Livv
Décisions

CA Paris, 21e ch. C, 24 mai 2007, n° 05-08832

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Merck Médication Familiale France (SAS)

Défendeur :

Luche

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme de Liège

Conseillers :

Mmes Lèbe, Degrandi

Avocats :

Mes Valla, Duhalde

Cons. prud'h. Evry, sect. encadr., du 6 …

6 septembre 2005

LA COUR statue sur les appels régulièrement interjetés par la SAS Merck Médication Familiale France et, à titre incident par Mme Luche, du jugement rendu le 6 septembre 2005 par le Conseil de prud'hommes d'Evry, section encadrement, auquel il est renvoyé pour l'exposé des éléments du litige à cette date, qui a dit que le licenciement de Mme Luche était sans cause réelle et sérieuse et a condamné la SAS Merck Médication Familiale France à verser à la salariée les sommes suivantes :

- 118,26 euro à titre de rappel de salaires pour le 11 janvier 2004,

- 11,83 euro au titre des congés payés incidents,

- 268,54 euro à titre de rappel de commissions pour l'année 2003,

- 8 362,33 euro à titre de complément d'indemnité de préavis,

- 836,23 euro au titre des congés payés incidents,

- 43 131 euro à titre d'indemnité de clientèle,

- 42 234,24 euro à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 750 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le conseil de prud'hommes a en outre ordonné à la SAS Merck Médication Familiale France de remettre à Mme Luche une attestation Assedic conforme à sa décision en déboutant cette dernière du surplus de ses demandes.

Il est constant que Mme Luche a été embauchée par contrat de travail verbal à durée indéterminée à compter du 9 octobre 1989 par la société de Production des Laboratoires Monot en qualité de commerciale. Un contrat de travail écrit à durée indéterminée a été régularisé le 18 janvier 1990 entre les parties par lequel Mme Luche se voyait reconnaître la qualification de VRP exclusif et affectée à un secteur comprenant 4 arrondissements de Paris, ainsi qu'une partie du département 92.

Rémunérée par un salaire mensuel brut en partie fixe et une partie variable, son contrat de travail était modifié à plusieurs reprises, en particulier quant à son secteur d'activité. Elle était en dernier lieu affectée au département de l'Essonne, étant précisé que l'employeur avait dans l'intervalle changé de dénomination sociale pour prendre celle de SAS Merck Médication Familiale France.

Au terme de son congé de maternité, le 30 août 2002, Mme Luche prenait un congé parental à temps partiel à compter du 14 octobre 2002, prolongé dans le cadre d'un congé parental à 50 % d'une durée d'un an, à compter du 2 décembre 2002. Elle travaillait en conséquence en dernier lieu à raison de 2,5 jours par semaine, à savoir les lundi (après-midi), mardi et jeudi sur une partie du département de l'Essonne, moyennant un salaire mensuel brut de 3 548 euro, dont une partie fixe s'élevant à 495,50 euro.

Un projet d'entreprise était présenté le 17 mai 2002 au Comité d'entreprise, dit "Projet Client 2005" ayant pour objectif déclaré "l'adaptation des métiers commerciaux face à un regroupement accéléré des pharmaciens indépendants sous forme d'enseignes ou de chaînes" ayant donné lieu à des consultations des représentants du personnel, à la suite duquel un plan de sauvegarde de l'emploi, dit PSE, a été établi par la SAS Merck Médication Familiale France.

Dans le cadre de ce plan, la SAS Merck Médication Familiale France a adressé à Mme Luche une proposition de modification de son contrat de travail par lettre du 3 juillet 2003, dans son statut, sa rémunération et la durée de son travail.

Cette proposition consistait à devenir délégué pharmaceutique, cadre, groupe 6, niveau B de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique, entraînant donc la perte de son statut de VRP exclusif.

Elle était accompagnée d'une modification de sa rémunération par la mise en œuvre d'un salaire fixe représentant 70 % du total de la rémunération et une partie variable basée sur des objectifs, représentant 30 % du total, pour un montant total de 1 814,07 euro, soit, selon la salariée, une perte de 66 % de son salaire par rapport à un temps complet.

Une modification de la durée de son travail lui était également proposée, l'amplitude de visite de la clientèle étant désormais de 5 jours par semaine alors qu'elle était en congé parental à temps partiel jusqu'au 2 décembre 2003.

Mme Luche refusait cette proposition, en relevant qu'elle portait atteinte à ses "intérêts financiers", et qu'elle ne souhaitait pas renoncer à son statut de VRP, qu'elle estimait avoir contribué aux intérêts de l'entreprise, tout en se déclarant prête à étudier toute autre proposition.

Après lui avoir proposé le 22 août 2003, un reclassement dans 4 postes, que la salariée refusait le 2 septembre 2003, au motif que celui-ci modifiait de façon importante son contrat de travail, dans son statut, la durée de son contrat, qui devenait à durée déterminée et son niveau de rémunération, la SAS Merck Médication Familiale France licenciait Mme Luche pour motif économique le 10 octobre 2003, avec dispense d'exécuter son préavis de trois mois.

C'est dans ces conditions que Mme Luche a saisi le conseil de prud'hommes aux fins de voir condamner la SAS Merck Médication Familiale France à lui verser diverses sommes aux titres d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité de clientèle ainsi qu'au titre de rappel de commissions et de salaire pour la journée du 11 janvier 2004.

En cause d'appel, la SAS Merck Médication Familiale France soutient que le licenciement de Mme Luche est fondé sur un motif économique réel et sérieux, à savoir la réorganisation de l'entreprise, consistant dans le changement de statut des forces de vente de l'entreprise, objet du plan "Client 2005", motif économique autonome ne nécessitant pas que soit rapportée la preuve de difficultés économiques, mais en vue d'éviter des difficultés économiques à venir.

L'employeur fait valoir que cette réorganisation était justifiée d'une part, par l'évolution des métiers des officines de pharmacie indépendantes, qui se regroupant au sein d'enseignes et effectuant leurs achats dans le cadre de centrales, ne pouvait qu'entraîner une réduction de la rémunération des VRP qui ne s'adressent qu'aux officines, alors que les rémunérations des anciens VRP devenus ainsi délégués pharmaceutiques ont en réalité bénéficié d'augmentations. Il invoque, d'autre part, les dernières recommandations du syndicat professionnel de l'industrie pharmaceutique, le LEEM, allant dans le sens du développement du statut de délégué pharmaceutique.

La SAS Merck Médication Familiale France souligne la nécessité dans laquelle elle s'était trouvée d'anticiper cette évolution des métiers en modifiant le statut des VRP de l'entreprise pour le remplacer par celui de délégué pharmaceutique afin de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise.

L'employeur fait valoir que, dans ces conditions, le refus par Mme Luche de cette nécessaire modification de son contrat de travail et l'impossibilité de la reclasser au sein de l'entreprise ou du groupe, en raison de son refus des propositions sérieuses qui lui avaient été faites, rendait son licenciement inévitable.

La SAS Merck Médication Familiale France conteste le montant de l'indemnité de clientèle réclamée par la salariée, à savoir une somme forfaitaire de deux ans de salaires, en faisant valoir, d'une part, que l'intéressée se borne à se baser sur le chiffre d'affaires du secteur sans démontrer qu'elle a personnellement créé et développé en nombre et en valeur une clientèle, et, d'autre part, que la notoriété du laboratoire a réduit en tout état de cause d'autant la part personnelle de Mme Luche dans la création et le développement de la clientèle litigieuse.

L'employeur relève, d'autre part, qu'il y a lieu de déduire de la somme réclamée par la salariée le montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement qu'il lui a versée dans la mesure où celle-ci ne se cumule pas avec l'indemnité de clientèle des VRP, aux termes de l'accord interprofessionnel applicable.

L'employeur s'oppose enfin aux demandes de rappel de salaires et de commissions, ainsi que d'indemnité de préavis, formées par Mme Luche comme non fondées et sollicite le remboursement de la somme qu'il a versée à ce titre en exécution provisoire du jugement déféré.

La SAS Merck Médication Familiale France demande en conséquence à la cour :

- d'infirmer le jugement déféré,

- de débouter Mme Luche de l'ensemble de ses demandes,

- de la condamner à lui rembourser la somme de 7 853,18 euro nette, versée en exécution provisoire du jugement déféré,

- de la condamner à lui verser la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

En cause d'appel, Mme Luche soutient que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse en faisant valoir l'absence de preuve par l'employeur de la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise pour justifier la réorganisation de la SAS Merck Médication Familiale France, que ce soit dans le cadre du groupe international Merck Kgaa, en développement constant ou de l'entreprise elle-même, dont la santé économique était alors soulignée par l'employeur.

Contestant le changement de métier à l'origine du changement de statut proposé, Mme Luche soutient que les regroupements d'officines pharmaceutiques qui existaient déjà sur son secteur n'imposaient pas ce changement de statut et, son statut de VRP n'étant pas incompatible avec les objectifs recherchés par la SAS Merck Médication Familiale France, en faisant notamment valoir qu'elle assurait déjà la formation des équipes d'officine.

Soulignant que le LEEM ne faisait que des recommandations, donc non contraignantes, elle fait valoir que les propositions de reclassement qui lui ont été faites n'étaient pas sérieuses.

Contestant la base de calcul utilisée par la SAS Merck Médication Familiale France pour ses indemnités de rupture et réclamant un rappel de salaires et de commissions, ainsi que d'indemnité de préavis, Mme Luche demande à la cour :

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit son licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la SAS Merck Médication Familiale France à lui verser les diverses sommes susvisées, avec intérêts au taux légal à compter de la demande,

- de le réformer pour le surplus, et relevant appel incident,

- d'ordonner à la SAS Merck Médication Familiale France de lui remettre les documents suivants, sous astreinte de 50 euro par jour de retard à compter de la signification du jugement :

* le CATS d'octobre 2003,

* les relevés de chiffre d'affaires et de son positionnement au niveau France et par équipe pour les années 2002 et 2003,

* un certificat de travail et une attestation Assedic conformes à la décision à intervenir,

- de condamner la SAS Merck Médication Familiale France à lui verser la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'au règlement des entiers dépens.

Sur ce, LA COUR,

Vu le jugement déféré et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience par celles-ci, auxquelles il convient de se référer pour de plus amples développements.

Sur le rappel de salaires du 11 janvier 2004 :

C'est en vain que la SAS Merck Médication Familiale France prétend que le dernier jour travaillé de Mme Luche étant le 10 octobre 2003, date d'envoi de la lettre de licenciement, et donc de la rupture de son contrat de travail, elle ne devait être rémunérée que jusqu'au 10 janvier 2004.

En effet, si la date de rupture de son contrat de travail est celle de l'envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception prononçant son licenciement, soit le 10 octobre 2003, la fin de la période de préavis rémunéré de l'intéressée était le 11 janvier 2004, dans la mesure où son préavis avait débuté le 11 octobre 2003, date de notification de son licenciement.

Sur le rappel de commissions 2003 :

Mme Luche réclame un rappel de commissions d'un montant de 268,54 euro ainsi que les congés payés incidents pour l'année 2003, en soutenant qu'il s'agit des commissions dues à hauteur de 4 % sur une somme totale de 6 713,50 euro.

L'employeur s'oppose à sa demande en soutenant qu'elle a été commissionnée en fonction de son secteur qui avait été redécoupé temporairement durant son congé parental d'éducation, pris à compter du 2 décembre 2002 pendant lequel elle avait été remplacée par un commercial itinérant, M. Jovelin ;

L'employeur fait en outre valoir que pour les trois factures particulières, dont la salariée réclame le paiement, à savoir, des clients Alrhéas-Chabrier et Jouniaux, l'intéressée avait été régulièrement commissionnée en janvier et mai 2004.

Cependant, alors que son contrat de travail prévoyait qu'elle percevait des commissions de 4 % sur les ordres tant directs qu'indirects passés sur son secteur, menés à bonne fin, il n'est pas justifié que, s'agissant d'un VRP exclusif, son secteur ait été découpé avec son accord lors de son congé parental à temps partiel.

Mme Luche avait en conséquence droit aux commissions correspondant aux commandes menées à bonne fin sur son secteur.

Or l'employeur, auquel il revient de communiquer tous éléments en sa possession permettant d'évaluer les droits à commission de l'intéressée, ne justifie que du paiement de trois factures, d'un montant total de 24,21 euro, qu'il y a en conséquence lieu de déduire de la somme totale de 6 713 euro réclamée dès lors à bon droit par la salariée.

La SAS Merck Médication Familiale France ne justifie en outre pas de ce que des commandes ne soient pas parvenues à bonne fin du fait de la salariée.

La SAS Merck Médication Familiale France sera donc condamnée à lui verser la somme de 268 euro, correspondant à 4 % de la somme de 6 688,79 euro, à titre de rappel de commissions. Le jugement déféré est confirmé de ce chef.

Sur le complément d'indemnité de préavis :

La SAS Merck Médication Familiale France soutient avoir déjà versé à la salariée une indemnité de préavis égale à 9 832,55 euro, en en concluant que cette dernière ne peut en conséquence prétendre qu'à un solde de 813,34 euro, sur la base d'un salaire mensuel brut moyen, calculé sur sa dernière année d'activité de 3 548,83 euro, étant précisé qu'il est constant que l'intéressée avait droit à une indemnité de préavis égale à trois mois de salaires.

L'employeur fait en outre valoir qu'il a déjà réglé ce solde à la salariée, quand bien même ce règlement est intervenu sous une rubrique informatique erronée de "compensation perte s/Commissions".

Mme Luche conteste avoir été réglée de ses droits au titre de l'indemnité de préavis qui lui était due, soit la somme totale de 10 645 euro.

Elle fait valoir que l'employeur lui a alloué en réalité une indemnité de préavis insuffisante dans la mesure où il a pris en compte de façon erronée dans son calcul des sommes qu'il lui a versées au titre des commissions qui lui étaient dues pour sa période d'activité antérieure et non à titre d'indemnité de préavis.

Elle en conclut que l'employeur lui a seulement réglé à ce titre la somme totale de 2 281,67 euro, soit 1 468,33 euro à titre de salaire fixe et 813,34 euro en janvier 2004 à titre de "compensation perte s/Commissions". Elle réclame en conséquence le solde qu'elle évalue à la somme de 8 362,33 euro.

Il n'est en conséquence pas contesté par les parties que le montant de l'indemnité de préavis due à l'intéressée était de 10 645 euro.

Il n'est de même plus contesté en cause d'appel que le versement effectué par la SAS Merck Médication Familiale France en janvier 2004 de la somme de 813,34 euro correspondait à l'indemnité de préavis, quand bien même ce règlement soit intervenu sous la rubrique erronée de "compensation perte s/Commissions" en raison d'un problème de logiciel SAP qui ne permettait pas de l'enregistrer sous sa rubrique exacte de solde de préavis, celui-ci n'ayant pas été exécuté, ainsi qu'en atteste la responsable du service de paie de la SAS Merck Médication Familiale France.

Le litige porte désormais sur le maintien de la rémunération variable de la salariée pendant sa période de préavis.

Or l'employeur ne contredit pas utilement Mme Luche qui produit des calculs détaillés, corroborés par ses bulletins de paye dont il ressort que la SAS Merck Médication Familiale France lui a réglé effectivement, à titre d'indemnité de préavis, la somme totale de 1 468,33 euro pendant sa période de préavis, complétée par celle de 813,34 euro en janvier 2004.

Les autres sommes que la SAS Merck Médication Familiale France prétend avoir été réglées à la salariée au titre de l'indemnité de préavis apparaissent sur ces mêmes bulletins de paie comme correspondant au règlement de commissions, donc par nature différées car relatives à la période d'activité antérieure au préavis, dont l'intéressée avait été dispensée par l'employeur.

Il sera en conséquence fait droit à la demande de Mme Luche. Le jugement déféré est confirmé de ce chef, la demande de remboursement formée par la SAS Merck Médication Familiale France étant dès lors rejetée.

Sur la rupture du contrat de travail :

Il est constant qu'à la date de la rupture de son contrat de travail, Mme Luche avait la qualification de VRP exclusif au sein de la SAS Merck Médication Familiale France et exerçait son activité sur le secteur du département de l'Essonne, dans le cadre d'un congé parental à temps partiel, à raison de 2,5 jours de travail par semaine, moyennant un salaire mensuel brut qui s'élevait alors à 3 548 euro.

La SAS Merck Médication Familiale France, laboratoire pharmaceutique, commercialise des produits pharmaceutiques et dermocosmétologiques, ainsi que des compléments nutritionnels et des médicaments de phytothérapie dans le cadre de la médecine dite " complémentaire " non soumis donc à délivrance obligatoire d'ordonnances médicales, dans le cadre dit de "l'automédication familiale".

Il ressort des pièces de la procédure que la SAS Merck Médication Familiale France employait à la date de la rupture 72 salariés ayant le statut de VRP sur environ 200 salariés.

Après avoir été régulièrement convoquée à un entretien préalable, il est constant que Mme Luche a été licenciée par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 octobre 2003 pour motif économique.

L'employeur invoquait dans ce courrier le refus opposé par Mme Luche, le 29 juillet 2003, de la proposition de modification de son contrat de travail qu'il lui avait faite le 3 juillet précédent, à savoir le changement de son statut de VRP pour un statut de déléguée pharmaceutique.

La SAS Merck Médication Familiale France rappelait que cette proposition de modification de son contrat de travail était fondée sur "la mise en place d'un nouveau contrat de travail basé notamment sur le passage du statut de délégué pharmaceutique, cadre de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique, et d'un changement de rémunération", conçu "pour anticiper un changement de métier et de rémunération pour sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise".

Elle exposait ainsi que "cette réorganisation de notre force de vente a été rendue nécessaire par la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise sur le marché actuel, qui doit faire face à des contraintes économiques dues à l'évolution de nos clients et de la concurrence qui a déjà anticipé ces changements".

Rappelant "le contexte de la centralisation des pharmaciens au sein d'enseignes, effectuant leurs achats par le biais de plates-formes, au lieu de s'associer au sein de groupements ou de pharmaciens indépendants, l'employeur exposait que cette situation aura deux conséquences majeures : les commandes seront traitées en centrales et seuls les articles référencés au sein de ces centrales pourront être vendus. Cela sera d'autant plus vrai que les adhérents auront une attitude d'appartenance forte aux enseignes".

L'employeur soulignait que "ce phénomène va avoir un impact important pour nos populations commerciales. En effet, ces dernières qui, aujourd'hui prennent les commandes chez chacun de nos clients, ne pourront, à terme, plus le faire puisque les commandes des enseignes seront traitées depuis des centrales d'achat. Par conséquent, ces populations principalement payées à la commission verront leur rémunération progressivement baisser".

La SAS Merck Médication Familiale France invoquait, comme "deuxième modification majeure" à l'origine de cette volonté de changer le statut de ses forces commerciales, la mise en place progressive par le syndicat professionnel de l'industrie pharmaceutique, le LEEM, d'un diplôme de délégué pharmaceutique, au travers d'un "CQP" qui concerne les seuls salariés de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique, et donc non les VRP, tenant compte de l'évolution des métiers de ce secteur, vers "un rôle renforcé, à la fois de promotion et de vente des produits, mais également de ventes des services afin de favoriser le référencement des produits".

L'employeur soulignait enfin l'impossibilité dans laquelle il se trouvait de reclasser l'intéressée à la suite des refus qu'elle avait opposés aux propositions qu'il lui avait faites et qu'il estimait sérieuses.

Mais si la réorganisation de l'entreprise, en l'espèce de sa force de vente dont faisait partie Mme Luche en tant que VRP, telle qu'invoquée par la SAS Merck Médication Familiale France comme motif du licenciement économique de Mme Luche, constitue un motif économique autonome, elle doit être cependant fondée sur la nécessité de prendre des mesures aux fins de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise.

La SAS Merck Médication Familiale France produit aux débats des tableaux, dont il ressort que le nombre de groupements d'achats et les grossistes regroupés en enseignes avec lesquelles les laboratoires pharmaceutiques concluaient des accords, sont effectivement passées d'un nombre limité de 403 enseignes en 2003 à 1210 en 2005.

Elle communique également des éléments sur l'évolution de son chiffre d'affaires par plate forme et dans le cadre de groupements dont il ressort que la proportion de cette forme d'activité s'est accrue de façon très importante, passant, pour la première, de 209 574 euro en 2003, date de la rupture, à 636 854 euro dès l'année suivante, soit une augmentation de 203 %, et pour la seconde, de 6 876 pharmacies regroupées en 1998 à 12 041 en 2004, représentant une augmentation de chiffre d'affaires de 14 138 884 euro à 34 594 783 euro, soit une augmentation de chiffre d'affaires de 144 %.

Mais si ces documents confirment ses affirmations selon lesquelles les pharmacies d'officine ont entamé une évolution consistant à se regrouper autour de plates formes de référencement, dans le cadre du développement des groupements d'achats et grossistes en enseignes, structures concluant des contrats avec certains laboratoires pour obtenir l'exclusivité de distribution de certaines marques au sein de ces groupements, aucun élément probant déterminant ne permet cependant d'établir que les officines indépendantes vers lesquelles était dirigée l'action commerciale des VRP comme Mme Luche étaient en train de disparaître et que le statut de VRP qui était celui de Mme Luche, était incompatible avec cette évolution du marché et ne pouvait pas coexister avec celui de délégué pharmaceutique.

Au contraire, le journal mensuel de la SAS Merck Médication Familiale France publiait en 2005 des chiffres sur son activité dont il ressort que sur 22 900 officines en France à cette date, 19 000 étaient ses clientes directes et 12 000 étaient constituées en groupement. L'employeur précisait dans cet article que "son chiffre d'affaires se partageait ainsi 76 % généré par les pharmacies, 17 % par les grossistes, et 7 % par les parapharmacies".

Cette information donnée plus de deux ans après le licenciement est de nature à contredire l'importance de l'évolution alléguée par l'employeur.

En outre, il convient de relever que si l'employeur souligne qu'outre le rôle traditionnel des équipes commerciales dans la négociation, celles-ci devaient être formées non seulement pour faire face aux nouvelles conditions, dans le cadre des centrales d'achats pour pouvoir assurer le référencement de leurs articles, aucun élément probant ne permet d'établir que la formation déjà assurée aux VRP ne leur permettait pas d'assurer ces nouvelles tâches et méthodes alors qu'il appartenait en tout état de cause à l'employeur d'assurer à Mme Luche l'adaptation nécessaire à l'évolution de son métier.

A cet égard, il n'est pas établi qu'en tant que VRP Mme Luche ne pouvait assumer le nouveau rôle dévolu aux équipes commerciales dans le cadre de l'évolution précitée du marché, à savoir compléter les visites des pharmaciens par un rôle de conseil auprès des officines, en merchandising, ainsi qu'en formation de l'équipe officinale, en faisant sortir les produits pour accélérer le réassort des centrales d'achat.

En effet, la salariée n'est pas utilement contredite lorsqu'elle affirme qu'elle suivait régulièrement des formations, propres à assurer sa mise à niveau, même si elle ne relevait pas d'une catégorie professionnelle concernée par les recommandations du syndicat professionnel de l'industrie pharmaceutique, le LEEM, sur le diplôme spécialisé des délégués pharmaceutiques.

Il convient en outre, à cet égard, de relever qu'à la date de la rupture ces recommandations revêtaient le caractère de projet, le document en cause étant daté de 2004, sans autre précision, et ce, alors que l'activité de la SAS Merck Médication Familiale France recouvre des médicaments pouvant être délivrés sans ordonnance médicale, ne nécessitant en conséquence pas nécessairement la même formation approfondie.

Force est d'autre part de constater que si les documents précités, versés par l'employeur, confirment la réalité de l'évolution de la profession, aucune prévision précise n'est communiquée par l'employeur sur les impacts négatifs de cette évolution sur la rémunération des commerciaux de l'entreprise, et en particulier de la catégorie des VRP à laquelle appartenait Mme Luche. Le seul document produit en ce sens par l'employeur n'est en effet qu'un simple tableau de 4 lignes, effectuant une telle comparaison, sans que l'origine de ce document soit précisée, non plus que les éléments ayant permis de l'établir.

Enfin, aucun élément probant ne permet d'établir que les concurrents de la SAS Merck Médication Familiale France ont eux-mêmes également modifié leur force de vente en adoptant un statut unique de délégué pharmaceutique au lieu de celui de VRP.

En effet, si l'employeur verse aux débats de nombreuses offres de recrutement émanant de laboratoires pharmaceutiques, exerçant leur activité dans le même type de domaine, concernant des médicaments délivrés sans ordonnance, notamment la cosmétologie ou la diététique, dont il ressort que les postes offerts sont constitués dans leur plus grande majorité de postes de délégués pharmaceutiques, force est de constater qu'il reste cependant des offres concernant de simples commerciaux, et en particulier des VRP.

Il résulte de l'ensemble de ces constatations que la nécessité pour l'entreprise d'anticiper l'évolution des métiers commerciaux pour faire face à celle de la concurrence, et donc sauvegarder la compétitivité de l'entreprise n'est pas établie, alors qu'il n'est en outre pas utilement contesté que les résultats de l'entreprise étaient largement bénéficiaires, étant observé que l'employeur ne justifie pas avoir donné à la salariée les éléments d'information qu'elle réclamait dans son courrier du 29 juillet 2003 pour expliciter son refus de cette proposition.

Dans ces conditions, quand bien même il n'est pas contesté que 65 salariés VRP sur 70 ont accepté la modification de statut qui leur était proposée pour devenir délégués pharmaceutiques, et que les différences de statut entraînaient des différences dans la formation, plus développée dans le cadre des délégués pharmaceutiques, compte tenu des recommandations du LEEM, il n'est pas établi que le statut de VRP dont bénéficiait l'intéressée depuis son embauche ne pouvait pas être maintenu, alors que l'employeur n'invoque pas et ne justifie pas, dans la lettre de licenciement, la nécessité d'assurer une harmonisation du statut des commerciaux de l'entreprise.

Dès lors, la réorganisation de la force de vente de la SAS Merck Médication Familiale France par changement de statut, ne constituait pas un motif économique réel et sérieux, justifiant le licenciement de Mme Luche.

Il en résulte que le licenciement de Mme Luche est sans cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré est en conséquence confirmé de ce chef, ainsi que dans son exacte évaluation du préjudice subi par la salariée, eu égard aux éléments communiqués à la cour, notamment sur son salaire, son ancienneté.

Sur l'indemnité de clientèle :

En tant que VRP, Mme Luche, dont il est constant qu'elle n'a pas continué à exercer cette activité, mais est devenue, après formation, préparatrice en pharmacie, a droit à une indemnité ayant pour objet de compenser la perte de la clientèle dont il lui appartient de rapporter la preuve qu'elle l'a créée et développée en nombre et en valeur.

Mais alors qu'il n'est pas contesté que la salariée percevait une partie de sa rémunération sous forme de commissions, et que celles-ci ont subi une augmentation constante, passant de 499,15 euro en 1989, à 13 089 euro en 1990 et à 26 698,47 euro en 2003, ce qui démontre par là-même qu'elle prospectait, avec succès une clientèle, la SAS Merck Médication Familiale France qui s'oppose à sa demande, ne communique aucun élément de nature à établir qu'elle avait mis une liste de clients déjà établie à la disposition de Mme Luche lors de son embauche.

Il n'est dès lors pas utilement contesté par l'employeur que Mme Luche a effectivement créé et développé en nombre et en valeur une clientèle au profit de la SAS Merck Médication Familiale France durant l'exécution de son contrat de travail, la circonstance qu'elle a été en congé de maternité du 27 mai au 15 septembre 2002 et alors remplacée ne devant pas la pénaliser alors que cette période est légalement considérée comme du travail effectif.

Le jugement déféré est en conséquence confirmé ainsi que dans l'exacte évaluation à laquelle il a procédé de ladite indemnité, équivalente à deux ans de commission, eu égard aux éléments communiqués, et en tenant compte de la part prise par la notoriété de l'employeur dans la création et le développement de cette clientèle déduction faite de l'indemnité conventionnelle de licenciement versée à l'intéressée à hauteur de 10 255,54 euro.

Mme Luche forme une demande de remise de différents documents, à savoir relatif au "chiffre d'affaires net facturé par équipe", le CATS actualisé au mois d'octobre 2003 ainsi que les relevés de chiffres d'affaires et du positionnement de l'intéressée au niveau français et par équipe pour les années 2002 et 2003 et ce, sous astreinte de 50 euro par jour à compter de la signification de l'arrêt.

Il y a lieu de la débouter de ces demandes dans la mesure où la salariée ne formule aucun moyen de fait ou de droit à l'appui de ses réclamations, notamment au regard du rappel de commissions ou d'indemnité de préavis qu'elle sollicite et auxquels la présente décision fait partiellement droit.

La SAS Merck Médication Familiale France devra remettre à Mme Luche un certificat de travail conforme à la présente décision, comportant comme dates d'exécution du contrat de travail de l'intéressée, du 9 octobre 1989 au 11 janvier 2004, ainsi qu'une attestation Assedic, rectifiée conformément à la présente décision, sur la durée d'emploi et le rappel de salaires et d'indemnité de préavis qui lui sont alloués.

Les circonstances de la cause et l'équité justifient l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Il y a lieu de condamner la SAS Merck Médication Familiale France à verser à ce titre à Mme Luche la somme de 1 500 euro en cause d'appel.

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne la SAS Merck Médication Familiale France à verser à Mme Luche la somme de 1 500 euro (mille cinq cents euro) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Ordonne à la SAS Merck Médication Familiale France de remettre à Mme Luche un certificat de travail ainsi qu'une attestation Assedic rectifiées conformément à la présente décision, Déboute Mme Luche du surplus de ses demandes, Déboute la SAS Merck Médication Familiale France de ses demandes, La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel.