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Décisions

CJCE, 1re ch., 18 décembre 2008, n° C-338/06

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Royaume d'Espagne, République de Pologne, République de Finlande, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Jann

Avocat général :

Mme Trstenjak

Juges :

MM. Tizzano, Borg Barthet, Levits, Kasel

Avocat :

Me Stratford

CJCE n° C-338/06

18 décembre 2008

LA COUR (première chambre),

1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que:

- en autorisant l'assemblée des actionnaires à approuver l'émission de nouvelles actions sans droit de souscription préférentiel à un prix inférieur à leur valeur raisonnable;

- en accordant le droit de souscription préférentiel d'actions, en cas d'augmentation de capital souscrite par apports en numéraire, non seulement aux actionnaires, mais aussi aux détenteurs d'obligations convertibles en actions;

- en accordant un droit de souscription préférentiel d'obligations convertibles en actions non seulement aux actionnaires, mais aussi aux détenteurs d'obligations convertibles en actions émises lors d'émissions précédentes, et

- en ne prévoyant pas que l'assemblée des actionnaires peut approuver la suppression du droit de souscription préférentiel d'obligations convertibles en actions,

le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 29 et 42 de la deuxième directive 77-91-CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l'article [48] deuxième alinéa du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (JO 1977, L 26, p. 1, ci-après "la deuxième directive").

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

2 Les deuxième et cinquième considérants de la deuxième directive, laquelle a pour base juridique l'article 54, paragraphe 3, sous g), du traité CEE [devenu article 54, paragraphe 3, sous g), CE, lui-même devenu article 44, paragraphe 2, sous g), CE], sont libellés comme suit:

"Considérant que, pour assurer une équivalence minimale dans la protection tant des actionnaires que des créanciers [des sociétés anonymes], il importe tout particulièrement de coordonner les dispositions nationales concernant leur constitution, ainsi que le maintien, l'augmentation et la réduction de leur capital;

[...]

Considérant qu'il est nécessaire, au regard des buts visés à l'article [44, paragraphe 2, sous g), CE], que, lors des augmentations et des réductions de capital, les législations des États membres assurent le respect et harmonisent la mise en œuvre des principes garantissant un traitement égal des actionnaires qui se trouvent dans des conditions identiques et la protection des titulaires de créances antérieures à la décision de réduction".

3 L'article 29 de la deuxième directive dispose:

"1. Lors de toute augmentation du capital souscrit par apports en numéraire, les actions doivent être offertes par préférence aux actionnaires proportionnellement à la partie du capital représentée par leurs actions.

[...]

4. Le droit préférentiel ne peut être limité, ni supprimé par les statuts ou l'acte constitutif. Il peut l'être toutefois par décision de l'assemblée générale. L'organe de direction ou d'administration est tenu de présenter à cette assemblée un rapport écrit indiquant les raisons de limiter ou de supprimer le droit préférentiel et justifiant le prix d'émission proposé. L'assemblée statue selon les règles de quorum et de majorité fixées à l'article 40. [...]

[...]

6. Les paragraphes 1 à 5 s'appliquent à l'émission de tous les titres convertibles en actions ou assortis d'un droit de souscription d'actions, mais non à la conversion des titres et à l'exercice du droit de souscription.

[...]"

4 L'article 42 de la deuxième directive prévoit:

"Pour l'application de la présente directive, les législations des États membres garantissent un traitement égal des actionnaires qui se trouvent dans des conditions identiques."

La législation nationale

5 Aux termes de l'article 158, paragraphe 1, du décret royal législatif 1564-1989 portant adoption du texte refondu de la loi sur les sociétés anonymes (Real decreto legislativo 1564-1989 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley de Sociedades Anónimas), du 22 décembre 1989 (BOE n° 310, du 27 décembre 1989, p. 679), dans sa version applicable au présent litige (ci-après la "LSA"):

"Lors des augmentations du capital social par émission de nouvelles actions, ordinaires ou privilégiées, les anciens actionnaires et les détenteurs d'obligations convertibles peuvent exercer, dans le délai que l'administration accorde à la société à cet effet [...], leur droit de souscrire un nombre d'actions proportionnel à la valeur nominale des actions qu'ils possèdent ou, dans le cas des détenteurs d'obligations convertibles, qu'ils posséderaient s'ils exerçaient à ce moment leur faculté de conversion."

6 L'article 159 de la LSA dispose:

"1. Dans les cas où l'intérêt de la société l'exige, l'assemblée générale, lorsqu'elle décide une augmentation du capital, peut approuver la suppression totale ou partielle du droit de souscription préférentiel. Elle est tenue pour ce faire de respecter les dispositions de l'article 144 et de veiller à ce que:

[...]

b) soient mis à la disposition des actionnaires, au moment de la convocation de l'assemblée, le rapport des administrateurs visé à l'article 144, paragraphe 1, sous c), lequel doit motiver en détail la proposition et le type d'émission des actions, en indiquant les personnes à qui elles seront destinées, ainsi qu'un rapport élaboré, sous leur responsabilité, par un contrôleur légal autre que celui chargé de vérifier les comptes de la société et désigné à cet effet par le registre du commerce, portant sur la valeur raisonnable des actions de la société, sur la valeur théorique des droits de souscription préférentiels dont il est proposé de supprimer l'exercice et sur le caractère raisonnable des données contenues dans le rapport des administrateurs;

c) la valeur nominale des actions à émettre, augmentée, le cas échéant, du montant de la prime d'émission, corresponde à la valeur raisonnable découlant du rapport des contrôleurs légaux visé au point b) ci-dessus. Dans le cas d'une société cotée, on entend par valeur raisonnable la valeur de marché, à calculer sur la base du cours de Bourse, sauf exception qu'il convient de justifier.

Toutefois, dans le cas des sociétés cotées, dès lors que l'assemblée des actionnaires dispose du rapport des administrateurs et du rapport du contrôleur légal requis au point b) ci-dessus, rapports qui doivent indiquer dans ce cas la valeur d'actif nette des actions, elle peut librement déterminer le prix d'émission des nouvelles actions, pour autant qu'il est supérieur à leur valeur d'actif nette telle qu'elle ressort du rapport de ce contrôleur. L'assemblée peut aussi se limiter à déterminer la procédure de fixation de ce prix. [...]

[...]"

7 L'article 293 de la LSA est libellé comme suit:

"1. Les actionnaires de la société jouissent d'un droit de souscription préférentiel pour les obligations convertibles.

2. Les détenteurs d'obligations convertibles émises antérieurement jouissent d'un droit équivalent, dans la proportion prévue par les règles de conversion.

3. L'article 158 de la présente loi est applicable au droit de souscription préférentiel d'obligations convertibles."

La procédure précontentieuse

8 Estimant que la législation espagnole n'est pas conforme aux articles 29 et 42 de la deuxième directive, la Commission a, le 15 janvier 2004, adressé une lettre de mise en demeure au Royaume d'Espagne. Ce dernier a répondu, par lettre du 10 mars 2004, en rejetant toutes les allégations de violation de la deuxième directive.

9 La Commission, jugeant que les explications fournies par le Royaume d'Espagne n'étaient pas satisfaisantes, a adressé, le 5 janvier 2005, un avis motivé à cet État membre, auquel ce dernier a répondu, le 4 mars 2005, en lui communiquant un rapport élaboré par le ministère de l'Économie et des Finances.

10 Considérant que les éclaircissements fournis n'étaient pas entièrement satisfaisants, la Commission a, le 4 août 2006, décidé de saisir la Cour du présent recours au titre de l'article 226 CE.

11 Par ordonnance du président de la Cour du 18 janvier 2007, la République de Pologne, la République de Finlande ainsi que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ont été admis à intervenir au présent litige au soutien des conclusions du Royaume d'Espagne.

Sur le recours

Sur le premier grief

Argumentation des parties

12 Par son premier grief, la Commission fait valoir que l'article 159, paragraphe 1, sous c), second alinéa, de la LSA enfreint l'article 42 de la deuxième directive, lu en combinaison avec l'article 29, paragraphes 1 et 4, de celle-ci, en ce qu'il ne garantit pas un traitement égal des actionnaires d'une société cotée en Bourse.

13 En effet, selon la Commission, lors d'une augmentation de capital d'une société par émission de nouvelles actions, l'article 159, paragraphe 1, de la LSA permet à l'assemblée générale d'une telle société d'approuver la suppression du droit de souscription préférentiel prévu à l'article 158 de la même loi, ainsi que de déterminer librement le prix d'émission des nouvelles actions, à condition, notamment, que celui-ci soit supérieur à la "valeur d'actif nette" desdites actions.

14 Or, cela reviendrait à permettre de fixer le prix des nouvelles actions, pour lesquelles tout droit de souscription préférentiel est exclu, à un niveau "déraisonnablement" bas. En effet, selon la Commission, la "valeur d'actif nette" d'une action peut être considérablement inférieure à sa "valeur de marché", calculée sur la base de son cours en Bourse, alors que l'article 159, paragraphe 1, sous c), premier alinéa, de la LSA prévoit que la "valeur de marché" d'une action doit être entendue comme sa "valeur raisonnable".

15 La Commission en déduit que l'article 159, paragraphe 1, sous c), second alinéa, de la LSA introduit, pour les sociétés cotées en Bourse, une discrimination entre, d'une part, les actionnaires existants avant l'augmentation de capital de la société concernée (ci-après les "anciens actionnaires"), qui ont acquis leurs actions à la "valeur de marché" de celles-ci, et, d'autre part, les actionnaires ayant acquis leurs actions à la suite de l'augmentation de capital de cette société (ci-après les "nouveaux actionnaires"), qui pourraient avoir acquis leurs actions à un prix considérablement inférieur à la "valeur de marché" de celles-ci.

16 Réfutant ces arguments, le Royaume d'Espagne soutient, tout d'abord, que la LSA prévoit des conditions pour la suppression du droit de souscription préférentiel qui sont plus strictes que celles prévues par la deuxième directive.

17 Ainsi, d'une part, comme le soulignent également la République de Pologne, la République de Finlande et le Royaume-Uni, la LSA prévoirait, contrairement à la deuxième directive, un seuil minimal pour la détermination du prix d'émission des nouvelles actions, lequel doit être supérieur à leur "valeur d'actif nette". D'autre part, la même loi exigerait l'établissement non seulement du rapport prévu à l'article 29, paragraphe 4, de ladite directive, mais également d'un second rapport, rédigé par un "contrôleur légal" indépendant, justifiant le prix d'émission des nouvelles actions.

18 Ensuite, le Royaume d'Espagne fait valoir que la LSA ne permet aucunement la fixation d'un prix déraisonnablement inférieur à la "valeur de marché" des nouvelles actions. En effet, l'article 159, paragraphe 1, sous c), premier alinéa, de la LSA se limiterait à introduire une présomption réfragable selon laquelle la "valeur raisonnable" d'une action d'une société cotée en Bourse correspond à sa "valeur de marché". Néanmoins, l'assemblée générale pourrait fixer un prix d'émission inférieur à la "valeur de marché", dont le caractère raisonnable serait justifié au vu des deux rapports mentionnés au point précédent du présent arrêt.

19 À cet égard, la République de Pologne ajoute que, en tout état de cause, la détermination du prix des actions à un niveau inférieur à la "valeur de marché" de celles-ci doit être appréciée au regard non pas du principe de non-discrimination, mais de l'intérêt de la société.

20 Enfin, le Royaume d'Espagne, la République de Pologne et le Royaume-Uni font valoir qu'une discrimination entre les anciens et les nouveaux actionnaires n'est pas possible en raison du fait que ces deux catégories d'actionnaires ne se trouvent pas dans des "conditions identiques" au sens de l'article 42 de la deuxième directive. En effet, en raison des fluctuations de la cotation boursière, chaque actionnaire aurait acquis ses actions à un prix différent, lequel est fonction de la date d'acquisition de celles-ci.

21 En outre, le Royaume d'Espagne et la République de Pologne soulignent que l'article 159, paragraphe 1, de la LSA exclut toute possibilité de discrimination dans la mesure où il prévoit que la suppression du droit de souscription préférentiel ne peut être approuvée par l'assemblée générale qu'aux conditions de majorité et de quorum requises pour la modification des statuts et que, en tout état de cause, les actionnaires minoritaires qui ont voté contre la décision approuvant ladite suppression ont la possibilité d'introduire un recours contre cette décision, s'ils considèrent qu'elle est contraire à l'intérêt de la société.

22 Au surplus, selon le Royaume-Uni, il n'existe, en l'espèce, aucune différence de "traitement", étant donné que le prix n'est qu'un simple élément économique. En tout état de cause, à supposer même qu'une différence de traitement puisse être établie, elle serait justifiée, d'une part, en raison des protections supplémentaires prévues par la LSA et, d'autre part, comme le relève également le Royaume d'Espagne, au regard de la nécessité de s'assurer que les augmentations de capital présentent un intérêt financier.

Appréciation de la Cour

23 Afin de statuer sur le bien-fondé du premier grief soulevé par la Commission, il y a lieu de rappeler d'emblée que la Cour a déjà eu l'occasion de juger que la deuxième directive vise, conformément à l'article 44, paragraphe 2, sous g), CE, à coordonner les garanties qui sont exigées dans les États membres à l'égard des sociétés, au sens de l'article 48, deuxième alinéa, CE, afin de rendre ces garanties équivalentes et de protéger les intérêts des associés et des tiers. Cette directive a ainsi pour objet, aux termes de son deuxième considérant, d'assurer une équivalence minimale dans la protection tant des actionnaires que des créanciers des sociétés anonymes (arrêt du 19 novembre 1996, Siemens, C-42-95, Rec. p. I-6017, point 13).

24 S'agissant plus spécifiquement de la protection des actionnaires lors d'une augmentation de capital par apports en numéraire, l'article 29, paragraphe 1, de la deuxième directive prévoit en des termes clairs et précis et de façon inconditionnelle que les actions doivent être offertes par préférence aux actionnaires proportionnellement à la partie du capital représentée par leurs actions (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 1992, Syndesmos Melon tis Eleftheras Evangelikis Ekklisias e.a., C-381-89, Rec. p. I-2111, point 39).

25 Ce n'est alors qu'à titre d'exception que l'article 29, paragraphe 4, de la deuxième directive prévoit la possibilité pour l'assemblée générale, à certaines conditions expressément définies par la même disposition, de limiter ou de supprimer le droit préférentiel des actionnaires.

26 Il convient toutefois de relever que, si le droit préférentiel de souscription institué au bénéfice des actionnaires n'admet aucune autre exception que celle expressément prévue audit article 29, paragraphe 4 (voir arrêt Syndesmos Melon tis Eleftheras Evangelikis Ekklisias e.a., précité, point 40), il n'en demeure pas moins que la deuxième directive, ainsi qu'il ressort de son deuxième considérant et de l'arrêt Siemens, précité, pose des exigences minimales en matière de protection des actionnaires et des créanciers des sociétés anonymes, en laissant les États membres libres d'adopter des dispositions qui leur sont plus favorables, prévoyant, notamment, des conditions plus restrictives pour la suppression dudit droit préférentiel.

27 Or, en l'espèce, force est de constater que la législation nationale a précisément pour effet de renforcer la protection offerte aux actionnaires des sociétés anonymes par l'article 29, paragraphe 4, de la deuxième directive.

28 En effet, d'une part, l'article 159, paragraphe 1, sous b), premier alinéa, de la LSA prescrit, en cas de suppression totale ou partielle du droit de souscription préférentiel, l'établissement non seulement du rapport visé à l'article 29, paragraphe 4, de la deuxième directive, mais également d'un second rapport portant sur la valeur raisonnable des actions de la société, sur la valeur théorique des droits de souscription préférentiels dont il est proposé de supprimer l'exercice et sur le caractère raisonnable des données contenues dans le rapport des administrateurs. Aux termes de ladite disposition nationale, ce second rapport doit être élaboré, sous la responsabilité des administrateurs, par un contrôleur légal autre que celui chargé de vérifier les comptes de la société et désigné à cet effet par le registre du commerce.

29 D'autre part, alors que l'article 29, paragraphe 4, de la deuxième directive se limite à exiger que le prix d'émission des nouvelles actions soit justifié par l'organe de direction ou d'administration de la société dans son rapport, sans fixer aucun seuil minimal en la matière, l'article 159, paragraphe 1, sous c), second alinéa, de la LSA définit, en ce qui concerne les sociétés cotées en Bourse, un prix minimal d'émission des nouvelles actions, en prescrivant que ce prix soit, indépendamment des conclusions dudit rapport, supérieur à la valeur d'actif nette des actions en cause.

30 Cette appréciation de la législation nationale ne saurait, en outre, être remise en cause par l'argumentation de la Commission selon laquelle la fixation du prix d'émission des nouvelles actions à un niveau inférieur à la valeur de marché de celles-ci, telle qu'autorisée par l'article 159 de la LSA, serait susceptible de créer une inégalité de traitement, au sens de l'article 42 de la deuxième directive, entre les anciens et les nouveaux actionnaires.

31 En effet, d'une part, il convient de constater que la Commission n'a produit aucun élément tendant à démontrer, ainsi que l'exige ledit article 42, que ces deux catégories d'actionnaires se trouvent dans des conditions identiques, de sorte que la LSA devrait leur assurer un traitement égal.

32 D'autre part, l'interprétation invoquée par la Commission aurait pour conséquence de priver de son effet utile l'article 29, paragraphe 4, de la deuxième directive, dans la mesure où cette disposition prévoit que le prix d'émission doit être justifié par le rapport des administrateurs, sans toutefois exiger qu'il soit nécessairement fixé par référence à la valeur de marché des actions en question.

33 Or, exiger que le prix d'émission des nouvelles actions ne soit pas inférieur à la valeur de marché de celles-ci aurait pour conséquence que, même si un tel prix était justifié par le rapport des administrateurs, l'assemblée générale ne pourrait pas l'appliquer sans enfreindre le principe de l'égalité de traitement visé à l'article 42 de la deuxième directive.

34 Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, le premier grief invoqué par la Commission au soutien de son recours doit être rejeté comme non fondé.

Sur les deuxième et troisième griefs

Argumentation des parties

35 Par ses deuxième et troisième griefs, qu'il convient d'examiner conjointement, la Commission relève que, d'une part, l'article 158, paragraphe 1, de la LSA attribue le droit préférentiel de souscription de nouvelles actions non seulement aux actionnaires, mais également aux détenteurs d'obligations convertibles en actions. D'autre part, l'article 293, paragraphe 2, de la même loi prévoirait que, lors d'une émission d'obligations convertibles en actions, le droit préférentiel de souscription de celles-ci est accordé tant aux actionnaires qu'aux détenteurs d'obligations convertibles en actions émises antérieurement.

36 Or, lesdites dispositions de la LSA violeraient l'article 29, paragraphes 1 et 6, de la deuxième directive, en ce que celui-ci exigerait que les nouvelles actions ainsi que les obligations convertibles en actions soient offertes par préférence aux seuls actionnaires.

37 Le Royaume d'Espagne et la République de Pologne contestent cette allégation de la Commission, en s'appuyant, notamment, sur une interprétation téléologique dudit article 29, paragraphes 1 et 6, lequel viserait à protéger les détenteurs d'obligations convertibles en actions en tant qu'actionnaires potentiels et à maintenir ainsi la valeur des actions qui leur sont réservées.

Appréciation de la Cour

38 Il est certes vrai que, comme le fait valoir le Royaume d'Espagne, l'article 29, paragraphes 1 et 6, de la deuxième directive ne prévoit pas que les nouvelles actions ainsi que les obligations convertibles en actions doivent être offertes exclusivement aux actionnaires et qu'elles peuvent dès lors être offertes également aux détenteurs d'obligations convertibles en actions émises antérieurement.

39 Force est néanmoins de constater qu'il ressort du libellé même dudit article que l'offre s'adresse non pas aux uns et aux autres simultanément, mais "par préférence" aux actionnaires.

40 Ainsi, ce n'est que dans la mesure où ceux-ci n'ont pas exercé leur droit préférentiel que lesdites actions et obligations peuvent être offertes aux autres acquéreurs, au nombre desquels figurent notamment les détenteurs d'obligations convertibles en actions.

41 Au demeurant, si le législateur avait voulu étendre à ces derniers le droit de souscription préférentiel en cause, il l'aurait fait expressément, de la même façon que, à l'article 29, paragraphe 6, de la deuxième directive, il a étendu le droit de souscription préférentiel à d'autres titres convertibles en actions ou assortis d'un droit de souscription d'actions.

42 Une telle interprétation est également conforme aux finalités poursuivies par ladite directive.

43 En effet, ainsi que l'a relevé Mme l'Avocat général au point 76 de ses conclusions et comme il ressort du point 19 de l'arrêt Siemens, précité, l'une des finalités de la deuxième directive consiste à assurer une protection plus efficace des actionnaires, en leur permettant d'éviter, lors d'une augmentation de capital, la dilution de la partie du capital représentée par leur participation.

44 C'est donc afin d'éviter un tel risque que l'article 29, paragraphes 1 et 6, de la deuxième directive accorde précisément aux actionnaires une priorité par rapport à tous les autres acquéreurs potentiels de nouvelles actions ou d'obligations convertibles en actions.

45 Or, il est évident que la réalisation d'un tel objectif serait compromise si ces nouveaux titres pouvaient également être offerts par préférence à une catégorie d'acquéreurs autre que celle des actionnaires, à savoir les détenteurs d'obligations convertibles en actions.

46 Il s'ensuit que, en accordant un droit de souscription préférentiel d'actions, en cas d'augmentation de capital souscrite par apports en numéraire, non seulement aux actionnaires, mais aussi aux détenteurs d'obligations convertibles en actions, ainsi qu'un droit de souscription préférentiel d'obligations convertibles en actions non seulement aux actionnaires, mais aussi aux détenteurs d'obligations convertibles en actions émises lors d'émissions précédentes, le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 29, paragraphes 1 et 6, de la deuxième directive.

Sur le quatrième grief

Argumentation des parties

47 Par son quatrième grief, la Commission soutient que l'article 293, paragraphe 3, de la LSA enfreint l'article 29, paragraphe 6, de la deuxième directive, lu conjointement avec le paragraphe 4 du même article, en ce qu'il ne prévoit pas la possibilité pour l'assemblée générale de supprimer le droit de souscription préférentiel des obligations convertibles en actions.

48 Selon le Royaume d'Espagne, une interprétation fonctionnelle de l'article 293 de la LSA ne peut qu'amener à conclure que l'assemblée générale des actionnaires peut supprimer ce droit de souscription préférentiel.

49 À cet égard, la République de Finlande souligne que, en tout état de cause, même en admettant que l'article 293 de la LSA exclut la possibilité de supprimer ledit droit de souscription préférentiel, cela ne suffirait pas à établir un manquement du Royaume d'Espagne compte tenu de l'objectif d'harmonisation minimale de la deuxième directive.

Appréciation de la Cour

50 Il y a lieu de relever que, s'il est vrai, comme il a été constaté au point 26 du présent arrêt, que les États membres sont libres de prévoir des conditions plus restrictives pour la suppression du droit de souscription préférentiel en cause, il n'en demeure pas moins que l'article 29, paragraphe 6, de la deuxième directive, lu en combinaison avec le paragraphe 4 du même article, exige que, dans certaines conditions, l'assemblée générale des actionnaires puisse décider la suppression du droit de souscription préférentiel de tous les titres convertibles en actions.

51 Or, force est de constater que, ainsi que le fait valoir la Commission, le libellé de l'article 293 de la LSA ne prévoit pas expressément la possibilité d'une telle suppression.

52 En outre, alors que cet article prévoit, à son paragraphe 3, que l'article 158 de la LSA est applicable audit droit de souscription préférentiel, il ne prévoit nullement que l'article 159 de la même loi, régissant la suppression du droit de souscription préférentiel des nouvelles actions, est applicable également au droit de souscription préférentiel des obligations convertibles en actions.

53 Par ailleurs, ne saurait être accueillie l'interprétation fonctionnelle préconisée par le Royaume d'Espagne selon laquelle, pour éviter que l'article 293 de la LSA soit dépourvu de toute logique, celui-ci ne peut être interprété que comme prévoyant la possibilité de supprimer le droit de souscription préférentiel en question.

54 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la nécessité de garantir la pleine application du droit communautaire impose aux États membres non seulement de mettre leurs législations en conformité avec le droit communautaire, mais exige aussi qu'ils le fassent par l'adoption de dispositions juridiques susceptibles de créer une situation suffisamment précise, claire et transparente pour permettre aux particuliers de connaître la plénitude de leurs droits et de s'en prévaloir devant les juridictions nationales (arrêt du 18 janvier 2001, Commission/Italie, C-162-99, Rec. p. I-541, point 22 et jurisprudence citée).

55 Or, en l'espèce, même à supposer que l'article 293 de la LSA puisse être interprété dans un sens opposé à son libellé, ainsi que le suggère le Royaume d'Espagne, une telle interprétation ne serait manifestement pas susceptible de créer une situation suffisamment précise, claire et transparente pour permettre aux particuliers de connaître la plénitude de leurs droits et de s'en prévaloir devant les juridictions nationales.

56 Cela est d'autant plus vrai que, ainsi que l'a relevé Mme l'avocat général au point 89 de ses conclusions, le Royaume d'Espagne n'a fourni aucun élément concret de nature à établir que les juridictions espagnoles interprètent l'article 293 de la LSA comme prévoyant la possibilité de supprimer le droit de souscription préférentiel des obligations convertibles en actions.

57 Il convient dès lors de constater que, en ne prévoyant pas que l'assemblée des actionnaires peut décider la suppression du droit de souscription préférentiel des obligations convertibles en actions, le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 29, paragraphe 6, de la deuxième directive, lu en combinaison avec le paragraphe 4 du même article.

Sur les dépens

58 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 3 du même article, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens, notamment si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Enfin, en vertu du paragraphe 4, premier alinéa, dudit article, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

59 En l'espèce, il y a lieu de condamner le Royaume d'Espagne, qui a succombé en trois des quatre griefs invoqués par la Commission au soutien de son recours, à supporter les trois quarts des dépens et cette dernière, qui a succombé en son premier grief, à supporter le quart des dépens.

60 Conformément à l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, la République de Pologne, la République de Finlande et le Royaume-Uni supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs, LA COUR (première chambre) déclare et arrête:

1) Le Royaume d'Espagne:

- en accordant un droit de souscription préférentiel d'actions, en cas d'augmentation de capital souscrite par apports en numéraire non seulement aux actionnaires, mais aussi aux détenteurs d'obligations convertibles en actions;

- en accordant un droit de souscription préférentiel d'obligations convertibles en actions non seulement aux actionnaires, mais aussi aux détenteurs d'obligations convertibles en actions émises lors d'émissions précédentes, et

- en ne prévoyant pas que l'assemblée des actionnaires peut décider la suppression du droit de souscription préférentiel des obligations convertibles en actions,

a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 29 de la deuxième directive 77-91-CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l'article [48] deuxième alinéa du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) Le Royaume d'Espagne est condamné à supporter les trois quarts des dépens. La Commission des Communautés européennes est condamnée à supporter un quart des dépens.

4) La République de Pologne, la République de Finlande et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord supportent leurs propres dépens.