CA Aix-en-Provence, 18e ch., 26 juin 2007, n° 06-17277
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Nong
Défendeur :
Sofoc Taliaplast (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Szalay
Conseillers :
Mmes Jacquemin, Elleouet-Giudicelli
Avocats :
Mes Balmas, Chèvre
Faits procédure et prétentions des parties
Monsieur Noël Nong a été embauché par la société Sofop Taliaplast à compter du 5 octobre 1999 en qualité de VRP exclusif.
Il a été licencié par courrier du 31 décembre 2004, avec quatre autres VRP, au motif économique suivant :
"Vous avez refusé par courrier du 3 décembre 2004 une modification de votre contrat de travail, ce qui nous amène à vous licencier pour motif économique ; réorganisation de notre service commercial nécessitant un nouveau découpage des secteurs lesquels actuellement au nombre de 13 doivent passer à 18 et ce pour sauvegarder la pérennité de l'entreprise, lequel nous oblige à modifier de façon substantielle les contrats de travail de nos VRP".
Il a saisi le Conseil de prud'hommes de Draguignan afin d'obtenir l'indemnisation d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le paiement d'une indemnité de clientèle et celui d'un solde de commissions (retour sur échantillonnage).
Par jugement rendu le 26 septembre 2006 le conseil a condamné la société Sofop à payer la somme de 30 177 euro à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et a débouté Monsieur Nong de ses autres demandes.
La cour est saisie de l'appel relevé par ce dernier du jugement rendu et de l'appel incident formé par la société Sofop ;
Monsieur Nong demande la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse et sa réformation sur le surplus.
Il a fait développer ses explications à la barre pour demander le paiement des sommes suivantes :
120 705,26 euro en application de l'article L. 122-14-4 du Code du travail
91 505,26 euro au titre de complément d'indemnité de clientèle
11 543,22 euro à titre de solde d'indemnité de préavis outre 11 54,32 euro de congés payés afférents
15 866,22 euro à titre de retour sur échantillonnage outre 1 586,62 euro de congés payés
2 000 euro en application de l'article 700
ainsi que la délivrance sous astreinte d'une attestation ASSEDIC rectifiée.
La société Sofop a également fait plaider ses écritures pour demander la réformation du jugement sur le licenciement et sa confirmation pour le surplus.
Elle conclut au débouté de Monsieur Nong de toutes ses demandes à sa condamnation au remboursement total ou partiel de l'indemnité de clientèle.
Motifs de l'arrêt
La recevabilité de l'appel n'est pas discutée. Les éléments du dossier ne conduisent pas la cour à le faire d'office.
Sur le motif économique du licenciement
Tel qu'il résulte de la lettre de licenciement ce motif est donc une réorganisation du service commercial nécessitée par la sauvegarde de la pérennité de l'entreprise étant précisé par ailleurs par l'employeur que la réorganisation s'expliquait de la façon suivante :
" nous avons constaté que des familles de produits ou des produits étaient partiellement oubliés dans vos démarches commerciales alors que
" nous augmentons le nombre de références catalogue ... et créons pour 2005 une nouvelle gamme
" nous enregistrons des sollicitations de plus en plus fréquentes des clients...
" Dans ce contexte il nous est imposé de rester de plus en plus compétitif sur toutes les gammes
" D'ailleurs les remarques des VRP sur le manque de temps pour visiter la clientèle ainsi que l'accueil très favorable des décideurs dans notre projet nous conforte dans le bien-fondé de cette décision ".
Aux termes de l'article L. 321 1 du Code du travail et de l'interprétation jurisprudentielle actuellement acquise qui en a été faite la réorganisation de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement si elle a été effectuée pour en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient.
Répond à ce critère la réorganisation mise en œuvre pour prévenir des difficultés économiques prévisibles et leurs conséquences sur l'emploi, sans être subordonnée à l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement.
La société Sofop soutient que tel était le cas et qu'elle s'est trouvée contrainte pour sauvegarder la pérennité de l'entreprise, et malgré une situation financière saine, d'anticiper des difficultés ultérieures prévisibles en réorganisant le service commercial pour l'adapter à l'évolution de son marché.
Elle déclare avoir constaté
Que des familles de produits ou des produits étaient partiellement oubliés dans les démarches commerciales alors que la société augmentait le nombre de références à son catalogue
Que les clients sollicitaient de plus en plus des visites rapprochées alors que les VRP invoquaient leur manque de temps pour visiter l'ensemble de la clientèle
Que le pourcentage de clients non visités augmentait (43 % au niveau national en 2004) surtout pour les clients éloignés du secteur ce qui était le cas des clients du Gard et du Vaucluse pour Monsieur Nong qui habitait le Var.
Elle fait également valoir qu'elle se trouvait exposée, dans son secteur d'activité à une concurrence de plus en plus grande surtout d'origine asiatique dans les secteurs de l'outillage et de la protection.
Elle soutient que son objectif de réorganisation - passer de 13 à 18 technico-commerciaux avec redécoupage des secteurs - réalisé à un moment opportun puisque la société a profité d'une situation saine pour adapter ses structures au marché, s'est révélé bénéfique pour l'emploi.
Que la modification du contrat de travail de Monsieur Nong se justifiait au regard de cette réorganisation et son refus d'accepter toute modification a légitimement motivé son licenciement.
Monsieur Nong estime que l'employeur ne rapporte pas la preuve de ce que la restructuration du service commercial était indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise.
Que malgré l'évocation d'une concurrence étrangère il n'est pas démontré que la société Sofop était mise en danger par cette évolution.
Il ajoute qu'il n'est pas admissible que l'on puisse proposer à un VRP performant (ce qu'il était) une diminution de ses revenus pour assurer le développement de l'entreprise.
Il résulte aussi bien des pièces produites que de l'aveu même de l'employeur, que l'entreprise ne subissait aucune difficulté économique sa situation financière étant saine à la date ou la réorganisation du service commercial a été décidée.
S'il est acquis qu'une restructuration est possible dans ce contexte, la démonstration de ce que la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise à fortiori sa pérennité, justifiait cette restructuration avec ses conséquences (modification des contrats de travail et licenciements), s'avère d'autant plus rigoureuse.
En l'espèce celle-ci a été annoncée aux salariés commerciaux lors d'une assemblée générale s'étant déroulée sur 2 jours (les 7 et 8) au mois d'octobre 2004.
Trois VRP, Messieurs Tambour, Lecante et Le Goff, témoignent de ce que ce que le motif principal qui a été invoqué par la direction à cette date était le salaire trop élevé de certains VRP (la direction commerciale ayant souligné qu'ils n'étaient pas des "ingénieurs commerciaux" mais de simples représentants), ce motif étant confirmé par le fait que le pourcentage de commissionnement sur la nouvelle gamme de produits allait être réduit (1 % contre 2 %).
Un des autres motifs invoqués était l'insuffisance de prospection et de visites par les VRP de leur clientèle.
Pour confirmation l'employeur a demandé aux VRP - et en particulier à Monsieur Nong par courrier du 20 octobre 2004 - de justifier d'une liste de clients non visités, ce à quoi Monsieur Nong a répondu le 25 octobre.
Le motif d'insuffisance de prospection ou de visite de la clientèle par le VRP, motif qui a été repris dans la lettre de licenciement est cependant un motif personnel de licenciement et non un motif économique.
Il ne peut justifier une réorganisation générale du service commercial pas plus qu'un redécoupage des secteurs des VRP.
Aucun autre élément justificatif de ce que ce nouveau découpage permettait de sauvegarder la pérennité de l'entreprise n'est apporté.
L'employeur a, s'agissant en particulier de Monsieur Nong, déclaré dans la lettre de licenciement que le nouveau secteur proposé étant plus restreint cela lui aurait permis d'améliorer ses conditions de travail et familiale.
Cette motivation n'a bien sûr rien d'économique.
La société soutient enfin que la compétitivité et même la pérennité de l'entreprise était mise en péril par la concurrence en particulier chinoise.
Cette affirmation n'est nullement démontrée par les pièces produites :
- liste des concurrents de Sofop dans le monde,
- article du journal " Les Echos"
- catalogue des exposants à différents salons nationaux ou internationaux
qui ne font ressortir que la réalité d'une concurrence, devenue normale dans le cadre économique mondial actuel, entre les entreprises exerçant la même activité (en l'espèce outillage du bâtiment et en particulier casques de chantier pour la Chine).
La société Sofop ne fait donc pas la démonstration de ce que la réorganisation du service commercial ayant entraîné consécutivement la modification des contrats de travail des commerciaux, était justifiée pour assurer la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Monsieur Nong n'a obtenu que six mois de salaire à titre de dommages et intérêts, alors qu'il réclame 24 mois, au motif qu'il avait retrouvé un emploi peu de temps après la fin de son préavis, ce qui n'est pas discuté.
La seule justification d'un préjudice excédant les six mois incompressibles auxquels Monsieur Nong pouvait prétendre en application de l'article L. 122-14-4 du Code du travail, résulte de la réduction de sa rémunération chez son nouvel employeur .
L'indemnisation de ce préjudice permet d'élever à 50 000 euro le montant des dommages et intérêts qui devront lui être payés.
Le jugement sera par contre confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur Nong de ses demandes au titre :
- d'un complément de préavis et congés payés afférents
- d'un reliquat de congés payés
Monsieur Nong a en effet travaillé pendant le préavis et il ne justifie pas ne pas avoir été payé de la contrepartie du travail qu'il a effectué pendant cette période.
Il ne produit pas plus de justification de ce qu'un solde de congés payés lui resterait dû.
L'appel s'avérant fondé l'employeur supportera la charge des dépens et celle des frais non répétibles du VRP.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement contradictoirement et en matière prud'homale, Reçoit l'appel, Réforme pour partie le jugement et statuant à nouveau, Condamne la société Sofop Taliaplast à payer à Monsieur Nong Noël les sommes suivantes : Cinquante mille euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans motif économique réel et sérieux, Quatre-vingt-onze-mille cinq cent cinq euro et 26 centimes à titre de complément d'indemnité de clientèle, Mille huit-cent euro en application de l'article 700 NCPC, Ordonne la délivrance par la société Sofop d'une attestation ASSEDIC rectifiée, Déboute Monsieur Nong de toutes autres demandes, Condamne l'employeur aux entiers dépens.