CA Bordeaux, 5e ch. civ., 10 mars 2008, n° 05-03648
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Duchesne (SA)
Défendeur :
Peyre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Miori
Conseillers :
Mmes Coll, O'yl
Avoués :
SCP Taillard & Janoueix, SCP Touton-Pineau & Figerou
Avocats :
Mes Chas, Danglade
Vu le jugement du Tribunal d'instance de Bordeaux en date du 13 mai 2005.
Vu l'appel interjeté le 21 juin 2005 par la SA D. Duchesne.
Vu l'arrêt de la présente cour en date du 17 octobre 2006 ordonnant la réouverture des débats.
Vu les conclusions déposées au greffe de la cour et signifiées le 11 décembre 2007 par la SA D Duchesne.
Vu les conclusions récapitulatives déposées au greffe de la cour et signifiées le 21 décembre 2007 par Mademoiselle Sabrina Peyre qui forme appel incident.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 27 décembre 2007.
Au cours de l'année 2004 Mademoiselle Peyre, alors étudiante âgée de 20 ans, a reçu de la SA D Duchesne, société de vente par correspondance qui exerce sous diverses enseignes (TV direct distribution, TVD santé, les indispensables...), de nombreux documents personnalisés attirant son attention sur le fait qu'elle avait gagné des chèques de 10 000 euro puis de 8 500 euro, 7 950 euro ou 9 900 euro.
Incitée à passer commande pour obtenir plus rapidement son gain, Mademoiselle Peyre a passé deux commandes mais n'a pas obtenu la délivrance du chèque de 10 000 euro malgré trois mises en demeure ; elle saisissait le Tribunal d'instance de Bordeaux sur le fondement des articles 1382 du Code civil, L. 121-36 et L. 121-37 du Code de la consommation pour obtenir la condamnation de la SA D Duchesne au paiement de la somme de 7 500 euro de dommages et intérêts et de celle de 1 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par le jugement critiqué la SA D Duchesne a été condamnée à lui payer la somme de 5 000 euro de dommages et intérêts sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil et une somme de 800 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par arrêt en date du 17 octobre 2006 la présente cour a ordonné la réouverture des débats pour permettre aux parties de s'expliquer sur l'application des dispositions de l'article 1371 du Code civil.
Mademoiselle Peyre conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a retenu la responsabilité de la SA D Duchesne sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et à titre subsidiaire estime sur le fondement de l'article 1371 du Code civil que la SA D Duchesne s'était engagée sans aucune équivoque à lui délivrer les lots annoncés en ne mettant pas en évidence l'existence d'un aléa ; formant appel incident elle réclame la condamnation de la SA D Duchesne au paiement de la somme de 7 000 euro de dommages et intérêts outre 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SA D Duchesne fait essentiellement valoir au soutien de son appel, après avoir souligné qu'elle respecte les dispositions de l'article L. 121- 36 et L. 121-37 du Code de la consommation, qu'elle n'a commis aucune faute et n'a pris aucun engagement ferme de délivrance de gain dans la mesure où elle a seulement adressé à Mademoiselle Peyre des documents lui permettant de recevoir le règlement d'une prochaine opération promotionnelle et de prendre part à des jeux publicitaires avec pré-tirage, ce que la lecture de bonne foi et moyennement attentive des documents litigieux mentionnant l'existence d'un aléa et le règlement du jeu lui permettait d'appréhender.
Les documents adressés par la SA D Duchesne à Mademoiselle Peyre doivent être examinés afin d'établir si par leur intitulé, leur présentation, leur formulation, leur libellé et la nature des ternies employés ils peuvent être considérés aux yeux d'un destinataire normalement attentif et diligent comme contenant une promesse de gain ferme et dénuée d'aléa.
Il est à observer à titre liminaire que la SA D Duchesne, société de vente par correspondance exerçant sous plusieurs enseignes telles que " TV direct distribution ", " TVD santé ", " olivéal " ou " les indispensables ", adresse à ses clients potentiels, sous l'une ou l'autre de ses dénominations commerciales, un catalogue de vente de produits spécialisés auquel sont joints les documents litigieux relatifs à des jeux promotionnels fonctionnant selon la règle du pré tirage au sort du nom des gagnants qui se voient attribuer un numéro leur permettant de participer au jeu.
Mademoiselle Peyre a ainsi notamment reçu parmi les nombreux documents qui lui ont été adressés par la SA D Duchesne au cours de l'année 2004 :
- le 2 août 2004 une "information prioritaire aux gagnants" : "un seul numéro gagnant peut recevoir le chèque de 10 000 euro, Madame Peyre ; ce numéro gagnant est le vôtre vous avez gagné 10 000 euro Madame Peyre grâce à votre n°, votre chèque en attendant vous parviendra immédiatement si vous choisissez le service prioritaire gratuit ", " remise de votre chèque immédiate ; conditions pour recevoir votre chèque : posséder un numéro gagnant certifié par huissier de justice, ce qui est votre cas " ; au verso de ce document d'une part était énoncée la procédure à suivre précisant notamment " la société TVD Santé s'engage officiellement à vous verser la somme de 10 000 euro par chèque bancaire à votre nom dès réception dans les délais du titre certifié gagnant attendu par l'huissier et portant votre nom " et d'autre part le règlement du jeu E408-P408-E428 ; si la procédure telle qu'expliquée tend à laisser croire que le chèque est acquis, il n'en est pas de même du règlement; il ressort de sa lecture, certes peu engageante, que ce qu'a gagné Mademoiselle Peyre avec le n° qui lui a été attribué à la suite d'un pré-tirage, c'est le droit de participer à un tirage au sort ; deux options de participation sont proposées l'une avec commande donnant droit à un traitement prioritaire, l'autre sans commande.
Il est à observer que Mademoiselle Peyre à la suite de la réception de ce document a passé le 11 août 2008, par lettre recommandée, une commande en respectant la procédure de traitement prioritaire prescrite et a adressé au responsable du service de remise des prix une lettre de remerciement, indiquant que cet argent allait lui permettre de financer son année d'étude et précisant qu'en référence à l'article 10 du règlement (qu'elle a donc lu) elle ne souhaitait pas que sa photographie et son identité apparaissent dans les messages publicitaires.
Le bon de commande du 11 août 2004 qu'elle produit en photocopie mentionne en petits caractères italiques, difficilement lisibles, "le fait que vous possédiez nominativement ce document jeu promotionnel logiquement attractif prouve que vous avez participé à un pré-tirage contrôlé par un huissier de justice, ce qui signifie que le ou les gagnants potentiels des différents prix ont d'ores et déjà été définis et que vous avez réellement gagné un prix ; le règlement du jeu est joint dans cet envoi ; dans votre intérêt nous vous conseillons de lire l'ensemble des documents, règlement inclus " ; par ailleurs en caractères très lisibles est indiqué " oui j'accepte le règlement ; sous les aléas habituels je retourne immédiatement mon autorisation de versement de chèque " ;
- à la fin du mois d'août 2004 elle a reçu un " délibéré officiel des résultats définitifs " avec le fac-similé d'un chèque de 10 000 euro établissant que le titulaire de ce pli officiel est la seule et unique personne habilitée à réclamer le seul et unique chèque de 10 000 euro et déclarant que TV Direct s'engageait formellement à expédier ce chèque sous les 48H et à traiter prioritairement la demande si une commande était passée ; au dos est reproduit le règlement du jeu en tous petits caractères accompagné d'un certificat de garantie de versement et de la procédure de remise ;
- selon un courrier " gagnant confirmé 10 000 euro ", personnalisé, il lui est expliqué " ... vous êtes bien l'unique personne habilitée à réclamer le chèque de 10 000 euro au moyen de votre autorisation de versement de chèque... si vous retournez très vite l'autorisation de versement de chèque, le chèque bancaire de 10 000 euro vous sera expédié sous 48H à votre domicile... " ; un tampon d'allure officielle mentionne gain garanti soumis à aléa.
Mademoiselle Peyre a passé une seconde commande le 2 septembre 2004, toujours par lettre recommandée, qu'elle a aussi pris soin de photocopier ; les mêmes mentions que celles figurant sur le bon de commande précédent y figurent.
Par lettres recommandées avec accusé de réception des 20, 23, 24 septembre et 3 octobre 2004, faisant référence à sa qualité de gagnante signalée à plusieurs reprises dans les documents qui lui avaient été adressés et analysant minutieusement les formules employées, elle réclamait la remise de son prix de
10 000 euro.
Les nombreux autres envois dont elle a été destinataire reposent sur le même mode opératoire affirmations de gains péremptoires tempérées par la production du règlement du jeu, parfois difficilement lisible, ou des formules, quelque peu alambiquées ou paradoxales tendant à indiquer que la remise du prix est soumise à l'aléa du tirage au sort.
Certes ces documents sont personnalisés, contiennent des affirmations catégoriques, sont revêtus pour certains d'un caractère se voulant officiel comme en témoignent les références faites au contrôle d'un huissier de justice et aux avis conformes de " la direction " et multiplient les mentions attractives; d'autres sont rédigés de telle sorte que de prime abord, suite à une lecture rapide et sélective, ils peuvent laisser croire à l'existence d'un gain.
Toutefois une lecture complète et moyennement attentive, ne s'arrêtant pas seulement aux formules attractives, des envois adressés par la SA D Duchesne à Mademoiselle Peyre qui contiennent à chaque fois les règlements des divers jeux et se réfèrent à plusieurs reprises à l'existence d'aléas, lui permettait à l'évidence de se rendre compte qu'elle avait uniquement gagné le droit de participer à un tirage au sort et non celui de se faire remettre les chèques mis enjeu.
Par ailleurs il ne peut faire grief à la SA Duchesne, société de vente par correspondance dont l'objectif est de prospecter et de fidéliser des clients et qui utilise des moyens licites pour cela, aucune infraction au Code de la consommation ne lui étant reprochée en cause d'appel, de troubler sa tranquillité par l'envoi massif de publicités.
En outre la bonne foi de Mademoiselle Peyre qui a pris soin d'adresser par lettres recommandées avec accusé de réception ses deux commandes, ce qui n'est pas une procédure usuelle, d'envoyer une lettre de remerciements précisant la destination des fonds gagnés, pourrait être sujette à discussion.
En conséquence la société Duchesne n'ayant contracté aucun engagement réel à son égard de lui remettre les gains litigieux et n'ayant commis aucune faute de nature à faire naitre de fausses espérances de gain, le jugement déféré sera infirmé.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de l'intimée.
Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire. - Infirme le jugement du Tribunal d'instance de Bordeaux en date du 13 mai 2005. Statuant à nouveau. - Déboute Mademoiselle Peyre. - Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. - Condamne Mademoiselle Peyre aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.