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Décisions

CA Bordeaux, 5e ch., 15 novembre 2007, n° 06-02645

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Duchesne (SA)

Défendeur :

Joubert

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Miori

Conseillers :

Mmes Coll, O'Yl

Avoués :

SCP Taillard & Janoueix, SCP Touton-Pineau & Figerou

Avocats :

Mes Meyer, Danglade

TI Bordeaux, du 19 mai 2006

19 mai 2006

Faits procédure et prétentions des parties

La société D Duchesne, qui a pour activité la vente par correspondance de produits ménagers, exerce celle-ci sous l'enseigne TV Direct Distribution. Pour vendre ses produits elle adresse par publipostage à sa clientèle potentielle un catalogue ainsi que des loteries publicitaires.

Dans le cadre de cette activité elle a fait parvenir au cours des années 2003 et 2004, à Madame Joubert des courriers accompagnés de documents correspondant à cet objectif.

Par acte d'huissier en date du 8 février 2005, Madame Joubert a fait assigner la société Duchesne devant le Tribunal d'instance de Bordeaux, afin d'obtenir sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, et de l'article L. 121-36 du Code de la consommation, sa condamnation à lui verser à titre principal 10 000 euro à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait des courriers, selon elle, volontairement équivoques que lui a adressés son adversaire, entretenant une confusion délibérée, afin de faire croire aux destinataires des envois qu'ils ont obtenu des gains importants.

Par jugement en date du 27 avril 2006, le tribunal d'instance a fait partiellement droit aux demandes de Madame Joubert et a condamné la société Duchesne à lui verser 5 000 euro à titre de dommages-intérêts et une indemnité de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, le tout avec exécution provisoire.

La société Duchesne a relevé appel de cette décision.

Elle en poursuit la réformation et sollicite à titre principal que Madame Joubert soit déboutée de ses demandes, et à titre subsidiaire que ne soit pas prononcée une condamnation supérieure à celle de première instance.

Elle demande en outre que Madame Joubert soit condamnée à lui verser une indemnité de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait valoir

- que les jeux publicitaires diffusés par elle, sont parfaitement licites.

- qu'aucune faute ne peut être mise à sa charge et qu'elle a satisfait aux seules obligations qu'elle avait souscrites,

- qu'il n'existe de sa part aucun engagement ferme au versement d'un prix.

Madame Joubert conclut pour sa part à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré la société D Duchesne responsable du préjudice qu'elle a subi. Elle se fonde à titre principal sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil et à titre subsidiaire sur celles de l'article 1371 de même Code, eu égard à l'engagement sans équivoque de la société Duchesne à lui verser des gains.

Elle réclame la condamnation de son adversaire à lui verser

- 7 500 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,

- 3 000 euro pour appel abusif et dilatoire,

- 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de la décision

Pour qu'une faute civile de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, soit retenue à l'encontre de la société organisatrice d'une loterie, il est nécessaire qu'elle ait présenté de façon affirmative un résultat qui n'était qu'hypothétique et qu'elle ait ainsi donné délibérément et déloyalement naissance à une fausse espérance de gain dans l'esprit du consommateur.

En l'espèce Madame Joubert produit plusieurs documents qui lui ont été adressés par TV Distribution dont le contenu est équivoque.

C'est ainsi que dans un courrier daté du 3 juillet 2003, il est précisé à Madame Joubert qu'elle est l'unique gagnante d'une somme de 10 000 euro. Cette lettre comporte en particulier la phrase:

"Je vous l'écris encore noir sur blanc : c'est vous et vous seule qui remportez les 10 000 euro".

Dans un autre courrier daté du 4 septembre 2003 intitulé " Attestation de garantie d'envoi d'un règlement " la société TV Distribution a fait connaître à Madame Joubert qu'elle était "officiellement bénéficiaire d'un règlement de "10 000 euro en un seul chèque" sous contrôle d'un huissier de justice assermenté". Cette lettre prévoyait en outre l'engagement formel de l'expéditeur de procéder à la remise de ce règlement dès réception de la commande.

D'autres courriers comportant des mentions de même nature ont été expédiés à Madame Joubert, l'un d'entre eux intitulé " Attribution définitive de gain " précisant " c'est bien à la Personne Gagnante Madame Joubert que nous devons remettre les 8 500 euro ".

La lecture de ces documents révèle que Madame Joubert a été présentée comme la gagnante des sommes figurant sur ces envois.

Pour obtenir la réformation de la décision attaquée la société D Duchesne fait tout d'abord valoir que la responsabilité d'une société de vente par correspondance doit s'apprécier par rapport à un consommateur moyen et que les documents envoyés mettent en évidence la présence d'un aléa ce qui est attesté notamment par la présence du règlement du jeu annexé au courrier.

L'existence d'un aléa ne fait pas obstacle à la demande de Madame Joubert fondée sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil. La responsabilité quasi délictuelle n'implique pas, en effet, que les termes de l'engagement souscrit soient clairs, mais seulement qu'ils soient ambigus ce qui est constitutif de la faute exigée pour engager la responsabilité de l'entreprise de vente par correspondance. Si l'engagement n'était pas ambigu le destinataire des documents pourrait en effet, sur le fondement de l'article 1134 du Code civil, exiger non pas de simples dommages-intérêts mais l'exécution de l'engagement c'est-à-dire le paiement intégral de la somme indiquée.

C'est d'ailleurs de manière exacte que Madame Joubert considère que les documents envoyés ne permettent pas d'écarter totalement la réalité d'un gain, étant précisé que le règlement du jeu lorsqu'il était annexé à l'envoi était, comme le précise le tribunal, d'une lecture mal aisée, rédigé en petits caractères et sans paragraphes distinctifs.

La société D Duchesne soutient en outre qu'ayant été destinataire de cinq opérations promotionnelles Madame Joubert, ne peut valablement prétendre de bonne foi, qu'elle a cru être gagnante à cinq reprises de sommes d'argent très importantes et que sa véritable démarche est une spéculation sur une procédure judiciaire dans la mesure ou elle disposait de toutes les informations nécessaires pour participer à des jeux gratuits dont les règles lui étaient parfaitement connues.

Madame Joubert a reçu 3 avis de gains portant respectivement sur des sommes de 10 000, 8 500 et 9 750 euro.

Pour les derniers envois reçus, Madame Joubert ne pouvait plus ignorer que malgré les affirmations catégoriques de l'expéditeur, il y avait très peu de chances qu'elle ait été réellement bénéficiaire des sommes indiquées, alors que malgré ses démarches elle n'avait toujours pas perçu la somme initialement prévue.

Concernant les premiers envois du 3 juillet et du 4 septembre 2003, l'informant d'un gain de 10 000 euro l'ambiguïté était par contre certaine dans la mesure où elle était pour la première fois informée de sa qualité de gagnante et qu'aucun antécédent ne venait alimenter un doute raisonnable.

Ces premiers documents ainsi envoyés ont en effet, entretenu délibérément la croyance chez Madame Joubert d'un gain nécessairement acquis en raison des affirmations catégoriques qu'ils contenaient, sur ce point de leur personnalisation puisque le nom de Madame Joubert figurait parfois en gros caractère dans le corps du texte, et de la référence faite à un huissier qui accréditait la réalité de l'existence du gain à son profit.

La société D Duchesne a donc présenté, de façon affirmative un résultat qui demeurait incertain. Elle l'a fait de manière délibérée afin d'obtenir la passation de commandes de produits. Elle l'a fait enfin de manière déloyale puisqu'elle a fait référence à un huissier et que les signes permettant de se rendre compte de l'aléa, même s'ils existaient, étaient minorés. Les premiers envois ainsi opérés engagent donc la responsabilité de la société D Duchesne puisqu'ils ont pu légitimement laisser croire à Madame Joubert que son gain été acquis.

Sur le préjudice

Celui-ci doit être fixé en fonction de l'illusion que les annonces de gain ont pu faire naître chez le consommateur qui en était destinataire.

Si cette illusion a été certaine sur les premiers envois effectués en 2003, elle a été nécessairement moindre pour ceux reçus plus tard, Madame Joubert qui n'avait pas reçu malgré ses démarches les premiers gains ayant pu se rendre compte qu'il s'agissait en fait d'une véritable loterie même si cet aspect était peu mis en évidence par l'expéditeur.

Le préjudice subi n'est par ailleurs pas directement proportionnel à la perte résultant de l'espérance de gain attendue, étant précisé que l'action de Madame Joubert se fonde à titre principal sur l'article 1382 du Code civil et non sur l'article 1371 du même Code qui nécessite un engagement sans équivoque ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Madame Joubert soutient par contre de manière exacte que son préjudice doit être réparé en tenant compte:

- de la personnalisation des documents envoyés et de la vaine croyance dans l'acquisition d'une somme importante,

- du choc émotionnel suscité par l'annonce du gain et dans la déception de ne pas recevoir les gratifications promises,

- de l'atteinte à la tranquillité de la vie privée résultant de l'envoi de correspondances répétitives.

En considération de ces éléments, il convient de fixer son préjudice à 2 000 euro et de condamner la société D Duchesne à lui verser cette somme.

La société D Duchesne sera condamnée à verser à Madame Joubert une indemnité de I 200 euro au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.

L'appel de la société D. Duchesne qui est pour partie fondé n'ayant rien d'abusif. Madame Joubert sera déboutée de la demande en paiement de dommages-intérêts qu'elle a formulée de ce chef à son encontre.

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement et contradictoirement. Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société D Duchesne et l'a condamné à indemniser le préjudice de Madame Joubert. L'infirme sur le montant des sommes allouées à cette dernière et statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société D Duchesne à payer à Madame Joubert une indemnité de 2 000 euro à titre de dommages-intérêts et une indemnité de 1 200 euro au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en cause d'appel. Condamne la société D Duchesne aux dépens ceux d'appel étant distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.