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Décisions

TPICE, président, 3 mai 2007, n° T-12/07 R

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Polimeri Europa SpA

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vesterdorf

Avocats :

Mes Siragusa, Moretti, Nascimbene

TPICE n° T-12/07 R

3 mai 2007

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Cadre juridique

1 Le cadre juridique de cette affaire concerne, premièrement, le règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO L 1, p. 1), et, deuxièmement, le règlement (CE) n° 773-2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO L 123, p. 18).

1. Règlement n° 1-2003

2 L'article 8 du règlement n° 1-2003, intitulé " Mesures provisoires ", dispose :

" 1. Dans les cas d'urgence justifiés par le fait qu'un préjudice grave et irréparable risque d'être causé à la concurrence, la Commission, agissant d'office, peut, par voie de décision et sur la base d'un constat prima facie d'infraction, ordonner des mesures provisoires.

2. Une décision prise en application du paragraphe 1 est applicable pour une durée déterminée et est renouvelable dans la mesure où cela est nécessaire et opportun. "

3 L'article 9 du règlement n° 1-2003, intitulé " Engagements ", dispose :

" 1. Lorsque la Commission envisage d'adopter une décision exigeant la cessation d'une infraction et que les entreprises concernées offrent des engagements de nature à répondre aux préoccupations dont la Commission les a informées dans son évaluation préliminaire, la Commission peut, par voie de décision, rendre ces engagements obligatoires pour les entreprises. La décision peut être adoptée pour une durée déterminée et conclut qu'il n'y a plus lieu que la Commission agisse.

2. La Commission peut rouvrir la procédure, sur demande ou de sa propre initiative :

a) si l'un des faits sur lesquels la décision repose subit un changement important ;

b) si les entreprises concernées contreviennent à leurs engagements, ou

c) si la décision repose sur des informations incomplètes, inexactes ou dénaturées fournies par les parties. "

4 L'article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003 prévoit :

" La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d'entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence :

[...]

b) elles contreviennent à une décision ordonnant des mesures provisoires prises au titre de l'article 8, ou

c) elles ne respectent pas un engagement rendu obligatoire par décision en vertu de l'article 9. "

5 L'article 27 du règlement n° 1-2003, intitulé " Audition des parties, des plaignants et des autres tiers ", prévoit, au paragraphe 3, ce qui suit :

" Si la Commission le juge nécessaire, elle peut également entendre d'autres personnes physiques ou morales. Si des personnes physiques ou morales justifiant d'un intérêt suffisant demandent à être entendues, il doit être fait droit à leur demande. Les autorités de concurrence des États membres peuvent également demander à la Commission d'entendre d'autres personnes physiques ou morales. "

2. Règlement n° 773-2004

6 L'article 5, paragraphe 1, du règlement n° 773-2004, intitulé " Recevabilité des plaintes ", est libellé comme suit :

"1. Les personnes physiques ou morales doivent faire valoir un intérêt légitime pour être habilitées à déposer une plainte aux fins de l'article 7 du règlement [...] n° 1-2003.

Une telle plainte doit contenir les informations prévues au formulaire C figurant à l'annexe. La Commission peut lever cette obligation pour une partie des informations, y compris les documents, prévues au formulaire C. "

7 L'article 6, intitulé " Participation des plaignants à la procédure ", prévoit :

" 1. Lorsque la Commission adresse une communication des griefs relative à une affaire au sujet de laquelle elle a été saisie d'une plainte, elle fournit au plaignant une copie de la version non-confidentielle de la communication des griefs et lui impartit un délai pour faire connaître son point de vue par écrit.

2. La Commission peut, le cas échéant, donner aux plaignants qui en font la demande dans leurs observations écrites l'occasion d'exprimer leur point de vue lors de l'audition des parties auxquelles une communication des griefs a été adressée. "

8 L'article 8, paragraphe 2, est rédigé en ces termes :

" Les documents auxquels le plaignant a eu accès dans le cadre de procédures menées par la Commission en application des articles 81 [CE] et 82 [CE] ne peuvent être utilisés par le plaignant qu'aux fins de procédures judiciaires ou administratives ayant pour objet l'application de ces dispositions du traité. "

Antécédents du litige

9 La requérante est une entreprise productrice de caoutchouc butadiène et de caoutchouc styrène-butadiène fabriqué par polymérisation en émulsion, deux produits utilisés notamment pour la fabrication des pneumatiques. La Manufacture française de pneumatiques Michelin (ci-après " Michelin ") est l'un des principaux acquéreurs de ces produits.

10 La procédure engagée dans l'affaire COMP/F/38.638 (caoutchouc butadiène et caoutchouc styrène-butadiène fabriqué par polymérisation en émulsion) (ci-après l'" affaire caoutchouc ") a été formellement ouverte le 8 juin 2005 par l'envoi aux entreprises impliquées dans cette procédure d'une communication des griefs à laquelle la requérante a répondu le 28 septembre 2005 (ci-après la " première communication des griefs "). Le 21 octobre 2005, la Commission a informé les entreprises destinataires de la première communication des griefs de la nécessité d'approfondir son enquête et les a invitées à transmettre une version non confidentielle de leurs observations relatives à la première communication des griefs.

11 Le 3 novembre 2005, Michelin, après avoir eu connaissance de l'ouverture de la procédure par le biais des communiqués de presse faisant suite à l'envoi de la première communication des griefs, a demandé à la Commission de se voir octroyer le droit d'obtenir une version non confidentielle de la communication des griefs, celui d'accéder au dossier de la Commission, celui de présenter des observations écrites et celui de participer à la procédure orale qui se tiendrait dans cette affaire.

12 Par lettre du 22 novembre 2005, le conseiller-auditeur a informé Michelin que, " la Commission n'ayant pas été saisie d'une plainte formelle étayée [...] et n'ayant par conséquent pris aucune décision d'acceptation d'une telle plainte, Michelin ne saurait être admis[e] à participer à la procédure en qualité de plaignant[e] ". Le conseiller-auditeur concluait néanmoins que Michelin avait justifié d'un intérêt suffisant pour être entendue en qualité de tiers intéressé au sens de l'article 27, paragraphe 3, du règlement n° 1-2003.

13 Le 23 novembre 2005, la Commission a communiqué la nature et l'objet de la procédure à Michelin, laquelle, à compter de cette date, a participé en qualité de tiers intéressé.

14 Michelin a communiqué ses observations écrites le 13 janvier 2006 et a informé la Commission des prix payés à ses propres fournisseurs de caoutchouc butadiène et caoutchouc styrène-butadiène durant la période allant de 1993 à 1996, précisant notamment avoir constaté, durant la période allant de 1995 à 1996, une augmentation anormale, substantielle et générale de ces prix.

15 Le 6 avril 2006, dans le cadre de l'affaire caoutchouc, la Commission a adopté une seconde communication des griefs (ci-après la " seconde communication des griefs ").

16 Le 12 mai 2006, Michelin a déposé une plainte formelle au sens de l'article 5 du règlement n° 773-2004.

17 Le 22 juin 2006 s'est tenue au sein de la Commission l'audition finale des parties impliquées, à laquelle a également participé Michelin en qualité de tiers intéressé à la procédure.

18 Le 11 juillet 2006, la Commission a informé la requérante de " la possibilité de fournir à un tiers l'accès à la version non confidentielle de la [seconde] communication des griefs ". À cette fin, elle a demandé à la requérante de spécifier, dans la seconde communication des griefs, les différents secrets d'affaires et autres informations confidentielles ne pouvant être communiqués à des tiers.

19 Par lettre du 12 août 2006, la requérante a fait part de son opposition ferme à ce que Michelin, immédiatement identifiée comme le tiers intéressé à la procédure auquel la Commission entendait faire référence, puisse avoir accès à la nouvelle communication des griefs dans sa version non confidentielle. La requérante s'est néanmoins conformée à la demande de la Commission en lui faisant parvenir une version non confidentielle de la seconde communication des griefs.

20 Le 24 octobre 2006, la Commission a informé la requérante qu'une version non confidentielle de la seconde communication des griefs, qui avait été " préparée dans l'optique de sa transmission à un tiers ", intégrait les demandes de confidentialité présentées. Dans le même courrier, la Commission invitait la requérante à exprimer ses éventuelles objections sur le caractère adéquat des passages qualifiés de confidentiels.

21 Par lettre du 27 octobre 2006, la Commission a exigé de Michelin, pour faire droit à sa demande, d'obtenir copie de la version non confidentielle de la seconde communication des griefs, le respect, par le moyen d'une " déclaration de confidentialité " à signer, de l'engagement de ne pas utiliser la seconde communication des griefs en dehors du contexte de la procédure ouverte dans l'affaire caoutchouc.

22 Par lettre du 6 novembre 2006 portant le numéro d'enregistrement COMP/F2/D (2006) 1095 (ci-après la " décision litigieuse "), la Commission a fait parvenir à Michelin une version provisoire de la seconde communication des griefs.

23 Faisant suite à une lettre de la requérante adressée à la Commission en date du 3 novembre 2006 signalant que l'une de ses demandes de confidentialité n'avait pas été prise en compte, la Commission lui a fait savoir, par message électronique du 8 novembre 2006, qu'elle avait accepté ses demandes visant à ce que soit préservé le caractère confidentiel de certaines informations contenues dans la communication des griefs.

24 Par le même message électronique, la Commission a informé la requérante que Michelin s'était vu reconnaître le statut de " plaignant[e] ", ce qui l'autorisait donc, en vertu de l'article 6 du règlement n° 773-2004, à recevoir une copie de la version non confidentielle révisée de la seconde communication des griefs.

25 Le 9 novembre 2006, la requérante a saisi le conseiller-auditeur en sollicitant son intervention immédiate en vue de suspendre à titre provisoire la transmission de la version non confidentielle de la seconde communication des griefs. Elle invoquait l'illégalité tant formelle que substantielle de cette décision.

26 Le 10 novembre 2006, la transmission de la version non confidentielle de la seconde communication des griefs a été effectuée, après que les services de la Commission et le conseiller-auditeur ont considéré qu'il n'y avait pas motif à en suspendre l'exécution.

27 Le 29 novembre 2006, la Commission a adopté la décision mettant un terme à la procédure engagée dans l'affaire caoutchouc, dans laquelle elle avait constaté que l'entreprise commune constituée par Eni SpA et la requérante avait participé, du 20 mai 1996 au 28 novembre 2002, à une infraction à l'article 81 CE.

Procédure et conclusions des parties

28 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 janvier 2007, la requérante a formé un recours en annulation contre la décision litigieuse sur le fondement de l'article 230, quatrième alinéa, CE.

29 Par acte séparé déposé au greffe le même jour, la requérante a présenté une demande visant au prononcé de mesures provisoires sur le fondement de l'article 243 CE et des articles 104 et suivants du règlement de procédure du Tribunal.

30 Par acte déposé au greffe le 5 février 2007, la Commission a présenté ses observations sur la demande en référé.

31 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Président du Tribunal :

- enjoindre à la Commission d'imposer à Michelin, y compris sous peine de sanction, de n'utiliser, en aucune façon et pour quelque but que ce soit, les informations contenues dans la version non confidentielle de la seconde communication des griefs, adoptée dans le cadre d'une procédure engagée au titre de l'article 81 CE et de l'article 53 de l'accord EEE dans l'affaire caoutchouc et transmise à ladite société à la suite de la décision litigieuse, communiquée à la requérante par lettre datée du 10 novembre 2006 ;

- ordonner à la Commission de transmettre à Michelin une copie de l'ordonnance statuant sur les mesures provisoires ;

- ordonner toute autre mesure jugée nécessaire par le Président du Tribunal ;

- condamner la Commission aux dépens.

32 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Président du Tribunal :

- rejeter la demande de mesures provisoires ;

- condamner la requérante aux dépens.

En droit

33 En vertu des articles 242 CE et 243 CE, d'une part, et de l'article 225, paragraphe 1, CE, d'autre part, le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

34 L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes de mesures provisoires doivent spécifier l'objet du litige, les circonstances établissant l'urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue (fumus boni juris) l'octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l'une d'elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence.

35 En outre, dans le cadre de cet examen d'ensemble, le juge des référés dispose d'un large pouvoir d'appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l'espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l'ordre de cet examen, dès lors qu'aucune règle de droit communautaire ne lui impose un schéma d'analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du Président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C-149-95 P(R), Rec. p. I-2165, point 23, et du 17 décembre 1998, Emesa Sugar/Commission, C-364-98 P(R), Rec. p. I-8815, point 44].

36 Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu'il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de mesures provisoires, sans qu'il soit utile d'entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

37 En l'espèce, il convient tout d'abord d'examiner les allégations d'irrecevabilité de la Commission ayant trait à la demande en référé.

Arguments des parties

38 La Commission fait valoir que la demande est irrecevable dans son ensemble dans la mesure où les différentes conclusions visant à l'octroi des mesures provisoires sollicitées par la requérante sont irrecevables.

39 S'agissant, en premier lieu, de la conclusion de la requérante visant à ce qu'il soit ordonné à la Commission d'imposer à Michelin de n'utiliser en aucune façon et pour quelque but que ce soit les informations contenues dans la seconde communication des griefs, également sous peine de sanctions, la Commission excipe de son irrecevabilité et avance trois arguments à cet égard.

40 Premièrement, la mesure demandée constituerait, en réalité, une injonction adressée à un tiers à la présente procédure, en l'occurrence Michelin. Selon la Commission, les mesures provisoires ne sont recevables que si elles se situent dans le cadre de la décision finale susceptible d'être prise par le Tribunal et concernent les rapports entre les parties, en l'espèce, la requérante et la Commission. Les demandes visant à obtenir des injonctions à l'égard de tiers ne relèveraient donc pas de la compétence du juge des référés.

41 Deuxièmement, la Commission soutient qu'elle ne peut se prévaloir d'aucun fondement juridique et ne dispose donc d'aucune compétence pour adresser une injonction de ne pas faire à Michelin. En l'absence, notamment, d'un engagement pris volontairement par Michelin, la Commission ne pourrait soumettre la transmission de la communication des griefs à l'obligation de ne pas s'en servir dans une procédure, même nationale, d'application de l'article 81 CE, dans la mesure où cette utilisation est expressément autorisée à l'article 8, paragraphe 2, du règlement n° 773-2004. Dans la mesure où le juge communautaire ne saurait ordonner des mesures manifestement illégales, la Commission pourrait encore moins adopter des sanctions, qui constitueraient alors une violation manifeste du principe fondamental de légalité des peines. La requérante n'invoquerait d'ailleurs aucune disposition attribuant à la Commission pareille compétence.

42 Troisièmement, la conclusion serait irrecevable pour défaut d'intérêt à obtenir la mesure sollicitée. Selon la Commission, une demande de mesures provisoires doit être rejetée si elle n'a pas pour effet de modifier la situation de la requérante et ne présente pas, de ce fait, d'utilité pratique pour elle. En l'espèce, la mesure sollicitée par la requérante ne ferait que confirmer l'engagement déjà pris par Michelin dans la déclaration de confidentialité transmise à la Commission le 27 octobre 2006. Le seul élément supplémentaire sollicité par la requérante serait l'imposition de sanctions à Michelin en cas de violation de cet engagement, ce qui, selon la Commission, serait illégal et ne pourrait donc être ordonné par le juge des référés. La mesure sollicitée par la requérante ne modifierait donc pas sa situation juridique et la demande serait, pour ce motif également, irrecevable.

43 S'agissant, en deuxième lieu, de la conclusion qui invite le juge des référés à ordonner " toute autre mesure jugée nécessaire ", elle serait irrecevable dans la mesure où la demande serait totalement indéterminée, vague et imprécise.

44 S'agissant, en troisième lieu, de la conclusion visant à ce que le juge des référés ordonne à la Commission de transmettre à Michelin une copie de l'ordonnance de référé à rendre, elle présenterait un caractère accessoire par rapport aux autres demandes. Pour autant que les autres demandes seraient déclarées irrecevables, cette conclusion serait également irrecevable, tout comme la demande en référé dans son intégralité.

45 Par ailleurs, bien que la Commission n'estime pas nécessaire de présenter d'observations détaillées sur la recevabilité du recours au principal, elle déclare se réserver de soutenir, dans le cadre de la procédure au principal, que ce recours est irrecevable dans la mesure où, selon la Commission, d'une part, il a été fait droit, au cours de la procédure administrative, à toutes les demandes de traitement confidentiel présentées par la requérante à propos des informations susceptibles de constituer des secrets d'affaires et, d'autre part, la plaignante était en droit de recevoir une copie de la version non-confidentielle de la seconde communication des griefs.

46 Pour sa part, la requérante soutient que sa demande en référé est recevable et expose les arguments qui démontreraient la recevabilité de son recours au principal.

47 Elle soutient, tout d'abord, que, bien que s'inscrivant dans le cadre d'une procédure d'infraction à l'article 81 CE, la décision litigieuse produit des effets juridiques autonomes au sens de l'article 230, premier et quatrième alinéas, CE et par conséquent, conformément à une jurisprudence communautaire constante sur ce point, est susceptible de recours. La jurisprudence communautaire consacrerait en effet le caractère attaquable de la mesure permettant au tiers plaignant d'avoir accès à des documents à caractère confidentiel, dont, notamment, la communication des griefs.

48 En outre, elle conserverait un intérêt à agir quand bien même la mesure de la Commission ayant autorisé l'accès au document litigieux a déjà été exécutée, puisque l'annulation d'une telle décision est susceptible, par elle-même, d'avoir des conséquences juridiques, notamment en évitant le renouvellement d'une telle pratique de la part de la Commission et en rendant illégale l'utilisation des documents irrégulièrement communiqués.

Appréciation du juge des référés

Sur la recevabilité de la demande visant à ce qu'il soit ordonné à la Commission d'imposer une obligation de ne pas faire à Michelin, y compris sous peine de sanctions

49 Il convient, à titre liminaire, de relever que l'objet de cette demande est double. Par sa demande, la requérante vise en effet, en premier lieu, à obtenir qu'il soit ordonné à la Commission d'imposer à Michelin de n'utiliser en aucune façon et pour quelque but que ce soit les informations contenues dans la seconde communication des griefs transmise avec la décision litigieuse et, en second lieu, à ce qu'il soit ordonné à la Commission de prévoir des sanctions et, le cas échéant, de les infliger à Michelin, si cette dernière manquait à cette obligation.

50 En ce qui concerne, en premier lieu, la mesure sollicitée qui vise à ce qu'il soit ordonné à la Commission de prévoir des sanctions et, le cas échéant, de les infliger à Michelin si cette dernière manquait à l'obligation de n'utiliser en aucune façon et pour quelque but que ce soit les informations contenues dans la seconde communication des griefs, il est manifeste que la Commission ne dispose pas d'un tel pouvoir. Les effets juridiques de l'annulation de la décision litigieuse et des mesures que la Commission serait tenue de prendre ne pourraient inclure des sanctions d'une quelconque nature à l'égard de Michelin. En outre, faire droit à cette mesure provisoire reviendrait, en réalité, à ce que le juge des référés ordonne à la Commission d'imposer des sanctions à une partie tierce à la procédure sans que celle-ci ait pu exercer ses droits à la défense. Or, comme le fait valoir à juste titre la Commission, les mesures provisoires sollicitées ne doivent pas avoir pour effet d'imposer aux institutions un comportement ne ressortissant pas de leur compétence (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du Président du Tribunal du 21 octobre 1996, Pantochim/Commission, T-107-96 R, Rec. p. II-1361, points 37 et 38).

51 Pour ce qui est, en second lieu, de la mesure sollicitée visant à obtenir qu'il soit ordonné à la Commission d'imposer à Michelin de n'utiliser en aucune façon et pour quelque but que ce soit les informations contenues dans la communication des griefs transmise avec la décision litigieuse, celle-ci vise à imposer à Michelin, partie tierce à la présente procédure, une obligation d'ordre général, même si l'objet de cette demande est, en fait, plus restreint, comme il ressort des arguments exposés par la requérante dans sa demande en référé, et ne vise, en réalité, qu'à empêcher Michelin d'utiliser ces informations au cours de procédures judiciaires.

52 Or, le juge des référés ne saurait ordonner à la Commission des mesures visant à ce qu'elle adresse des injonctions à un tiers, dès lors que celles-ci se situent manifestement en dehors des compétences qui ont été reconnues à cette dernière dans la procédure administrative prévue par le règlement n° 1-2003 et le règlement n° 773-2004 (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du Président du Tribunal du 11 juillet 2002, Lormines/Commission, T-107-01 R et T-175-01 R, Rec. p. II-3193, point 61).

53 En l'espèce, force est de constater que la Commission ne possède ni la compétence d'imposer à un plaignant qui a obtenu copie d'une version non confidentielle d'une communication des griefs de ne pas l'utiliser à d'autres fins que la procédure pour laquelle il a obtenu cet accès à l'information ni a fortiori celle de lui imposer des sanctions en cas de manquement à cette obligation. En effet, seuls les articles 8 et 9 du règlement n° 1-2003 lus en combinaison avec l'article 23, paragraphe 2, sous b) et c), du règlement n° 1-2003 pourraient tendre à accorder une telle compétence à la Commission. Ils donnent, en effet, à la Commission, le pouvoir d'adopter des mesures provisoires ou de demander des engagements à des entreprises ainsi que celui d'imposer des sanctions en cas de manquement à ces règles. Cependant, ces articles ne sont applicables que, pour ce qui est de l'article 8 du règlement n° 1-2003, sur la base d'un constat prima facie d'infraction et lorsqu'un préjudice grave et irréparable risque d'être causé à la concurrence et, pour ce qui est de l'article 9 du règlement n° 1-2003, dans le cadre d'une décision exigeant la cessation d'une infraction. Or, ce n'est manifestement pas le cas en l'espèce.

54 Au contraire, il convient de relever que l'article 8 du règlement n° 773-2004 prévoit expressément que le plaignant peut utiliser l'information à laquelle il a eu accès aux fins de procédures judiciaires ayant pour objet l'application des articles 81 CE et 82 CE.

55 Au vu de ce qui précède, il y a donc lieu de déclarer cette conclusion irrecevable.

Sur la recevabilité de la conclusion visant à obtenir d'autres mesures provisoires

56 Dans sa demande en référé, la requérante sollicite également, en se référant à l'article 243 CE, toute autre mesure provisoire que le juge des référés jugera appropriée dans l'attente de la décision finale du Tribunal sur le recours au principal.

57 Toutefois, la requérante ne fournit aucune explication de nature à éclaircir cette partie de la demande, laquelle revêt un caractère vague et imprécis. Elle n'indique en rien la nature de la mesure provisoire demandée, autre que les autres mesures provisoires sollicitées par ailleurs dans ses conclusions, qu'elle cherche, à ce titre, à obtenir.

58 En l'absence de plus amples précisions quant à son objet, une telle demande ne remplit pas les conditions de l'article 44, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure, auquel renvoie l'article 104, paragraphe 3, de ce même règlement, et, dès lors, est irrecevable (voir, en ce sens, ordonnances du Président du Tribunal du 12 février 1996, Lehrfreund/Conseil et Commission, T-228-95 R, Rec. p. II-111, point 58, et du 2 juillet 2004, Bactria/Commission, T-76-04 R, Rec. p. II-2025, points 49 et 50).

Sur la recevabilité de la conclusion visant à ordonner à la Commission de transmettre une copie de la présente ordonnance à Michelin

59 Il est de jurisprudence constante que la partie requérante doit justifier d'un intérêt à l'obtention des mesures sollicitées afin d'obtenir des mesures provisoires. Ainsi, doit être rejetée une demande de mesures provisoires qui n'aurait pas pour effet de modifier la situation du requérant et n'aurait pas, de ce fait, d'utilité pratique pour lui (ordonnances du Président du Tribunal Bactria/Commission, précitée, point 52, et du 12 mai 2006, Gollnisch/Parlement, T-42-06 R, non publiée au Recueil, point 28).

60 Il convient dès lors d'apprécier si la requérante justifie d'un intérêt à l'obtention de la mesure provisoire.

61 Or, il suffit de constater que la requérante n'avance aucun argument au soutien de sa demande.

62 Ainsi, en l'espèce, compte tenu du fait que ses autres demandes ont été rejetées, la requérante ne saurait se prévaloir d'une telle utilité pratique.

63 En l'absence d'arguments de la requérante ayant trait à l'utilité pratique de la mesure sollicitée, il convient donc de déclarer cette conclusion irrecevable.

64 Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, et sans préjudice de l'appréciation relative aux fins de non-recevoir soulevées par la Commission dans le cadre du recours au principal, il y a lieu de rejeter comme irrecevable la présente demande en référé.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1) La demande en référé est rejetée.

2) Les dépens sont réservés.