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Décisions

CA Paris, 14e ch. A, 17 septembre 2008, n° 08-05490

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

British American Tobacco The Nederlands BV (Sté)

Défendeur :

Comité national de lute contre le tabagisme, SEITA (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Blanquart

Conseillers :

Mmes Graff-Daudret, Degrandi

Avoués :

SCP Monin-d'Auriac de Brons, SCP Menard-Scelle Millet, SCP Bolling-Durant-Lallement

Avocats :

Mes Vuillez Naith, Caballero, Dauzier

Paris, 14e ch. sect. B, du 22 déc. 2006

22 décembre 2006

Faits constants:

En 2006, la société British American Tobacco The Nederlands BV (BAT), société de droit hollandais, a assuré la distribution, par l'intermédiaire de la Société Nationale d'Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes (SEITA-Altadis)(société SEITA), de paquets de cigarettes de marque Vogue Superslim, portant sur l'emballage cellophane l'inscription "parfum délicat, sensation subtile, saveur raffinée", et sur le paquet, "subtle scent, délicate touch, exquisite taste", et de paquets " Vogue Arôme" avec l'inscription sur le paquet "surprend vos sens, étonnante, elle laisse échapper un parfum délicat".

La société SEITA a, par ailleurs, distribué des paquets de cigarettes "Fortuna Intenso "portant la mention "Découvrez Fortuna Intenso, une sensation nouvelle aux accents épicés et intenses. Pour savourer Fortuna autrement. En édition spéciale".

Le Comité National contre le Tabagisme (CNCT), estimant que cette diffusion était menée en infraction avec les dispositions de l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique, a saisi le juge des référés aux fins de cessation, par la société SEITA, de toute distribution de ces paquets de cigarettes. La société BAT est intervenue volontairement à l'instance.

Par ordonnance contradictoire du 15 novembre 2006, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris a:

- ordonné la jonction des procédures engagées sous les n° 06-59029 et 06-59028,

- fait interdiction à la société SEITA de poursuivre l'importation et la distribution des paquets de cigarettes "Vogue Superslim", portant sur l'emballage cellophane "parfum délicat, sensation subtile, saveur raffinée", sur le paquet, " subtle scent, délicate touch, exquisite taste", "Vogue arôme", portant les mentions "surprend vos sens, étonnante, elle laisse échapper un parfum délicat"

- fait interdiction à la société BAT de poursuivre la distribution de ces produits dans ces conditions sur le territoire français,

- fait interdiction à la société SEITA de poursuivre l'importation et la distribution des paquets de cigarettes " Fortuna Intenso" portant la mention "Découvrez Portuna Intenso, une sensation nouvelle aux accents épicés et intenses. Pour savourer Fortuna autrement. En édition spéciale",

- dit que les mesures ordonnées seraient assorties d'une astreinte de 100 euro par infraction.

- constatée au terme d'un délai de 15 jours suivant la notification de l'ordonnance, sauf aux sociétés défenderesses de justifier de la date de distribution des produits, dans les débits de tabac concernes,

- condamné la société SEITA et la société BAT in solidum à payer au CNTC la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du CPC et les dépens.

Par arrêt du 22 décembre 2006, statuant sur l'appel interjeté par la société BAT contre cette ordonnance, la Cour d'appel de Paris,

aux motifs que "si l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique interdit la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac, ce texte ne contient aucune précision et que s'il appartient au juge d'interpréter la loi dans le silence du texte, seule la violation flagrante d'une règle précise et indiscutable est de nature à constituer le trouble manifestement illicite et qu'il revient à la juridiction du fond de dire si les mentions qui figurent en petites lettres au verso des paquets de cigarettes ou sur l'emballage cellophane de certains paquets incitent à l'achat et constituent des mesures de publicité illicite, alors que ces produits, proposés à la vente, ne sont pas à la portée du client", a:

- constaté que l'intimé avait renoncé aux exceptions soulevées,

- déclaré les appels recevables,

- infirmé l'ordonnance en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- débouté le CNCT de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du CPC au profit des appelantes,

- condamné le CNCT aux dépens de première instance et d'appel, à recouvrer conformément à l'article 699 du CPC.

Par arrêt du 10 janvier 2008, la Cour de cassation a cassé cet arrêt aux motifs "qu'en statuant ainsi, alors que se trouvent prohibées toutes formes de communication commerciale, quel qu'en soit le support, ayant pour but ou pour effet de promouvoir, directement ou indirectement, le tabac ou un produit du tabac, la cour d'appel, qui a méconnu ses pouvoirs, a violé le texte susvisé" (article 809, alinéa 1er, du CPC).

La présente cour a été saisie le 22 mars 2008, sur renvoi après cassation. L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 juin 2008.

Prétentions et moyens de la société BAT:

Par dernières conclusions du 27 mai 2008, auxquelles il convient de se reporter, la société BAT fait valoir:

- à titre préalable, que les paquets de cigarettes de marque Vogue, dont l'emballage cellophane comporte la mention "Parfum délicat, sensation subtile, saveur raffinée ", avaient cessé d'être fabriqués par BAT et distribués par SEITA avant même la saisine du premier juge, de sorte que ce dernier, qui ne peut réparer un préjudice, ne pouvait faire cesser un trouble qui n'avait plus d'actualité,

- que s'agissant des autres paquets, la question de savoir si l'apposition au verso des paquets de formules décrivant de manière flatteuse le produit constitue une publicité ou une propagande en faveur du tabac ne peut être tranchée par le juge de l'évidence, que l'illicéité n'est pas manifeste,

- que les mentions litigieuses ne se distinguent pas de mentions figurant en toute légalité sur le paquet,

- que les mentions querellées bénéficient de la protection du droit communautaire qui exclut que le juge des référés puisse en interdire l'utilisation, en particulier des dispositions de la directive 2001-37-CE qui invitent à la prise en compte des droits de propriété commerciale et intellectuelle des fabricants de produits du tabac et du principe de la liberté d'expression applicable en matière commerciale,

- que lesdites mentions ne sont pas manifestement publicitaires, étant précisé que le premier juge n'a pas respecté le principe du contradictoire en lui reprochant de n'avoir pas fourni certains éléments qui n'avaient été ni sollicités ni débattus entre les parties, qu'il n'a procédé à aucune analyse factuelle et distincte de chacune des mentions critiquées, estimant à tort que toute atteinte, quelle qu'elle soit, aux dispositions de l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique, constituait un trouble manifestement illicite, que cette disposition, de nature pénale, doit être interprétée strictement, que le caractère manifestement publicitaire des mentions n'est pas établi dès lors que les textes sont imprimés en petits caractères peu lisibles, qu'ils figurent au verso des paquets, que les mentions obligatoires (avertissements sanitaires et composition) sont régulièrement reproduites, que ces textes ne sont visibles du fumeur qu'une fois le paquet acheté et qu'il n'est pas démontré que leur seule présence incite le fumeur à acheter un autre paquet de cette marque, qu'en raison de l'interdiction de fumer dans les lieux publics, ces petits textes, au verso des paquets, ne peuvent être visibles de l'entourage du fumeur dans des lieux publics, qu'enfin, ces paquets ne sont pas vendus en libre-service, mais uniquement dans les débits de tabacs et chez les revendeurs agréés et sont disposés dans les débits de tabac derrière le comptoir,

- à titre subsidiaire, sur les mesures prononcées, qu'aucune interdiction ne saurait être prononcée contre la société BAT, qui n'est intervenue devant le juge des référés qu'à titre accessoire, en application de l'article 330 du CPC, le CNCT n'ayant formé aucune mesure d'interdiction à son encontre, et que, par ailleurs, la mesure d'interdiction prononcée porte une atteinte grave à ses intérêts et présente un caractère disproportionné et excessif, notamment aux droits du fabricant et au principe de libre circulation, au regard de l'absence de gravité du trouble allégué ; que depuis que l'ordonnance a été rendue, le juge du fond a considéré, dans une décision rendue le 21 mars 2008, que le trouble causé par ces mentions était suffisamment réparé par la condamnation de BAT à une amende totale de 15 000 euro, sans que soit ordonnée de mesure provisoire d'interdiction, BAT ayant fait appel de ce jugement,

- à titre infiniment subsidiaire, qu'elle demande à être expressément autorisée à écouler ses stocks de produits fabriqués avant le 10 janvier 2008, date à laquelle la Cour de cassation a censuré l'arrêt du 22 décembre 2006 ayant considéré qu'il n'y avait pas trouble manifestement illicite, ou, à tout le moins, à ne faire courir l'astreinte qu'à compter du 10 janvier 2008.

Elle demande à la cour:

- de la dire recevable et bien fondée en son appel,

- de constater que l'importation et la distribution des paquets de cigarettes de marque "Vogue" dont l'emballage cellophane comporte la mention "Parfum délicat, sensation subtile, saveur raffinée" avaient cessé à la date de l'ordonnance,

- de dire et juger qu'il n'y a lieu à référé en ce qui concerne ces derniers paquets,

- de dire et juger que la question de savoir si l'apposition au verso des paquets visés décrivant de manière flatteuse le produit constitue une publicité ou une propagande en faveur du tabac ne peut être tranchée par le juge des référés,

- de constater que le premier juge n'a pas établi, au moyen d'une analyse précise des faits et de l'état du droit applicable, que l'illicéité prétendue serait, en l'espèce, manifeste,

- de constater que le premier juge a statué ultra petita à l'égard de BAT,

- de constater que le premier juge a prononcé une mesure d'interdiction portant sur certains paquets alors que le trouble allégué avait cessé à la date à laquelle il s'est prononcé,

- de constater que le premier juge n'a pas respecté le principe du contradictoire en reprochant à l'appelante de ne pas avoir fourni certains éléments qui n'avaient été ni sollicités ni débattus entre les parties,

- de constater que le premier juge s'est contenté de justifier la grave mesure d'interdiction sous astreinte qu'il a prononcée aux motifs que BAT ne démontrerait pas "avec l'évidence qui s'impose au juge des référés" que la mesure qu'il prononce est manifestement illicite,

- de dire que les mentions querellées ne sont pas manifestement publicitaires, de sorte qu'il n'existe aucun trouble manifestement illicite,

- de dire que les mentions querellées bénéficient de la protection de certaines dispositions du droit communautaire qui excluent que le juge des référés puisse en interdire l'utilisation au visa de l'article 809 du CPC,

- d'infirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,

- de débouter le CNCT de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- de dire n'y avoir lieu à référé,

A titre infiniment subsidiaire, sur les mesures sollicitées,

- de constater qu'aucune mesure d'interdiction sous astreinte ni aucune condamnation ne peut être prononcée à l'encontre de BAT, intervenante volontaire à titre accessoire, à l'encontre de laquelle aucune demande n'a été formée en première instance,

- de constater, s'agissant des paquets "Vogue Superslim" comportant un emballage en cellophane sur lequel figure au verso l'inscription "Parfum délicat, sensation subtile, saveur raffinée", que le trouble a cessé et qu'il n'existe aucun dommage imminent puisqu'il n'y a plus de paquets litigieux en cours d'importation ou de distribution, de sorte que les mesures sollicitées sont sans objet,

- de constater qu'une mesure d'interdiction sous astreinte porterait sur tous les paquets "Vogue Superslim" fabriqués par BAT qui comportent tous l'inscription critiquée en anglais sur leur verso et sur tous les paquets "Vogue arôme" fabriqués par BAT qui comportent tous l'inscription critiquée en français sur leur verso et qui ne sont pas commercialisés qu'en France, mais dans plusieurs autres pays,

- de constater que l'appréciation du caractère proportionné de l'atteinte portée aux droits du fabricant et aux principes du droit communautaire et du droit des marques que supposeraient les mesures d'interdiction sollicitées ne saurait ressortir de la compétence du juge des référés,

- de dire que l'interdiction de l'importation et de la distribution des paquets litigieux constituerait une mesure manifestement excessive et disproportionnée au regard des faits et des contestations sérieuses,

Par conséquent,

- d'autoriser BAT à écouler ses stocks de produits fabriqués avant le 10 janvier 2008,

- de dire, pour le cas où la cour considèrerait qu'il y a lieu de prononcer une mesure d'interdiction, que l'astreinte ne peut être prononcée qu'à compter du 10 janvier 2008,

En tout état de cause,

- de condamner le CNCT à lui verser 5 000 euro au titre de l'article 700 du CPC,

- de condamner le CNCT aux entiers dépens de première instance et d'appel,

- de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 699 du CPC.

Prétentions et moyens de la SEITA:

Par dernières conclusions du 9 juin 2008, auxquelles il convient de se reporter, la SEITA fait valoir:

- que l'inscription litigieuse sur les paquets Fortuna Intenso a été apposée par la société Altadis, maison-mère espagnole de SEITA, mais que SEITA a justifié avoir fait cesser toute distribution de ces produits, et qu'en ce qui concerne les paquets fabriqués par BAT, elle n'en est que le distributeur sur le territoire français,

- que la Cour de cassation, dans l'arrêt du 10 janvier 2008, a estimé que la qualification d'un message comme constituant ou non une publicité relève bien du pouvoir du juge de l'évidence, mais que d'autres questions restent posées,

- qu'ainsi, la question de savoir si les mentions litigieuses constituent ou non des mentions publicitaires ne saurait relever de la "compétence" du juge des référés,

- que le premier juge n'a procédé à une appréciation ni en fait ni en droit, ni du trouble allégué en lui-même, ni de son caractère manifestement illicite,

- que le juge des référés n'a pas " compétence " pour interpréter des textes imprécis, tel que celui de l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique, qui ne définit ni un paquet de cigarettes ni un acte de publicité illicite qui figurerait sur un paquet,

- que le premier juge a fait une appréciation subjective et n'a procédé à aucune analyse factuelle et distincte de chacune des trois mentions différentes critiquées,

- que les mentions sanitaires ont été correctement apposées sans que celles querellées en affectent la portée,

- que les mentions en anglais n'avaient pas à être traduites,

- que la seule méconnaissance d'une réglementation n'est pas en elle-même constitutive d'un trouble, que doivent être recherchées la nature et la portée de la violation de la prescription litigieuse, ce qui amène à considérer que les mentions en cause, écrites en petits caractères et au dos des paquets ne sont pas de nature à provoquer un tel trouble,

- que les mesures d'interdiction apparaissent disproportionnées à l'atteinte invoquée,

- que s'agissant de son rôle, en qualité de distributeur, voire d'importateur, elle n'est aucunement responsable des conditions de présentation du produit, et n'a aucun pouvoir pour refuser d'importer ou de distribuer de tels produits, n'ayant aucune autorité pour préjuger des conditions d'appréciation purement subjectives quant à la licéité de l'emballage et ne pouvant retirer un produit du marché qu'à la demande du fabricant lui-même,

- subsidiairement, que des mesures d'interdiction ne peuvent être prononcées, étant devenues inopérantes, les paquets incriminés n'étant plus commercialisés, qu'en outre, elles ne sauraient viser les débitants, non parties à la procédure et devenus propriétaires des produits achetés par eux,

- à titre infiniment subsidiaire, sur l'astreinte, que le CNCT ne produit aucun constat faisant état de la présence des paquets litigieux dans les débits de tabacs postérieurement à l'ordonnance, mais que si la cour devait néanmoins prononcer des interdictions, il lui est demandé de ne faire courir l'astreinte qu'aux termes d'un délai de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, ou en tout état de cause, qu'à compter de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2008.

Elle demande à la cour:

- de la dire recevable et bien fondée en son appel incident,

- de constater que le premier juge a statué au fond, outrepassant ses "compétences",

- de constater que le premier juge n'a procédé à aucune analyse factuelle et distincte de chacune des mentions incriminées permettant de considérer qu'il existait un trouble manifestement illicite,

- de constater qu'il n'existe pas de trouble dont la gravité nécessiterait une mesure d'interdiction prononcée dans l'urgence,

- en conséquence, d'infirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,

Statuant â nouveau,

- de constater qu'il ne peut y avoir de trouble manifestement illicite dans un cas où le juge des référés doit créer une définition "ad hoc" d'un concept prévu dans des termes très généraux par un texte répressif,

- de constater que seul le juge du fond et, plus précisément, le juge répressif, serait compétent,

En conséquence,

- de dire qu'il n'existe aucun trouble manifestement illicite ni dommage imminent,

- de débouter le CNCT de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

A titre infiniment subsidiaire,

- de constater que, s'agissant des marques Vogue Superslim et Fortuna Intenso, le trouble a cessé et qu'il n'existe aucun dommage imminent puisqu'il n'y a plus de paquets litigieux en cours d'importation ou de distribution,

- de dire que l'astreinte ne pourra être prononcée qu'à l'issue d'un délai de 15 jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir ou, en tout état de cause, à compter du 10 janvier 2008,

En tout état de cause,

- de condamner le CNCT à lui verser 10 000 euro au titre de l'article 700 du CPC,

- de condamner le CNCT aux entiers frais et dépens,

- de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 699 du CPC.

Prétentions et moyens du CNCT:

Par dernières conclusions du 3 juin 2008, auxquelles il convient de se reporter, le CNCT fait valoir:

- que le juge des référés est parfaitement "compétent" pour faire cesser les infractions à la loi Evin, car s'il est vrai que l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique ne donne pas de définition de la publicité directe en faveur du tabac, celle-ci résulte tant des dispositions communautaires (directive 2003-33-CE du 26 mai 2003) que de la jurisprudence, qui définissent la publicité comme toute forme de communication commerciale ayant pour but ou pour effet direct ou indirect de promouvoir un produit du tabac,

- que toutes les juridictions répressives qui ont eu à se prononcer sur la licéité d'une inscription figurant sur des paquets de cigarettes ont constaté la matérialité de l'infraction et condamné les fabricants à la demande du CNCT,

- qu'il avait bien demandé une mesure d'interdiction à l'encontre de la société BAT devant le premier juge, par voie orale, ayant été matériellement dans l'impossibilité de répondre avant aux conclusions de BAT, intervenue volontairement,

- que les mentions litigieuses sont manifestement publicitaires,

- qu'il n'y a aucune contradiction entre le droit européen et l'ordonnance entreprise, que la directive n° 2003-33-CE invoquée par BAT est "hors sujet" car elle ne règlemente pas la publicité mais concerne "les avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes, ainsi que certaines mesures relatives aux ingrédients et aux dénominations des produits du tabac par référence à un niveau élevé de protection de la santé",

- que le trouble résultant de la distribution des paquets Vogue Superslim et Fortuna Intenso n'a pas cessé car le trouble est réalisé par la simple exposition des paquets dans les bureaux de tabacs et lors du déballage des produits dans les entrepôts en douane et la cessation du trouble implique donc l'interdiction de toute distribution au public et pas seulement l'approvisionnement des bureaux de tabacs, qu'il existe nécessairement des paquets invendus qui sont restitués au fabricant et doivent donner lieu à des écritures comptables, alors que la CNCT ne produit pas le contrat qui la lie à ses débitants, de sorte qu'elle ne peut prétendre que l'exécution des mesures ordonnées est impossible, que le document produit par la SEITA, interne à l'entreprise, ne saurait prouver la cessation du trouble,

- que les mesures sollicitées ne sont pas disproportionnées au regard des chiffres d'affaires de la SEITA (3, 7 milliards d'euro pour le groupe) et de BAT (36 milliards de dollars en 2001).

Il demande :

- de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a constaté l'illicéité manifeste des inscriptions publicitaires figurant sur les paquets de Vogue, Vogue Superslim, Vogue arôme et Fortuna Intenso,

- de condamner la SEITA à cesser toute importation et toute distribution des paquets de Vogue, Vogue Superslim et Vogue Arôme sous astreinte de 100 euro par jour par paquet vendu à compter du 2e jour suivant la signification de l'ordonnance attaquée,

- de condamner la société BAT à cesser toute importation des paquets de Vogue, Vogue Superslim, Vogue Arôme et Fortuna Intenso sur le territoire français sous astreinte de 100 euro par jour par paquet vendu à compter du 2e jour suivant la signification de l'ordonnance attaquée,

- de rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions des sociétés SEITA et BAT,

- de condamner solidairement la SEITA et la société BAT à lui payer la somme de 12 000 euro au titre du remboursement de ses frais irrépétibles,

- de condamner solidairement la SEITA et la société BAT aux entiers frais et dépens,

- de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 699 du CPC.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 809, alinéa 1er, du CPC, le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que la mise en œuvre de ces dispositions ne nécessite pas la démonstration d'une urgence;

Que la question n'est pas de savoir si la demande du CNCT est de la "compétence" du juge des référés mais si elle relève de ses pouvoirs;

Considérant qu'il est constant que la société BAT a produit et fait distribuer en France, par la société SEITA, des paquets de cigarettes de marque Vogue Superslim et Vogue Arôme et que la société SEITA a distribué des paquets de cigarettes de marque Fortuna Intenso;

Que les paquets Vogue Superslim portent, sur l'emballage cellophane, l'inscription "Parfum délicat, sensation subtile, saveur raffinée" et sur le paquet proprement dit, la mention "subtle scent, delicate touch, exquisite taste" tandis que les paquets Vogue Arôme comportent la mention "Surprend vos sens, étonnante, elle laisse échapper un parfum délicat";

Que les paquets Fortuna Intenso comportent l'inscription "Découvrez Fortuna lntenso, une sensation nouvelle aux accents épicés et intenses. Pour savourer Fortuna autrement. En édition spéciale";

Considérant que l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique interdit la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac;

Que se trouve clairement prohibée par ce texte toute forme de communication commerciale, quel qu'en soit le support, ayant pour but ou pour effet de promouvoir, directement ou indirectement, le tabac ou un produit du tabac;

Qu'il n'est pas nécessaire d'interpréter les mentions litigieuses pour constater que, valorisant les produits et tendant à en favoriser la vente, elles entrent manifestement dans le champ de l'interdiction légale;

Que cette prohibition s'applique aux mentions en langue anglaise, traduites en français;

Que le fait que ces inscriptions figurent sur des paquets de cigarettes ou leur cellophane d'emballage, que les paquets soient vendus par des débitants de tabacs et non en libre-service, et que les mentions figurent en petits caractères et au dos des paquets, "sur fond peu contrastant", est sans incidence sur leur nature publicitaire ; que celles-ci excédant, par leur caractère incitatif, les prévisions de l'article L. 3511-3 précité sont, donc, constitutives d'un trouble manifestement illicite que le juge des référés a le pouvoir de faire cesser;

Que l'interdiction française de la publicité en faveur du tabac, qui poursuit un objectif de protection de la santé publique et est propre à garantir la réalisation de cet objectif, n'est pas disproportionnée à ce qui est nécessaire pour l'atteindre;

Que la libre circulation des produits est, donc, limitée de façon régulière par les dispositions ici en cause, au préjudice de toutes les sociétés, françaises ou étrangères, qui les enfreignent;

Que les mentions litigieuses ne constituent aucun moyen d'identification de la marque ; que les dispositions claires et précises de la loi nationale sont une mesure nécessaire à la protection de la santé qui constitue un intérêt général légitime et qu'eu égard à l'impact de la publicité sur la (?)

Qu'une mesure d'interdiction, en ce qu'elle répond à l'impératif de protection de la santé publique, ne saurait davantage être considérée comme excessive au regard des intérêts financiers des sociétés BAT et SEITA;

Considérant que l'ordonnance entreprise constate" que la société BAT relève que la mesure d'interdiction réclamée ne peut que se limiter à l'action de distribution de la société SEITA-Altadis ", ce dont il résulte que le CNCT a formé une demande d'interdiction à l'encontre de la société BAT devant le premier juge;

Que le premier juge a, par des motifs pertinents que la cour fait siens, estimé qu'une mesure d'interdiction de distribution doit être prononcée à l'encontre de la société SEITA;

Considérant qu'aucun élément de preuve ne permet de retenir que le trouble aurait cessé, s'agissant de l'importation ou la distribution dénoncées ; qu'en particulier, une attestation, du 2 novembre 2006, émanant d'un directeur de la société SEITA elle-même ou la lettre du 26 octobre 2006 interne à cette entreprise ne sauraient établir cette preuve non plus que le document intitulé "récapitulation destruction avaries débitants" et qu'il n'est pas prouvé que les produits litigieux auraient fait l'objet d'un retrait des débits de tabac;

Qu'il y a lieu, en conséquence, de confirmer l'ordonnance entreprise, sauf à dire que l'astreinte ne courra qu'au terme d'un délai de 15 jours à compter de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2008;

Que cette interdiction de distribution doit s'appliquer indépendamment de la date de fabrication des produits litigieux;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge du CNCT les frais irrépétibles qu'il a exposés pour la présente instance;

Que les sociétés BAT et SEITA, qui succombent, devront supporter les dépens d'appel, y compris ceux afférents à la décision cassée; qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC ;

Par ces motifs, Confirme l'ordonnance entreprise, sauf à dire que l'astreinte de 100 euro par infraction constatée ne courra qu'à compter du 10 janvier 2008, Y ajoutant, Rejette la demande relative à la distribution des stocks de produits fabriqués avant le 10 janvier 2008, Condamne in solidum la société British American Tobacco The Nederlands BV et la Société Nationale d'Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes (SEITA) à payer au Comité National Contre le Tabagisme (CNCT) la somme de 6 000 au titre de l'article 700 du CPC, Condamne in solidum la société British American Tobacco The Nederlands BV et la Société Nationale d'Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes (SEITA) aux dépens d'appel, y compris ceux afférents à la décision cassée qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.