CA Aix-en-Provence, 2e ch., 5 avril 2007, n° 05-13499
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
André (ès qual.), Germain (SAS), L'Auzonnet (SAS)
Défendeur :
Liquoristerie de Provence (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Simon
Conseillers :
MM. Fohlen, Jacquot
Avoués :
SCP Sider, Maynard-Simoni
Avocats :
Mes Almodovar, Nemoz, Saunier
Exposé du litige
Les faits
La société Germain dont le siège social est à Saint-Florent-sur-Auzonnet (Gard) fabrique des sirops et des boissons alcoolisés. Elle a élaboré en 1999 un pastis de couleur bleue turquoise par adjonction du colorant alimentaire E.131 qu'elle a commercialisé en 2000 sous la dénomination "G. Bleu"
Le 29 mai 2001 elle a déposé la marque "Pantone 314" pour le produit pastis de la classe 33. Cette marque a été publiée le 6 juillet 2001 sous le n° 0/3102795.
La procédure
Soutenant que la société Liquoristerie de Provence commercialisait un pastis similaire en fraude de ses droits, la société Germain l'a assignée en paiement de dommages-intérêts pour contrefaçon et concurrence déloyale et en interdiction de fabriquer et commercialiser le pastis vendu par elle sous la dénomination " Le P'tit bleu". La société Germain a fait l'objet d'une liquidation judiciaire selon jugement du 3 mai 2004. Son liquidateur Maître André est intervenu à l'instance. Selon jugement du 19 mai 2005, le Tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a:
- débouté Maître André de ses demandes en contrefaçon de marque et concurrence déloyale;
- débouté la société Liquoristerie de Provence de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts;
- condamné Maître André ès qualités à payer à la société Liquoristerie de Provence la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Maître André a relevé appel de cette décision le 27 juin 2005. Expliquant avoir acquis les éléments de fonds de commerce de la société Germain comprenant le titre de propriété intellectuelle, la société l'Auzonnet est intervenue à l'instance d'appel. Elle soutient avec le liquidateur dans des conclusions du 26 octobre 2005 que:
- la marque déposée est une marque figurative au sens de l'article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) et l'adjonction d'un colorant est un signe arbitraire et distinctif ;
- la forme d'un produit peut être utilisée comme marque;
- la boisson commercialisée par la société intimée est de nature à créer la confusion avec son produit dans la mesure où les couleurs utilisées donnent une impression d'ensemble;
- en copiant le produit créé par la société Germain, la société Liquoristerie de Provence s'est placée dans son sillage et a commis un acte de concurrence déloyale par parasitisme.
Maître André et la société l'Auzonnet concluent à l'infirmation du jugement, à la contrefaçon de la marque figurative 03102795, à la cessation sous astreinte de la commercialisation par la société Liquoristerie de Provence du pastis dénommé "Petit bleu", au paiement des sommes provisionnelles de 152 445 euro, 65 553,08 euro, 50 000 euro et 218 003,08 euro à titre de dommages-intérêts pour contrefaçon et concurrence déloyale, à la désignation d'un expert pour évaluer le préjudice commercial subi par la société Germain et au paiement des indemnités de 3 000 et 2 000 euro pour frais de procédure.
Dans ses conclusions responsives du 31 janvier 2007, la société Liquoristerie de Provence rétorque que:
- la société l'Auzonnet est irrecevable à agir dès lors qu'elle ne justifie pas de la transmission des droits de propriété de la marque et de sa publication au registre national des marques;
- aux termes de l'article L. 711-1 du CPI, seules les dispositions, combinaisons ou nuances de couleurs sont protégeables;
- l'article L. 711-1-c prohibe la protection d'une couleur nue ou "plate" si elle n'est pas accompagnée d'un élément distinctif;
- sans cet élément le consommateur n'est pas en mesure d'identifier avec certitude l'origine du produit;
- la marque litigieuse constituée d'une nuance de couleur est contraire aux dispositions de l'article L. 711-2-b du Code de la propriété intellectuelle;
- la société Germain ne poursuit qu'un but commercial, et la marque litigieuse n'a pas pour objet de distinguer l'origine d'un produit;
- elle a d'ailleurs été annulée par un jugement du Tribunal de grande instance de Marseille en date du 27 octobre 2005, l'annulation prononcée ayant un effet absolu à l'égard de tous;
- antérieurement à son dépôt, la couleur bleue était communément utilisée par les liquoristes pour identifier leur pastis de telle sorte que le dépôt est frauduleux, la société Germain voulant s'arroger le monopole de la distribution du pastis bleu.
La société Liquoristerie de Provence conclut à l'infirmation du jugement par annulation de la marque n° 013102795 et subsidiairement à sa confirmation en ce qu'il a rejeté l'action en contrefaçon, et en concurrence déloyale.
Elle fait valoir s'agissant de ce chef de demande que la société Germain n'établit pas l'existence d'une faute distincte des faits de contrefaçon allégués, que le produit le "Ptit bleu" est conditionné en bouteilles standard, que la couleur bleue critiquée est poursuivie au titre de la contrefaçon et que le pastis Petit Bleu est vendu plus cher que le produit concurrent Grand Bleu.
La société Liquoristerie de Provence sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts aux motifs que la société Germain puis la société l'Auzonnet ne poursuivent leur action que dans le but de nuire à un concurrent et de bénéficier d'une situation de monopole.
Elle réclame paiement de ce chef d'une indemnité de 50 000 euro pour préjudice commercial. Elle sollicite la publication de l'arrêt dans trois journaux ou périodiques et paiement d'une indemnité de 15 000 euro pour frais de procédure.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 février 2007.
Discussion
Sur la procédure
C'est à bon droit que la société Liquoristerie de Provence invoquant les dispositions combinées des articles L. 716-5 et L. 714-7 du Code de la propriété intellectuelle soutient que l'action civile en contrefaçon est engagée par le propriétaire de la marque et que toute transmission de droits, pour être opposable aux tiers, doit être inscrite au registre national des marques.
L'absence de justification de cette publicité rend dès lors la société l'Auzonnet irrecevable en son intervention pour défaut de qualité à agir.
Sur la contrefaçon de marque:
Aux termes de l'article L. 711-2-b et c du Code de la propriété intellectuelle les signes désignant une caractéristique du produit ou lui conférant sa valeur substantielle ne sont pas distinctifs et ne peuvent dès lors constituer une marque. Or la marque n° 13102795 déposée par la société Germain est constituée de la seule nuance de couleur bleue "Pantone 314" qui est la caractéristique du pastis commercialisé sous l'appellation "Grand Bleu" ce que confirme l'étiquette apposée sur la bouteille.
D'ailleurs de l'aveu même de la société Germain qui produit au débat une étude de marché, celle-ci n'a poursuivi qu'un but commercial en tentant de renouveler l'intérêt du consommateur pour un produit traditionnel par la seule adjonction d'un colorant la marque n'ayant ainsi aucunement pour finalité d'indiquer l'origine d'un produit. C'est donc à tort que les premiers juges ont retenu un caractère distinctif du signe choisi par la société Germain purement descriptif de la nature et de l'aspect du produit qu'il désigne lui conférant sa valeur substantielle. La marque "Pantone 314" enregistrée sous le n° 01302795 doit être ainsi annulée ce qui conduit au rejet de la demande en contrefaçon sans qu'il y ait lieu d'examiner tous autres moyens.
Sur la concurrence déloyale
Fondée sur l'article 1382 du Code civil, l'action en concurrence déloyale n'est pas un succédané de l'action en contrefaçon et exige la preuve d'une faute relevant de faits distincts de ceux allégués au titre de la contrefaçon. Or la société Germain invoque à ce titre une reproduction ou une imitation de sa marque alors que le conditionnement des pastis litigieux est ici opéré en bouteilles standard, que les étiquettes sont différentes, que le produit "Ptit Bleu" est vendu plus cher que le produit "Grand Bleu" et que le terme bleu n'est ni protégé ni protégeable.
Le jugement sera ici confirmé par substitution de motifs.
Sur la demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts:
La société Germain et la société l'Auzonnet agissent manifestement dans le but d'intimider un concurrent et de s'arroger par tous moyens une situation de monopole sur un produit de grande distribution et de libre concurrence. En effet, alors que les premiers juges avaient répondu à son argumentation par des motifs pertinents et adaptés l'appelante et l'intervenante volontaire n'ont développé aucun moyen nouveau. Bien plus la société Germain ne peut ignorer (la cour statuant le même jour sur deux appels diligentés par la société Germain dans deux procédures identiques) qu'elle a été déboutée par le Tribunal de grande instance de Marseille de demandes formulées dans les mêmes termes à l'encontre d'un autre fabricant de pastis bleu, à savoir la société Meunier Janot, cette décision ayant de surcroît annulé la marque Pantone 314, décision opposable à tous. Nonobstant ces deux décisions concordantes émanant de juridictions différentes, la société Germain et la société l'Auzonnet ont poursuivi une action téméraire qui confine ainsi à l'abus de droit réclamant paiement d'une somme de 218 000 euro, à parfaire après expertise, alors que du propre aveu de la société Germain "l'investissement n'a pas été très lourd puisque le pastis bleu se fabrique avec les mêmes produits que le pastis jaune" Elle a aussi fait procéder à une saisie contrefaçon qui sera annulée (ce chef de jugement n'étant aucunement contesté) suivie d'une assignation sans tenir aucun compte de l'argumentaire pertinent et de la mise en garde immédiatement adressés par la société Liquoristerie de Provence. Cette attitude inconsidérée à laquelle la société l'Auzonnet s'est associée a nécessairement troublé la société Liquoristerie de Provence, dans son activité commerciale qui doit être indemnisée de ce chef par l'allocation de la somme de 15 000 euro et la publication de la décision dans les termes figurant ci après.
Compte tenu de ce qui précède, il apparaît particulièrement équitable de faire supporter aux sociétés Germain et l'Auzonnet la charge des frais de procédure exposés par la société intimée tenue d'assurer une seconde fois sa défense en appel. Maître André ès qualités et la société l'Auzonnet seront condamnés à lui payer une indemnité de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Succombant dans leur recours, elles en supporteront les dépens en application de l'article 696 du même Code.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel, Déclare la société l'Auzonnet irrecevable en son intervention volontaire; Confirme le jugement déféré rendu par le Tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence sauf en ce qu'il a débouté la société Liquoristerie de Provence de sa demande reconventionnelle et déclaré licite la marque nuance Pantone 314. Et réformant de ces chefs - Annule la marque n° 013102795 déposée par la société Germain; - Ordonne la transcription du présent arrêt au registre national des marques; - Condamne in solidum la société l'Auzonnet à payer à la société liquoristerie de Provence la somme de 15 000 euro (quinze mille euro) à titre de dommages-intérêts; Fixe la créance indemnitaire de la société Liquoristerie de Provence à l'égard de la liquidation de la société Germain à concurrence de cette même somme; - Ordonne la publication du présent arrêt dans trois journaux ou périodiques au choix de la société Liquoristerie de Provence et aux frais in solidum des sociétés Germain et l'Auzonnet et qui ne pourront être supérieurs à 3 000 euro (trois mille euro) HT par insertion. Fixe la créance de publication au passif de la liquidation de la société Germain à concurrence de 9 000 euro (neuf mille euro) HT; Condamne in solidum Maître André ès qualités de liquidateur et la société l'Auzonnet à payer à la société Liquoristerie de Provence la somme de 5 000 (cinq mille euro) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Les condamne aux dépens et autorise la SCP Maynard-Simon, avoué, à les recouvrer, suivant les modalités prévues à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.