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Décisions

CA Versailles, 6e ch., 26 septembre 2006, n° 06-01323

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Lancelin

Défendeur :

Fontana (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ballouhey

Conseillers :

Mme Doroy, M. Liffran

Avocats :

Mes Lesimple-Coutelier, Debay

Cons. prud'h. Argenteuil, sect. encadr.,…

7 mars 2006

Faits et procédure,

LA COUR est saisie d'un appel régulièrement formé par Monsieur Patrice Lancelin, d'un jugement du Conseil de prud'hommes d'Argenteuil, section encadrement, en date du 7 mars 2006, qui dans un litige l'opposant à la société Fontana, et sur la demande de Monsieur Lancelin en résiliation judiciaire, rappels de salaires, préavis, congés payés, indemnité conventionnelle et indemnité spéciale de rupture VRP, a:

Dit la demande de Monsieur Lancelin bien fondée,

Condamné la société Fontana à payer à Monsieur Lancelin les sommes de :

* 10 608 euro à titre d'indemnité de licenciement,

* 19 176 euro à titre d'indemnité spéciale de rupture VRP,

* 6 120 euro au titre du préavis de 3 mois,

* 612 euro au titre des congés payés y afférents,

* 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Débouté Monsieur Lancelin du surplus de ses demandes, débouté la société Fontana de sa demande de remboursement.

Monsieur Patrice Lancelin a été engagé par la société Lobo France à compter du 1er septembre 1984 et employé comme VRP exclusif. Son contrat a été transféré à la société Fontana, appartenant au même groupe, à compter du 1er avril 2004 à la suite d'une cession partielle du fonds de commerce. La société Fontana a modifié l'organisation du travail et notamment les secteurs d'intervention des commerciaux à compter du 1er mai 2004. Un avenant au contrat concrétisant ces changements a été signé le 27 août 2004 par Monsieur Lancelin.

Considérant que les modifications d'organisation, et notamment de tarifs, étaient la cause de la diminution importante de sa rémunération, Monsieur Lancelin a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation de son contrat, après des démarches infructueuses auprès de son employeur.

L'appel formé par Monsieur Patrice Lancelin est limité à l'absence de dommages et intérêts alors que la résiliation judiciaire a été prononcée aux torts de l'employeur, et au débouté d'un rappel de salaire à hauteur de 909,39 euro et des congés payés y afférents.

La société Fontana a formé un appel incident portant sur l'ensemble de la décision.

L'entreprise emploie au moins onze salariés.

La convention collective applicable est celle de la métallurgie, et celle des VRP concernant Monsieur Lancelin.

L'ordonnance en date du 6 septembre 2005 du bureau de conciliation décidant du payement d'un somme de 1 336,76 euro brut a été exécutée à la fin du même mois.

Des sommes ont été versées après le jugement au titre du paiement de commissions, de minimum VRP et de préavis.

Demandes et moyens des parties :

Monsieur Lancelin par conclusions écrites déposées et visées par le greffier à l'audience, et soutenues oralement, demande à la cour de :

Confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire aux torts de l'employeur, et a condamné la société Fontana au paiement de :

* 19 176 euro au titre de l'indemnité spéciale de rupture VRP,

* 10 608 euro au titre de l'indemnité de licenciement,

* 6 120 euro au titre de l'indemnité de préavis,

* 610 euro au titre des congés payés y afférents,

* 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas condamné la société Fontana au titre de dommages et intérêts et rappel de salaire, et y ajoutant,

Condamner la société Fontana à payer à Monsieur Lancelin :

* 50 000 euro au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail,

* 909,39 euro au titre du rappel de salaire sur SMIC VRP,

* 90,93 euro au titre des congés payés y afférents,

* 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel,

Condamner la société Fontana aux entiers dépens.

Monsieur Lancelin expose que la réorganisation de l'activité a changé sa clientèle, car il prospectait auparavant des entreprises industrielles, requérant des produits de boulonnerie spéciale, alors qu'on l'a affecté à une clientèle de revendeurs, secteur où la concurrence est vive notamment avec les produits courants venant de Chine. Il ajoute qu'il ne lui a été laissé aucune marge de manœuvre concernant les prix, la société Fontana augmentant ses tarifs, de sorte qu'il a subi de fait une perte de ses commissions de 30 à 50 %. Il affirme que s'il a accepté l'avenant à son contrat, il a très vite contesté cette conséquence des changements de son activité, car sa rémunération descendait au dessous du minimum conventionnel. Il soutient que ses demandes sont restées sans réponse, et qu'une proposition de changement de statut (pour devenir agent commercial) qu'il comptait accepter est restée en réalité sans suite.

Il considère que le conseil de prud'hommes a oublié la conséquence de la résiliation prononcée aux torts de l'employeur, qui doit être traitée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et n'a pas répondu à une demande de rappel de salaire de 909,39 euro résultant de la déduction indue de frais, alors que le SMIC VRP doit être payé net de frais.

La société Fontana, par conclusions écrites déposées et visées par le greffier à l'audience et soutenues oralement demande à la cour de :

Infirmer le jugement,

Débouter Monsieur Patrice Lancelin de sa demande de résiliation judiciaire aux torts de l'employeur,

Dire que la rupture du contrat de travail est imputable à Monsieur Lancelin et doit produire les effets d'une démission,

Débouter Monsieur Lancelin de l'ensemble de ses demandes,

Subsidiairement,

Ordonner le remboursement de la somme de 4 400 euro due par Monsieur Lancelin à la société Fontana en cas de résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur,

Condamner Monsieur Patrice Lancelin à verser 2 000 euro à la société Fontana en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Condamner Monsieur Lancelin aux entiers dépens.

La société Fontana expose que la cession d'une partie du fonds de Lobo France à la société Fontana provenait de ce que les 2 sociétés vendaient de la visserie boulonnerie en partie aux mêmes clients, et que Monsieur Lancelin se trouvait, en conséquence, sur la même clientèle qu'une autre personne, ce qui obligeait à une réorganisation. Elle souligne que Monsieur Lancelin a accepté le changement de clientèle, ne protestant contre une baisse de ses rémunérations qu'au bout d'un an. Elle affirme que les demandes de Monsieur Lancelin étaient faites sur le fondement de l'article L. 143-2, qui ne lui est pas applicable, et que le minimum VRP, trimestriel, a été respecté jusqu'au 3e trimestre 2005, après abattement des frais professionnels. Elle estime n'avoir commis aucune fraude à l'article L. 122-12 du Code du travail, Monsieur Patrice Lancelin ayant auparavant travaillé non seulement avec des entreprises industrielles, mais aussi avec la clientèle de commerce et de distribution qui lui a été laissée, et qu'il connaissait. Elle récuse la responsabilité de l'augmentation des tarifs, qui résultait de l'augmentation du prix de l'acier, et qui jouait pour tous les commerciaux.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience ainsi qu'aux prétentions orales telles qu'elles sont rappelées ci-dessus.

Motifs de la décision :

Sur la demande de résiliation du contrat de travail :

Monsieur Patrice Lancelin a été informé par lettre du 19 mars 2004 du prochain transfert de son contrat de travail, et de la prévision d'une nouvelle répartition de son secteur d'activité. Après le transfert de la société Lobo France à la société Fontana, il a signé, avec la mention manuscrite "lu et approuvé" la lettre du 27 août 2004 lui confirmant la réorganisation de l'activité commerciale de la société exposée au cours d'une réunion du 30 avril 2004, et il a ainsi accepté la modification de ses attributions en terme de typologie de clientèle et de secteur géographique à effet du 1er mai 2004. Cette modification de son contrat de travail, après le transfert réalisé en application de l'article L. 122-12 du Code du travail, apparaît ainsi dénuée de fraude.

Par ailleurs, si la rémunération de Monsieur Lancelin, qui est constituée exclusivement de commissions, en application de son contrat du 1er septembre 1984, a diminué, par rapport notamment au montant brut de 3 100 euro par mois en moyenne sur l'année 2003 que la société Fontana retenait dans sa lettre du 19 mars 2004, l'examen des documents produits, notamment les bulletins de paie, montre que le salaire minimum auquel Monsieur Lancelin avait droit ne lui a pas toujours été payé.

En effet, la convention collective VRP prévoit une rémunération trimestrielle minimale égale à 520 fois le SMIC horaire en vigueur au cours du dernier mois, après déduction des frais professionnels. Le contrat de travail de Monsieur Lancelin ne prévoyait, en son article 5, avant dernier alinéa, un paiement mensuel que des seules commissions. Le trimestre à prendre en considération est, compte tenu de la rédaction de l'article 5 alinéa 2 de la convention collective VRP, le trimestre civil, de sorte que la rémunération du mois de mars 2005 doit être prise en considération au regard des mois de janvier et février, que Monsieur Lancelin omet dans certains de ses calculs.

A compter du 2e trimestre 2005, soit les mois d'avril, mai et juin, l'employeur a constaté que les commissions ne permettaient pas d'atteindre le minimum conventionnel, et a procédé à un complément de rémunération en juin, dernier mois du trimestre.

Cependant, le total des sommes brutes dues à Monsieur Lancelin, soit 520 fois le SMIC horaire alors applicable qui se montait à 7,61 euro par heure, soit 3 957,20 euro par trimestre, après déduction des frais professionnels, contractuellement définis comme valant 30 % des commissions, n'a été payé qu'à concurrence de 3 922,06 euro. La rémunération de Monsieur Lancelin pour ce trimestre a donc été inférieure au minimum dû, de 35,15 euro, comme le reconnaît d'ailleurs la société Fontana dans ses écritures.

Pour le troisième trimestre 2005, compte tenu d'un SMIC horaire de 8,03 euro par heure, la rémunération minimale était de 4 175,61 euro pour le trimestre, après déduction des frais professionnels. Cette somme a été payée, grâce à un complément versé en septembre par rapport aux commissions acquises, et le minimum dû a donc été réglé.

Il résulte de l'analyse qui précède que le manquement de l'employeur à ses obligations, qui justifie sa condamnation au paiement d'un rappel de rémunération de 35,15 euro et des congés payés y afférents, manquement unique, isolé non répété et ancien, ne constitue pas un manquement suffisamment grave pour imputer à l'employeur la rupture du contrat de travail intervenue le 30 septembre 2005. Cette rupture produit donc les effets d'une démission, et le jugement doit être infirmé en ce sens, Monsieur Lancelin étant débouté de sa demande de résiliation aux torts de l'employeur, et des demandes pécuniaires qu'il a formées en conséquence.

Sur les dépens et les frais :

L'équité et la différence de situation économique entre les parties justifient qu'elles conservent à leur charge les frais non compris dans les dépens conformément à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et les éventuels dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Infirme le jugement et statuant à nouveau : Déboute Monsieur Lancelin de sa demande de résiliation de son contrat de travail au torts de la société Fontana, Condamne la société Fontana à payer à Monsieur Lancelin les sommes de : 35,15 euro (trente cinq euro quinze centimes) à titre de rappel de rémunération pour le 2e trimestre 2005, et 3,51 euro (trois euro cinquante et un centimes) au titre des congés payés y afférents, Déboute Monsieur Lancelin de ses autres demandes, Dit que la rupture du contrat de travail intervenue le 30 septembre 2005 produit les effets d'une démission, Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens et de ses frais.