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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 17 décembre 2008, n° 05-17984

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Billiar Sarrebourg (SA), Billiar Saverne (SA)

Défendeur :

Renault (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fevre

Conseillers :

MM. Roche, Byk

Avoués :

SCP Grappotte Benetreau Jumel, SCP Monin-d'Auriac de Brons

Avocats :

Mes Bertin, Bricogne, SCP Vogel, Vogel

CA Paris n° 05-17984

17 décembre 2008

LA COUR,

Vu le jugement du 30 juin 2005 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a condamné la société Renault à payer à la société Billiar Saverne la somme de 30 000 euro à titre de dommages-intérêts, outre les dépens et 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, les parties étant déboutées du surplus de leurs demandes;

Vu l'appel interjeté par les sociétés Billiar Sarrebourg et Billiar Saverne ainsi que leurs conclusions enregistrées le 8 juillet 2008 et tendant à faire:

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Renault à verser des dommages et intérêts à la société Billiar Saverne au titre du détournement d'une partie substantielle de son réseau d'agents au profit du Groupe Grasser;

- infirmer le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions;

Statuant à nouveau,

- dire que la société Renault a engagé sa responsabilité contractuelle au préjudice des sociétés appelantes en s'abstenant d'exécuter de bonne foi les conventions liant les parties, notamment antérieurement et à l'occasion de l'exécution du préavis de résiliation notifié le 19 juin 2001 à effet du 20 juin 2003;

- dire et juger que ces agissements se trouvent à l'origine d'un préjudice qui s'évalue à hauteur de:

* pour la société Billiar Sarrebourg : 771 417 euro

* pour la société Billiar Saverne : 306 391 euro

- dire que la société Renault a engagé sa responsabilité délictuelle au préjudice des sociétés Billiar en faisant définitivement échec à toute chance d'agrément de celles-ci en qualité de distributeur de véhicules neufs sur les zones de chalandise de Saverne et Sarrebourg ;

En conséquence

- condamner la société Renault à payer en réparation des préjudices subis pour les causes sus-énoncées :

* à la société Billiar Sarrebourg, une somme de 1 273 933,58 euro

* à la société Billiar Saverne une somme de 891 128,86 euro

- dire et juger enfin que la société Renault a une nouvelle fois engagé sa responsabilité délictuelle en entravant indûment de façon totalement discriminatoire leur agrément en qualité de réparateur officiel Renault;

En conséquence:

- en réparation des préjudices subis, condamner la société Renault à payer à titre de dommages et intérêts :

* à la société Billiar Sarrebourg, une somme de 766 509,14 euro

* à la société Billiar Saverne, une somme de 427 620,47 euro

- condamner enfin la société Renault à payer aux sociétés appelantes chacune une somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu, enregistrées le 8 octobre 2008, les conclusions présentées par la société Renault et tendant à l'infirmation du jugement en ce qu'il a prononcé des condamnations à son encontre ainsi qu'au débouté de l'ensemble des demandes des appelantes, outre leur condamnation solidaire à lui verser 6 000 euro au titre des frais hors dépens ;

Vu les conclusions de procédure présentées par la société Renault, le 14 octobre 2008, et tendant au rejet des débats de l'itérative sommation de communiquer régularisée le 7 octobre 2008 et des pièces 96 et 97 communiquées le jour de l'ordonnance de clôture;

Vu les conclusions en réponse présentées le même jour par les appelantes et tendant au débouté des demandes de rejet formées par l'intimée ;

Sur les conclusions de procédure présentées par la société Renault

Considérant que lors de l'audience de mise en état du 8 octobre 2008, la société Renault ne s'est pas opposée au prononcé de l'ordonnance et n'a nullement réclamé son report de clôture ; qu'elle ne saurait, par suite, exiger désormais le rejet des débats des pièces communiquées à cette date ; que la sommation de communiquer du 7 octobre 2008 ne saurait davantage être écartée des débats dès lors qu'il s'agit d'une sommation itérative qui ne fait que réitérer de précédentes sommations des 25 et 26 juin 2008 pour lesquelles l'intimée avait disposé de plusieurs mois à fin d'y faire éventuellement droit;

Au fond

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les sociétés Billiar Sarrebourg et Billiar Saverne, dont le dirigeant social était Monsieur Billiar, étaient, chacune, titulaire d'un contrat de concession exclusive conclu avec la société Renault pour une durée indéterminée lorsque cette dernière leur a fait part, en juin 1999, de son désir de procéder à la restructuration de son réseau et de mettre ainsi un terme à leurs relations commerciales ; que, toutefois, les négociations alors engagées par la société Billiar Sarrebourg et Billiar Saverne à l'effet de céder leur fonds à deux éventuels repreneurs constitués par les sociétés Grasser et Bader ne purent aboutir et que la société Renault notifia aux intéressées, par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 juin 2001, la résiliation de leur contrat de concession afférents aux territoires de Sarrebourg et Saverne et ce avec un préavis de 24 mois conformément à l'article 14-1 des conventions ; que, parallèlement au déroulement de la période de préavis, la Commission européenne devait publier, courant juillet 2002, un nouveau règlement d'exemption n° 1400-2002, lequel succédait au précédent règlement n° 1475-95 qui restait applicable aux contrats en cours jusqu'au 30 septembre 2003 ; que contestant tant les conditions d'exécution du préavis de résiliation des contrats susmentionnés que la privation de toute possibilité d'agrément en qualité de distributeur de véhicules neufs les sociétés Billiar Sarrebourg et Billiar Saverne ont, par acte du 2 décembre 2002, assigné la société Renault en dommages et intérêts devant le Tribunal de commerce de Paris ; que c'est dans ces conditions de fait et de droit qu'est intervenu le jugement susvisé présentement déféré;

Considérant, que les sociétés appelantes reprochent en premier lieu à la société Renault " des manquements à son obligation de bonne foi précontractuelle à l'occasion de l'exécution du préavis de résiliation "; que si elles soutiennent à cet effet avoir été victimes d'actes de débauchage de leur personnel de la part des sociétés Bader et Grasser, actes se traduisant par des " départs touchant les postes-clé des concessions " ainsi que par " un pillage de leurs forces vives ", et si elles en infèrent " le caractère fautif des abstentions délibérées d'intervention " de l'intimée, il convient tout d'abord de relever que le préavis contractuel de deux ans qui, en l'espèce, a été respecté est de nature à permettre aux sociétés concessionnaires d'organiser leur reconversion, notamment en recherchant un repreneur à leur fonds ; qu'aucune obligation d'assistance de concessionnaire en vue de sa reconversion ne pèse sur le concédant; qu'ainsi la société Renault ne pouvait être partie aux négociations de cession engagées par les appelantes et n'avait pas à y intervenir ; que, par suite, ces dernières ne sauraient utilement imputer à l'intimée de s'être " soudainement retranchée derrière un principe de non-immixtion dans les négociations "; que les sociétés Billiar Sarrebourg et Billiar Saverne ne peuvent davantage, et non sans contradiction, reprocher à la société Renault un quelconque fait caractérisé démonstratif d'une éventuelle implication dans le débauchage allégué de leurs salariés ou dans le prétendu détournement de leur clientèle ; qu'il sera, au demeurant, observé que les appelantes n'ont jamais appelé dans la présente cause les sociétés Bader et Grasser et n'ont pas, non plus, engagé à leur encontre une action en concurrence déloyale fondée sur les faits dont elle font présentement état et dont elles prétendent que la société Renault aurait été " complice "; qu'en tout état de cause l'existence de manœuvres déloyales ne peut résulter de la seule constatation de l'embauche par un concurrent, de plusieurs salariés d'une autre entreprise; qu'en l'occurrence, et au-delà des affirmations non corroborées des appelantes, il n'existe nulle trace de démarche particulière tendant à persuader les salariés et agents concernés de quitter leur employeur ni aucune preuve d'une volonté établie et concertée entre la société Renault et les sociétés Bader et Grasser de permettre la désorganisation de l'exploitation des concessions considérées ; que, plus généralement, si les sociétés Billiar Saverne et Billiar Sarrebourg indiquent que la " société Renault n'a pas hésité à cautionner l'action de prospection active " de ses agents " par le Groupe Grasser ", elles ne démontrent aucunement par les documents pièces produites et les explications fournies, l'existence d'un tel " cautionnement " ni celle d'une " prospection " qui serait fautive ;

Considérant, par ailleurs que les appelantes prétendent également que l'intimée leur aurait imposé, à partir de 2001, des objectifs de ventes annuels de véhicules neufs et pièces de recharge irréalistes " ne leur permettant pas de dégager une rentabilité comparable à celle dégagée au cours des exercices ayant précédé la mise en place de la réorganisation locale de réseau "; que, toutefois, s'agissant des véhicules neufs, il ressort des pièces du dossier d'une part, que les objectifs de vente annuels imputés aux sociétés Billiar Sarrebourg et Billiar Saverne ont diminué d'une année sur l'autre (les objectifs fixés pour 2002 étant inférieur à ceux fixés pour 2001, eux-mêmes inférieurs à ceux fixés pour 2000), d'autre part, que le pourcentage affecté à ces deux concessionnaires au regard des objectifs fixés par la Direction Régionale de Nancy a également diminué au cours de ces mêmes années (les objectifs cumulés proposés aux appelantes, après avoir représenté 2,29 % des objectifs de vente de l'ensemble des concessionnaires relevant de la Direction Régionale de Nancy pour l'année 2000, ont été réduit à 2,25 % en 2001, puis à 2,24 % en 2002) ; qu'au surplus il sera souligné que ces objectifs, eux-mêmes en baisse, n'étaient pas " surdimensionnés " au regard des résultats de vente des années précédentes, les objectifs de vente alloués à la concession de Sarrebourg de 1998 à 2000 ayant même été arrêtés à un niveau inférieur à celui des ventes effectives des années précédentes ; que, de même, concernant les pièces de rechange, les objectifs impartis aux appelantes pour les années 2001 et 2002 étaient en baisse par rapport à ceux fixés pour l'année 2000 bien que ceux imposés globalement à la direction régionale de Nancy étaient en hausse ; qu'ainsi les objectifs présentement critiqués par les sociétés Billiar Sarrebourg et Billiar Saverne n'étaient en eux-mêmes, entachés ni d'irrationalité économique ni de discrimination à leur encontre; qu'enfin, et surtout, les intéressés se sont abstenus pendant toute la durée de leur contrat de concession de contester les objectifs litigieux et d'user des voies de droit conventionnellement prévues à l'effet de permettre de saisir un tiers expert aux fins d'apprécier leur réalisme ainsi que leur viabilité commerciale ;

Considérant que les appelantes font en deuxième lieu grief à la société Renault d'avoir " illégalement fait obstacle à l'entrée en vigueur du règlement CE 1400-2002 sur les zones de chalandise de Sarrebourg et Saverne à compter du 20 juin 2003 " et d'avoir " fait échec à toute possibilité " pour elles " d'être agréées en qualité de distributeur de véhicules neufs et de réparateur au terme d'une procédure d'agrément impartiale mise en place en temps utile "; que si les sociétés Billiar Sarrebourg et Billiar Saverne en concluent qu'il " appartenait à la société Renault de mettre en place les systèmes de distribution sélective pour lesquels elle avait opté de façon généralisée dans le cadre de l'application du règlement CE 1400-2002 dès le 20 juin 2003 sur les zones de chalandise de Sarrebourg et Saverne ", il échet cependant de souligner que le réseau sélectif de distribution de véhicules neufs n'a été mis en œuvre par l'intimée que le 1er octobre 2003 ; que jusqu'à cette date, aucun nouveau contrat de distribution ou de réparation n'a été signé, les contrats de concession en cours se poursuivant jusqu'à la fin de leur préavis sans être renouvelés ou remplacés avant le 1er octobre 2003; que surtout, si les appelantes ont effectivement sollicité le 13 mars 2003, auprès de l'intimée, la communication des critères qualitatifs de sélection pour devenir distributeur de véhicules neufs et si ceux-ci leur ont été communiqués le 3 avril 2003, ce qui démontre qu'aucune rétention d'information ne peut être imputée à la société Renault à ce titre, elles n'ont néanmoins jamais expressément et formellement demandé à devenir distributeurs et à être agréées en cette qualité avant la date du 20 juin 2003 dont précisément elles excipent; qu'elles ne démontrent pas davantage avoir à cette dernière date satisfait aux critères requis pour accéder au statut de distributeur; qu'en tout état de cause le règlement n° 1400-2002 dont se prévalent les appelantes n'établit pas de prescriptions contraignantes de nature à avoir pour effet ou pour objet d'obliger un acteur économique à contracter avec un tiers déterminé ; que les sociétés Billiar Sarrebourg et Saverne ne sauraient, donc, en aucune façon se fonder sur ce texte pour obliger la société Renault à signer avec elles un contrat pour un réseau sélectif qui de toute façon n'existait pas avant le 1er octobre 2003 ; que, de même, la régularité au regard des dispositions du droit communautaire des contrats de concession dont disposaient les sociétés Bader et Grasser est sans influence sur l'appréciation des conditions d'agrément des appelantes en qualité de distributeur et sur celle de l'éventuelle faute qu'aurait commise l'intimée à leur encontre ; qu'est également inopérante au regard du présent contentieux la critique faite quant à l'imprécision de la limite quantitative du réseau de distribution de véhicules neufs Renault après le 1er octobre 2003 dès lors qu'il appartient au seul fournisseur de décider de l'opportunité de la dimension de son réseau en exerçant sa liberté propre d'opérateur économique;

Considérant que si les sociétés Billiar Sarrebourg et Billiar Saverne, font, en troisième lieu, reproche à la société Renault d'avoir retardé l'instruction de leur demande d'agrément en qualité de réparateur et de les " avoir gratifiées d'une application particulièrement stricte et rigoureuse des critères de sélectivité " et si elles en déduisent avoir été victimes de " pratiques éminemment discriminatoires " au profit des sociétés Grasser et Bader, l'audit réalisé par l'AFAQ les 9 et 10 septembre 2003 a révélé qu'à cette date les intéressées ne remplissaient pas les critères requis et, par courriers des 25 et 26 septembre suivant, la société Renault les a informées ne pouvoir " en l'état donner une suite favorable à leur candidature à l'entrée dans le réseau Renault en tant que réparateur agréé " ; que deux nouveaux audits effectués le 12 novembre 2003 ont révélé que certaines non-conformités subsistaient au regard des critères de sélection; qu'ainsi le refus d'agrément de la part de la société Renault avant décembre 2003 démontre aucune discrimination vis-à-vis des appelantes mais ne fait que traduire la simple mise en œuvre des critères objectifs préétablis de sélection applicables à tous les candidats sans qu'aucune exception ne puisse être faite entre eux ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'en l'absence de toute faute de la part de la société Renault tant dans l'exécution du préavis de résiliation des contrats de concession des appelantes que dans la mise en œuvre des contrats de distributeur et réparateur agréé à compter du 1er octobre 2003 les sociétés Billiar Sarrebourg et Billiar Saverne ne peuvent qu'être déboutées de l'ensemble de leurs prétentions indemnitaires ; qu'il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement en ses dispositions non contraires au présent arrêt, de l'infirmer en ce qu'il a condamné la société Renault à payer à la société Billiar Saverne la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts, les dépens de l'instance ainsi que 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et statuant à nouveau de ces chefs, de rejeter l'intégralité des demandes des sociétés Billiar Sarrebourg et Billiar Saverne;

Considérant qu'il est équitable de ne pas prononcer de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, Déboute la société Renault de son incident de procédure tendant au rejet des débats de l'itérative sommation de communiquer du 7 octobre 2008 ainsi que des pièces 96 et 97 des appelantes. Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SAS Renault à payer à la SA Billiar Saverne la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts les dépens de l'instance ainsi que 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Le confirme en ses dispositions non contraires au présent arrêt. Déboute les sociétés Billiar Sarrebourg et Billiar Saverne de l'intégralité de leurs demandes. Les condamne solidairement aux entiers dépens de première instance et d'appel avec, pour ces derniers droit de recouvrement direct au profit de la SCP Monin-d'Auriac de Brons, avoué.