CJCE, 2e ch., 29 mars 2007, n° C-347/04
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rewe Zentralfinanz eG
Défendeur :
Finanzamt Köln-Mitte
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Timmermans
Avocat général :
M. Poiares Maduro
Juges :
MM. Klucka, Makarczyk, Bay Larsen, Mme Silva de Lapuerta
Avocat :
Me Lausterer
LA COUR (deuxième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE), 58 du traité CE (devenu article 48 CE), 67 à 73 du traité CE (abrogés par le traité d'Amsterdam), 73 B à 73 D du traité CE (devenus articles 56 CE à 58 CE), 73 E du traité CE (abrogé par le traité d'Amsterdam) ainsi que 73 F et 73 G du traité CE (devenus articles 59 CE et 60 CE).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant la société Rewe Zentralfinanz eG (ci-après "Rewe"), établie en Allemagne et agissant en tant qu'ayant droit à titre universel de la société ITS Reisen GmbH (ci-après "ITS"), au Finanzamt Köln-Mitte à propos de l'absence de prise en compte, au titre des dépenses d'exploitation déductibles pour la détermination du bénéfice imposable des exercices fiscaux 1993 et 1994, des pertes liées aux amortissements partiels sur la valeur de participations détenues dans des filiales établies dans d'autres États membres.
La réglementation nationale
3 En vertu de l'article 1er de la loi de 1991 relative à l'impôt sur les sociétés (Körperschaftsteuergesetz 1991, ci-après le "KStG 1991"), qui est applicable dans l'affaire au principal, les sociétés résidentes sont soumises en Allemagne à l'impôt sur les sociétés au titre de leurs bénéfices mondiaux. Ceux-ci englobent les bénéfices réalisés par les succursales ou les agences par l'intermédiaire desquelles ces sociétés résidentes exercent leurs activités en dehors dudit État. En revanche, une société résidente n'est pas imposée sur les bénéfices de ses filiales au moment où ceux-ci sont réalisés.
4 Selon l'article 8, paragraphe 1, du KStG 1991, ce sont les dispositions de la loi de 1990 relative à l'impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz 1990, ci-après l'"EStG 1990") et du KStG 1991 qui définissent ce qu'il convient d'entendre par "le revenu" et la manière dont ce dernier est déterminé.
5 En vertu de l'article 6, paragraphe 1, point 2, deuxième phrase, de l'EStG 1990, les amortissements sur la valeur partielle inférieure de participations constituent des dépenses d'exploitation déductibles pour la détermination du bénéfice. En application de ce même article 6, est considéré comme valeur partielle le montant qu'un acquéreur de l'ensemble de l'exploitation imputerait au bien économique en question dans le cadre du prix d'acquisition global. Tandis que les biens économiques amortissables relevant des immobilisations sont en principe, dans le cadre de la détermination du bénéfice, inscrits au bilan pour leur valeur d'acquisition ou de fabrication, diminuée de la dépréciation pour usure, l'assujetti aurait également la faculté de déclarer la valeur partielle inférieure (amortissement partiel) lorsque, par exemple, la valeur effective du bien économique a chuté en deçà de la valeur d'acquisition ou de fabrication diminuée de la dépréciation pour usure.
6 Selon l'article 2, paragraphe 3, de l'EStG 1990, la somme des recettes d'une année réalisées par un contribuable est constituée du solde des recettes positives et négatives. Si des pertes subsistent à l'issue de cette opération, elles sont déductibles au titre d'autres années, lors de la détermination du revenu fiscal, dans le cadre de l'anticipation ou du report des pertes, conformément à l'article 10d de l'EStG 1990.
7 En application des dispositions de l'EStG 1990, tel que modifié par la loi de 1992 portant réforme fiscale (Steueränderungsgesetz 1992), du 25 février 1992 (BGBl. 1992 I, p. 297), la compensation fiscale des pertes en cas d'amortissements partiels sur la valeur de participations dans une société de capitaux faisait à la date des faits au principal l'objet d'un traitement différent selon qu'elle concernait une société de capitaux établie en Allemagne ou en dehors de cet État.
8 Dans le cas où une participation était détenue dans une société de capitaux établie en Allemagne, en application de l'article 2, paragraphe 3, de l'EStG 1990, les recettes négatives - y compris les pertes provenant d'amortissements partiels - imputables à une période d'imposition pouvaient être compensées avec toutes les recettes positives réalisées par le contribuable.
9 En vertu de l'article 2a, paragraphes 1 et 2, de l'EStG 1990, intitulé "Recettes négatives ayant un lien avec l'étranger", certaines recettes négatives de source étrangère ne pouvaient être fiscalement prises en compte que de façon limitée:
"(1) Les recettes négatives
[...]
2. provenant d'un établissement industriel ou commercial situé dans un pays étranger,
3. a) provenant de la prise en compte de la valeur partielle inférieure d'une participation, faisant partie des actifs d'exploitation, dans une personne morale n'ayant ni sa direction ni son siège à l'intérieur du pays (personne morale étrangère), [...]
[...]
ne peuvent être compensées qu'avec des recettes positives de même nature provenant du même État [...]; elles ne peuvent pas non plus être déduites au titre de l'article 10d. Les diminutions du bénéfice sont assimilées aux recettes négatives. Dans la mesure où les recettes négatives ne peuvent être compensées en application de la première phrase, elles viennent en déduction des recettes positives de même nature que le redevable réalise au cours des années d'imposition ultérieures dans le même État [...]
(2) Le paragraphe 1, première phrase, point 2, n'est pas applicable si le redevable établit que les recettes négatives émanent d'un établissement industriel ou commercial à l'étranger ayant pour objet exclusif ou quasi exclusif [...] la réalisation de prestations de nature commerciale, dans la mesure où celles-ci ne consistent pas en la création ou l'exploitation d'installations servant au tourisme ou en la location de biens économiques [...]; la détention directe d'une participation d'au moins un quart du capital nominal d'une société de capitaux ayant pour objet exclusif ou quasi exclusif les activités susmentionnées, ainsi que le financement lié à la détention d'une telle participation, est considérée comme la réalisation de prestations de nature commerciale lorsque la société de capitaux n'a ni sa direction ni son siège à l'intérieur du pays. Le paragraphe 1, première phrase, points 3 et 4, n'est pas applicable si le redevable établit que les conditions énoncées à la première phrase étaient remplies par la personne morale soit depuis sa création, soit au cours des cinq dernières années précédant la période d'imposition pendant laquelle les recettes négatives sont réalisées et au cours de cette période.
[...]"
10 Il résulte de l'article 2a de l'EStG 1990 qu'une compensation de recettes négatives provenant d'un amortissement partiel n'est possible que si la société réalise à l'étranger des recettes au sens de cet article 2a, paragraphe 2, (dites recettes "actives") ou si elle détient elle-même une participation d'au moins 25 % dans une autre société de capitaux étrangère qui réalise, pour sa part, des recettes actives au sens dudit article 2a, paragraphe 2. L'exercice d'activités liées au tourisme à l'étranger exclut d'emblée la compensation des pertes.
11 En application de l'article 8b, paragraphe 2, du KStG 1991, tel que modifié par la loi sur la garantie du lieu d'établissement (Standortsicherungsgesetz), du 13 septembre 1993 (BGBl. 1993 I, p. 1569), les plus-values réalisées lors de la cession d'une participation ont été exonérées d'impôt pour la première fois au titre de l'exercice fiscal 1994.
12 Enfin, la loi relative à la réduction des impôts (Steuersenkungsgesetz), du 23 octobre 2000 (BGBl. 2000 I, p. 1433), a modifié l'article 8b, paragraphe 3, du KStG 1991. Cette disposition énonce, dans sa version modifiée, que les diminutions de recettes provenant de la prise en considération de la valeur partielle inférieure d'une participation ne sont pas prises en compte, indépendamment du point de savoir si cette participation est détenue dans une société de capitaux établie hors d'Allemagne ou sur le territoire de cet État.
Le litige au principal et la question préjudicielle
13 Par un contrat conclu le 6 mars 1995, ITS, une société du groupe Kaufhof Holding AG ayant pour objet social des activités liées au tourisme, a été cédée par ce groupe à Rewe. Par un contrat de fusion du 3 novembre 1995, Rewe est devenue l'ayant droit à titre universel d'ITS.
14 En 1989, ITS avait créé aux Pays-Bas une filiale, Kaufhof-Tourism Holdings BV (ci-après "KTH"), dont elle détenait l'intégralité des parts sociales. Dans ce même État membre, KTH a créé une société de participation, International Tourism Investment Holdings BV, dont elle détenait 100 % des parts. En outre, cette dernière société a notamment acquis 100 % des parts de la société German Tourist Facilities Ltd, établie au Royaume-Uni, ainsi que 36 % des parts de la société Travelplan SA, établie en Espagne.
15 Dans ses comptes annuels de 1993 et de 1994, ITS a procédé à des amortissements partiels sur la valeur de sa participation dans sa filiale néerlandaise KTH et à des ajustements de valeur sur des créances concernant les deux filiales de sa sous-filiale, établies au Royaume-Uni et en Espagne. L'ensemble de ces charges exceptionnelles s'élevait, pour les exercices fiscaux 1993 et 1994, à plus de 46 millions de DEM.
16 Cependant, le Finanzamt Köln-Mitte, estimant que l'article 2a de l'EStG 1990 s'opposait à la prise en compte de ces charges liées à la participation dans KTH, a refusé d'admettre ces charges au titre des dépenses d'exploitation à des fins fiscales et de les considérer comme des recettes négatives pour la détermination du bénéfice imposable de Rewe au titre des exercices fiscaux 1993 et 1994. Il a par conséquent émis des avis modificatifs concernant, notamment, l'impôt sur les sociétés dû par Rewe au titre desdits exercices.
17 Estimant pouvoir prétendre à la prise en compte sur le plan fiscal de l'ensemble des charges liées aux sociétés de participation établies aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Espagne, Rewe a introduit un recours à cette fin devant le Finanzgericht Köln, en faisant valoir que l'application de l'article 2a de l'EStG 1990 constitue une discrimination contraire au droit communautaire.
18 Selon cette juridiction, il résulte du droit applicable à la date des faits au principal que, tandis que des amortissements sur la valeur des participations détenues dans une filiale établie en Allemagne pouvaient, en principe, être fiscalement pris en compte sans restriction au titre des charges d'exploitation de la société-mère dans le cadre de la détermination du bénéfice imposable de celle-ci, les amortissements sur la valeur de participations détenues dans une filiale établie dans un autre État membre ne pouvaient être pris en compte fiscalement que dans des cas limités, à savoir lorsque les recettes négatives résultant desdits amortissements étaient compensées par des recettes positives provenant de cet autre État membre ou que les conditions fixées par le régime dérogatoire prévu à l'article 2a, paragraphe 2, de l'EStG 1990 étaient remplies. Il estime dès lors probable qu'une telle différence de traitement, découlant de l'article 2a, paragraphes 1, point 3, sous a), et 2, de l'EStG 1990, est contraire au droit communautaire et considère ne pas être en mesure de constater l'existence de raisons susceptibles de justifier cette différence.
19 Dans ces conditions, le Finanzgericht Köln a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
"Les dispositions combinées des articles 52 [...], 58 [...], 67 à 73 ainsi que 73 B et suivants [du traité] doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à une réglementation qui - comme la réglementation de l'article 2a, paragraphe 1, point 3, sous a), et paragraphe 2, de l'EStG [...], en cause dans la procédure au principal - restreint la déduction fiscale immédiate de pertes résultant de l'amortissement sur la valeur des participations dans des filiales situées dans d'autres pays de la Communauté lorsque ces filiales exercent des activités passives au sens de la disposition nationale et/ou lorsqu'elles n'exercent des activités actives au sens de la disposition nationale que par l'intermédiaire de sous-filiales propres, alors que les amortissements sur la valeur des participations dans des filiales situées à l'intérieur du pays sont possibles sans ces restrictions?"
Sur la question préjudicielle
20 Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, les dispositions du traité CE relatives à la liberté d'établissement et à la libre circulation des capitaux s'opposent à une réglementation d'un État membre qui restreint, pour une société-mère résidente de cet État, les possibilités de déduction fiscale des pertes exposées par ladite société au titre des amortissements réalisés sur la valeur de ses participations dans des filiales établies dans d'autres États membres.
Sur l'interprétation des dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement
21 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a., C-397-98 et C-410-98, Rec. p. I-1727, point 37; du 13 décembre 2005, Marks & Spencer, C-446-03, Rec. p. I-10837, point 29; du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C-196-04, non encore publié au Recueil, point 40, et du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation, C-524-04, non encore publié au Recueil, point 25).
22 Conformément à une jurisprudence constante, relèvent du champ d'application matériel des dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement les dispositions nationales qui trouvent à s'appliquer à la détention par un ressortissant de l'État membre concerné, dans le capital d'une société établie dans un autre État membre, d'une participation lui permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions de cette société et d'en déterminer les activités (voir, en ce sens, arrêts du 13 avril 2000, Baars, C-251-98, Rec. p. I-2787, point 22; du 21 novembre 2002, X et Y, C-436-00, Rec. p. I-10829, point 37; Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité, point 31, et Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation, précité, point 27).
23 Tel est le cas lorsque, comme dans l'affaire au principal, une société résidente telle qu'ITS détient une participation égale à 100 % du capital d'une société établie dans un autre État membre. En effet, la détention par un contribuable d'une participation égale à 100 % du capital d'une société ayant son siège dans un autre État membre fait indubitablement entrer un tel contribuable dans le champ d'application des dispositions du traité relatives au droit d'établissement (arrêt Baars, précité, point 21).
24 Il convient dès lors d'examiner si les articles 52 et 58 du traité s'opposent à l'application d'une réglementation telle que celle en cause au principal.
25 La liberté d'établissement, que l'article 52 du traité reconnaît aux ressortissants communautaires et qui comporte pour eux l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l'État membre d'établissement pour ses propres ressortissants, comprend, conformément à l'article 58 du traité, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de la Communauté, le droit d'exercer leur activité dans l'État membre concerné par l'intermédiaire d'une filiale, d'une succursale ou d'une agence (voir, notamment, arrêts du 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN, C-307-97, Rec. p. I-6161, point 35; Marks & Spencer, précité, point 30, ainsi que du 23 février 2006, Keller Holding, C-471-04, Rec. p. I-2107, point 29).
26 En outre, même si, selon leur libellé, les dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l'État membre d'accueil, elles s'opposent également à ce que l'État d'origine entrave l'établissement dans un autre État membre d'un de ses ressortissants ou d'une société constituée en conformité avec sa réglementation (arrêts du 16 juillet 1998, ICI, C-264-96, Rec. p. I-4695, point 21, ainsi que Marks & Spencer, précité, point 31).
27 Conformément à la réglementation en cause au principal, les pertes de patrimoine relatives à l'amortissement sur la valeur des participations détenues dans des filiales situées en Allemagne entrent immédiatement et sans restriction dans la détermination du bénéfice imposable des sociétés-mères assujetties intégralement à l'impôt en Allemagne.
28 En revanche, ainsi qu'il ressort de l'article 2a, paragraphes 1 et 2, de l'EStG 1990, les pertes de même nature provenant de participations détenues dans une filiale établie dans un autre État membre ne sont déductibles, pour la société-mère assujettie intégralement à l'impôt en Allemagne, que sous certaines conditions liées aux recettes de cette société ou à l'exercice par sa filiale d'activités dites "actives".
29 Certes, les pertes résultant, pour une société-mère résidant en Allemagne, de participations détenues dans des filiales établies dans d'autres États membres pourraient être prises en compte en Allemagne dans le cas où ces filiales produiraient ultérieurement des recettes positives. Toutefois, il demeure que, même dans le cas où des recettes positives suffisantes ont été constatées, une telle société-mère ne peut, contrairement à une société-mère disposant de filiales établies en Allemagne, bénéficier d'une prise en compte immédiate de ses pertes et est ainsi privée d'un avantage de trésorerie (voir, en ce sens, arrêt Marks & Spencer, précité, point 32).
30 Il s'ensuit que la situation fiscale d'une société-mère résidant en Allemagne disposant, comme Rewe, d'une filiale et d'une sous-filiale dans un autre État membre est moins favorable que celle qui serait la sienne si lesdites filiale et sous-filiale étaient établies en Allemagne.
31 Une telle différence de traitement cause un désavantage fiscal pour la société-mère établie en Allemagne et disposant d'une filiale dans un autre État membre. Compte tenu de cette différence, une société-mère pourrait être dissuadée d'exercer ses activités par l'intermédiaire de filiales ou de filiales indirectes établies dans d'autres États membres (voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2003, Bosal, C-168-01, Rec. p. I-9409, point 27).
32 Toutefois, le gouvernement allemand fait valoir qu'une telle différence de traitement ne constitue pas une restriction à la liberté d'établissement, dans la mesure où la situation d'une filiale établie en Allemagne n'est pas comparable à la situation d'une filiale établie dans un autre État membre. Selon ce gouvernement, les filiales sont des personnes morales autonomes par rapport à leur société-mère, qui sont soumises à l'impôt dans l'État dans lequel elles sont établies. Il serait probable que la filiale KTH ait fait valoir des pertes dans le cadre de la déclaration de ses bénéfices imposables aux Pays-Bas. Ledit gouvernement estime que la République fédérale d'Allemagne ne saurait être tenue, en tant qu'État d'établissement de la société-mère, d'accorder aux filiales étrangères autonomes un statut juridique qui serait comparable à celui dont bénéficie la société-mère résidente.
33 À cet égard, il y a lieu, comme l'a fait M. l'Avocat général au point 21 de ses conclusions, de relever que la différence de traitement fiscal en cause dans l'affaire au principal concerne non pas la situation de filiales, selon qu'elles sont ou non établies en Allemagne, mais celle de sociétés-mères résidant en Allemagne, selon qu'elles disposent ou non de filiales établies dans d'autres États membres.
34 En ce qui concerne les pertes exposées par de telles sociétés-mères résidentes au titre des amortissements réalisés sur la valeur de leurs participations dans des filiales, ces sociétés se trouvent dans une situation comparable, qu'il s'agisse de participations détenues dans des filiales établies en Allemagne ou dans d'autres États membres. En effet, dans ces deux cas, d'une part, les pertes dont la déduction est demandée sont supportées par les sociétés-mères et, d'autre part, les bénéfices de ces filiales, qu'ils proviennent de filiales imposables en Allemagne ou de celles qui le sont dans d'autres États membres, ne sont pas imposables dans le chef des sociétés-mères.
35 Dès lors, une limitation de la déductibilité de telles pertes par une société-mère résidente, qui affecte uniquement les pertes subies au titre d'amortissements sur la valeur de participations détenues à l'étranger, ne reflète pas une différence de situation objective des sociétés-mères selon que leurs filiales ont leur siège en Allemagne ou dans d'autres États membres.
36 Il résulte de ce qui précède que la différence de traitement fiscal découlant de la réglementation en cause au principal et la situation désavantageuse sur le plan fiscal qui en résulte pour les sociétés-mères résidant en Allemagne qui disposent d'une filiale établie dans un autre État membre sont de nature à entraver l'exercice de la liberté d'établissement par de telles sociétés, en les dissuadant de créer, d'acquérir ou de maintenir une filiale dans un autre État membre. Elles constituent ainsi une restriction à la liberté d'établissement au sens des articles 52 et 58 du traité.
37 Une telle restriction à la liberté d'établissement ne saurait être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité ou se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général. Encore faudrait-il, dans une telle hypothèse, qu'elle soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et qu'elle n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir, notamment, arrêts précités Marks & Spencer, point 35 et jurisprudence citée, ainsi que Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, point 47).
38 Selon le gouvernement allemand, il est en tout état de cause justifié de restreindre, pour une société-mère résidant en Allemagne, les possibilités de déduction fiscale des pertes exposées par ladite société au titre des amortissements réalisés sur la valeur de ses participations dans des filiales établies dans d'autres États membres, en liant la prise en compte fiscale des pertes d'origine étrangère uniquement aux recettes positives de même nature provenant du même État. À cet égard, le gouvernement allemand invoque de nombreux arguments qui, ainsi que l'a relevé M. l'Avocat général au point 24 de ses conclusions, se résument en substance aux éléments de justification suivants.
39 En premier lieu, se référant notamment à l'arrêt Marks & Spencer, précité, dans lequel la Cour a pris en considération le principe de la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les États membres, le gouvernement allemand invoque un premier élément de justification fondé sur une règle de symétrie entre le droit d'imposer les bénéfices d'une société et l'obligation de prendre en compte les pertes subies par ladite société. Il fait valoir que les autorités fiscales allemandes ne devraient pas avoir à tenir compte, dans le cadre du traitement fiscal de la société-mère résidant en Allemagne, des pertes liées à l'activité d'une filiale établie dans un autre État membre, dès lors qu'elles ne sont pas en droit d'imposer les bénéfices de cette filiale.
40 Une telle argumentation ne saurait être retenue.
41 Ainsi que l'a relevé M. l'Avocat général au point 32 de ses conclusions, il y a lieu de préciser la portée qu'il convient de reconnaître à l'exigence légitime de répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les États membres. En particulier, il faut souligner qu'un tel élément de justification n'a été retenu par la Cour dans l'arrêt Marks & Spencer, précité, qu'en liaison avec deux autres éléments de justification, fondés sur les risques de double emploi des pertes et d'évasion fiscale (voir, en ce sens, arrêt Marks & Spencer, précité, points 43 et 51).
42 À cet égard, il y a lieu de reconnaître qu'il existe, certes, des comportements de nature à compromettre le droit des États membres d'exercer leur compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur leur territoire et à porter ainsi atteinte à une répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les États membres (voir arrêt Marks & Spencer, précité, point 46) qui peuvent justifier une restriction à la liberté d'établissement (voir arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité, points 55 et 56). La Cour a ainsi jugé que le fait de donner aux sociétés la faculté d'opter pour la prise en compte de leurs pertes dans l'État membre de leur établissement ou dans un autre État membre compromettrait sensiblement une répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les États membres, l'assiette d'imposition se trouvant augmentée dans le premier État et diminuée dans le second, à concurrence des pertes transférées.
43 Toutefois, une différence de traitement fiscal entre les sociétés-mères résidentes, selon qu'elles disposent ou non de filiales à l'étranger, ne saurait être justifiée par le simple fait qu'elles ont décidé d'exercer des activités économiques dans un autre État membre, dans lequel l'État concerné ne peut exercer sa compétence fiscale. En tant que tel, un argument tiré de la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les États membres ne saurait donc justifier qu'un État membre refuse systématiquement d'accorder un avantage fiscal à une société-mère résidente, au motif que celle-ci a développé une activité économique transnationale qui n'a pas dans l'immédiat vocation à générer des recettes fiscales au profit de cet État.
44 Il importe d'ailleurs de relever que des pertes subies par une société-mère au titre des amortissements réalisés sur la valeur de ses participations dans des filiales établies en Allemagne peuvent être compensées par ses recettes positives, alors même que ses filiales n'ont pas réalisé de bénéfices imposables pendant l'année fiscale concernée.
45 En deuxième lieu, le gouvernement allemand fait valoir que la réglementation en cause au principal est nécessaire pour éviter que des sociétés-mères puissent bénéficier d'avantages fiscaux multiples sous la forme d'une double prise en compte des pertes subies à l'étranger.
46 Un tel argument est dénué de pertinence dans le cadre de l'affaire au principal.
47 En effet, s'il convient d'admettre que les États membres doivent pouvoir faire obstacle au risque de double emploi des pertes (voir arrêt Marks & Spencer, précité, point 47), il importe de souligner que les pertes en cause dans l'affaire au principal ne sont pas, ainsi que l'a relevé M. l'Avocat général aux points 37 et 38 de ses conclusions, comparables à des pertes qui auraient été subies à l'étranger par des filiales et dont la société-mère résidente demanderait le transfert en vue de réduire son bénéfice imposable, ce qui était le cas dans l'affaire à l'origine de l'arrêt Marks & Spencer, précité.
48 Les pertes en cause dans l'affaire au principal sont exposées par la société-mère en raison de la dépréciation de la valeur de ses participations dans des filiales étrangères. Ces pertes liées à l'amortissement sur la valeur partielle inférieure des participations ne sont prises en compte qu'en ce qui concerne la société-mère et font l'objet, sur le plan fiscal, d'un traitement distinct de celui réservé aux pertes subies par les filiales elles-mêmes. Une telle prise en compte distincte, d'une part, des pertes subies par les filiales elles-mêmes et, d'autre part, des pertes exposées par la société-mère ne saurait en aucun cas être qualifiée de double emploi des mêmes pertes.
49 Par ailleurs, il importe de souligner, comme l'a fait notamment la Commission des Communautés européennes lors de l'audience, qu'une société-mère établie en Allemagne et disposant de filiales dans ce même État est autorisée à déduire de son revenu imposable l'amortissement sur la valeur partielle de ses participations dans ses filiales résidentes sans que ces dernières soient empêchées d'utiliser leurs propres pertes dans le cadre de leur propre imposition en Allemagne.
50 En troisième lieu, le gouvernement allemand soutient que la réglementation en cause au principal vise à lutter contre une forme particulière d'évasion fiscale, qui consiste, pour des sociétés-mères résidant en Allemagne, exerçant notamment dans le domaine du tourisme, à transférer des activités typiquement génératrices de pertes dans d'autres États membres en y créant des filiales, dans le seul but de réduire leurs bénéfices imposables en Allemagne. Lors de l'audience, ce gouvernement a ajouté qu'il convenait, selon lui, d'assouplir la jurisprudence de la Cour en la matière, l'exigence liée à l'objectif spécifique de lutte contre des montages purement artificiels lui paraissant par trop restrictive. Il estime indispensable d'autoriser les États membres à édicter des mesures générales, de principe, pour lutter contre l'évasion fiscale et à adopter des réglementations abstraites et générales fondées sur des cas types.
51 À cet égard, il suffit de relever que la simple circonstance que, dans un secteur économique donné, tel que le tourisme, les autorités fiscales d'un État membre relèvent des cas de pertes importantes et persistantes subies par des filiales étrangères de sociétés-mères résidentes de cet État ne peut suffire à établir l'existence de montages purement artificiels qui seraient destinés à créer des pertes au titre des amortissements réalisés sur la valeur des participations détenues dans des filiales établies dans d'autres États membres (voir, concernant l'exigence liée à l'objectif spécifique de lutte contre des montages purement artificiels, arrêts précités ICI, point 26; Marks & Spencer, point 57, ainsi que Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, point 51).
52 En l'occurrence, une disposition telle que l'article 2a, paragraphe 1, point 3, sous a), de l'EStG 1990, qui vise de manière générale toute prise en compte de la valeur partielle inférieure d'une participation quand les filiales détenues par une société-mère établie en Allemagne se trouvent établies, pour quelque raison que ce soit, dans d'autres États membres, ne saurait, sans excéder ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif qu'elle prétend poursuivre, être considérée comme justifiée par le risque d'évasion fiscale. En effet, une telle disposition n'a pas pour objet spécifique d'exclure du bénéfice d'un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la loi fiscale allemande, mais vise, de manière générale, toute situation dans laquelle les filiales se trouvent établies, pour quelque raison que ce soit, en dehors de l'Allemagne. Or, l'établissement d'une société en dehors de cet État membre n'implique pas, en soi, l'existence d'une évasion fiscale, la société en question étant en tout état de cause soumise à la législation fiscale de l'État d'établissement.
53 De la même manière, l'article 2a, paragraphe 2, de l'EStG 1990, en excluant des activités dites "actives" qu'il énumère, notamment celles consistant en la création ou l'exploitation d'installations liées au tourisme, va au-delà de ce qui est nécessaire pour lutter contre les montages abusifs. La lutte contre l'évasion fiscale ne saurait justifier que les recettes négatives émanant d'un établissement industriel ou commercial établi à l'étranger, ayant pour objet la réalisation de prestations de nature commerciale, puissent, en règle générale, être compensées sans restriction avec des recettes positives alors que, dès lors qu'il s'agit d'établissements exerçant une activité dans le domaine du tourisme, la compensation avec des recettes positives est subordonnée à diverses conditions.
54 En quatrième lieu, le gouvernement allemand n'est pas non plus fondé à invoquer la nécessité de faciliter l'efficacité des contrôles fiscaux sur les opérations se déroulant à l'étranger afin de justifier la réglementation nationale en cause au principal.
55 En effet, si l'efficacité des contrôles fiscaux autorise un État membre à appliquer des mesures qui permettent la vérification, de façon claire et précise, du montant des charges déductibles dans cet État au titre des participations dans le capital de filiales étrangères (voir, en ce sens, arrêts du 15 mai 1997, Futura Participations et Singer, C-250-95, Rec. p. I-2471, point 31, et du 28 octobre 1999, Vestergaard, C-55-98, Rec. p. I-7641, point 23), elle ne saurait toutefois justifier que ledit État membre puisse soumettre cette déduction à des conditions différentes selon que les participations concernent des filiales établies dans celui-ci ou dans d'autres États membres.
56 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la directive 77-799-CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l'assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs (JO L 336, p. 15), peut être invoquée par un État membre afin d'obtenir, de la part des autorités compétentes d'un autre État membre, toutes les informations susceptibles de lui permettre l'établissement correct de l'impôt sur les sociétés.
57 En outre, s'agissant de l'argument du gouvernement allemand selon lequel le contrôle d'opérations étrangères, même en cas de collaboration avec les autorités d'un autre État membre, demeure souvent très difficile, il suffit de souligner que les autorités fiscales concernées ont la possibilité d'exiger de la société-mère elle-même les preuves qu'elles jugent nécessaires pour apprécier s'il y a lieu ou non d'accorder la déduction demandée de pertes résultant de l'amortissement sur la valeur des participations détenues dans des filiales établies dans d'autres États membres (voir, en ce sens, arrêt Vestergaard, précité, point 26).
58 Une telle possibilité devrait être particulièrement utile dans une situation telle que celle à l'origine de l'affaire au principal, dans laquelle est concernée une société-mère qui devrait pouvoir exiger tous les documents nécessaires directement de ses filiales étrangères. De plus, d'éventuelles difficultés quant à la détermination des pertes résultant de l'amortissement sur la valeur des participations détenues dans des filiales établies dans d'autres États membres ne sauraient, en tout état de cause, justifier un obstacle à la liberté d'établissement (voir, en ce sens, arrêts du 4 mars 2004, Commission/France, C-334-02, Rec. p. I-2229, point 29, et du 7 septembre 2004, Manninen, C-319-02, Rec. p. I-7477, point 54).
59 En cinquième lieu, pour justifier le désavantage fiscal subi en l'occurrence par les sociétés-mères établies en Allemagne et détenant des participations dans des filiales établies dans d'autres États membres, le gouvernement allemand soutient que la réglementation en cause au principal est objectivement justifiée par la nécessité de sauvegarder l'uniformité du régime fiscal. En substance, deux arguments invoqués par ledit gouvernement peuvent être rattachés à cette justification, l'un tiré de la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal allemand, l'autre, du respect du principe de territorialité.
60 En ce qui concerne la nécessité de préserver la cohérence dudit système fiscal, le gouvernement allemand fait valoir, premièrement, que, en vertu notamment d'une convention visant à éviter la double imposition, conclue avec le Royaume des Pays-Bas, État dans lequel est établie KTH, la filiale de Rewe, les dividendes versés par les filiales établies dans cet État sont exonérés d'impôt en Allemagne. Pour cette raison, il serait cohérent de ne pas accorder d'avantages aux sociétés-mères résidant en Allemagne en raison des pertes liées à leurs filiales étrangères.
61 À cet égard, l'argument tiré de la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal national invoqué par le gouvernement allemand ne saurait être retenu, dans la mesure où des pertes telles que celles en cause dans l'affaire au principal sont également prises en compte en Allemagne lorsqu'une filiale étrangère exerce une activité dite "active" au sens de l'article 2a, paragraphe 2, de l'EStG 1990, alors que, dans ce cas, les dividendes versés par une telle filiale ne sont pas moins susceptibles d'être exonérés en application de conventions préventives de la double imposition.
62 En outre, en ce qui concerne la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal national établi par la réglementation en cause au principal, qui, selon le gouvernement allemand, serait assurée par lesdites conventions, il y a lieu de rappeler que, aux points 28 et 21 respectivement des arrêts du 28 janvier 1992, Bachmann (C-204-90, Rec. p. I-249), et Commission/Belgique (C-300-90, Rec. p. I-305), la Cour a admis que la nécessité de préserver la cohérence d'un régime fiscal peut justifier une restriction à l'exercice des libertés fondamentales garanties par le traité. Toutefois, pour qu'un argument fondé sur une telle justification puisse prospérer, il faut que soit établie l'existence d'un lien direct entre l'avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé (voir, en ce sens, arrêts précités Keller Holding, point 40, et Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation, point 68).
63 Or, il ressort de l'examen de la réglementation nationale en cause au principal que les sociétés-mères assujetties intégralement à l'impôt en Allemagne, qui détiennent des participations dans des filiales établies dans ce même État membre, bénéficient à la fois de la déductibilité immédiate des pertes provenant des amortissements partiels sur la valeur des participations détenues dans ces filiales et de l'exonération fiscale des dividendes. En revanche, même si les dividendes qu'une société-mère intégralement assujettie à l'impôt en Allemagne perçoit de sa filiale établie aux Pays-Bas sont également exonérés d'impôt en application de la convention préventive de la double imposition, la déduction des pertes provenant d'amortissements partiels sur la valeur des participations détenues dans cette filiale fait l'objet de restrictions.
64 Le gouvernement allemand n'ayant pas établi l'existence d'un lien entre la déductibilité immédiate, pour la société-mère résidente, des pertes provenant des amortissements partiels sur la valeur des participations détenues dans des filiales et l'exonération fiscale des dividendes perçus desdites filiales, l'argument selon lequel il serait justifié, au titre de la nécessité de sauvegarder la cohérence du système fiscal allemand, de ne pas accorder d'avantages aux sociétés-mères résidant en Allemagne à raison des pertes liées à leurs filiales étrangères car les dividendes versés par ces filiales sont exonérés d'impôt en Allemagne en vertu de conventions préventives de la double imposition ne saurait être retenu.
65 Le gouvernement allemand fait valoir, deuxièmement, que la cohérence, sur le plan fiscal, de la réglementation en cause au principal était assurée par l'exonération des plus-values de cession de participation accordée à l'article 8b, paragraphe 2, du KStG 1991, tel que modifié par la loi sur la garantie du lieu d'établissement.
66 En premier lieu, il importe de relever, comme l'a fait la juridiction de renvoi, que cette exonération a été applicable pour la première fois au titre de l'exercice fiscal 1994 et ne visait donc pas le premier exercice fiscal en litige dans l'affaire au principal.
67 En second lieu, il convient de constater que, dans le cadre de la détermination du revenu imposable des sociétés-mères résidentes détenant des participations dans des filiales à l'étranger, l'interdiction de déduire des pertes telles que celles en cause au principal produit des effets immédiats. Dès lors, le fait qu'il serait possible, ultérieurement, d'obtenir une exonération des plus-values réalisées en cas de cession, dans l'hypothèse où un bénéfice d'un niveau suffisant est réalisé, ne constitue pas une considération de cohérence fiscale susceptible de justifier un refus de déduction immédiate des pertes subies par les sociétés-mères détenant des parts dans des filiales à l'étranger.
68 S'agissant, en dernier lieu, du principe de territorialité tel qu'il est admis par la Cour au point 22 de l'arrêt Futura Participations et Singer, précité, il convient de relever que ce principe ne saurait davantage justifier la réglementation nationale en cause au principal.
69 Certes, il est conforme audit principe que l'État membre d'établissement de la société-mère puisse imposer les sociétés résidentes sur l'ensemble de leurs bénéfices mondiaux alors qu'il ne peut imposer les filiales non-résidentes que sur les bénéfices provenant de leur activité sur son territoire (voir, en ce sens, arrêt Marks & Spencer, précité, point 39). Toutefois, un tel principe ne justifie pas en lui-même que l'État de résidence de la société-mère puisse refuser un avantage à cette dernière, au motif qu'il n'impose pas les bénéfices de ses filiales non-résidentes (voir, en ce sens, arrêt Marks & Spencer, précité, point 40). Ainsi que l'a relevé M. l'Avocat général au point 49 de ses conclusions, ce principe a pour fonction d'introduire, dans l'application du droit communautaire, la nécessité de tenir compte des limites des compétences fiscales des États membres. Or, dans l'affaire au principal, l'octroi de l'avantage réclamé par Rewe n'a pas pour conséquence de mettre en cause l'exercice d'une compétence fiscale concurrente. Il concerne les sociétés-mères résidant en Allemagne qui sont soumises, à ce titre, à une obligation fiscale illimitée dans cet État. Par conséquent, la réglementation en cause au principal ne saurait être considérée comme une mise en œuvre du principe de territorialité.
70 Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la juridiction de renvoi que, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, dans lesquelles une société-mère détient dans une filiale non-résidente une participation de nature à lui conférer une influence certaine sur les décisions de cette filiale étrangère et à lui permettre de déterminer ses activités, les articles 52 et 58 du traité s'opposent à une réglementation d'un État membre qui restreint, pour une société-mère résidente de cet État, les possibilités de déduction fiscale des pertes subies par ladite société au titre des amortissements réalisés sur la valeur de ses participations dans des filiales établies dans d'autres États membres.
Sur l'interprétation des dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux
71 Les dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement s'opposant ainsi à une réglementation telle que celle en cause au principal, il n'est pas nécessaire d'examiner si les dispositions communautaires concernant la libre circulation des capitaux s'opposent également à cette réglementation (voir, dans le même sens, arrêt Keller Holding, précité, point 51).
Sur les dépens
72 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
Dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, dans lesquelles une société-mère détient dans une filiale non-résidente une participation de nature à lui conférer une influence certaine sur les décisions de cette filiale étrangère et à lui permettre de déterminer ses activités, les articles 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) et 58 du traité CE (devenu article 48 CE) s'opposent à une réglementation d'un État membre qui restreint, pour la société-mère résidente de cet État, les possibilités de déduction fiscale des pertes subies par ladite société au titre des amortissements réalisés sur la valeur de ses participations dans des filiales établies dans d'autres États membres.