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Décisions

CJCE, gr. ch., 14 novembre 2006, n° C-513/04

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Kerckhaert, Morres

Défendeur :

Belgische Staat

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Skouris

Présidents de chambre :

MM. Jann, Timmermans, Rosas, Lenaerts, Juhász

Avocat général :

M. Geelhoed

Juges :

MM. Cunha Rodrigues, Arestis, Borg Barthet, Levits, Mme Silva de Lapuerta

Avocats :

Mes De Broe, Wytinck, Gentili, Moore

CJCE n° C-513/04

14 novembre 2006

LA COUR (grande chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 73 B, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 56, paragraphe 1, CE).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant M. Kerckhaert et Mme Morres (ci-après les "époux Kerckhaert-Morres") à la Gewestelijke Directie Antwerpen I (ci-après l'"administration fiscale belge") à propos du refus de cette dernière de leur accorder l'imputation de la quotité forfaitaire d'impôt étranger de 15 % prévue à l'article 19, A, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la convention du 10 mars 1964 entre la Belgique et la France tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur les revenus, telle que modifiée par l'avenant signé le 15 février 1971 (ci-après la "convention franco-belge").

La législation fiscale belge

Le Code des impôts sur les revenus

3 En vertu de l'article 171, paragraphe 3, du Code des impôts sur les revenus (ci-après le "Code des impôts"), les dividendes sont imposables au taux de 25 %.

4 L'article 187 du Code des impôts prévoyait initialement que, en ce qui concerne les revenus d'actions ou parts et de capitaux investis qui avaient été soumis à l'étranger à un impôt sur le revenu, à un impôt des sociétés ou à l'impôt des non-résidents, l'impôt était préalablement diminué d'une quotité forfaitaire de cet impôt étranger.

5 À la suite de modifications législatives, les personnes physiques ne peuvent plus prétendre au bénéfice de cet avoir fiscal lorsqu'elles recueillent des dividendes d'entreprises établies dans un autre État provenant des revenus qui ont déjà été imposés dans cet État au titre de l'impôt sur les revenus, de sorte que ces revenus supportent l'impôt retenu à la source dans ledit État ainsi que l'impôt au taux de 25 % prévu à l'article 171, paragraphe 3, du Code des impôts.

La convention franco-belge

6 La convention franco-belge vise, notamment, à éviter les situations de double imposition qui concernent les prélèvements au titre de l'impôt sur les revenus supportés par une seule et même personne en France et en Belgique.

7 Elle prévoit à son article 15, paragraphe 3:

"Les dividendes payés par une société résidente de la France qui donneraient droit à un avoir fiscal s'ils étaient reçus par des résidents de la France ouvrent droit, lorsqu'ils sont payés à une personne physique résidente de la Belgique, au paiement de l'avoir fiscal après déduction de la retenue à la source calculée au taux de 15 % sur le dividende brut constitué par le dividende mis en distribution augmenté de l'avoir fiscal."

8 Conformément à l'article 19, A, paragraphe 1, de cette même convention, il est prévu que, lorsque des dividendes sont payés par une société résidente de la France à un résident de la Belgique autre qu'une société assujettie à l'impôt des sociétés et que ces dividendes ont effectivement supporté en France la retenue à la source, l'impôt dû en Belgique sur leur montant, net de retenue française, sera diminué, d'une part, du précompte mobilier perçu au taux normal et, d'autre part, de la quotité forfaitaire d'impôt étranger déductible dans les conditions fixées par la législation belge, sans que cette quotité puisse être inférieure à 15 % dudit montant net.

Le litige au principal et la question préjudicielle

9 Les époux Kerckhaert-Morres, qui résident en Belgique, ont perçu au cours des années 1995 et 1996 des dividendes d'Eurofers SARL, établie en France.

10 Une partie des sommes perçues correspondait à l'avoir fiscal, à hauteur de 50 % des dividendes versés, accordé par les autorités fiscales françaises en vertu de l'article 15, paragraphe 3, de la convention franco-belge au titre de la compensation de l'impôt sur les sociétés. Conformément à cette disposition, cet avoir fiscal est assimilé à un revenu de dividende. Les dividendes bruts ont subi en France un prélèvement de 15 % par voie de retenue à la source au titre de l'impôt sur les revenus.

11 Les époux Kerckhaert-Morres ont déclaré avoir perçu d'Eurofers SARL 34 566 204 BEF (856 873,81 euros) et 7 173 702 BEF (177 831,43 euros) au titre, respectivement, des revenus des années 1995 et 1996. Ils ont demandé dans leur déclaration de revenus le bénéfice de l'avantage fiscal prévu à l'article 19, A, paragraphe 1, de la convention franco-belge, correspondant à l'impôt à la source français.

12 Eu égard à la suppression par le législateur belge de cet avantage fiscal, leur demande a été refusée.

13 Estimant que le fait de leur avoir refusé le bénéfice de l'avantage fiscal en cause au principal avait pour effet de soumettre les dividendes d'origine française à une pression fiscale plus lourde que celle exercée sur les dividendes de sociétés établies en Belgique, les époux Kerckhaert-Morres ont saisi le Rechtbank van eerste aanleg te Gent, afin de faire annuler la décision de l'administration fiscale belge rejetant leur demande, en invoquant, notamment, une violation de l'article 73 B, paragraphe 1, du traité.

14 Considérant que le litige pendant devant lui nécessite l'interprétation du droit communautaire, le Rechtbank van eerste aanleg te Gent a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Faut-il interpréter l'article 56, paragraphe 1, CE (article 73 B, paragraphe 1, du traité CE au moment des faits litigieux) en ce sens qu'est interdite une restriction découlant d'une disposition de la législation d'un État membre (en l'espèce la Belgique) relative à l'impôt sur le revenu soumettant dans le chef de l'actionnaire à un seul et même barème uniforme tant les dividendes d'actions des sociétés établies dans cet État membre que les dividendes d'actions de sociétés non établies dans cet État membre, sans admettre toutefois à l'égard des dividendes d'actions de sociétés non établies dans cet État membre d'imputation de l'impôt à la source appliqué dans cet autre État membre?"

Sur la question préjudicielle

15 À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu d'une jurisprudence constante, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire (arrêts du 11 août 1995, Wielockx, C-80-94, Rec. p. I-2493, point 16; du 6 juin 2000, Verkooijen, C-35-98, Rec. p. I-4071, point 32; du 4 mars 2004, Commission/France, C-334-02, Rec. p. I-2229, point 21; du 15 juillet 2004, Lenz, C-315-02, Rec. p. I-7063, point 19, et du 7 septembre 2004, Manninen, C-319-02, Rec. p. I-7477, point 19).

16 Dans les arrêts Verkooijen, Lenz et Manninen, précités, la Cour a considéré que la législation des États membres en cause établissait une différence de traitement entre les revenus issus de dividendes de sociétés établies dans l'État membre de résidence du contribuable concerné et ceux tirés de dividendes de sociétés ayant leur siège dans un autre État membre, déniant aux bénéficiaires de ces derniers dividendes les avantages fiscaux accordés aux autres. Ayant constaté que la situation des contribuables percevant des dividendes de sociétés établies dans un autre État membre n'était pas objectivement différente de celle des contribuables percevant des dividendes de sociétés établies dans l'État membre dont ils sont les résidents, la Cour a estimé que les législations en cause étaient constitutives d'une entrave aux libertés consacrées par le traité.

17 Contrairement au raisonnement soutenu par les époux Kerckhaert-Morres, l'affaire au principal est cependant différente de celles ayant donné lieu aux arrêts précités puisque la législation fiscale belge ne procède à aucune distinction entre les dividendes de sociétés établies en Belgique et ceux de sociétés établies dans un autre État membre, ceux-ci étant imposés, conformément à la loi belge, à un taux identique de 25 % au titre de l'impôt sur le revenu.

18 En outre, il ne saurait être fait droit à l'argument selon lequel, en l'espèce, les actionnaires résidant en Belgique se trouveraient dans une situation différente selon qu'ils perçoivent des dividendes d'une société établie dans ce même État membre ou d'une société établie dans un autre État membre, de sorte que leur traitement identique, à savoir l'application d'un taux unique d'impôt sur le revenu, serait constitutif d'une discrimination.

19 Il est vrai qu'une discrimination peut consister non seulement dans l'application de règles différentes à des situations comparables, mais également dans l'application de la même règle à des situations différentes (voir arrêts du 14 février 1995, Schumacker, C-279-93, Rec. p. I-225, point 30, et du 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland, C-311-97, Rec. p. I-2651, point 26). Toutefois, à l'égard de la législation fiscale de l'État de résidence, la position d'un actionnaire percevant des dividendes ne devient pas nécessairement différente, au sens de cette jurisprudence, du seul fait qu'il perçoit ceux-ci d'une société établie dans un autre État membre qui, dans l'exercice de sa compétence fiscale, soumet ces dividendes à une retenue à la source au titre de l'impôt sur le revenu.

20 Dans des circonstances telles que celles de l'espèce, les conséquences défavorables que pourrait entraîner l'application d'un système d'imposition des revenus tel que le régime belge en cause au principal découlent de l'exercice parallèle par deux États membres de leur compétence fiscale.

21 Il convient de rappeler, à cet égard, que des conventions préventives de la double imposition telles que prévues à l'article 293 CE servent à éliminer ou à atténuer les effets négatifs pour le fonctionnement du marché intérieur découlant de la coexistence de systèmes fiscaux nationaux évoquée au point précédent.

22 Or, le droit communautaire, dans son état actuel et dans une situation telle que celle au principal, ne prescrit pas de critères généraux pour la répartition des compétences entre les États membres s'agissant de l'élimination de la double imposition à l'intérieur de la Communauté. En effet, abstraction faite de la directive 90-435-CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents (JO L 225, p. 6), de la convention du 23 juillet 1990 relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées (JO L 225, p. 10) et de la directive 2003-48-CE du Conseil, du 3 juin 2003, en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts (JO L 157, p. 38), aucune mesure d'unification ou d'harmonisation visant à éliminer les situations de double imposition, n'a été adoptée, à ce jour, dans le cadre du droit communautaire.

23 Par conséquent, il appartient aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour prévenir les situations telles que celle en cause au principal, en utilisant, notamment, les critères de répartition suivis dans la pratique fiscale internationale. C'est en substance la finalité de la convention franco-belge qui procède à une répartition de la compétence fiscale entre la République française et la Royaume de Belgique dans ces situations. Ladite convention ne fait toutefois pas l'objet de la présente demande préjudicielle.

24 Eu égard à l'ensemble de ces considérations, il convient de répondre à la question posée que l'article 73 B, paragraphe 1, du traité ne s'oppose pas à une législation d'un État membre, telle que la législation fiscale belge, qui, dans le cadre de l'impôt sur le revenu, soumet au même taux uniforme d'imposition les dividendes d'actions de sociétés établies sur le territoire dudit État et les dividendes d'actions de sociétés établies dans un autre État membre, sans prévoir de possibilité d'imputation de l'impôt prélevé par voie de retenue à la source dans cet autre État membre.

Sur les dépens

25 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, LA COUR (grande chambre) dit pour droit:

L'article 73 B, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 56, paragraphe 1, CE) ne s'oppose pas à une législation d'un État membre, telle que la législation fiscale belge, qui, dans le cadre de l'impôt sur le revenu, soumet au même taux uniforme d'imposition les dividendes d'actions de sociétés établies sur le territoire dudit État et les dividendes d'actions de sociétés établies dans un autre État membre, sans prévoir de possibilité d'imputation de l'impôt prélevé par voie de retenue à la source dans cet autre État membre.