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Décisions

CJCE, 3e ch., 1 juin 2006, n° C-169/05

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Uradex SCRL

Défendeur :

Union Professionnelle de la Radio et de la Télédistribution (RTD), Société Intercommunale pour la Diffusion de la Télévision (BRUTELE)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Rosas

Avocat général :

M. Ruiz-Jarabo Colomer

Juges :

MM. Malenovský, Puissochet, von Bahr, Lõhmus

Avocats :

Mes Strowel, Berrisch, Cornu, de Visscher, Del Gaizo

CJCE n° C-169/05

1 juin 2006

LA COUR (troisième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 9, paragraphe 2, de la directive 93-83-CEE du Conseil, du 27 septembre 1993, relative à la coordination de certaines règles du droit d'auteur et des droits voisins du droit d'auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble (JO L 248, p. 15, ci-après la "directive").

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'une procédure opposant Uradex SCRL (ci-après "Uradex") à l'Union Professionnelle de la Radio et de la Télédistribution (ci-après la "RTD") ainsi qu'à la Société Intercommunale pour la Diffusion de la Télévision (ci-après "BRUTELE"), dans laquelle Uradex demande à ce qu'il soit ordonné aux membres de la RTD, et en particulier à Brutele, de cesser la retransmission par câble de prestations qui appartiendraient à son répertoire.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 Le vingt-septième considérant de la directive énonce:

"[...] la retransmission par câble de programmes à partir d'autres États membres constitue un acte relevant du droit d'auteur et, le cas échéant, de droits voisins du droit d'auteur; [...] un distributeur par câble doit donc obtenir, pour chaque partie d'un programme retransmis, l'autorisation de tous les titulaires de droits; [...] dans le cadre de la présente directive, ces autorisations doivent en principe être accordées par contrat [...]".

4 Aux termes du vingt-huitième considérant de la directive:

"[...] pour faire en sorte que des personnes extérieures détenant des droits sur certains éléments de programmes ne puissent mettre en cause, en faisant valoir leurs droits, le bon déroulement des arrangements contractuels, il convient, dans la mesure où les caractéristiques de la retransmission par câble l'exigent, de prévoir, avec l'obligation de recours à une société de gestion collective, un exercice exclusivement collectif du droit d'autorisation; [...] le droit d'autorisation en tant que tel demeure intact et [...] seul son exercice est réglementé dans une certaine mesure, ce qui implique que la cession du droit d'autoriser une retransmission par câble reste possible [...]".

5 L'article 8, paragraphe 1, de la directive dispose:

"Les États membres veillent à ce que les retransmissions par câble d'émissions provenant d'autres États membres se déroulent sur leur territoire dans le respect des droits d'auteur et droits [voisins] en vigueur et sur la base de contrats individuels ou collectifs conclus entre les titulaires des droits d'auteur et de droits voisins et les distributeurs par câble."

6 L'article 9 de la directive, intitulé "Exercice du droit de retransmission par câble", est libellé comme suit:

"1. Les États membres veillent à ce que le droit des titulaires de droits d'auteur et de droits voisins d'accorder ou de refuser l'autorisation à un câblo-distributeur pour la retransmission par câble d'une émission ne puisse être exercé que par une société de gestion collective.

2. Lorsque le titulaire n'a pas confié la gestion de ses droits à une société de gestion collective, la société de gestion collective qui gère des droits de la même catégorie est réputée être chargée de gérer ses droits. Lorsque plusieurs sociétés de gestion collectives gèrent des droits de cette catégorie, le titulaire peut désigner lui-même la société de gestion collective qui sera réputée être chargée de gérer ses droits. Le titulaire visé au présent paragraphe a les mêmes droits et obligations, dans le cadre du contrat conclu entre le câblo-distributeur et la société de gestion collective qui est réputée être chargée de gérer ses droits, que les titulaires qui ont chargé cette société de gestion collective de défendre leurs droits [...]

[...]"

La réglementation nationale

7 Aux termes de l'article 36, premier alinéa, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins (Moniteur belge du 27 juillet 1994, p. 19297, ci-après la "loi"):

"Sauf convention contraire, l'artiste-interprète ou exécutant cède au producteur de l'œuvre audiovisuelle le droit exclusif de l'exploitation audiovisuelle de sa prestation [...]"

8 Inséré dans la section intitulée, "De la retransmission par câble", l'article 51 de la loi dispose:

"Conformément aux chapitres qui précèdent et sous les modalités définies ci-après, l'auteur et les titulaires de droits voisins disposent du droit exclusif d'autoriser la retransmission par câble de leurs œuvres ou de leurs prestations."

9 Dans la même section, les paragraphes 1 et 2 de l'article 53 de la loi ont transposé en droit belge, dans des termes analogues, respectivement les paragraphes 1 et 2 de l'article 9 de la directive.

Le litige au principal

10 Uradex, société de gestion collective des droits voisins des artistes interprètes et exécutants, a introduit, devant le tribunal de première instance de Bruxelles, une demande visant à faire constater que, en retransmettant par câble, sans son autorisation et donc en violation des articles 51 et 53 de la loi, les prestations des artistes interprètes et exécutants qui appartiennent à son répertoire, les sociétés de câblo-distributeurs membres de la RTD, et en particulier Brutele, enfreignent les droits voisins dont Uradex est gestionnaire. De même, elle a demandé à ce qu'il soit ordonné à chacune des sociétés en cause de cesser de retransmettre par câble ces prestations.

11 Sa demande ayant été rejetée, Uradex a interjeté appel devant la cour d'appel de Bruxelles.

12 S'agissant de prestations tant audiovisuelles que non audiovisuelles, cette dernière a d'abord estimé que si les sociétés de gestion collective des droits voisins disposent du droit exclusif d'autoriser ou d'interdire leur retransmission par câble (ci-après le "droit de retransmission"), ce droit est, toutefois, limité aux droits dont la gestion a été confiée à ces sociétés.

13 En effet, selon la cour d'appel, l'article 53, paragraphe 2, de la loi, qui transpose l'article 9, paragraphe 2, de la directive, ne prévoit pas l'exercice par une telle société de gestion du droit de retransmission des artistes qui ne lui ont pas confié la gestion de leurs droits, comme c'est le cas, compte tenu du paragraphe 1 de l'article 53 de la loi, pour les artistes qui l'ont fait.

14 Le paragraphe 2 de l'article 53 de la loi disposerait uniquement que cette société "est réputée être chargée de gérer leurs droits", ce qui, eu égard au caractère essentiellement fiduciaire de cette gestion, consisterait, en réalité, essentiellement à percevoir la rémunération à laquelle ces prestations donnent lieu et à la remettre au titulaire des droits afférents à celles-ci.

15 De plus, la cour d'appel a considéré que, en ce qui concerne les prestations audiovisuelles, Uradex ne peut, compte tenu de l'article 36 de la loi, exercer le droit de retransmission par câble même s'agissant des artistes qui ont confié la gestion de leurs droits à cette société. En effet, cette disposition établirait une présomption légale que l'artiste a cédé son droit de retransmission au producteur. Or, une société de gestion collective agit pour le compte des artistes interprètes ou exécutants qu'elle représente et elle ne saurait gérer plus de droits que ceux détenus par ces derniers. Une autorisation d'Uradex ne serait ainsi requise que si, en conformité avec l'article 36 de la loi, elle réfutait cette présomption en démontrant l'existence de conventions entre les artistes concernés et les producteurs qui excluraient la cession du droit de retransmission ou, à défaut, si elle représentait des producteurs d'œuvres audiovisuelles. Tel ne serait pas le cas en l'occurrence.

16 Il résulte de ce qui précède que la cour d'appel n'a déclaré la demande fondée que partiellement. D'une part, elle a constaté, en particulier, que Brutele, en transmettant les prestations qui ne sont pas audiovisuelles, viole les droits voisins des artistes interprètes et exécutants qui ont confié la gestion de ceux-ci à Uradex et, en conséquence, elle a ordonné la cessation de ces retransmissions à défaut d'avoir l'autorisation d'Uradex. D'autre part, elle a rejeté le recours pour le surplus.

17 Uradex a formé un pourvoi devant la Cour de cassation, soutenant, en ce qui concerne d'abord les droits voisins dont les titulaires ne lui ont pas confié la gestion, qu'il résulte de l'article 53 de la loi, et de l'article 9 de la directive, qu'une société de gestion collective n'est pas seulement réputée être chargée d'une gestion qui se limite à percevoir la rémunération, mais que ces articles l'investiraient également du droit de retransmission. De surcroît, cette société exercerait, selon Uradex, un tel droit même s'agissant de prestations audiovisuelles, car lesdits articles ne feraient aucune distinction selon que le droit de retransmission a été cédé ou non à un tiers.

18 Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"L'article 9, [paragraphe] 2, de la [directive] doit-il être interprété en ce sens que, lorsqu'une société de gestion collective est réputée être chargée de gérer les droits d'un titulaire de droits d'auteur ou de droits voisins n'ayant pas confié la gestion de ses droits à une société de gestion collective, cette société ne dispose pas du pouvoir d'exercer le droit de ce titulaire d'accorder ou de refuser l'autorisation à un câblo-distributeur de retransmettre par câble une émission, n'étant chargée que de la gestion des aspects pécuniaires des droits dudit titulaire?"

Sur la question préjudicielle

19 Il résulte de l'article 8, paragraphe 1, de la directive, et du vingt-septième considérant de celle-ci, que le distributeur par câble ne peut retransmettre les émissions concernées que s'il obtient, sur la base de contrats, l'autorisation de l'ensemble des titulaires de ces droits, c'est-à-dire tant de ceux qui ont confié la gestion de leurs droits à une société de gestion collective que de ceux qui ne l'ont pas fait. C'est en contrepartie de cette autorisation que les titulaires reçoivent, en principe, une rémunération.

20 Cependant, dans l'intérêt de la sécurité juridique, pour que les distributeurs par câble puissent être certains d'avoir acquis réellement tous les droits liés aux programmes retransmis et pour faire en sorte que des personnes extérieures détenant des droits sur certains éléments de ces programmes ne puissent mettre en cause, en faisant valoir leurs droits, le bon déroulement des arrangements contractuels autorisant la retransmission desdits programmes, la directive a prévu, à son article 9, paragraphe 1, que lesdits titulaires ne peuvent exercer le droit de retransmission que par une société de gestion collective. De cette manière, la directive limite le nombre de sujets avec lesquels les distributeurs par câble doivent négocier afin d'obtenir une autorisation de retransmission, notamment en contrepartie d'une rémunération, tout en respectant les droits d'auteur et les droits voisins de tous les titulaires.

21 C'est dans ce contexte que l'article 9, paragraphe 2, de la directive prévoit que lorsque le titulaire des droits d'auteur ou de droits voisins n'a pas confié la gestion de ses droits à une société de gestion collective, la société de gestion collective qui gère des droits de la même catégorie est réputée être chargée de gérer les droits de ce titulaire. Ainsi, cette disposition ne fait que concrétiser la règle énoncée audit article 9, paragraphe 1, par rapport à la situation particulière d'un tel titulaire.

22 Par ailleurs, lorsqu'il dispose que la société de gestion collective est réputée être chargée de gérer "ses droits", l'article 9, paragraphe 2, de la directive ne contient aucune limitation en ce qui concerne la portée de cette gestion des droits du titulaire. Ainsi, il ne découle pas de son libellé qu'une telle gestion devrait concerner uniquement les aspects pécuniaires des droits en question, à l'exclusion du droit de retransmission.

23 Au surplus, l'intitulé de l'article 9 de la directive, "Exercice du droit de retransmission par câble", signifie que l'ensemble des dispositions de cet article porte précisément sur un tel droit.

24 Il convient cependant d'ajouter, dans le contexte du litige au principal, que, comme le précise le vingt-huitième considérant de la directive, celle-ci ne s'oppose pas à une cession du droit de retransmission. Or, cette cession peut intervenir tant sur la base d'un contrat qu'en vertu d'une présomption légale. Ainsi, la directive ne s'oppose pas à ce qu'un auteur, artiste interprète, exécutant ou producteur perde, en vertu d'une disposition nationale, telle que l'article 36, premier alinéa, de la loi', sa qualité de "titulaire" de ce droit au sens de article 9, paragraphe 2, de la directive, avec pour conséquence la rupture de tout lien juridique existant en vertu de cette disposition entre lui et la société de gestion collective.

25 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que l'article 9, paragraphe 2, de la directive doit être interprété en ce sens que, lorsqu'une société de gestion collective est réputée être chargée de gérer les droits d'un titulaire de droits d'auteur ou de droits voisins n'ayant pas confié la gestion de ses droits à une société de gestion collective, cette société dispose du pouvoir d'exercer le droit de ce titulaire d'accorder ou de refuser l'autorisation à un câblo-distributeur de retransmettre par câble une émission, et, par conséquent, la gestion par ladite société des droits dudit titulaire ne se limite pas aux aspects pécuniaires de ces droits.

Sur les dépens

26 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, LA COUR (troisième chambre) dit pour droit:

L'article 9, paragraphe 2, de la directive 93-83-CEE du Conseil, du 27 septembre 1993, relative à la coordination de certaines règles du droit d'auteur et des droits voisins du droit d'auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble, doit être interprété en ce sens que, lorsqu'une société de gestion collective est réputée être chargée de gérer les droits d'un titulaire de droits d'auteur ou de droits voisins n'ayant pas confié la gestion de ses droits à une société de gestion collective, cette société dispose du pouvoir d'exercer le droit de ce titulaire d'accorder ou de refuser l'autorisation à un câblo-distributeur de retransmettre par câble une émission, et, par conséquent, la gestion par ladite société des droits dudit titulaire ne se limite pas aux aspects pécuniaires de ces droits.