit le 2 octobre 2002, l'engagement est formulé de la même façon mais le montant de l'engagement en principal est de 3 100 000 euro ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1273 du Code civil, " la novation ne se présume pas ; il faut que la volonté de l'opérer résulte clairement de l'acte" ; qu'il n'est nullement indiqué expressément dans l'acte du 2 octobre 2002 que cet engagement se substitue à celui du 6 décembre 1999 ; qu'il convient par conséquent de rechercher si en l'espèce dans les faits les parties ont exprimé leur intention de nover ;

Considérant que l'appelant ne peut valablement soutenir que l'objet des deux actes étant identique, il en résulte nécessairement que les parties avaient l'intention de remplacer le premier par le second et que si tel n'avait pas été le cas il aurait été précisé dans l'acte le plus récent qu'il venait en complément du premier ; qu'en effet et à juste titre, l'intimée fait valoir qu'il s'agit d'un cautionnement classique visant toutes les sommes pouvant découler de l'exécution des contrats de concession ; qu'en outre l'acte du 2 octobre 2002 couvre non seulement les sommes que la société SGAS pourraient devoir à la société Groupe Volkswagen France comme le fait le premier acte mais également celles qui pourraient être dues par la société MAS ;

Considérant qu'il n'est pas contestable qu'il n'existe aucune incompatibilité entre ces deux actes successifs ; que le fait que l'engagement souscrit dans le second acte soit supérieur au premier s'explique notamment par le fait que compte tenu de l'évolution de la situation des deux sociétés, la société Groupe Volkswagen France a souhaité obtenir des garanties supplémentaires ;

Considérant que dans ces conditions, il ne résulte pas des faits de la cause que les éléments constitutifs de la novation sont réunis ; qu'il convient par conséquent de débouter Monsieur Bouvet de sa demande de ce chef, étant précisé qu'elle a été présentée pour la première fois devant la cour, et de dire conformément à la décision des premiers juges que les deux garanties sous réserve de la validité de celle du 2 octobre 2002 se cumulent ;

Sur la validité du cautionnement du 2 octobre 2002

Considérant que Monsieur Bouvet soutient à l'appui de sa demande de nullité que son consentement aurait été vicié par la société Groupe Volkswagen France lors de la signature de l'engagement du 2 octobre 2002 ; que cette dernière aurait d'une part exploité abusivement la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait le groupe de sociétés, ce qui constituerait une violence économique au sens des dispositions de l'article 1112 du Code civil et d'autre part aurait usé de manœuvres dolosives au sens des dispositions de l'article 1116 du Code civil ;

Considérant que l'article 1112 du Code civil dispose que " il y a violence lorsqu'elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu'elle peut lui inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent" ;

Mais considérant qu'il convient tout d'abord de rappeler que Monsieur Bouvet était du fait notamment de son ancienneté dans le monde des affaires, un dirigeant expérimenté ; qu'en outre compte tenu de l'ancienneté de ses relations avec la société Groupe Volkswagen France, il connaissait ses interlocuteurs et leur façon de négocier d'autant qu'il n'était pas seul le jour de la signature de son engagement mais assisté notamment de Monsieur Leclercq, président du Directoire de la Financière de Courcelles et de Monsieur Duarte, expert comptable du groupe Bouvet ; qu'ainsi à juste titre, les premiers juges ont relevé que Monsieur Bouvet ne pouvait être " qualifié a priori de personne particulièrement impressionnable " ; que dans ces conditions l'attestation de Monsieur Duarte Jové qui aurait assisté à la signature du dit engagement et qui atteste que cet engagement a été obtenu " dans un réel contexte de tension et d'urgence " et aurait été finalement signé " contre l'assurance du maintien et de la poursuite par Volkswagen de la fourniture en véhicules et pièces détachées de son concessionnaire pour les mois à venir " n'est pas à elle seule de nature à établir l'existence d'une violence au sens de l'article précité, pas plus que la situation financière particulièrement difficile dans laquelle se trouvaient les sociétés du groupe de Monsieur Bouvet au jour de la signature de l'acte ;

Considérant qu'en outre l'appelant fait état d'une " contrainte économique " qu'aurait exercée à son encontre la société Groupe Volkswagen France consistant à l'assurer du maintien des approvisionnements, pour le forcer à signer l'acte litigieux ; qu'il lui appartient dès lors de démontrer en quoi les agissements de la société Groupe Volkswagen France étaient illégitimes à son encontre ;

Considérant que Monsieur Bouvet ne rapporte pas la preuve que la société Groupe Volkswagen France l'ait menacé de procéder à la résiliation immédiate des contrats de concession, étant toutefois précisé que ces derniers prévoyaient expressément dans leur article 20.1 que la société Groupe Volkswagen France était en droit de procéder à une " résiliation extraordinaire sans préavis " en cas de " non-respect par le concessionnaire de ses obligations de paiement " ;

Considérant qu'en tout état de cause, il ne peut valablement être reproché à la société Groupe Volkswagen France d'avoir demandé la fourniture de garanties supplémentaires eu égard aux difficultés que rencontraient les sociétés dirigées par Monsieur Bouvet et dont elle ne conteste pas avoir eu connaissance, et ce, pour être à même de poursuivre les relations contractuelles existantes ; que s'il est évident que Monsieur Bouvet s'est engagé sous la pression des circonstances économiques, cette situation ne saurait être assimilée à une violence morale exercée par un créancier, rien n'empêchant Monsieur Bouvet de refuser de s'engager et de déclarer l'état de cessation des paiements de ses sociétés plus tôt ;

Considérant que l'appelant soutient que la société Groupe Volkswagen France malgré son engagement de continuer à l'approvisionner, contrepartie selon lui de l'engagement de caution souscrit, aurait rompu définitivement les approvisionnements dans les vingt jours qui ont suivi la signature de l'engagement du 2 octobre 2002 c'est à dire à la date du redressement judiciaire prononcé le 22 octobre 2002 ;

Mais considérant que la société Groupe Volkswagen France verse aux débats la convention de dépôt signée par l'administrateur judiciaire notamment le 6 février 2003 ; que d'ailleurs il n'a jamais été reproché à la société Groupe Volkswagen France la rupture abusive des relations contractuelles qu'elle entretenait avec Monsieur Bouvet ;

Considérant que faute pour Monsieur Bouvet de rapporter la preuve de l'existence de violences ou de manœuvres dolosives exercées par la société Groupe Volkswagen France à son encontre pour le contraindre à souscrire l'engagement du 2 octobre 2002, il convient de confirmer la décision entreprise qui a reconnu comme valable l'acte de cautionnement litigieux ;

Sur la demande de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce

Considérant que contrairement à ce que soutient l'intimée, la demande de dommages et intérêts présentée par l'appelant sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce ne peut être considérée comme une demande nouvelle au sens des dispositions de l'article 564 du NCPC, dès lors qu'elle tend aux mêmes fins que celles soumises au premiers juges et qu'elle tend à opposer une compensation et à faire écarter les prétentions adverses ; qu'en outre cette demande était virtuellement comprise dans les demandes initiales ; qu'il convient par conséquent de déclarer recevable la demande présentée sur ce fondement par Monsieur Bouvet ;

Considérant que la société Groupe Volkswagen France soutient que Monsieur Bouvet ne peut valablement présenter une demande sur le fondement de cet article dès lors qu'en tant que personne physique il n'a pas la qualité de cocontractant ou partenaire commercial de la société Groupe Volkswagen France ;

Mais considérant qu'à juste titre, l'appelant fait valoir qu'il était dirigeant des sociétés SGAS et MAS et qu'en cette qualité, il a fourni tout au long de sa relation avec la société Groupe Volkswagen France des garanties qui ont permis le développement desdites sociétés ; qu'ainsi il doit être considéré comme un partenaire commercial au sens des dispositions précitées ;

Considérant que pour les raisons indiquées ci-dessus la cour ayant retenu que l'engagement du 2 octobre 2002 n'avait pas été obtenu sous la contrainte ni à la suite de manœuvres dolosives et en l'absence d'abus de dépendance économique démontrée et qui aurait été pratiquée par l'intimée, il ne peut être fait droit à la demande de dommages et intérêts de l'appelant sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 et plus précisément I 2° a) et b) et 4° ;

Considérant qu'il convient dans ces conditions de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Considérant qu'il convient en équité de faire droit à hauteur de 2 000 euro à la demande de la société Groupe Volkswagen France sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;

Considérant que Monsieur Bouvet qui succombe, sera débouté de sa demande au titre de l'article 700 du NCPC et condamné aux dépens de première instance et d'appel ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 février 2005 par le Tribunal de commerce de Versailles, Vu l'article 700 du NCPC, déboute Monsieur Bouvet de sa demande et le condamne à payer à la société Groupe Volkswagen France la somme de 2 000 euro, Condamne Monsieur Bouvet aux dépens de première instance et d'appel et accorde à la SCP Debray-Chemin, titulaire d'un office d'avoué, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du NCPC.