Livv
Décisions

CA Versailles, 3e ch., 11 septembre 2008, n° 07-04954

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ségula Ingénierie Industrielle (SA)

Défendeur :

Hallais

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bourquard

Conseillers :

M. Regimbeau, Mme Calot

Avoués :

SCP Fievet-Lafon, Me Binoche

Avocats :

Mes Hugon, Saulnier Arrighi

TGI Nanterre, 6e ch., du 11 mai 2007

11 mai 2007

Faits et procédure

Titulaire d'un mandat d'agent commercial consenti le 13 mai 1996 par la société OTG, repris le 6 octobre par la société Ségula Ingénierie Industrielle SA, acquéreur de la société OTG et se prévalant de ce que son mandant l'avait, en violation de ce contrat, évincé en passant directement un marché avec la société Téléflex avec laquelle il était en relations commerciales, M. Pierre Hallais a attrait la société Ségula Ingénierie Industrielle SA en paiement d'indemnité compensatrice de rupture et de commissions devant le Tribunal de grande instance de Nanterre qui, par jugement avant dire droit du 12 avril 2005, a ordonné une expertise afin notamment d'obtenir tous éléments sur l'activité de M. Pierre Hallais permettant de déterminer la perte globale éventuelle de sa rémunération. En suite du dépôt du rapport d'expertise, le 17 février 2006, cette juridiction, à nouveau saisie, a par jugement du 11 mai 2007 :

- rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise,

- condamné la SA Ségula Ingénierie Industrielle à payer à M. Pierre Hallais la somme de 21 869, 47 euro, avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2003 au titre des commissions, celle de 9 743,50 euro au titre de l'indemnité de préavis, 70 305 euro au titre de l'indemnité compensatrice de rupture, outre une indemnité de 2 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile et l'a condamnée aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise.

Appelante de cette décision, la société Ségula Ingénierie Industrielle SA, aux termes de ses écritures déposées le 22 mai 2008, conclut en son infirmation et elle demande, vu les articles 1134 du Code civil et L. 134-1 et suivants du Code de commerce, de :

- constater la nullité des opérations d'expertise,

- débouter M. Pierre Hallais de l'intégralité des ses demandes, fins et conclusions,

- Constater,

Qu'aucune commission n'est due à M. Pierre Hallais,

Que M. Pierre Hallais a pris l'initiative de la rupture du contrat,

-A titre subsidiaire,

- avant dire droit, constater la nullité des opérations d'expertise,

- ordonner en tout état de cause une contre-expertise et désigner tel expert avec pour mission celle reprise dans le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Nanterre le 12 avril 2005,

- A titre infiniment subsidiaire,

- constater que l'indemnisation de M. Pierre Hallais ne pourra être supérieure à 11 384 euro,

- le condamner en tout état de cause à lui payer une indemnité de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

M. Pierre Hallais, aux termes de ses écritures déposées le 2 mai 2008, conclut à la confirmation du jugement et au débouté de l'intégralité des demandes de l'appelante à laquelle il réclame une indemnité de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Motifs et décision

- sur la demande d'annulation du rapport d'expertise

Considérant que l'appelante soutient que l'expertise est nulle pour non-respect du principe du contradictoire, qu'elle fait valoir que l'expert n'a procédé qu'à une seule réunion à l'issue de laquelle, l'expert lui a remis près de 800 pièces non numérotées, communiquées par la partie adverse dont elle n'a pu prendre utilement connaissance, que la chronologie des opérations d'expertise démontre que l'expert a préalablement à cette réunion engagé une relation unilatérale avec M. Pierre Hallais, que dès le 22 septembre, il a adressé aux parties un compte rendu de réunion, qu'il a pris position au cours de l'expertise entre diverses prestations techniques et le savoir-faire de M. Pierre Hallais et s'est prononcé en dehors de son champ de compétence sur des points fondamentaux de l'expertise, refusant en outre de s'adjoindre tout sapiteur malgré sa demande expresse ;

Considérant qu'aux termes de la mission qui lui avait été confiée, il appartenait à l'expert de :

- recueillir les observations des parties,

- se faire remettre tous documents, au besoin, mêmes détenus par des tiers,

- donner tous éléments sur les prestations que devaient fournir Pierre Hallais en exécution du contrat signé le 13 mai 1996,

- donner tous les éléments sur les prestations effectuées,

- donner son avis technique sur la nature et l'étendue des prestations concernées par les factures produites par Pierre Hallais,

- préciser si ces factures ont été réglées, et donner son avis sur les sommes restant dues au titre des commissions,

- donner tous éléments sur l'activité de Pierre Hallais permettant de déterminer la perte globale éventuelle de rémunération, ainsi que sur les frais professionnels de cet agent commercial,

Qu'il résulte de la description chronologique, non contestée, des diligences entreprises par l'expert au cours des opérations qu'il a menées (pages 7 à 9 du rapport d'expertise) que M. Garnier, expert a, dès le 4 juillet, adressé aux conseils des deux parties une demande de communication de leur dossier respectif, qu'il les a régulièrement convoquées le 5 septembre 2005 pour la réunion du 21 septembre suivant ; qu'il ne peut être tiré du simple fait de la réception par l'expert de pièces complémentaires déposées par M. Pierre Hallais, réclamées par télécopie du 12 septembre précédent, que l'expert ait engagé une quelconque relation unilatérale avec l'une des parties et ait failli à son obligation d'impartialité qu'il n'est pas contesté que lors de la réunion d'expertise du 21 septembre, l'expert a remis à la SA Ségula Ingénierie Industrielle, dans le respect du principe du contradictoire, l'ensemble des pièces communiquées par M. Pierre Hallais, à savoir (factures OTG de 1997 à 1999, factures Ségula Industrielle de 1999 à 2003 et un dossier de doubles des correspondances échangées par M. Pierre Hallais avec les sociétés du groupe Téléflex Gallet montrant la nature des travaux et prestations dispensées) ; qu'il ne saurait être fait grief à l'expert d'avoir rédigé et adressé aux parties le 22 septembre un compte rendu de réunion dès lors qu'il a invité les parties, en possession de l'ensemble des éléments du dossier, à formuler toutes observations utiles dans le strict respect du contradictoire, qu'au demeurant le conseil de la SA Ségula Ingénierie Industrielle a adressé le 13 octobre 2005 un dire à l'expert, que l'expert a répondu dès le lendemain à celui-ci, que le magistrat chargé du contrôle des expertises auquel l'expert avait transmis copie du dire et de la réponse qui y avait été apportée par l'expert, a estimé, par lettre du 21 octobre 2005, transmise à l'ensemble des parties, que l'expert avait répondu avec précision à l'ensemble des préoccupations du conseil de la SA Ségula Ingénierie Industrielle et rappelé à cette occasion qu'il appartenait à l'expert seul de décider du recours éventuel à un sapiteur ;

Qu'il convient de relever que le dépôt du rapport d'expertise est intervenu le 27 février 2006 et que la SA Ségula Ingénierie Industrielle n'a pas estimé devoir mettre à profit le temps dont elle a disposé, pendant toute la durée des opérations d'expertise, pour déposer, si elle l'estimait utile, d'autres dires et faire valoir utilement ses arguments ;

Et considérant qu'il s'évince de la comparaison de la mission confiée à l'expert, telle que ci-dessus rappelée, et de l'ensemble du rapport d'expertise ainsi que de ses conclusions que l'expert a répondu point par point à l'ensemble des questions qui lui étaient posées et qu'il n'a, contrairement à ce que soutient l'appelant, nullement excédé le champ de sa mission ;

Considérant que dans ces conditions, c'est à juste titre que le jugement a écarté la demande de la SA Ségula Ingénierie Industrielle visant à obtenir à ce que l'expertise soit déclarée nulle ;

- sur la rupture du contrat d'agent commercial

Considérant que l'appelante soutient que l'initiative de la rupture incombe à l'agent commercial et que sa demande d'indemnité compensatrice est irrecevable comme prescrite, qu'elle fait notamment grief au jugement d'avoir fixé au 26 avril 2002 la date de rupture du contrat et au 26 juillet 2002, celle de la cessation des relations contractuelles entre les parties ;

Considérant que l'article L. 134-12 du Code de commerce pose le principe d'un droit à indemnité compensatrice pour l'agent commercial en cas de cessation de ses relations avec le mandant, qu'il impose à l'agent commercial, sous peine de déchéance à son droit à indemnité de notifier à son mandant qu'il entend faire valoir ses droits dans le délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'en effet, contrairement à ce que soutient l'appelante, l'article L. 134-12 du Code de commerce n'institue pas une prescription extinctive de l'action de l'agent commercial mais une déchéance de son droit à réparation ; que le point de départ de ce délai s'entend à compter de la cessation effective des relations contractuelles et non à la date de la notification de la rupture par le mandant ;

Considérant qu'en l'espèce, il est démontré tant par les factures versées aux débats et datées de 2000 à 2002 que par l'attestation du chef de projets Grands Contrats de Téléflex que M. Pierre Hallais était l'interlocuteur habituel de la société Téléflex Gallet qui lui a confié la responsabilité de différents contrats incluant toutes les suggestions tant en moyens humains que matériels ; qu'il est établi (pièce 8) que la société Téléflex Gallet a transmis le 27 mars 2002 un dossier complet de consultation relatif à l'aéroport d'Orly Sud et Ouest à M. Pierre Hallais ; qu'il n'est pas contesté qu'à la suite de la remise de ce dossier, M. Pierre Hallais l'a transmis à son mandant et ne s'est pas opposé à ce que M. Lagrange de la SA Ségula Ingénierie Industrielle, visite directement la société Téléflex Gallet, hors sa présence ; que l'appelante ne conteste pas avoir obtenu l'appel d'offres et traité directement avec la société Téléflex Gallet ce marché puis un second en évinçant M. Pierre Hallais et s'être abstenu de lui verser toute commission mais qu'elle estime que celui-ci ne présentait pas les compétences requises pour négocier de tels contrats ;

Qu'il est constant qu'aux termes du mandat dont il était investi, M. Pierre Hallais du fait de la réputation certaine qu'il avait acquise dans le domaine des prestations industrielles était chargé de vendre pour le compte de son mandant les services de prestations industrielles offerts par son mandant sans qu'il soit fait mention d'une quelconque restriction par rapport à des domaines particuliers de services ; que les deux appels d'offre de la société Téléflex Gallet correspondaient précisément aux services offerts par la SA Ségula Ingénierie Industrielle ; que cette dernière se contente d'affirmer que l'offre de la société Téléflex Gallet était une offre technique complexe qui ne relevait pas de la compétence de M. Pierre Hallais sans en rapporter la moindre preuve ;

Qu'en traitant directement avec la société Téléflex Gallet, cliente habituelle de son mandataire et alors même que ce dernier lui avait transmis un premier appel d'offre lui permettant d'accéder à un second marché avec la même société, l'appelante qui ne justifie pas que les services de prestations industrielles concernés par ces marchés n'entraient pas dans le champ du mandat confié à son agent commercial a commis une faute à l'origine de la rupture des relations contractuelles ;

Considérant qu'il est établi que par courrier du 23 avril 2002, M. Pierre Hallais a demandé à son mandant de justifier de son attitude par rapport à la conclusion directe de ces marchés et l'a interrogé sur sa commission en lui demandant une réponse claire et rapide, qu'à cette occasion il lui a également demandé des explications sur d'autres travaux en cours, qu'il a réitéré en vain sa demande le 26 avril suivant ; que la lettre adressée le 22 mai 2002 à la SA Ségula Ingénierie Industrielle par le syndicat national des agents commerciaux afin d'obtenir que M. Pierre Hallais soit commissionné sur ces deux marchés est également restée sans réponse ;

Qu'il est établi que M. Pierre Hallais a continué d'adresser diverses relances à son mandant concernant les deux marchés conclus avec la société Téléflex Gallet mais également ceux conclus avec la société Axima notamment pour des prestations de maintenance réalisées en décembre 2002 ; que l'appelante n'a jamais contesté que la société Axima était un client apporté par M. Pierre Hallais, qu'aux termes de ses écritures (page 10) elle affirme, au demeurant sans en justifier, que M. Pierre Hallais aurait été entièrement réglé de ses demandes de commissions concernant Axima ; qu'elle admet ainsi que les relations contractuelles entre les parties se sont effectivement poursuivies jusqu'au règlement de factures relatives aux prestations réalisées pour la société Axima soit au moins jusqu'à la fin de l'année 2002 ;

Que dans ces conditions, l'appelante, dont l'attitude fautive est à l'origine de la rupture des relations contractuelles, ne peut utilement opposer à M. Pierre Hallais la déchéance de son droit à indemnité compensatrice prévue à l'article L. 134-12 alinéa 2 du Code de commerce ;

Considérant que la contestation élevée par l'appelante sur le principe du droit à commissions de son agent commercial doit en conséquence être écartée, que la SA Ségula Ingénierie Industrielle n'émet aucune objection sur la nature des factures ouvrant droit à commissions mais estime que le taux de 7,5 % retenu ne s'applique pas aux contrats conclus avec la société Téléflex Gallet, qu'en effet si l'article 5 du contrat d'agent commercial prévoit un taux de 7,5 % du chiffre d'affaires HT pour les affaires dont le coefficient multiplicateur aura été traité à 2,3 et de 6,5 % pour celles dont le coefficient multiplicateur aura été traité entre 2,1 et 2,29, il précise également qu'en dessous d'un coefficient multiplicateur de 2,1, les parties conviennent de définir un taux de rémunération au cas par cas ; que s'agissant des marchés conclus avec la société Téléflex Gallet, le niveau de marge brut se situe à 11 % ce qui correspond à un coefficient multiplicateur de 1,11 ;

Mais considérant qu'il est établi par les factures annexées au rapport d'expertise que le taux de commission retenu pour les contrats conclus avec la société Téléflex Gallet habituellement de 7,5 %, que l'appelante qui, en évinçant son agent commercial des marchés conclus avec la société Téléflex Gallet s'est volontairement privée de toute possibilité de négocier un taux de rémunération spécifique à ces marchés est mal fondée à solliciter une réduction du taux de rémunération de son agent commercial, étant au demeurant observé qu'elle ne produit aucun élément justifiant du taux de 1,11 dont elle se prévaut ;

Que dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé à la somme de 21 869,47 euro le montant des commissions dues à l'intimée outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 22 juillet 2003 ;

Considérant qu'il est établi que l'appelante n'a pas respecté la procédure de cessation du contrat telle que prévue en son article 9, qu'en ne répondant à aucune des correspondances de son cocontractant, elle l'a laissé volontairement dans l'incertitude de la poursuite de son contrat, que dans ces conditions, il convient d'estimer qu'elle lui est redevable d'une indemnité pour préavis de trois mois laquelle a été exactement fixée par le jugement à la somme de 9 743,50 euro ;

Que l'indemnité compensatrice due à M. Pierre Hallais a été exactement estimée par le jugement sur la base de la moyenne de deux années de commissions perçues au cours des deux derniers exercices (31 331 euro et 38 974 euro) à la somme de 70 305 euro ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à l'intimé une indemnité complémentaire en cause d'appel au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; que l'appelante qui succombe dans ses prétentions doit supporter les entiers dépens en ce compris les frais d'expertise ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement rendu le 11 mai 2007 par le Tribunal de grande instance de Nanterre, Rejette toutes autres prétentions des parties, Condamne la société Ségula Ingénierie Industrielle SA à payer à M. Pierre Hallais une indemnité complémentaire en cause d'appel de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Ségula Ingénierie Industrielle SA aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise et autorise Maître Binoche, avoué à les recouvrer directement comme il est prescrit à l'article 699 du Code de procédure civile.