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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 26 novembre 2008, n° 07-11054

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilbaud

Conseillers :

Mme Mathieu, M. Reygrobellet

Avocats :

Mes Roy, Franck, Coront Ducluzeau

CA Paris n° 07-11054

26 novembre 2008

Rappel de la procédure :

La prévention :

La société X a été citée à la requête de Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance d'Evry, pour avoir à Evry, Courcouronnes, en tout cas sur le territoire national, entre le 18 et le 30 octobre 2004, et depuis temps non prescrit, effectué une publicité comportant sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur la portée des engagements pris par l'annonceur, en l'espèce en effectuant une publicité relative à une offre promotionnelle portant sur un aquarium Aqua Pro Advance dont les caractéristiques techniques étaient erronées, s'agissant d'une pompe dont le débit était de 300 litres par heure au lieu des 400 litres par heure annoncés et d'un chauffage dont la puissance était de 100 watts au lieu des 150 watts annoncés,

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire à l'encontre de la société X, prévenue et à l'égard de l'UFC Que Choisir, partie civile, a :

- Sur l'action publique :

- déclaré la société X coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur par personne morale, faits commis entre le 18 octobre 2004 et le 30 octobre 2004, à Evry, Courcouronnes, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 213-6 al. 1 du Code de la consommation, l'article 121-2 du Code pénal et réprimée par les articles L. 213-6 al. 2, L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation, les articles 131-38, 131-39 2°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7°, 8°, 9° du Code pénal, et, en application de ces articles, l'a condamné à une amende délictuelle de trois cents mille euro (300 000 euro),

- a ordonné, aux frais de la société X, l'affichage du dispositif du jugement sur chacune des caisses de tous les magasins supermarchés et hypermarchés X établis sur le territoire français, et ce, pendant une période d'un mois,

- a dit que la présente décision était assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de quatre vingt dix euro (90 euro) dont est redevable la personne morale condamnée,

- Sur l'action civile :

- déclaré recevable, en la forme, la constitution de partie civile de l'Union Fédérale des Consommateurs Que Choisir,

- condamné la société X à payer à l'UFC Que Choisir, partie civile, la somme de huit mille euro (8 000 euro) à titre de dommages et intérêts, et en outre la somme de huit cents euro (800 euro) au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Les appels :

Appel a été interjeté par :

- la société X, le 28 juin 2007, des dispositions pénales et civiles,

- Monsieur le Procureur de la République, le 28 juin 2007 contre la société X,

- la société X, le 29 juin 2007, des dispositions pénales et civiles,

- l'UFC Que Choisir, le 3 juillet 2007 contre société X,

Décision :

Rendue contradictoirement à l'encontre de la prévenue et à l'égard de la partie civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels relevés par la société X, de la partie civile UFC Que Choisir et du Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence.

Madame l'avocate générale requiert la confirmation du jugement ;

La partie civile UFC Que Choisir demande la confirmation partielle du jugement et sa réformation quant au montant des dommages et intérêts qui lui ont été attribués, sollicitant qu'ils soient portés à la somme de 20 000 euro, outre celle 2 200 euro de au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ; à titre subsidiaire, elle demande la condamnation de la prévenue à la publication d'un communiqué judiciaire sur la page d'accueil du site internet de la société X ainsi que sa condamnation à la publication de ce même communiqué par voie d'affichage sur chacune des caisses de chaque magasin supermarchés et hypermarchés X pendant un mois ;

La personne morale prévenue, la société X, représentée par son conseil, sollicite par conclusions déposées et développées devant la cour :

- à titre principal sa relaxe aux motifs que le délit n'est pas constitué, et le débouté des demandes de la partie civile ;

- a titre subsidiaire la constatation du fait que la société X n'a plus d'activité et la réduction à de plus justes proportions la peine d'amende et les sommes allouées à UFC Que Choisir ;

Elle fait valoir l'absence d'élément intentionnel, l'erreur résultant d'un oubli de son fournisseur ; elle estime que le consommateur n'a subi aucun préjudice puisque selon son fabricant, le matériel réellement fourni permettait d'obtenir des résultats identiques à celui présenté dans la publicité ;

Rappel des faits

Courant octobre 2004, X diffusait un catalogue publicitaire intitulé "derniers arrivages" qui présentait en page 53 un ensemble meuble et aquarium doté d'une pompe au débit de 400 litres par heure et d'un chauffage de 150 W au prix de 89 euro ;

Courant novembre 2004, la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de l'Essonne recevait une plainte téléphonique mettant en cause la véracité de ces allégations publicitaires ;

Des constatations réalisées en magasin le 10 décembre 2004 permettaient à la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de relever que la pompe ne fournissait en réalité qu'un débit de 300 litres par heure et que le chauffage avait une puissance de 100 W ; ces manquements concernaient l'ensemble des 2 981 aquariums équipés vendus aux consommateurs ;

L'enquête de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes établissait que l'offre commerciale présentée par la publicité correspondait à une bonne pratique de l'aquariophilie, contrairement aux prestations effectivement fournies ;

Les responsables de X déclaraient ignorer le problème du chauffage, mais savaient que la pompe était d'une capacité inférieure à celle annoncée, puisque près de 30 consommateurs avaient signalé cette anomalie aux magasins X ; ils avaient proposé à ces seuls clients un échange se limitant à la pompe, tout en poursuivant sciemment la vente d'un produit non conforme à son engagement ;

X invoquait l'erreur du fournisseur du matériel litigieux, la société Y ; ce fournisseur lui avait, dans un premier temps, proposé un aquarium de modèle "A" équipé d'une pompe et d'un chauffage conformes à l'annonce publicitaire, l'accord commercial ayant finalement eu lieu sur le modèle "B" équipé d'une pompe et d'un chauffage de niveau inférieur ; les erreurs figurant dans la publicité étaient donc imputables à une confusion entre les deux offres, le fournisseur ayant oublié de modifier son descriptif ; ce dernier avait été repris dans le fichier informatique interne de la société X servant de base à la confection du catalogue publicitaire ;

La Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes relevait que le courrier émanant du fournisseur remis par X mentionnait les spécifications techniques réelles du matériel, et qu'à aucun moment il ne faisait allusion à une proposition différente portant sur une pompe de débit supérieure et sur un chauffage plus puissant ; elle soulignait que l'emballage du produit ne rappelait pas la puissance de la pompe ni celle du chauffage, cette dernière n'étant décelable qu'à partir de l'inscription 100 W portée sur l'appareil ; le débit de la pompe n'était indiqué que dans la notice remise au client ;

La société X a déjà été condamnée le 5 novembre 2004 à 6 000 euro d'amende pour tromperie par personne morale sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise ;

Sur ce :

Sur l'action publique :

Considérant que le catalogue "derniers arrivages" diffusé en octobre 2004 pour le compte de la société X et les promotions qu'il contient, notamment celle figurant en page 53 relative à un aquarium et son meuble constituent une publicité au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ;

Considérant que ce catalogue contenait des indications erronées s'agissant du débit de la pompe et de la puissance du chauffage équipant l'aquarium présenté ; que la publicité litigieuse était manifestement de nature à induire en erreur les consommateurs sur les qualités substantielles du produit puisqu'elle présentait un produit doté d'une pompe et d'un chauffage plus puissants que ceux effectivement fournis ;

Considérant que les éléments matériel et moral du délit de publicité mensongère procèdent du seul caractère trompeur de l'information fournie au client potentiel pour lui permettre de se faire une opinion sur les caractéristiques des biens qui lui sont proposés ; que la simple négligence suffit à caractériser l'élément moral, peu important que l'auteur du délit soit de bonne ou mauvaise foi ;

Considérant qu'en l'espèce X invoque une erreur qui lui est en réalité imputable puisqu'elle concerne le fichier informatique interne ayant servi de base à la réalisation du catalogue publicitaire ;

Considérant qu'il convient de souligner que X s'est contentée d'échanger la pompe non conforme aux acheteurs qui s'étaient manifestés, sans vérifier plus avant la conformité de la marchandise à l'offre publicitaire ; qu'elle n'a pas davantage informé sa clientèle par voie d'affichage ou par tout autre moyen de nature à corriger l'erreur commise ou à dédommager l'ensemble des consommateurs concernés par la fourniture de produits conformes ;

Considérant qu'ainsi le délit de publicité mensongère est constitué en tous ses éléments et qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qui concerne la déclaration de culpabilité ;

Considérant que le casier judiciaire de la personne morale poursuivie mentionne une condamnation en 2004 pour des faits de tromperie par personne morale sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise ; qu'au vu des éléments de la cause la cour réformera la décision entreprise s'agissant de la peine et condamnera X à la peine de 100 000 euro d'amende ;

Considérant qu'il convient d'ordonner, aux frais de la prévenue, la publication par extrait de l'arrêt dans les quotidiens " Le Figaro", "Le Monde" et "Libération" ;

Sur l'action civile

Considérant que la cour ne trouve pas motif à modifier l'exacte appréciation faite par le tribunal du préjudice causé à UFC Que Choisir résultant, en application de l'article L. 421-1 du Code de la consommation, des faits dont s'est rendue coupable X ; qu'elle confirmera donc le jugement sur l'action civile ;

Considérant que la partie civile a exposé des frais irrépétibles supplémentaires en cause d'appel ; qu'au vu des pièces versées aux débats, la cour est en mesure de fixer à 1 000 euro la somme due à ce titre par la personne morale condamnée ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement à l'encontre de la prévenue et à l'égard de la partie civile, Reçoit les appels de la prévenue, de la partie civile et du Ministère public ; Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité ; Le réformant sur la peine, Condamne la société X à 100 000 euro d'amende ; La personne morale condamnée n'étant pas présente au jour du délibéré, l'avertissement prévu par les articles 707-2 et 707-3 du Code de procédure pénale, n'a pu être donné. Vu l'article L. 121-4 du Code de la consommation, Ordonne la publication du présent arrêt, par extraits, aux frais de la société X dans les quotidiens "Le Figaro", "Le Monde" et "Libération" ; Confirme le jugement déféré sur les intérêts civils ; Y ajoutant, condamne la société X à payer à la partie civile L'UFC Que Choisir la somme de 1 000 euro en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires.